Les cinq camions de gendarmerie coupent la route déviée, filent dans les artères désertes longées par les agences bancaires barricadées. Ils roulent près de la gare d’Hendaye où un train venu du nord vient de recracher ses derniers voyageurs avant la frontière espagnole. Un rare groupe de touristes asiatiques hébétés, qui n’a probablement jamais vu autant de regards policiers scrutés sur lui. « Papiers s’il vous plaît », tout le monde y passe.
Les hommes en noir stoppent leur course entre les façades blanches d’une rue centrale, rejoignent d’autres agents à pied, casques en main. « Manifestation ! Ils sont en train de déjeuner sur le port », informe d’un ton grave un policier, scratchant son gilet pare-balles dans la rue silencieuse. Ils restent postés, là. Le regroupement est en contrebas. Des voix émanent de la petite place dite « rebelle » du port de Caneta, face à la Bidassoa sur laquelle flottent des bateaux blancs.
Les centaines de « protestataires » sont là, des jeunes adultes ou plus âgés, parfois des enfants détendus sur les pelouses ou tables en bois, entre deux airs de musique basque, deux bouchées de riz ou deux gorgées de bière. Evane, piercing fluo au menton, lunettes aux reflets bleus et style vestimentaire gothique, est venue de Bordeaux, « pour faire la fête à Macron ».
Galilée, étudiant parisien de 18 ans chevelu, a écrit son propre slogan sur son gilet jaune, « jeune et insouciant, mais pas jeune con ». Il en est sûr : son « déguisement de scout – spécialement confectionné pour venir à Hendaye – lui a évité les contrôles policiers à bord du train ». Du haut de sa villa ornée de palmiers, un propriétaire en chemise blanche surplombe tout ce petit monde. Celui de l’anti-G7 qui a investi la ville d’Hendaye, encadré par des centaines de forces de l’ordre en alerte au moindre de ses mouvements. Ce jeudi midi, tous ces manifestants sont venus en groupe, d’un seul bloc. Le mouvement de foule dans un centre-ville figé a suscité l’affolement des policiers.
Ils sont pour l’heure 2 000 participants venus de France et d’Europe, d’après les organisateurs. Disséminés dans les différents points de rencontre du contre-sommet altermondialiste, ils veulent réagir au G7 de Biarritz, qui réunira samedi 24 et dimanche 25 août l’élite planétaire « capitaliste et pyromane », disent-ils. L’anti-G7 est l’initiative de 80 associations réunies au sein de deux plateformes : l’Alternative G7, nationale, qui réunit des associations comme Attac, CADTM, Oxfam, CRID, etc., et G7 EZ, qui rassemble des acteurs locaux, à l’image de LAB (un syndicat), Eh Bai (une coalition politique), Bizi (une association écologiste)… Soit, au total, une cinquantaine d’organisations basques.
À la tombée de la nuit, les participants altermondialistes se réunissent aux AG pour préparer les manifs de samedi et dimanche, « temps forts de désobéissance civile », clame-t-on ici. Dans la journée, écrasés sous la chaleur, ils déambulent dans les artères de Hendaye et Irun pour rejoindre les stands, les ateliers et les conférences mises en place par les organisateurs. Des dizaines de thèmes : « Ripostons à l’autoritarisme international », « Échanges entre les nations sans États », « Comprendre les luttes kurdes », côté français et espagnol.
Là-bas aussi, on repère partout les policiers voisins, juste après le pont frontalier qui surplombe la Bidassoa. Mêlés aux quelques touristes encore présents qui remplissent des valises de charcuteries, de cava, de cigarettes achetées dans les distributeurs aux airs de machines à sous, des centaines de forces espagnoles et de la « ertzaintza » (la police du gouvernement basque) guettent les manifestants aux airs de festivaliers, identifiables à leurs bracelets G7 EZ, qui signifie « non » au G7 en basque, et leurs gobelets plastique à l’inscription « Kalera » (« dans la rue »).
Car en terre basque, les organisateurs ont eu beau traduire tous les programmes en français, espagnol, euskara, c’est sans nul doute la dernière langue qui domine. Les banderoles flottent, beaucoup de visiteurs n’y comprennent rien : « Atltsasukoak askatu » (pour la libération de jeunes du village d’Altsasu en Navarre [1]) ; « 2019, Kapitalismaoren Jukutriak » (« 2019, arrachage du capitalisme »). « Ce sommet est clairement l’initiative des Basques, ils se sont d’abord rassemblés entre eux en 2018 dans le G7 EZ. Ils sont majoritaires dans l’encadrement. Alors que l’État nous a donné les terrains au tout dernier moment pour les conférences et le logement, ce sont eux qui ont pris la main sur la communication, la logistique, etc. », raconte Sébastien Bailleul, de la plateforme Alternative G7, qui s’est alliée aux Basques en 2019.
Les organisateurs affichent cette hétérogénéité [2] : « Nous assumons de n’être pas toujours d’accord. Mais nous sommes fiers d’être d’accord sur l’essentiel. »
« Ils ont choisi Hendaye et Irun parce que c’était symbolique. » Soit à cheval sur la frontière franco-espagnole, qui n’en est pas une pour les indépendantistes qui rêvent d’un Pays basque uni, de trois millions d’habitants et sept provinces sur les deux pays. Les « Abertzale », comme on dit ici, soit « ceux qui aiment la patrie » basque. « La forte identité du Pays basque était une particularité qu’il a fallu prendre en compte dans l’organisation. C’est anecdotique, mais il a fallu s’adapter, par exemple sur le vocabulaire », ajoute Sébastien Bailleul. Dans les couloirs du Ficoba, centre de conférences gris tout en longueur à Irun, on ne dit plus « Pays basque français ou espagnol », mais « Pays basque nord ou sud ». On ne parle plus de « plateforme nationale » mais hexagonale pour mentionner la plateforme Alternative G7.
« Les Basques se désignent comme une plateforme nationale », résume Unai Arkauz Hiriart, membre de Aitzina, mouvement de la jeunesse basque créé en 2013, participant au contre-sommet. Le jeune Basque est plein de fierté quand il évoque sa région. Vingt-cinq ans à peine et il en connaît les luttes passées que les anciens et les livres lui ont contées, les séquelles de ce territoire basque endeuillé par les 829 victimes mortelles du groupe armé ETA, les centaines de blessés, les 4 114 cas de torture [3] et les dizaines de personnes tuées par les groupes paramilitaires.
Depuis l’adieu aux armes en 2018, annoncé par l’ETA, le jeune se sent investi d’une « lutte sans violence », comme d’autres de sa génération, pour l’indépendance. Pour lui, le G7 à Biarritz représente « un affront auquel il faut répondre. Ils représentent l’ultra capitalisme, tout ce qu’on essaye de déconstruire ici ».
À la genèse de la plateforme G7 EZ, en 2018, ils n’étaient qu’une poignée, du Pays basque français, raconte-t-il. Puis, ils ont franchi la frontière terrestre. Côté espagnol, les soutiens de poids sont vite venus. « Avant il y avait une frontière physique mais aussi mentale, des problèmes parfois pour accorder nos violons entre Basques du nord et du sud. Mais là c’était inédit », s’emballe Unai. « Jamais nous n’avions créé une telle plateforme avec des groupes si différents, nous avons fait des réunions pendant un an en trois langues. Cela nous a, contre toute attente, rassemblés », dit-il les yeux brillants, sous l’ombre de sa casquette noire.
Un G7 dans un contexte de transition
Le mouvement libertaire Indar Beltza et antifasciste IPEH Antifaxista ont pourtant quitté la plateforme au dernier moment, en désaccord avec celle-ci. « Oui, mais le chemin parcouru est déjà énorme. Cette expérience nous servira pour la suite, au Pays basque », prédit le militant. Dans la cour de l’école de la ville de 17 000 habitants, il montre cette petite cabane en bois où trône un lit de camp défait aux draps estampillés « centro penitenciaro » sous une fenêtre aux barreaux bleus et un drapeau « Euskal Herrira ». La reproduction à l’identique d’une cellule d’un prisonnier politique, érigée dans le cadre du contre-sommet.
« Il y a 260 prisonniers politiques basques », assure-t-il, en France et en Espagne, dont beaucoup de militants de l’ETA. Pour lui, comme pour d’autres jeunes, ce contre-G7 est une vitrine, l’occasion de rappeler que « le combat politique pour leur libération et l’indépendance continue au Pays basque ». Les enfants de détenus prendront la parole dans cette école rebaptisée « Espace jeunes » pour l’anti-G7, des conférences évoqueront aussi les manières de « travailler et vivre au Pays basque ».
Unai Arkauz Hiriart n’avait que six ans, en 2000, lors du sommet de l’Union européenne, qui avait lui aussi donné lieu à la bunkérisation de Biarritz. Des affrontements entre policiers et manifestants avaient secoué la ville. Crâne dégarni, teint hâlé, Txetx Etcheverry, mémoire plus ancienne de ces contrées, qui a participé au désarmement de l’ETA, s’en souvient bien. Cela « n’arriverait plus aujourd’hui », le contexte a trop changé, dit le militant basque et écologiste, intervenant d’une table ronde à l’espace Ficoba. « Mais même en 2000, à tous les sommets internationaux qui ont suivi, je n’avais vu autant de policiers ici. » « 13 200 ! », répète-t-il outré et incrédule – les effectifs avancés pour le Pays basque par le ministère de l’intérieur, au cours d’une visite sur les lieux mardi.
« L’ennemi a choisi le dispositif qu’il a mis en place, on ne peut pas lutter sur le même plan là où il est le plus fort. Alors, il faut trouver une manière de faire des dégâts sans violence et sans casse », prône Txetx Etcheverry. Sa solution : la mise au pied du mur, qui empêchera toute action adverse. Avec ses camarades de l’ANV-COP21, ils sont connus pour avoir décroché 125 portraits officiels de Macron en France. « Dimanche, nous les ramènerons à Bayonne, ils seront tous emballés. » Ils convergeront vers le centre historique, vite rejoints par d’autres badauds eux aussi tableaux divers en main. « Des peintures de Monet, des photos de famille, des Van Gogh, qui sait ce qu’il y aura. Les flics auront l’air finaud s’ils décident de tous nous faire déballer les œuvres ! » On les accuse de « dégradation de l’image présidentielle », Txext Etcheverry en sourit presque. Une « stratégie gagnante », il en est persuadé, face au « tout policier ».
Elle aussi « étouffe », dans cette ambiance, dit-elle. Mais elle ne peut s’empêcher d’avoir un large sourire sur son visage marqué par ses yeux clairs. La tenue de ce contre-sommet est déjà une « victoire », annonce Anita Lopepe, porte-parole de la coalition basque Eh Bai, représentée au niveau municipal et cantonal en France. Et il est plein de sens, selon elle. « Ce G7 de Biarritz ne se passe pas n’importe où, cela se passe dans une région qui offre des alternatives visibles au système vendu par le G7 », explique-t-elle. Une occasion de les mettre en lumière tout au long des conférences de l’anti-G7.
Elle en mentionne plusieurs. D’abord l’eusko, cette devise alternative qui a franchi en 2018 le cap du million en circulation, une première en Europe pour une monnaie locale. On peut ici ouvrir un compte crédité en eusko, payer en billets d’eusko ou avec son « euskokart » dans les magasins liés à l’opération. Ensuite, il y a, dit Anita, les Ikastola, ce système éducatif d’écoles associatives bilingues. Reconnues par le ministère français de l’éducation nationale, elles scolarisent près de 3 500 enfants.
Puis enfin, les luttes écologiques célèbres dans ces contrées, qu’Anita résume avec passion. Le combat contre le projet « Kanbo », de l’entreprise Sud Mine, baptisé « à la reconquête de l’or basque » dans le périmètre verdoyant entre Saint-Pée-sur-Nivelle, Cambo-les-Bains, Itxassou, Sare, Espelette… ? Avorté en février 2018, sous l’effet de la rue en colère. Ces kilomètres de prolongement de la ligne LGV venant fendre le Pays basque pour rejoindre l’Espagne ? Abandonnés eux aussi, sous l’impulsion des manifestations. « Ce n’est pas parce que le Pays basque est plus ou moins performant qu’une autre région, mais tout ça est possible grâce au contexte politique », tient à préciser Anita Lopepe.
Egoitz Urrutikoetxea, de la fondation politique Iratzar, issue de la gauche indépendantiste, regrette quant à lui la manière dont les médias parlent du contre-sommet. Il développe son argumentaire vif sur la question, oubliant la chaleur qui plombe le parking vide du centre Ficoba. « On a notamment évoqué les violences possibles, la fameuse technique du “kale borroka” – la lutte de rue, en basque – brandie par les autorités. Il y a la volonté d’enfermer notre mouvement en faisant croire que c’est toujours la violence qui prime ! » Egoitz, fils de Josu Urrutikoetxea, présenté comme l’un des dirigeants politiques et négociateurs de l’ETA, actuellement en détention, estime pour sa part qu’il « faut insister sur le contexte de transition, dans lequel le Pays basque se trouve depuis 2011 [et la fin annoncée de l’action armée de l’ETA – ndlr] ».
En huit ans, « il ne s’est rien passé de violent ici, mais je pense qu’ériger une grille de lecture violente participe à la logique mise en place par l’État français ». Et de revenir sur les réponses au mouvement Nuit debout, à celui des gilets jaunes. « Quand on s’exprime démocratiquement ? C’est toujours la répression », résume le Basque. « Le pouvoir militarise la région, prend des décisions pour le peuple, mais sans le peuple. Nous, au contre-G7, nous avons voulu faire l’inverse. Donner la parole à la population locale, croiser les expériences, mettre en lumière des projets concrets », observe-t-il. « L’élite se barricade, elle a peur du peuple. » Au-dessus de sa tête, l’hélicoptère des autorités tourne dans les airs. La veille, Egoitz Urrutikoetxea avait aussi vu des drones.
Elisa Perrigueur
• MEDIAPART. 22 AOÛT 2019 :
– https://www.mediapart.fr/journal/france/220819/hendaye-la-main-basque-derriere-l-anti-g7?onglet=full
G7 et anti-G7 à Biarritz : deux mondes sous très haute surveillance
La 45e édition du sommet du G7 se tiendra du 24 au 26 août à Biarritz. Le contre-sommet altermondialiste pacifique se tiendra dans les communes de Hendaye, Urrugne et Irún, en Espagne. Des renforts exceptionnels ont été déployés pour ces rendez-vous par les autorités, qui redoutent des débordements.
Il y aura deux mondes et deux visions du monde sur les rivages nord de la côte basque la semaine du 19 août. Dans le premier : le G7, ses hommes d’État, ses délégations, réunis pour une 45e édition dans une zone ultra-sécurisée de Biarritz du 24 au 26 août. Sur le site internet du « groupe des 7 » – qui réunit le Japon, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la France, le Canada et le Royaume-Uni –, on peut voir Emmanuel Macron, tout sourire et cheveux au vent, et ce titre annonçant le thème principal : « Un sommet contre les inégalités ».
Dans le deuxième univers, les organisateurs du contre-sommet corollaire : l’anti-G7, à l’initiative de quelque 80 organisations rassemblées au sein de groupes d’opposants, l’un local, G7 EZ ! – « NON au G7 ! » en basque – et l’autre national, Alternatives G7. Ce sommet se tiendra à Hendaye, Urrugne et Irún, en Espagne, à 30 kilomètres des hôtels chics de Biarritz, du 19 au 26 août. La réduction des inégalités comme thème principal du G7 ? Une « provocation » des « 7 pyromanes du G7 » au vu du contexte mondial, rétorquent les organisateurs pacifiques de l’anti-G7. En réponse, ils veulent alerter sur cette « opération de communication de l’oligarchie mondiale », dénoncer le « capitalisme sauvage ».
L’objectif du président Macron sera surtout de sécuriser le premier monde. Le dispositif sera « extrêmement lourd » et « inédit », clamait-il lors d’une visite préparatoire en mai à Biarritz. La sécurité, selon lui, est « un enjeu majeur pour la réussite de l’événement ». Des mesures exceptionnelles sont mises en place. Les gares de Bayonne, Guéthary, Boucau, Biarritz et Hendaye (Deux-Jumeaux) seront fermées au public du 23 au 26 août. Trois matchs de Ligue 1 de football ont été reportés afin de mobiliser les effectifs. Leur nombre officiel n’est pas communiqué. Plusieurs élus locaux évoquent 5 000 à 10 000 membres des forces de l’ordre pour le Pays basque. Quelque 1 000 policiers espagnols également devraient se ranger de l’autre côté, le long de la frontière. Celle-ci restera ouverte, mais les contrôles seront renforcés.
À ces effectifs s’ajoutent les protections rapprochées des chefs d’État. Les agents de la CIA sont déjà là pour Trump. Des militaires français ont aussi commencé à se positionner dans les montagnes basques.
La traduction d’une fébrilité certaine, comme nous l’ont confié des sources dans divers services de renseignement, à l’approche du sommet. « Le choix du lieu et du moment est catastrophique, déplore un gradé. On se retrouve à Biarritz, qui est une cuvette, avec, en plus de la ville, la mer à surveiller et ce, en pleines vacances, avec une affluence de touristes. C’est du pain béni pour d’éventuels black blocs… »
Il s’agit de surtout de sécuriser la fameuse « zone rouge », qui s’étire le long de la côte biarrote et où l’élite mondiale se rencontrera au casino, au centre de congrès de Bellevue, à la grande plage, dans les grands hôtels. Quelque 5 000 visiteurs sont attendus pour ce sommet, dans ce secteur dit de « protection renforcée » ultra-restreint. La circulation et le stationnement y sont interdits. Les personnes étrangères aux délégations officielles ou les non-résidents ne seront pas autorisés à y pénétrer.
Carte de la zone rouge prévue pour le G7 à Biarritz. © Ville de Biarritz
Les riverains seront contraints de se déplacer à pied sur présentation d’un badge, distribué par la préfecture, ainsi que d’une pièce d’identité. Les déchets ne seront pas ramassés du 23 au 26 août. Pour cela, les résidents devront se rendre dans le second périmètre voisin, toujours dans Biarritz, la « zone bleue », dite « de protection », à l’accès lui aussi restreint mais où la circulation reste autorisée.
Un dispositif hors norme qu’assume le maire MoDem de la ville, Michel Veunac, à la tête d’une majorité municipale éclatée. Une opposition au G7 à Biarritz s’était pourtant matérialisée très tôt avec la plateforme « G7 EZ ! », créée en novembre et constituée de près de 50 partis, syndicats et divers collectifs regroupant la sphère nationaliste basque mais aussi des personnalités de la gauche locale et du monde altermondialiste.
Dès février, cinq représentants de G7 EZ !, dont une élue Front de gauche ainsi qu’une militante La France insoumise, avaient rencontré l’édile MoDem afin de lui réclamer l’annulation du sommet, qualifié de « petite sauterie ». Ils l’avaient interpellé sur son « inutilité », « les mesures sécuritaires envisagées et les prétendues retombées économiques locales ». En vain. Face à la fronde locale, Michel Veunac se justifiait encore le 29 juillet dans les colonnes de L’Opinion. « Je ne connais pas un maire qui aurait refusé cette offre ! […] Moi j’ai fait le pari de l’ouverture et de la renommée mondiale ».
De quoi provoquer l’ire des politiques locaux, qui dénoncent une « bunkerisation » de la commune balnéaire de 25 000 habitants, qui passe généralement à plus de 100 000 résidents en période estivale. Le commerce local dépend de la réussite de cette saison. Or, « l’organisation du G7 au mois d’août a découragé un certain nombre de vacanciers de venir, d’où une baisse de fréquentation et donc de chiffre d’affaires en amont du sommet. Les contraintes lourdes dues à la mise en place du dispositif de sécurité vont plomber l’activité des acteurs », dénonce François Amigorena, ancien adjoint, devenu opposant à Michel Veunac. Il s’insurge par ailleurs comme d’autres élus de « n’être informé de rien autour de ce sommet ».
Max Brisson, sénateur LR, temporise : « Les élus locaux n’ont pas à être informés, le G7 est une affaire d’État. Ici, ce qui se décide, c’est la gouvernance du monde. Les problèmes de containers ou autres sont dérisoires. » Pour Nathalie Motsch, ex-adjointe de Michel Veunac et conseillère municipale, ce manque d’informations excède les élus, mais surtout les riverains. « La population aurait pu accepter un niveau de contrainte à la hauteur de l’événement, dit-elle. Ce qui est lourdement vécu, c’est l’absence totale de proximité et d’information de la part de la mairie tout au long de ces derniers mois. Les Biarrots découvrent chaque jour, par la presse essentiellement, de nouvelles restrictions… ».
En dehors du secteur sécurisé biarrot, en forme de demi-lune ouverte sur l’Atlantique, d’autres communes, comme Bayonne, sont elles aussi soumises à des mesures d’exception. « Du 19 août au 26 août, dans le périmètre [restreint – ndlr] du quartier des Arènes, il nous faudra présenter une pièce d’identité et qu’un justificatif de domicile ou un certificat d’employeur. Cela pose un problème pour mes clients qui veulent venir me voir en toute discrétion », résume l’avocate Colette Capdevielle, ancienne députée socialiste et conseillère municipale de Bayonne.
C’est ici que se situe le tribunal de grande instance. Lui aussi est transformé en place forte à l’occasion du G7. Des algécos sont disposés près du bâtiment. Ils serviront à héberger des personnes avant leur comparution éventuelle, confirme le procureur de la République de Bayonne, Samuel Vuelta-Simon.
Celui-ci précise aussi que le Centre de rétention administrative (CRA) d’Hendaye a été vidé de ses occupants pour servir aux gardés à vue. Autour de celui-ci, un périmètre de sécurité avec contrôles d’identité a également été délimité. Selon la municipalité, la dizaine de jeune résidents du centre éducatif fermé (CEF) ont été éloignés mais les bâtiments devraient rester vides. Trente fonctionnaires de justice seront envoyés à Bayonne, dont une dizaine de procureurs venant de Pau, Mont-de-Marsan, etc. Comme le révélait France Bleu Pays basque, jusqu’à 75 avocats du barreau de Bayonne participeront à une permanence pénale 24 heures sur 24, du 19 août au 1er septembre.
« Nous serons jusqu’à 75 durant les jours les plus intenses et 54 après le sommet, contre 8 à 10 avocats en temps normal, précise Me Emmanuel Zapirain, qui fait partie des permanents. Nous avons projeté 50 à 100 interpellations par jour (en sachant que toutes les arrestations et gardes à vue ne mènent pas à une comparution immédiate), des estimations effectuées en fonction de ce que nous voyons lors des manifestations de “gilets jaunes”, des rassemblements, etc. C’est une expérience inédite à Bayonne. Il devrait y avoir un dispositif similaire mais moindre à Dax et à Pau. Cela implique d’alléger nos activités et de nous rendre disponible. » En face du tribunal, la maison de l’avocat, un bâtiment des années 1930, a été réquisitionnée pour l’occasion. Les avocats pourront y dormir. Au cas où.
Ces derniers mois, une divergence sur les modes d’action est apparue entre les militants politiques et associatifs d’une part et les militants les plus radicaux d’autre part qui souhaitent se mobiliser contre le G7. Les premiers rejettent la violence et prônent le déroulement d’un contre-sommet pacifique, comme ils viennent de le rappeler à l’occasion d’une conférence de presse, le 12 août.
« Nous sommes dans un contexte de répression policière, qui nous incite à ne pas baisser la tête. Nous nous sommes beaucoup plus impliqués pour organiser ce sommet qu’à Deauville [le précédent sommet du G7 en France en 2011 – ndlr] et nos actions seront pacifiques. Nous ne dégraderons rien, nous ne participerons pas à la surenchère », précise à Mediapart Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac et de la plateforme Alternative G7.
La crainte d’« un bloc révolutionnaire »
Au terme de deux mois d’intenses négociations, les altermondialistes ont obtenu les autorisations de l’État pour leur sommet à Hendaye, Irún et Urrugne. « Saint-Pée-sur-Nivelle et Dax avaient aussi été proposés. Nous voulions Bayonne mais cela a été refusé : trop près de Biarritz », précise Thomas Sommer, membre d’Attac chargé de la logistique. Les quelque 80 organisations [4] des plateformes Alternative G7 (Crid, Oxfam, Cadtm, etc.) et G7 EZ ! (le syndicat local Lab, le parti Ensemble Pays basque, etc.) programment la venue de quelque 200 intervenants, 40 conférences, 50 ateliers à partir du 21 août… Et des actions fortes les 24 et 25 août, au même moment que le G7.
Une manifestation pacifique s’élancera de Hendaye à Irún, le 24 août. « Cette manifestation est déclarée, pacifique et familiale », précisent les organisateurs. Une action « de désobéissance civile » se tiendra le 25 août. Il s’agira de « créer une zone arc-en-ciel par des rassemblements dans sept places différentes », autour de Biarritz. « Cette action vise aussi à dénoncer l’interdiction de manifester et la limitation de nos libertés », indiquent les organisateurs dans leur dossier de presse [5]. Les membres du G7 se rencontrent « pour perpétuer un système au service des plus riches et des multinationales […]. Nous nous mobiliserons […] pour nous opposer par nos analyses, nos idées, nos alternatives et nos luttes », insistent les plateformes.
Les organisateurs attendent quelque 2 000 personnes dans le camp prévu à cet effet qui s’étend sur Urrugne et Hendaye. Une « enclave » peu facile d’accès : un ancien centre de colonies de vacances appartenant avant au groupe Nestlé, revendu à Bouygues et désert depuis plusieurs années. « Nous prévoyons la venue de 6 000 personnes pour les activités et jusqu’à 10 000 personnes pour les marches », précise Aurélie Trouvé. « Concernant les forces de l’ordre, on leur a demandé de se tenir à l’écart. Nous aurons nous des services de médiation pour que tout se passe bien », indique Thomas Sommer.
Une partie plus radicale, elle, entend faire de ce week-end aoûtien un événement consacré à la confrontation directe avec les autorités. Les plus anciens dans les services de renseignement se souviennent qu’en 2011, ce qu’ils désignent par l’appellation « ultragauche française » avait opté pour des actions décentralisées en marge de la tenue du G8 à Deauville et du G20 à Cannes (en 2011). Mais que ses mots d’ordre n’avaient pas été suivis d’effet et n’avaient pas empêché des débordements.
L’organisation du contre-sommet était la principale préoccupation, à la fois des acteurs institutionnels des plateformes et de ces militants sur l’ensemble de l’Hexagone. Les réunions s’étaient multipliées des deux côtés de la frontière espagnole pour planifier l’organisation d’un anti-G7. Des liens étaient également pris avec des activistes un peu partout en France et en Europe. Au printemps, des militants de Bretagne et de Rhône-Alpes, ainsi que des zadistes de Notre-Dame-des-Landes, étaient aperçus au Pays basque, tandis que d’autres étaient envoyés en Allemagne et en Belgique pour prendre attache avec leurs homologues et régler les détails de leur venue cet été.
La DGSI craint que le sommet de Biarritz ne donne l’occasion de réunir les différentes tendances de la gauche radicale européenne et que ne se reproduisent « les scènes de violence qui ont eu lieu en 2017 lors du G20 à Hambourg ». Même si, localement, personne ne semble à ce jour en mesure d’anticiper l’ampleur de la mobilisation.
Le contre-espionnage mais aussi d’autres services français, mobilisés depuis plusieurs mois sur cette question, ont noté avec inquiétude « une montée en puissance de la mobilisation contre le sommet du G7, sous l’impulsion d’individus plus radicaux issus de mouvements indépendantistes basques, ainsi que de l’ultragauche régionale, nationale ou européenne ». Les services craignent un éventuel rapprochement avec les gilets jaunes permettant la création d’un « bloc révolutionnaire ».
Le tout, selon eux, se faisant sous l’impulsion d’une jeunesse nationaliste basque qu’ils considèrent comme particulièrement remontée. La DGSI prend tout ceci avec d’autant plus de sérieux qu’elle considère la jeunesse basque « éduquée à la pratique de la kale borroka », une forme de guérilla urbaine utilisée par les indépendantistes basques.
En 2000, à l’occasion du sommet de l’UE, dans un Biarritz déjà bunkerisé, de violents affrontements avaient opposé des centaines de jeunes indépendantistes aux forces de l’ordre.
Deux décennies plus tard, le contexte politique a toutefois changé, alors que ces mêmes indépendantistes n’ont plus eu recours à la violence depuis des années et qu’en 2017 et 2018 l’ETA a opéré son désarmement, puis annoncé sa dissolution.
Plus généralement, le Renseignement intérieur considère de longue date que là où les membres de l’ultradroite claironnent leurs projets et sont fascinés par les forces de l’ordre (ce qui facilite leur infiltration), les militants de la gauche radicale sont eux « passés maîtres dans l’art de la dissimulation et de la lecture des dispositifs policiers ». Ils y ont même réfléchi. Lors de l’expulsion en 2011 d’un squat à Turin abritant plusieurs activistes venus de Rouen, les policiers italiens avaient découvert un fascicule écrit en français et titré « Aux ennemis intérieurs ». Ce manuel de clandestinité et de l’affrontement à l’usage des anarcho-autonomes fournissait des conseils et des techniques permettant d’échapper aux surveillances et autres investigations policières.
Le maire socialiste d’Hendaye, Kotte Ecenarro, qui accueille en grande partie le contre-sommet, se veut plus rassurant. « Je soutiens personnellement cet anti-G7, même si l’État nous l’a imposé dans une commune réduite de 800 hectares. Nous avons l’habitude de travailler avec des organisations locales comme Alternatiba, Lab, etc. Nous savons qu’ils savent tenir parole et ils ont dit vouloir des rassemblements pacifistes. » L’édile de la commune de 17 000 habitants concède qu’il existe des « incertitudes ». « Des marches traversant la frontière, il y en a déjà eu, tout se passait très bien, nous sommes confiants sur les organisateurs, mais aurons-nous la venue de black blocs de l’extérieur ? S’il y en a, je pense qu’ils iraient plutôt vers Bayonne. »
L’élu de Biarritz François Amigorena souligne pour sa part que « le collectif anarchiste basque Indar Beltza [« Énergie noire »] s’est retiré de la plateforme G7 EZ ! ». Composé de plusieurs dizaines de membres, ce dernier a appelé le 13 août « à une opposition et des actions fermes et résolues » [6]. Le collectif antifasciste du Pays basque nord « IPEH Antifaxista » a fait le même choix de retrait le 17 août [7], en raison d’une « position générale adoptée [au sein de la plateforme G7 EZ ! – ndlr] ne [lui] correspond[ant] plus ». François Amigorena estime que « les jeunes nationalistes basques [du nord et du sud] peuvent effectivement être tentés de profiter de la caisse de résonance offerte par le G7 avec des actions de type kale borroka, auxquelles ils sont rompus ». Cela reste selon lui « des signaux faibles, mais facteurs de risque de débordements violents ».
Nathalie Motsch, conseillère municipale et ex-adjointe au maire de Biarritz, elle, « ne peu[t] souscrire à une menace basque », insiste-t-elle. « Les Basques sont très attachés à leur terre et cet attachement passe par un profond respect de leur pays, de son patrimoine. Si des casseurs devaient intervenir sur notre territoire, ils viendraient de l’extérieur ».
Elisa Perrigueur et Matthieu Suc
• MEDIAPART. 18 AOÛT 2019 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/220819/hendaye-la-main-basque-derriere-l-anti-g7?onglet=full