Il y a vingt-deux ans, quand Hong Kong a été rétrocédé à la Chine, la relation qu’entretenait l’ancienne colonie britannique avec Taïwan est devenue l’affaire de Pékin. Et donc, quand l’indépendantiste Chen Shui-bian a été élu président de Taïwan en 2000, l’ire de la Chine a été ressentie jusqu’à Hong Kong.
Un responsable chinois, Wang Fengchao, alors directeur adjoint du Bureau de liaison [représentant Pékin dans la région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong], a appelé la presse hongkongaise à ne pas relayer les informations relatives [aux revendications] d’indépendance de Taïwan. Cela malgré les garanties que donne la Loi fondamentale, la mini-Constitution de la RAS, en matière de liberté de la presse. He Chiming, un autre représentant chinois, a enjoint au monde des affaires hongkongais de ne pas commercer avec des hommes d’affaires indépendantistes à Taïwan.
Les partisans de l’indépendance sont très peu nombreux
La Chine souhaitait alors isoler les partisans de l’indépendance taïwanaise et les priver de tout soutien venant de Hong Kong. En ce temps-là, il n’y avait pas de mouvement indépendantiste hongkongais. Ce n’est venu que plus tard [après l’échec du “mouvement des parapluies” en 2014], quand il est apparu que le Parti communiste chinois (PCC) ne comptait pas autoriser une véritable démocratie, que beaucoup pensaient inscrite dans la Loi fondamentale.
Aujourd’hui, les partisans de l’indépendance, s’ils existent, sont peu nombreux, car la plupart des gens sont conscients du caractère irréaliste du projet, Hong Kong dépendant de la Chine pour les vivres et l’eau. La Chine aime à dépeindre les contestataires – surtout ceux qui sont violents – comme des indépendantistes. Ce qui est clairement faux. Parmi les cinq revendications des manifestants [contre la loi anti-extradition], aucune n’a trait au séparatisme.
La présidente taïwanaise confortée pour le prochain scrutin
Pékin s’efforce d’isoler Taïwan, de limiter sa marge de manœuvre internationale. Les Îles Salomon, par exemple, un des 17 pays qui continuent à reconnaître Taïwan, semblent sur le point de basculer et de reconnaître la Chine [elles l’ont fait le 16 septembre 2019, suivies de Kiribati le 20].
Le gouvernement chinois a annoncé son intention de se “réunifier” avec Taïwan à l’aide de la formule “un pays, deux systèmes”, mais le traitement lamentable qu’il inflige à Hong Kong [sur ce principe] n’a fait que renforcer l’opposition taïwanaise à une unification. En fait, le mouvement de contestation actuel a fait de la présidente Tsai Ing-wen, hostile à l’unification, la favorite de la course à la présidentielle très disputée de janvier prochain.
Pour ce qui est des manifestations à Hong Kong, la Chine accuse des “forces étrangères” et des “mains obscures” d’être à l’origine des troubles, et il est évident que ce qu’elle entend par-là, ce sont les États-Unis et Taïwan. Elle refuse de reconnaître que les millions de gens qui ont pris part à la contestation expriment leur colère vis-à-vis de la gestion de la chef de l’exécutif, Carrie Lam, et de la façon qu’a eue le gouvernement chinois de rogner sur l’autonomie de Hong Kong, en particulier depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012.
La répression rapproche les démocrates
Ironie du sort, la tactique musclée de Pékin à Hong Kong a renforcé les liens entre les forces d’opposition de la RAS et Taïwan. La répression en cours a provoqué un exode d’activistes hongkongais qui tentent de se réfugier à l’étranger. Deux d’entre eux ont obtenu l’asile en Allemagne. Plus d’une vingtaine auraient réussi à atteindre Taïwan.
Il y a deux semaines, trois activistes hongkongais – Joshua Wong Chi-fung, Lester Shum et Eddie Chu Hoi-dick – se sont rendus à Taipei, où ils ont rencontré des députés du Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir. Ils ont appelé à la solidarité entre Hong Kong et Taïwan et ont demandé à Taipei d’accorder l’asile aux gens qui fuient Hong Kong de peur d’être arrêtés.
Le 6 septembre, le ministère de l’Intérieur a déclaré que si Taïwan ne dispose pas pour l’heure d’une loi sur les réfugiés, la législation en vigueur suffisait à autoriser les Hongkongais à venir s’installer sur l’île.
Le destin des territoires est lié
Sur place, le soutien en faveur de Hong Kong est tangible. Des groupes privés et des Églises ont fourni des casques, des masques à gaz et des lunettes de protection aux manifestants. Des milliers d’équipements ont été collectés en quelques semaines. Joshua Wong, de retour à Hong Kong le 8 septembre, avait entre-temps lancé depuis Taïwan : “Nous espérons que Hong Kong, demain, deviendra comme Taïwan.” Il est certain que les forces indépendantistes de Taïwan et les forces démocratiques de Hong Kong sont en train de s’unir, animées du sentiment croissant que le destin des deux territoires est lié.
Cela suscite une profonde inquiétude en Chine. Mais Pékin devrait comprendre que ce développement est avant tout le résultat de ses propres agissements à Hong Kong où, au cours des six ou sept dernières années, le pouvoir chinois n’a cessé de resserrer son emprise, de réduire l’espace de la contestation, et a même cherché à empiéter sur l’indépendance de la justice par ses interprétations de la Loi fondamentale.
La répression est contre-productive
Des efforts qui, du reste, ne faiblissent pas. Le 3 septembre encore, lors de sa quatrième conférence de presse d’affilée, le Bureau des affaires de Hong Kong et Macao à Pékin a affirmé que chacune des trois branches du gouvernement hongkongais, y compris la justice, devait intervenir pour mettre fin à la violence et rétablir l’ordre.
Pékin, apparemment, considère que la situation devient pressante. Le même jour, le président Xi Jinping, s’adressant à des membres du Parti, a prévenu les responsables qu’ils devaient se préparer à “lutter contre” les défis qui se présentent dans trois régions : Hong Kong, Taïwan et Macao, ancienne colonie portugaise restituée à la Chine en 1999.
Le PCC est sur le point de fêter le 70e anniversaire de sa prise de pouvoir. Peut-être serait-il temps qu’il comprenne que la répression est contre-productive. Ce n’est assurément pas le seul instrument dont il dispose dans sa panoplie.
Frank Ching
Journaliste, Frank Ching a ouvert le bureau du Wall Street Journal à Pékin en 1979 et a longtemps contribué au South China Morning Post. Il est maintenant basé à Hong Kong et signe des chroniques sur la Chine.
Frank Ching
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