En tentant d’interdire l’épandage de pesticides de synthèse à proximité des bâtiments, la commune de Langouët, en Ille-et-Vilaine, a ouvert un débat essentiel, qui confirme que l’imbrication entre agriculture et lieux de vie ne peut plus être négligée. La suspension de l’arrêté par le tribunal administratif de Rennes n’affaiblit pas la détermination des associations et des citoyens.
Le 18 mai, le maire de Langouët, Daniel Cueff, a signé un arrêté interdisant l’épandage de pesticides de synthèse « à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». Il ne s’agissait pas de subroger les compétences du ministre de l’agriculture concernant l’autorisation des produits, mais de compenser les carences de l’Etat en matière de protection des citoyens exposés aux épandages. Rappelons qu’une directive européenne de 2009 impose aux Etats-membres de l’UE de définir un tel périmètre de protection.
Des discussions en ce sens avaient été engagées en 2016-2017 à l’initiative du ministère de l’environnement, mais abandonnées au dernier moment sous la pression des lobbies agro-industriels. Rappelons aussi que, le 26 juin, le Conseil d’Etat a cassé partiellement l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, parce que certaines dispositions étaient insuffisamment protectrices et qu’il ne prévoyait « aucune mesure générale destinée à protéger les riverains des zones agricoles traitées ». Il est fondé de parler ici d’une carence fautive de l’Etat.
Infraction gravissime
À l’issue d’une procédure contentieuse engagée par la préfète d’Ille-et-Vilaine, représentant par définition l’Etat français, l’arrêté municipal de Langouët a été suspendu mardi 27 août par le tribunal administratif de Rennes. Les motivations de la décision sont contestables. Quelle est la cohérence des pouvoirs publics lorsque le président de la République lui-même déclare formellement être d’accord avec l’objectif de Langouët, mais tergiverse, ne prend aucune mesure nationale, et laisse ses services déconcentrés bloquer une décision qui va dans le sens de l’histoire ?
Il n’est pas anodin de constater que 96 % des Français soutiennent la décision de Daniel Cueff, selon un sondage IFOP Agir pour l’environnement réalisé en août. Ils sont bien conscients de la réalité des campagnes françaises : les terres agricoles et les lieux de vie des ruraux ne sont pas disjoints dans deux univers hermétiques et virtuels. Parcelles agricoles et habitations, champs et écoles, cultures et villages sont intimement imbriqués et forment une mosaïque. Qui oserait prétendre que l’emploi des pesticides de synthèse serait sans danger pour les riverains ?
Tout agriculteur sait pertinemment que l’utilisation de ces produits impose des mesures drastiques de protection, en particulier un tracteur avec une « cabine » parfaitement hermétique pour empêcher strictement tout contact avec le nuage de pulvérisation. Ces produits sont autorisés, mais dangereux, et l’utilisateur doit se protéger rigoureusement. Comment fermer les yeux sur le fait que les riverains sont exposés au même nuage de pulvérisation, mais sans la moindre protection ? Comment évacuer cette infraction gravissime aux obligations de protection sanitaire des citoyens ?
Bandes tampons
Il ne peut pas être question de confiner l’agriculture dans quelques territoires limités, pas plus que d’interdire d’habiter et de vivre à la campagne ! Le pragmatisme impose d’encadrer bien plus précisément l’usage des pesticides agricoles. L’une des réponses possibles est l’instauration de bandes tampons, comme l’a proposé la commune de Langouët, mais également une vingtaine d’autres municipalités françaises. Il va de soi que ce changement de pratiques sur une partie de leurs champs ne sera pas simple pour certains agriculteurs, et qu’il faudra accompagner cette disposition.
Il serait malhonnête de prétendre que les surfaces concernées seraient « perdues » pour la production agricole, puisque l’agriculture biologique fait depuis longtemps la preuve que des parcelles non traitées par des produits de synthèse sont tout à fait productives. Il faudra aider les paysans à acquérir de nouvelles compétences et à valoriser les productions concernées, en renforçant les soutiens aux petites fermes morcelées. Mais le débat à ouvrir est plus large, et doit interroger la nature des produits autorisés (favoriser les produits naturels à action brève, interdire au plus vite les produits les plus rémanents et les plus toxiques) et les modalités d’utilisation.
« Il n’est plus temps d’attendre. Nous appelons les maires de France à prolonger l’exemple de Langouët, en adoptant à leur tour des arrêtés de protection des riverains. »
Par conséquent, le rôle de l’Etat ne doit plus être celui d’un censeur, mais celui d’un facilitateur et d’un accompagnateur du changement. Il n’est plus temps d’attendre. Nous appelons les maires de France à prolonger l’exemple de Langouët, en adoptant à leur tour des arrêtés de protection des riverains contre les épandages de pesticides de synthèse à proximité de tous les bâtiments à usage d’habitation ou professionnel. Nous appelons également l’Etat – dont les préfets – à renoncer à poursuivre ces « maires courage », et à prendre enfin des mesures politiques nationales de régulation de l’usage des pesticides agricoles.
Les signataires de cette tribune sont : Frank Alétru, président du syndicat national d’apiculture ; Eliane Anglaret, présidente de Nature & progrès ; Arnaud Apoteker, délégué général de Justice Pesticides ; Tom Baquerre, coordinateur national de l’association Combat Monsanto ; Clotilde Bato, déléguée générale de SOL-Alternatives agroécologiques et solidaires ; Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir ; Michel Besnard, président du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest ; Alain Bonnec, président d’Eau & Rivières de Bretagne ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) France ; Evelyne Boulongne, administratrice Réseau AMAP Ile-de-France ; Jacques Caplat, secrétaire général d’Agir pour l’environnement ; André Cicolella, président du Réseau environnement santé ; Michel Dubromel, président de France nature environnement (FNE) ; Jérôme Frignet, directeur des programmes de Greenpeace France ; Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre ; Nicolas Hulot, président d’honneur de la Fondation pour la nature et l’homme ; Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France ; Gilles Lanio, président de l’Union nationale de l’apiculture française ; Jacques Loyat, membre de la commission Politiques agricoles d’Attac France ; Sandrine Maguet-Delourmel, référente du collectif Les Coquelicots de Langouët et cofondatrice du Comité de soutien au maire de Langouët ; Véronique Moreira, présidente de WECF France ; Laurent Pèlerin, président de la LPO Bretagne ; Marie Pochon, coordinatrice générale de l’association Notre affaire à tous ; Julie Potier, directrice de Bio consom’acteurs ; Jean-Luc Toullec, président de la Fédération Bretagne nature environnement ; Michel Vampouille, président de Terre de liens ; François Veillerette, directeur de Générations futures ; et Françoise Vernet, présidente de Terre & Humanisme.