Il faut d’abord souligner la pertinence d’ensemble de la problématique qui fonde ces propositions (1) : réévaluer la part du travail par rapport au capital dans le partage de la valeur ajoutée, en fixant comme objectif de porter en cinq ans la part de la masse salariale de 60 à 69 %. Il en est de même des trois moyens envisagés pour y parvenir : relèvement des salaires, doublement des minima sociaux, suppression des contrats précaires par la généralisation des CDI et interdiction du « précariat ». On trouvera simplement ici un certain nombre de remarques provisoires et interrogatives
1) Une politique sociale de gauche : quelles implications économiques ?
Il est d’abord nécessaire de mieux hiérarchiser les priorités, notamment dans les 125 propositions des Collectifs en mettant en avant les choix stratégiques envisagés. Ce qui suppose que l’on parte du constat suivant : on ne peut ignorer comme c’est généralement le cas « à gauche de la gauche » que les Propositions représentent une rupture radicale avec le cours stratégique actuel que suivent toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Le coût du travail est aujourd’hui, avec la course sans fin à la hausse de la productivité par l’investissement technologique et par la pression maximum au rendement sur les travailleurs, la principale variable de la rentabilité du capital et de la croissance des profits. Donc du maintien de la compétitivité maximum des entreprises, hors de laquelle celles-ci n’ont aucune raison d’être. La flexibilisation maximum de l’emploi est depuis un tiers de siècle le corollaire obligé de la productivité, elle s’exerce par la mise en concurrence sous de multiples formes des coûts du travail à l’échelle du monde (il faut rappeler à ce propos qu’actuellement le salariat représente en France 89 % de la totalité de l’emploi). Par conséquent, de même que la production se fait aujourd’hui à « flux tendus » (avec le moins de stocks possible), elle suppose que le volant de main d’œuvre soit soumis à la même logique (en très gros : pas de stocks d’emplois, d’où leur précarisation et le recours massif à l’intérim).
Ce que propose la gauche dite « antilibérale » est donc un changement de la logique globale de fonctionnement et de gestion de toutes les entreprises (2,7 millions actuellement en France, hors le secteur financier et l’agriculture). Aucune ne saurait s’y soustraire. Changer cette logique constitue donc une rupture quasi révolutionnaire avec le mode de développement néo-libéral (lequel n’est d’ailleurs pas, contrairement aux idées ambiantes , exactement « libéral », …) du capitalisme contemporain à l’œuvre partout dans le monde aujourd’hui, dans le « système-monde » comme disait Fernand Braudel. A terme c’est se heurter inévitablement aux structures historiquement fondatrices du capitalisme.
Dès lors, cette rupture a peu de chances de s’imposer en dehors d’une mobilisation sociale d’une ampleur comparable aux levées ouvrière et populaire des années 1936-1948. Sans celles-ci n’auraient pu s’imposer le compromis social - aujourd’hui largement démantelé…- de la Libération et, notamment, l’Etat protecteur, qui furent l’accomplissement de ce mouvement social sans précédent et en permirent en même temps le reflux. Sans l’autre levée sociale, celle des années 1967-1975, ce compromis n’aurait pu être prolongé d’une décennie et l’incapacité de la Gauche à lui redonner sens lors de son retour au pouvoir en 1981, doit être mise en relation avec l’absence de mobilisation du monde du travail. Qu’en sera-t-il demain ?
Il faudrait de toute façon (et c’est l’une des lacunes des Propositions) calculer ou au moins évaluer avec le plus de précision possible la marge de manœuvre disponible, « marginale » si l’on veut, des différentes catégories d’entreprises dans le contexte actuel de la compétition inter-entreprises, puisqu’il s’agit forcément de mettre en cause leur capacité à y figurer. Peut-on concevoir des compensations, des mécanismes d’amortissement pour tempérer ou accompagner le passage de la compétitivité absolue de l’entreprise à une compétitivité encadrée ? On ne peut faire l’impasse sur cette interrogation, d’autant plus qu’une alternative politique aux logiques néo-libérales actuelles suppose la mise en place d’une alliance sociale avec une partie très importante de la masse des « cadres » (techniques, scientifiques et autres) qui assurent le fonctionnement et l’orientation de l’économie en général et des entreprises en particulier. Avec ce monde des cadres, il est impératif de trouver les moyens d’un dialogue productif, sauf à se condamner à une alternative purement protestataire.
2) L’agriculture oubliée
En l’état actuel de la réflexion à gauche rien ou à peu près rien n’est dit dans les Propositions du gisement d’emplois, pas forcément salariés, que peut comporter le passage à une agriculture paysanne, à la fois plus extensive, biologisée et relocalisée. Un tel passage ne pourrait qu’être à la fois substantiel et progressif étant donné que la première activité exportatrice française est aujourd’hui l’agriculture industrielle. C’est un travail de fond qu’il faudrait entreprendre avec des femmes et des hommes de terrain, agriculteurs, salariés commerciaux, ouvriers, syndicalistes, et le faire dans une perspective internationale car un tel passage suppose que soit relocalisées au moins en partie les productions agricoles. Non pas pour revenir au passé mais dans le but d’inventer une agriculture paysanne moderne et de la généraliser avec prudence et réalisme aux pays du Sud. Rappelons qu’il y avait en France près de 6 millions de « paysans » (d’actifs agricoles) en 1946 : il en reste à peine 800 000. C’est aussi à la fois une révision des surfaces (des exploitations comme des parcelles : dans le Pas-de-Calais, le champ de plus de 100 ha n’est nullement une rareté… ) et une réforme agraire « moderne », sociale (propriété, faire-valoir, salariat) et technologique (filières de production) qu’il s’agit de penser.
3) Marchés, entreprises publiques, choix industriels
On ne doit pas se cacher que si le relèvement du pouvoir d’achat des classes populaires et l’ouverture de nouvelles relations économiques avec les pays du Sud (mais lesquelles exactement ?) devraient effectivement élargir les marchés de l’économie française, les propositions de Copernic restent muettes sur des questions fondamentales qui leur sont sous-jacentes. Il ne s’agit pas d’apprécier négativement ces propositions car elles ne sont nullement négligeables (constitution d’un pôle financier – sous-entendu national ? -, réorientation de la politique budgétaire, réformes profonde des systèmes d’imposition etc.), tout au contraire. On ne peut cependant éviter plusieurs questionnements :
La part de l’exportation dans l’ensemble des activités (pas seulement des activités « non financières, non agricoles ») est plus élevée que ne le dit le texte de la Fondation Copernic p.32, du moins à mon sens. Il fait notamment l’impasse sur l’exportation de biens non matériels. D’une manière plus générale, on peut douter de la vision de la mondialisation de l’économie française qu’avance Copernic. Il y a d’ailleurs aussi à prendre en compte la mondialisation « invisible » de l’horizon des entreprises, même de celui des PME. Les frontières économiques et financières européennes sont aujourd’hui très réduites en comparaison du passé. Le texte ne dit rien du choix qui devra être progressivement fait entre le maintien d’une production globale fortement extravertie, exportatrice (ce qui est un fait français très ancien, contrairement à ce que croient beaucoup d’économistes), et une production recentrée sur le marché intérieur. Notamment il n’est rien dit des échanges franco-allemands (Allemagne et France sont premiers fournisseurs et premiers clients mutuels) qui sont centraux pour l’économie française. Ne faut-il pas d’ailleurs définir, à l’échelle nationale et internationale, des activités non délocalisables et promouvoir une politique négociée par accords multilatéraux de relocalisation d’un certain nombre de productions industrielles, telles que certaines branches du textile, de la métallurgie, de la pharmacie, de l’électronique ? Là encore c’est une recherche qu’il faudrait entreprendre, faits et chiffres à l’appui.
Les Propositions sont pratiquement silencieuses sur la réorientation de la production industrielle, sur la nécessité de changer progressivement mais rapidement le système de consommation et son double : le système de guidage de la consommation ordonné autour de la publicité et des média. Vaste problème…. Même mutisme sur l’autre aspect de la question : faut-il réindustrialiser, relocaliser un certain nombre de productions, particulièrement destinées à la consommation intérieure et lesquelles ? Faut-il envisager une cinquième industrialisation de la France (après celles des périodes 1760 – 1800, 1830- 1873, 1895 - 1929, 1945 – 1973) et de l’Europe ? Ne faut-il combattre pour des accords internationaux en ce sens ? Ou continuer le glissement vers un capitalisme de services et de savoirs (actuellement le secteur financier représente à lui seul 15 % du PIB français) ? Les propositions de Copernic ne disent pas grand chose des choix technologiques à modifier ou à effectuer, ni sur les priorités de la recherche aujourd’hui partout retenues (et souvent inconnues de l’opinion : par ex. des équipes sont au travail aujourd’hui dans les grands pays scientifiques sur de pharaoniques projets de « géo- ingénierie » à mettre en œuvre comme réponse au basculement climatique…).
Le texte reste obscur et indécis quant à la question des privatisations et des services publics. On ne peut faire l’économie à ce propos d’une réflexion non seulement sur le contrôle des changes et des mouvements de capitaux , réflexion utile et nécessaire mais à poursuivre, car rétablir un tel contrôle consiste à rompre avec la libéralisation des échanges en cours depuis Bretton Woods, soit depuis soixante ans, ni non plus d’une réflexion claire sur la « menace d’expropriation » qui dans le projet Copernic qui l’évoque reste singulièrement vague.
Il faudrait poser nettement la question de la création de nouvelles entreprises publiques, de la reconstitution d’un secteur d’entreprises d’Etat renouvelées. On ne peut se contenter de brandir des menaces sans s’être donné les moyens intellectuels et politiques de les mettre en œuvre. Or ce secteur public s’est effondré depuis un quart de siècle, à l’initiative même des Etats. La constitution d’entreprises publiques à modes de gestion et d’orientation réinventés (car on ne peut s’en tenir au seul modèle des nationalisations de 1946) est un chantier qui n’est nullement facile mais qu’il est pourtant urgent d’ouvrir. Certes on ne refera pas l’Union Soviétique. Mais alors, « que faire ? », comme disait son fondateur…
4) La problématique de l’environnement
Les Propositions restent très partielles en ce domaine. Elles se limitent aux transports et à l’énergie (ce qui n’est pas rien bien sûr), à la fiscalité sur la pollution, au logement. Rien n’est dit de la question de la « croissance » dont il n’est cherché une redéfinition ni tenté un examen critique. Plus généralement, comment assumer la difficile problématique économique fondatrice d’une réelle alternative au néo-libéralisme, c’est-à-dire la question de l’articulation entre trois termes contradictoires :
– le système productif et commercial en place, centré sur l’accumulation indéfinie du profit, et donc productiviste et toujours plus mondialisé,
– sa nécessaire décélération, si l’on entend combattre la déstabilisation de la biosphère globale
– la mise en place et la montée en puissance d’un système de production et d’échange effectivement écologisé et biologisé ?
Que penser aussi d’une question non abordée : le développement d’un « troisième secteur », coopératif, mutualiste, pas seulement limité aux services : « l’aide à la personne » ou la « culture » ne sont-ils pas trop souvent les « cache-sexe » du sous-emploi et de l’indigence de pensée des décideurs ? Actuellement la place de ce secteur reste très limitée : à la fin de 2005, les « éco-activités » (équipement, technologies et services de l’environnement) ne représentaient que 2% du PIB et l’équivalent de 350 000 emplois (1,5 % de l’emploi total) en France, 2,2 % du PIB et 1,7 % au total dans l’Union Européenne. Comment le dynamiser et en faire un secteur économique-clé ?
L’avancement de ces chantiers a encore, si l’on entend aborder de front la question de la réorientation des activités productives, deux types d’implications. Tout d’abord il faut rouvrir le dossier de la planification. Est-il inconcevable de la rénover ? Dans le but notamment de faire croître et très rapidement, en particulier dans le cadre d’entreprises publiques à créer, des activités aujourd’hui trop marginales telles que la production des énergies renouvelables si retardataire en France, d’une industrie écologique du bâtiment et des travaux publics, d’une industrie des économies d’énergie et, en sens inverse, de programmer la décroissance de productions et d’industries à haut degré de risque collectif : l’industrie automobile, le nucléaire, l’armement offensif par exemple.
Seconde implication : il faut encourager des consommations et des secteurs commerciaux, en décourager d’autres par l’invention d’une véritable politique de la consommation aujourd’hui si indigente. Enfin s’imposera une révision des indices statistiques et de la comptabilité nationale, en particulier des deux notions actuelles de PIB et de taux de croissance, purement référés à l’augmentation quantitative des biens et des services et qui ne prennent nullement en considération la réalité du processus de « destruction/construction » qu’est depuis toujours le capitalisme et que sont plus encore ses diverses configurations contemporaines.
5) Vers une VIe République ?
Les Propositions font à juste titre une large place (17 articles, 99 bis à 112) aux nécessaires transformations constitutionnelles et institutionnelles requises par la logique d’un projet d’ensemble qui ne peut voir le jour que par l’approfondissement de la démocratie et des droits du citoyen mais aussi que par leur élargissement à ceux qui en sont exclus, à commencer par les étrangers résidents. La principale mesure prévue est le rééquilibrage des pouvoirs au profit de l’Assemblée Nationale et la fin de la suprématie du pouvoir présidentiel. Mais est-il vraiment pertinent de revendiquer une VIe République ? « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots… », disait Jaurès. Plutôt que constituer une VIe République - comme s’il s’agissait d’allonger la déjà longue liste des républiques françaises à la manière de l’interminable série des dynasties égyptiennes…-, n’est-ce pas plutôt « la » République, démocratique et sociale, qui est à constituer, en actualisant son sens dans la situation d’aujourd’hui : une société politique active qu’il importe de concevoir et mettre en œuvre ? Comme il s’est toujours agi de le faire dans le passé, à chaque grand tournant de l’histoire nationale. C’est l’articulation d’une nouvelle société politique avec la redistribution égalitaire des richesses produites, elles même mises en concordance avec la contrainte écologique, qui définit ce sens.
Deux interrogations corollaires : faut-il revenir à un régime parlementaire proche de la IVe République, au « parlementarisme absolu » qui la caractérisait et a fortement contribué à son effondrement ? Celle-ci est une expérience historique sur laquelle il serait plus que judicieux de réfléchir collectivement. Enfin, comment relier la transformation de la société politique nationale à la constitution par ailleurs envisagée de l’Union Européenne sur un mode et selon un processus constituant démocratiques, quels transferts de pouvoirs concevoir de l’une vers l’autre ?
6) Alternative nationale et mondialisation : quelles articulations ?
De fait, l’ensemble des Propositions ne se situe pour l’essentiel que dans une perspective nationale et en leur état actuel pas vraiment dans une perspective également européenne et mondiale. Cette critique doit certes être nuancée fortement. Le texte de Copernic pour ne citer que lui, esquisse en effet l’idée d’une construction de services publics européens (p.97), d’une politique énergétique européenne etc. Mais en matière de salaires il ne parle que de « convergence par le haut » et de « normes sociales européennes » ce qui ne saurait être suffisant pour combattre la « flexiconcurrence » des salariats européens et mondiaux. Il faut parvenir à des
ruptures qui affaiblissent et, même, sur certains registres bloquent la spirale sans fin qui la commande.
La première rupture à établir n’est-elle pas la mise en marche d’un processus d’égalisation des salaires et des minima sociaux d’un pays à l’autre, ce qui suppose une volonté politique qui dépasse le cadre national ? Une revendication fédératrice et supranationale peut-être dans l’immédiat celle d’un SMIC européen aligné sur les parités de pouvoir d’achat des pays les plus riches. De même à l’échelle mondiale, ne faut- il faut mettre en chantier et populariser dès maintenant l’idée d’un revenu minimum mondial et d’une protection sociale mondiale à financement international ? Comment parvenir autrement à stabiliser et à réguler la démographie ainsi que les gigantesques mouvements migratoires en cours à l’échelle de la planète ? Simple exemple à ce propos : en Chine Populaire, quatrième puissance économique du monde, seuls 25 % des salariés (ils sont entre 100 et 200 millions) disposaient d’une (très maigre) assurance chômage et 17 % seulement des salariés du public cotisaient à un système de retraite. C’est à cette échelle que se posent les problèmes. Dès lors , comment avancer autrement dans le « repartage des richesses » à la même échelle, même si ce repartage peut et doit passer en partie par des mécanismes et des redistributions indirects ?
Plus généralement, aucune des grandes réorientations évoquées dans les Propositions n’a de chance d’advenir dans un cadre strictement national et au terme de simples combats nationaux. Ces derniers peuvent avoir une vertu de blocage temporaire et sectoriel comme le montre l’histoire du dernier tiers de siècle mais non pas d’avancées irréversibles ou de longue durée. Celles-ci ne peuvent avoir pour champ réel qu’à la fois les Etats-nations, l’Union Européenne et le monde. C’est pourquoi les propositions alternatives devraient être simultanément et concrètement formulées dans cette triple perspective. Il importe en particulier de mettre vigoureusement en avant dès la présente période électorale le projet d’une véritable Constitution européenne (et non d’un traité : un replâtrage du défunt traité se prépare à Bruxelles pour l’horizon 2009…), à élaborer dans le cadre d’un processus constituant démocratique.
Ultime remarque : le projet, en son état, n’aborde pas la question si difficile mais pourtant décisive, de la communication, de l’échange et du transfert « horizontal » des expériences et des combats entre les sociétés, ni des formes concrètes à inventer ou à faire progresser à cet effet (manifestations européennes, réelle internationalisation des syndicats et mouvements de gauche – pas seulement dans leurs sommets mais d’abord dans leurs structures fonctionnelles et leurs activités de base - , congrès thématiques et périodiques intersyndicaux, invention commune de projets, de revendications et de luttes supranationales). Il ne peut aujourd’hui y avoir d’autre alternative cohérente et durable que simultanément locale, nationale et internationale.
N’est ce pas la seule voie ouverte pour faire reculer et combattre un capitalisme contemporain qui opère plus que jamais à l’échelle du monde, qui s’est approprié et instrumentalise depuis longtemps, quasi-totalement aujourd’hui, les ressorts essentiels du champ international ? Le défi à relever : à nous d’être plus internationalistes que lui et de refaire de l’internationalisme une idée neuve en Europe et dans le monde. Utopie diront les réalistes, mais l’utopie n’est pas ce qui est impossible à réaliser, c’est ce qui reste à réaliser…On excusera la grandiloquence du propos.
Notes
1) « Ce que nous voulons », « Document Programme » du Collectif d’Initiative Nationale pour un Rassemblement Antilibéral de Gauche et des Candidatures Communes, version 08, 20 octobre 2006. Ce programme s’inspire largement de la brochure de la Fondation Copernic, « Propositions pour des Politiques Alternatives », Les Documents de la Fondation Copernic, Paris, Syllepse, 2006, 206 p
Le « Document- Programme » du Collectif Unitaire National
Version n° 8, 20.X.2006
« Notre candidat, c’est le programme… », souligne une récente circulaire nationale de fin novembre. C’est dire que c’est avant tout le projet et non pas d’abord la candidature qui est en mesure de donner sens aujourd’hui et demain à la campagne des collectifs unitaires. Bien qu’il ne soit pas complet – il reste un certain nombre de chapitres à mettre au point – , en l’état actuel de ses 125 articles, précédés d’un préambule, ce document de 33 pages énonce et fixe d’ores et déjà ce sens.
Sens qui renvoie à une double rupture : à la fois avec le nouveau cours, néo-libéral, qu’a pris le développement du capitalisme depuis un tiers de siècle et qui a pour corollaire la mondialisation générale de ses logiques de fonctionnement, et avec les politiques dites « social- libérales » prônées et mises en œuvre depuis la décennie 1980 par le Parti Socialiste français et par les autres partis sociaux-démocrates européens, politiques qui consistent dans chaque pays en un accompagnement social diversifié des effets du néo-libéralisme par des Etats protecteurs fortement réduits.
Les 125 mesures retenues jusqu’à présent sont réunies en sept chapitres d’inégale précision et importance dont la moitié est de nature sociale et économique (chapitres I, II, VII) soit 67 articles au total, un cinquième concernant l’éducation, la culture et la production de savoirs (ch. III). Les trois autres séries de mesures portent sur l’égalisation de la condition des femmes et des hommes (ch. IV), la fondation d’une VIe République (ch. V) et la refonte radicale de l’action de la France dans le monde (ch. VI).
– Trois visées fondamentales se dégagent de ce programme politique. Il s’agit de :
- relever la part du salaire – et plus généralement de celle du travail – dans la valeur ajoutée totale en portant la part salariale au niveau qui était le sien en 1980 (soit environ 70 %). Ce qui représente un investissement de 165 milliards d’E chaque année (soit 10 % du montant de la valeur ajoutée nationale). Mesures essentielles prévues : SMIC à 1500 E nets, minima sociaux augmentés immédiatement de 300 E et portés ensuite à 1200 E, échelle mobile des salaires, allocation d’autonomie pour les jeunes en formation ou à la recherche d’un emploi, généralisation du CDI, résorption du précariat (abolition des CNE, CEE, de la loi sur l’égalité des chances), sécurisation des parcours professionnels et de vie, généralisation des 35 heures en attendant 32, rétablissement de la protection sociale et de la retraite à 60 ans.
- de la mise en œuvre d’une nouvelle politique économique ordonnée autour de l’extension et de la réorganisation rationnelle des Services publics, notamment à partir de l’action de grands « Pôles publics » à créer, pôle public ferroviaire, pôle public de l’énergie notamment ; de l’ouverture d’un débat national sur le nucléaire ; de l’ interdiction des OGM et de la lutte contre le productivisme agricole ; de la cessation de toute privatisation, du développement de l’économie sociale et solidaire (ESS), de la mise sur pied de « Réseaux Européens d’entreprise publiques » (REEP) ; enfin d’investissements massifs dans l’Enseignement supérieur, la recherche et l’innovation scientifique.
- de financer ce projet d’ensemble (chapitre VII) par une triple série de mesures : budgétaires (redéploiement des masses budgétaires entre les postes du budget), fiscales (hausse de quatre impôts-clés : sur le revenu, sur les sociétés, sur la fortune, sur les transactions financières) et bancaires (une nouvelle politique du crédit), ainsi que par un relèvement des cotisations sociales patronales.
Philosophie du projet d’ensemble : un gigantesque déplacement social de la richesse produite, à mener à bien en quelques années.
– Ce déplacement est complété par et articulé à quatre mutations fondamentales : l’égalisation du statut social, professionnel, salarial, culturel et moral des femmes (dix mesures) ; le rééquilibrage constitutionnel des pouvoirs par la mise en chantier immédiate d’une nouvelle constitution dont les principes fondateurs sont détaillés en quinze articles dans le document, le changement principal étant le rétablissement du primat de l’Assemblée nationale sur le pouvoir exécutif ; la refondation de l’Union Européenne dans un sens démocratique et social, par l’abandon du TCE et l’élection d’une Assemblée constituante européenne chargée de préparer le texte d’une constitution de l’Union (et non pas d’un nouveau traité), refondation qui suppose la mobilisation commune de toutes les forces de gauche, syndicats et partis des différents pays européens ; enfin la mise en œuvre d’une politique française mondiale de pacification de la planète, de respect des droits des peuples et de l’homme, de coopération active économique et écologique internationale.
Tel qu’il est aujourd’hui formulé, ce programme n’est toutefois pas complet, notamment en matière d’écologie, de politique industrielle et commerciale ; par ailleurs les mesures relatives à la jeunesse, aux handicapés, aux personnes âgées, à la politique des territoires et de la ville sont à écrire. A tous de le prendre en charge de manière à la fois critique et inventive