Hong Kong, “métropole mondialisée de l’Asie”, est devenu le théâtre d’une forme inédite de “guérilla” urbaine : des manifestants ont adopté la stratégie dite de la “mobilisation éclair” pour exprimer leur opposition au gouvernement, comme en témoignent leurs raids opportunistes contre la police dans plusieurs districts de la ville pendant le week-end du 10-11 août. Les forces de l’ordre adaptent elles aussi leurs tactiques : elles se montrent plus strictes et refusent la majorité des autorisations de rassemblement, c’est pourquoi les jeunes en colère qui descendent dans la rue sont officiellement dans l’illégalité. Le début du mois d’août a aussi vu un “réveil” des autorités hongkongaises, qui sont sorties de leur silence après que Pékin est intervenu pour étouffer la médiatisation des manifestations et a donné des consignes visant à restaurer l’ordre dans la ville.
Mais l’impasse demeure. Aucun des camps ne semble prêt à trouver un compromis et on n’aperçoit pour l’instant aucune lumière au bout du tunnel. La chef de l’exécutif, Carrie Lam, est aux abois, et la police s’épuise à tenter de mettre fin au chaos, poussant Pékin à intervenir – d’autant que les autorités chinoises perçoivent une contestation frontale de leur souveraineté dans la profanation de l’emblème national et du drapeau chinois.
La situation la plus grave depuis 1997
Zhang Xiaoming, l’un des hauts responsables de Pékin chargés des affaires hongkongaises, a déclaré à Shenzhen début août que le gouvernement central emploierait “de multiples moyens et une force suffisante” pour remédier au désordre, qui est selon lui “la situation la plus grave” ayant frappé Hong Kong depuis la rétrocession en 1997. Beaucoup s’interrogent sur un déploiement des troupes chinoises dans le scénario du pire, mais Pékin a dans son arsenal d’autres “armes” non militaires qui sont assez puissantes pour ébranler la métropole.
La compagnie aérienne Cathay Pacific a été la première cible de cette tactique, puisque l’aviation civile chinoise a interdit au personnel ayant participé aux manifestations illégales et aux actions violentes de travailler sur l’ensemble des vols à destination de la Chine continentale ou devant survoler l’espace aérien chinois. Cette mesure drastique prise par le régulateur contre la principale compagnie hongkongaise, au motif que ses agents créent des risques “en matière de sûreté et de sécurité”, a été interprétée comme un coup de semonce à l’attention des autres grandes entreprises implantées dans la ville. Ces dernières ont entrevu les répercussions à craindre si elles semblaient soutenir ou seulement tolérer les violences et les infractions commises dans le cadre des manifestations.
Pékin attend des actes
Par ailleurs, Pékin pousse Carrie Lam et son gouvernement à régler eux-mêmes cette situation dont ils sont responsables, tout en accordant son soutien à la chef de l’exécutif, dont la popularité a fortement chuté, et à la police, critiquée de toutes parts. Il est évident que, en contrepartie de ce “soutien”, Pékin attend des actes. D’où le retour soudain de Carrie Lam dans la sphère médiatique et la décision d’interrompre le mois de vacances – sarcastiquement surnommé “l’hibernation estivale” – de son gouvernement, appelé Conseil exécutif. Carrie Lam a aussi demandé à son secrétaire aux Finances, Paul Chan Mo-po, d’envisager des mesures de compensation pour les entreprises touchées par les manifestations.
Non content de faire pression sur le gouvernement Lam, Pékin a aussi déployé son habituelle stratégie de mobilisation de masse pour peser de tout son poids par le biais d’une campagne de dénonciation des violences à Hong Kong. Le pouvoir central presse aussi le camp qui lui est favorable, rongé par les querelles intestines, de mettre de côté les intérêts particuliers pour soutenir le gouvernement hongkongais, et use de la carotte et du bâton pour convaincre les grandes entreprises de prendre position publiquement, laissant même de grands médias continentaux dénoncer le “silence collectif” de certaines riches familles face à la contestation.
Les règles du jeu ont changé
Samedi [10 août], quand Carrie Lam a répondu à un appel du ministère britannique des Affaires étrangères exigeant des explications sur les événements en cours à Hong Kong, la chancellerie chinoise a descendu Londres en flammes et dénoncé des pressions directes de l’ancien colon sur la région. Manière aussi, pour Pékin, de rappeler à Carrie Lam que les questions de diplomatie sont du ressort du pouvoir central.
En somme, Pékin a beau afficher sa volonté de laisser le pouvoir hongkongais régler tout seul la situation, il continue aussi visiblement d’élaborer de grandes stratégies face à la crise. On peut accuser Pékin, Carrie Lam ou les manifestants, une chose est sûre, les règles du jeu ont changé. Dès lors, comment éviter un scénario perdant-perdant pour Hong Kong ? Nul ne peut encore le dire.
Tammy Tam
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