Le dérèglement climatique convoque tout un lot d’images dramatiques, dont celles de petites îles du Pacifique ou de métropoles côtières englouties par les flots.
La réalité pourrait être pire encore. D’après une étude publiée mardi 29 octobre dans Nature Communications [1], le nombre de personnes menacées par l’élévation du niveau de la mer dans le monde est au moins trois fois plus élevé que celui estimé auparavant. D’ici à 2050, 300 millions d’habitants risquent d’être confrontés à des inondations côtières au moins une fois par an – contre 80 millions d’après les précédentes estimations. Et, dans le pire scénario, jusqu’à 640 millions à la fin du siècle, particulièrement en Asie.
« Ces évaluations montrent comment le changement climatique sera capable d’altérer les villes, les économies, les côtes et des régions entières au cours de notre vie, explique Scott Kulp, principal auteur de l’étude et chercheur à Climate Central, une organisation scientifique américaine qui traite du climat. Les nations devront de plus en plus se demander si les défenses côtières peuvent les protéger, dans quelle mesure et pendant combien de temps. »
Les projections d’élévation du niveau des mers font l’objet de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Les océans pourraient grimper jusqu’à 1,10 mètre d’ici à 2100 par rapport à la période 1986-2005, selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en septembre.
Certains scientifiques modélisent même une hausse supérieure à 2 mètres, en cas de poursuite des émissions de gaz à effet de serre à un rythme soutenu et de fonte accélérée de la calotte glaciaire de l’Antarctique. De quoi créer une menace majeure pour les sociétés et leurs économies.
Un tiers du Bangladesh et du Cambodge menacés
Pour connaître les littoraux les plus vulnérables, les scientifiques de Climate Central ont réalisé un modèle assorti d’une carte interactive, qui permet de visualiser, pour chaque partie du globe, les zones qui pourraient être submergées entre 2050 et 2100.
Différents paramètres sont étudiés : deux scénarios d’élévation du niveau de la mer (optimiste ou pessimiste), en fonction d’une stabilité ou non de la calotte antarctique, et trois scénarios d’émission de gaz à effet de serre (faible, modérée ou soutenue). Dans le pire des cas, un tiers du Bangladesh et du Cambodge apparaît en rouge sur la carte.
Climate Central
Les résultats révisent tout d’abord à la hausse le bilan actuel : 110 millions de personnes vivent sur des terres situées sous le niveau des hautes marées, donc soumises à des inondations côtières permanentes, et 250 millions sont exposées à des inondations fréquentes, survenant au moins une fois par an en raison des tempêtes annuelles. Des valeurs quasiment quatre fois plus élevées que les précédents calculs (respectivement 28 et 65 millions de personnes). Ces chiffres devraient s’aggraver en 2050, quel que soit le scénario étudié, pour atteindre 150 millions d’habitants risquant d’être submergés en permanence et 300 millions une fois par an.
En revanche, la trajectoire à la fin du siècle dépendra des efforts déployés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. En cas de poursuite des rejets et de débâcle glaciaire, 500 millions de personnes (valeur médiane) risqueront d’être inondées une fois par an en 2100, contre 340 millions si les émissions sont réduites rapidement et drastiquement. A noter que tous ces chiffres ne tiennent pas compte des ouvrages ou des protections naturelles (digues, mangroves, etc.) actuels ni futurs, en raison d’un manque de données.
Un million de Français inondés chaque année en 2050
L’Asie sera la plus durement touchée. Ainsi, 70 % des habitants menacés sont concentrés dans huit pays : la Chine, le Bangladesh, l’Inde, le Vietnam, l’Indonésie, la Thaïlande, les Philippines et le Japon. En 2050, 94 millions de Chinois risqueront de subir une inondation côtière au moins une fois par an, contre 29 millions dans les précédentes estimations.
La France ne sera pas épargnée : 1 million d’habitants pourront être inondés chaque année en 2050, essentiellement en Loire-Atlantique, en Charente-Maritime, en Gironde et dans les Hauts-de-France. En 2100, l’élévation du niveau de la mer constituera un danger pour 1,2 million de Français en cas d’émissions modérées et pour 1,7 million si les rejets se poursuivent à leur rythme actuel.
« Nos travaux suggèrent que la vulnérabilité côtière mondiale est au moins trois fois pire que nous ne le pensions, mais aussi que les avantages de la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont trois fois plus importants, résume Scott Kulp. Des réductions extrêmes des émissions mondiales sont essentielles pour que ces dangers restent gérables au cours des décennies à venir. »
Corriger les calculs d’altitude
Comment expliquer une telle aggravation du diagnostic ? Les scientifiques de Climate Central se sont attaqués à une faiblesse des précédentes études : le manque de données d’altitude fiables. Jusqu’à présent, les risques d’inondations côtières étaient calculés grâce au SRTM, une base de données topographiques de la NASA utilisant des mesures satellites. Mais en confondant le haut des bâtiments ou des arbres avec la hauteur du sol, notamment dans les villes densément peuplées ou dans les forêts, ce modèle se trompe en moyenne de 2 mètres, voire de 4 mètres par endroits. Autrement dit, il surestime l’altitude de nombreuses parties du globe, et donc sous-estime le risque d’inondation.
Les chercheurs de Climate Central ont utilisé une technologie d’intelligence artificielle pour corriger ces erreurs, en comparant les données du SRTM avec d’autres mesures prises par laser aéroporté aux Etats-Unis, une technique plus fiable, mais chère, donc présente dans certains pays seulement. Ils ont ensuite appliqué les corrections aux 135 pays côtiers du monde.
Malgré quelques limites – notamment la validité de l’algorithme en Inde ou en Afrique –, « l’étude est solide et ses résultats sont importants, juge Gonéri Le Cozannet, chercheur au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui n’a pas participé aux travaux. Elle montre que l’exposition à l’élévation du niveau de la mer va s’accélérer dans trente, quarante ou cinquante ans. C’est un processus qui va durer des siècles, à un rythme rapide. »
Considérations économiques et éthiques
« Alors que la gestion des inondations côtières est déjà difficile dans les pays riches qui disposent de beaucoup de ressources pour aider ou indemniser les populations touchées, il sera terriblement difficile de gérer les impacts aussi importants des endroits où les ressources sont moindres et où l’exposition est élevée, du Vietnam et du Bangladesh à l’Equateur et au Mozambique », renchérit Stéphane Hallegatte, économiste du climat à la Banque mondiale, qui regrette l’absence de données topographiques dans les pays en développement, essentielles à l’évaluation des risques.
Si les résultats de Climate Central sont inquiétants, ils sont pourtant sous-estimés. Ils ne tiennent pas compte de la croissance de la population mondiale d’ici à la fin du siècle, de l’urbanisation côtière qui va encore progresser et de la multiplication des événements extrêmes, comme les cyclones qui surviennent une fois par décennie ou une fois par siècle, qui tuent et détruisent massivement.
Pour Stéphane Hallegatte, ces nouveaux chiffres doivent désormais se traduire en termes de politiques publiques : quelles zones protéger ? Comment financer la construction et l’entretien des infrastructures de protection ? Comment aider les populations qui devront être relocalisées ? Autant de « problèmes de gouvernance pressants », selon l’expert, qui note la difficulté à « trouver un équilibre » entre les considérations économiques (protéger là où se trouve la plus grande valeur) et éthiques (aider les plus pauvres).
En 2013, une étude de la Banque mondiale avait estimé que le coût des inondations pourrait dépasser, en 2050, les 1 000 milliards de dollars (900 milliards d’euros) par an dans les 136 plus grandes villes côtières de la planète si elles ne se protègent pas mieux.
Audrey Garric
• Le Monde. Publié le 29 octobre 2019 à 17h37, mis à jour le 30 octobre à 08h24 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/10/29/d-ici-a-2050-300-millions-d-habitants-pourraient-affronter-des-inondations-une-fois-par-an_6017342_3244.html
« 680 millions de personnes habitent dans des régions dont l’altitude ne dépasse pas dix mètres »
Le réchauffement, qui interfère dans le blanchissement des coraux et la distribution des espèces marines, va contribuer aussi à l’intensification des inondations et des cyclones, s’inquiète le chercheur Jean-Pierre Gattuso.
Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au Laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes ; CNRS, Sorbonne Université), travaille sur les conséquences biologiques, écologiques et sociétales de l’acidification des océans. Il est membre de l’Institut de développement durable et des relations internationales.
Martine Valo - Quelle est la spécificité de ce rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ?
Jean-Pierre Gattuso - Il traite à la fois de l’océan et de la cryosphère, ce qui lui donne du sens car ce sont deux éléments essentiels du système climatique. Pour ma part, j’ai coordonné le premier chapitre sur le contexte du rapport et les connaissances préexistantes – notamment les capacités et les limites dans les échanges entre océan et atmosphère –, j’ai aussi contribué à ceux sur la montée des eaux, à la situation des petites îles... Mais nous ne nous sommes pas cantonnés aux études sur la température, l’acidification de l’eau de mer, l’oxygène, les courants… Nous avons aussi travaillé sur les impacts biologiques des changements en cours, notamment sur la production des plantes – planctons, algues – et des animaux, ainsi qu’aux conséquences pour les sociétés humaines, comme la pêche.
Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur l’océan ?
La désoxygénation et l’acidification ont des impacts sur la survie des espèces et le maintien des écosystèmes, mais la problématique la plus immédiate, selon moi, est l’élévation de la température. Elle cause le blanchissement des coraux, de profondes modifications de la distribution des espèces, y compris celles que cible le secteur de la pêche commerciale, ce qui va d’ailleurs poser un énorme problème dans les régions intertropicales, car les poissons migrent vers les pôles. Le réchauffement va aussi contribuer à l’intensification des inondations et des cyclones qui vont frapper les côtes. Le rapport ne conclut pas qu’il y aura davantage de tempêtes tropicales, mais qu’elles seront plus fortes.
Devons-nous redouter la perte d’oxygène dissous, liée au réchauffement climatique ?
L’océan a perdu entre 0,5 % et 3 % de son oxygène entre 1970 et 2010, en raison d’une réduction des échanges avec l’atmosphère et du réchauffement qui accroît la respiration des bactéries, aussi produisent-elles davantage de CO₂. Les aires en hypoxie, dites « zones mortes », se sont étendues de 3 % à 8 % durant cette même période, dans le golfe du Mexique, au nord-ouest de l’océan Indien, au large du Pérou… Et cela va continuer.
Les experts du GIEC ont revu à la hausse leurs projections sur l’élévation du niveau de la mer. Pourquoi ?
Cela est dû à la fonte de la glace en Antarctique, qui se produit plus rapidement que le rapport global de 2013 ne l’avait prévu. Or, 680 millions de personnes habitent dans des régions dont l’altitude ne dépasse pas 10 mètres. En outre, 4 millions peuplent la zone Arctique et voient leurs milieux bouleversés par la fonte des glaces et la montée des eaux. Le rapport aborde leur vulnérabilité, mais aussi leurs savoirs vis-à-vis de la nature dans le chapitre où des pistes de solutions sont proposées. Il montre bien qu’il existe de réelles différences, selon le scénario d’émissions de gaz à effet de serre qui sera suivi.
Que dit le rapport au sujet de la circulation océanique ?
La circulation Atlantique – dont le Gulf Stream –, qui apporte les eaux chaudes des Caraïbes à travers l’Atlantique, les pousse notamment vers la Bretagne avant de plonger dans l’Arctique, s’est affaiblie depuis l’ère préindustrielle. Cela devrait continuer, bien qu’un arrêt total semble improbable. Cela aura des conséquences sur la production marine dans l’Atlantique Nord, entraîner plus de tempêtes en Europe du Nord, une diminution des cyclones tropicaux en Atlantique et une baisse des précipitations au-dessus du Sahel.
C’est tout l’équilibre du système Terre qui est en jeu…
En effet. Les petites îles du Pacifique vont être particulièrement touchées par le réchauffement, alors qu’elles ont peu de moyens pour s’adapter, mais elles sont bien organisées et bien présentes dans les rencontres internationales, ce qui n’est pas le cas de l’Arctique. C’est injuste, car ces parties du monde ne sont pour presque rien dans les changements climatiques. Cependant, ce rapport fournit un message positif malgré des projections d’impact très inquiétantes si les rejets de gaz à effet de serre ne sont pas réduits drastiquement. Il montre qu’un scénario d’émission compatible avec l’accord de Paris [décembre 2015] permet de stabiliser ou de modérer les conséquences. L’état de l’océan futur est entre nos mains.
Martine Valo
• Le Monde. Publié le 25 septembre 2019 à 11h00 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/25/680-millions-de-personnes-habitent-dans-des-regions-dont-l-altitude-ne-depasse-pas-dix-metres_6012969_3244.html
L’alarme du GIEC sur un océan en surchauffe
Le premier rapport des scientifiques consacré aux mers et aux glaces prévoit un monde marin plus chaud, dilaté, plus acide, en manque d’oxygène et moins peuplé.
Un monde marin plus chaud jusque dans les abysses, plus salé, moins riche en oxygène, plus acide, dépeuplé, qui se dilate et se gorge de glaces fondues. C’est ce qu’annonce le rapport spécial que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) consacre pour la première fois à l’océan et à la cryosphère (neige permanente, glaciers de montagne, calottes glaciaires, banquise, sols gelés).
Ce document, rendu public à Monaco, mercredi 25 septembre, est en réalité la chronique d’un immense bouleversement déjà à l’œuvre, avec son lot prévisible de catastrophes. L’incertitude porte sur l’intensité de ces dernières et la rapidité à laquelle elles vont survenir.
Non seulement les images de dévastation extrême, comme celles des îles des Bahamas après le déchaînement du cyclone Dorian, en septembre, risquent fort de devenir communes, mais c’est globalement un monde différent qui se dessine, avec des conditions environnementales inédites depuis des millions d’années ; d’autres paysages, d’autres modes de vie pour des millions d’humains et beaucoup d’autres espèces habitant la terre.
Urgence à agir
Les 104 auteurs, des scientifiques de trente-six pays qui ont référencé presque 7 000 publications dans ce document de plus de 800 pages, établissent le diagnostic implacable d’une planète en surchauffe.
Le résumé pour les décideurs constitue une alerte de plus au sujet de l’emballement climatique, mais à la hauteur d’un milieu qui représente 71 % de la superficie du globe, 90 % du volume de l’habitat disponible pour les organismes vivants et contient 97 % de l’eau sur terre. La montée du niveau des mers, la migration des poissons vers des zones plus tempérées ou le dégel du pergélisol (sol gelé en permanence) sont des faits déjà observés. Mais rassemblé et mis à jour, cet état des connaissances scientifiques ne laisse aucun doute sur l’urgence à agir.
« Au-delà de 2050, tout va dépendre de nos émissions de gaz à effet de serre [GES], prévient Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du GIEC. Les réduire permettrait de gagner du temps pour nous adapter aux risques, dont certains, comme la montée du niveau des mers, sont inéluctables. »
Le rapport compare donc systématiquement les conséquences du scénario le moins alarmant établi en fonction de l’évolution des GES, mais aussi de la déforestation ou du type d’agriculture pratiqué, soit une élévation de la température moyenne de l’atmosphère de 1,6 °C par rapport à l’ère préindustrielle (scénario RCP2.6), ou du scénario censé aboutir à 4,3 °C supplémentaires en moyenne (RCP8.5), soit l’évolution actuelle, sans politique contraignante sur les émissions.
Encore ces prévisions apparaissent-elles sous-estimées, car selon les modélisations du climat les plus récentes livrées par des scientifiques français, le 17 septembre, il faudrait ajouter jusqu’à 1 °C de réchauffement aux modèles actuels.
Au cœur du système climatique
L’océan, qui produit au moins la moitié de notre oxygène, redistribue d’énormes quantités de chaleur grâce aux courants qui le traversent et capte 20 % à 30 % du dioxyde de carbone généré par les activités humaines.
« Il est pratiquement certain que l’océan mondial s’est réchauffé sans relâche depuis 1970 et qu’il a absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire dans le système climatique », écrivent les rapporteurs. Autrement dit, sans lui, la température sur terre aurait déjà atteint des sommets. « Les prochaines estimations des scientifiques vont indiquer que l’océan absorbe 94 % de l’énergie interne à notre climat, ce qui dégage toujours plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère, modifie le cycle des nuages, des précipitations, intensifie les sécheresses, les pluies diluviennes, explique Sabrina Speich, professeure d’océanographie et de sciences du climat à l’Ecole normale supérieure. L’augmentation de la chaleur est exponentielle… On va dans le mur ! Si l’on continue à envoyer autant de CO2 dans l’atmosphère, on peut s’attendre à des guerres pour l’eau, pour la surface habitable, qui va se réduire… »
De plus en plus chaud
Depuis 1993, le rythme de réchauffement de l’océan a plus que doublé par rapport aux vingt-cinq années précédentes. Entre 1971 et 2010, la couche des 75 premiers mètres a connu une augmentation moyenne de 0,11 °C par décennie. Dans les couches comprises entre 700 m et 2 000 m de profondeur, ce rythme a presque triplé. Il existe des disparités : en surface, l’océan Arctique se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale.
Le rapport se penche sur les « canicules océaniques », responsables de la détérioration d’écosystèmes comme les forêts de kelp, ces grandes algues brunes qui abritent de nombreuses espèces. Ces vagues de chaleur se sont intensifiées et sont deux fois plus nombreuses depuis 1982.
L’océan est un milieu complexe, où varient les taux de salinité et les températures. Les scientifiques observent une « stratification » qui rend plus difficiles les échanges entre les eaux de surface, plus chargées en oxygène, et les couches plus profondes, riches en nutriments. Ces bouleversements entraînent une diminution de la biomasse, autrement dit des espèces vivantes, en particulier dans les régions tropicales.
Le déclin du potentiel de pêche va se poursuivre. Déjà, les pêcheurs européens remontent de plus en plus d’espèces tropicales dans leurs filets.
Le niveau moyen des eaux monte de plus en plus vite
Infographie Le Monde
Le GIEC a revu ses prévisions à la hausse. D’ici à la fin de ce siècle-ci, la montée pourrait atteindre au moins 0,59 mètre, selon le scénario le plus optimiste, et 1,10 m par rapport à la période 1986-2005, selon le scénario RCP8.5. En 2013, les experts donnaient une fourchette de 0,45 m à 0,82 m.
Cette hausse du niveau moyen va accentuer les inondations, l’érosion des côtes, la pénétration du sel dans les nappes souterraines d’eau douce… Elle va surtout avoir un effet aggravant redoutable lors des cyclones. Toujours selon cette trajectoire, des événements extrêmes qui surviennent tous les cent ans pourraient devenir annuels. L’océan pourrait gagner plusieurs centimètres par an au XXIIe siècle, sous l’effet de sa dilatation et davantage encore de la fonte des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland plus rapide que prévu, et grimperait ainsi de plusieurs mètres.
Qui est concerné ?
Mégapoles ou communautés villageoises vont être frappées de plein fouet dès lors qu’elles se situent près de la mer. Aujourd’hui, 680 millions de personnes résident dans des régions situées à moins de 10 mètres d’altitude et elles seront probablement au moins un milliard en 2050. Tandis que 4 millions d’habitants de l’Arctique sont déjà confrontés à un environnement en pleine mutation. Enfin, 670 autres millions vivent dans des régions de haute montagne, à moins de 100 km de glaciers menacés de disparaître, les privant de leur précieuse ressource hydrique.
Même les régions du monde qui ne sont pas les plus directement menacées auront à essuyer des tempêtes plus violentes et ne resteront pas à l’abri des désordres climatiques.
Toutes ne sont pas confrontées à la même urgence. D’une part, le niveau des eaux s’élève à une vitesse qui peut varier par endroits de 30 % par rapport à la moyenne mondiale. D’autre part, les conséquences diffèrent selon la densité des populations sur les littoraux et des moyens qu’elles pourront déployer pour se protéger.
« Dans le résumé, pour les décideurs, nous n’avons pas retenu le chiffre de 280 millions de personnes déplacées à cause du réchauffement, car une seule étude arrivait à cette conclusion, rapporte Alexandre Magnan, chercheur en géographie humaine à l’Iddri, l’un des coauteurs du résumé pour les décideurs. Nous ne reprenons que des constats suffisamment documentés, car nous nous devons d’être solides pour dégager un consensus. »
Infographie Le Monde
Quatre types de géographies côtières ont été pris en compte dans l’évaluation des risques induite par la montée des eaux : les mégacités comme Shanghaï, New York ou Rotterdam ; les grands deltas agricoles : le Gange-Brahmapoutre, par exemple ; les îles urbanisées des atolls, Tuvalu, par exemple ; enfin, les communautés arctiques. Ces deux dernières catégories « vont être soumises à des risques élevés », résume-t-il.
Acidification et perte d’oxygénation
Ces phénomènes ne vont pas affecter que les humains. Du sommet des montagnes, d’où vont disparaître des espèces dépendantes de l’enneigement, à la faune des lagons et même des abysses, les changements vont être sévères pour les organismes vivants.
Dans le milieu marin, l’eau devient plus acide, ce dont pâtissent les coquillages. En raison d’une réduction des échanges avec l’atmosphère et du réchauffement, l’océan a perdu entre 0,5 % et 3 % de son oxygène entre 1970 et 2010. La respiration des bactéries s’accroît, produisant davantage de CO₂. Les aires en hypoxie, dites « zones mortes », se sont étendues de 3 % à 8 % durant cette même période. Les espèces tendent à migrer vers les pôles – elles se déplacent de 30 km à 50 km par décennie depuis les années 1950. Du moins celles qui peuvent se déplacer. Les autres, comme les coraux d’eau chaude, sont très mal en point.
Quelles solutions ?
Construire des digues – à condition d’avoir les moyens de les entretenir –, des bâtiments sur pilotis ou regagner de l’espace sur la mer peut constituer une réponse – limitée – aux changements dans l’océan.
Reste la solution la plus radicale : céder la place, reculer devant l’eau qui monte. Les rapporteurs plaident pour une restauration des milieux naturels : mangroves, récifs coralliens, herbiers sous-marins, plages, dunes constituent les meilleurs remparts pour atténuer les vagues. Mais ils sont eux-mêmes mis à mal par l’intensification des tempêtes et les activités humaines.
Martine Valo
Infographie Le Monde
• Le Monde. Publié le 25 septembre 2019 à 11h01 - Mis à jour le 26 septembre 2019 à 06h22 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/25/l-alarme-du-giec-sur-un-ocean-en-surchauffe_6012972_3244.html