Après deux semaines de relative accalmie, notamment due à des célébrations religieuses, le mouvement qui revendique, comme d’autres dans la région, la « chute du régime », a donc repris et ne semble pas près de s’arrêter.
Les événements de ces derniers jours s’inscrivent dans le prolongement direct de la mobilisation du début du mois d’octobre, qui s’était soldée par une répression sanglante (157 mortEs et 6 000 blesséEs selon les chiffres officiels), quelques annonces gouvernementales (abaissement de l’âge légal des candidats aux élections, réforme de l’attribution des postes de fonctionnaires) et le limogeage de plusieurs responsables militaires.
Manifestations, grèves, occupations
Mais rien n’y fait, car c’est bien l’ensemble de la classe politique au pouvoir qui est visée par les manifestations, dans un pays classé au 12e rang mondial de la corruption par l’ONG Transparence Watch, qui estime que, depuis 2003, pas moins de 410 milliards de dollars auraient été détournés, soit près de deux fois le PIB du pays en 2018. Extrême pauvreté, inégalités criantes, chômage de masse, notamment dans la jeunesse, manque d’accès à l’eau potable et à l’électricité, ingérences étrangères (de l’Iran, des États-Unis, de l’Arabie saoudite…) : les griefs ne manquent pas pour les manifestantEs, très majoritairement issus de la jeunesse et des classes populaires.
Lundi 28 octobre, le syndicat des enseignantEs appelait à quatre jours de grève générale, tandis que les lycéenEs et les étudiantEs envahissaient les rues de Bagdad et de bien d’autres villes, de Bassorah à Nassirya. Un mouvement qui touche aussi les administrations, avec des piquets de grève devant de nombreux bâtiments publics, mais aussi devant des entreprises, et qui s’incarne de plus en plus par des occupations de rues, de places et autres sit-in.
Une crise profonde et durable
Si, au cours des dernières années, des mouvements de protestation avaient déjà eu lieu en Irak, comme à Bassora l’année dernière, où des manifestations de masse contre la pauvreté et pour la répartition des richesses avaient dégénéré cette année en émeutes, incluant l’incendie du consulat d’Iran, ou dans l’ensemble du pays en 2015, il semble bien que l’on assiste à la plus importante crise sociale depuis la chute de Saddam Hussein suite à l’intervention militaire de 2003. Une crise sociale qui se double d’une crise politique, avec un gouvernement incapable de reprendre la main, un Parlement qui n’arrive pas à se réunir, et des responsables politiques comme Moqtada al-Sadr qui annoncent leur soutien au mouvement sans y avoir de réelle influence.
Ainsi que l’a résumé Myriam Benraad, politologue spécialiste de l’Irak, « cette crise est ainsi le symptôme violent d’une problématique générationnelle en suspens : il s’agit d’une contestation des jeunes contre des élites vieillissantes qui ne les représentent plus. Le système politique irakien est en effet composé en vaste majorité d’anciennes figures de l’opposition historique à Saddam Hussein, au pouvoir depuis la mise à bas du régime. » Une crise profonde et durable, qui se cristallise dans la revendication de la « chute du régime », dont on connaît la portée depuis les soulèvements régionaux de l’hiver 2010-2011.
Julien Salingue