Vous êtes jardinier et féru de lutte biologique ? Un conseil : avant d’acheter des coccinelles qui se chargeront de bouffer les pucerons sur vos rosiers, renseignez-vous sur la provenance des bestioles. Si on vous propose la bête à bon dieu japonaise Harmonia axyridis, changez de fournisseur. Soyez sûr de vous procurer des coccinelles indigènes.
Harmonia axyridis est un prédateur redoutablement efficace. Voracité : les adultes dévorent jusqu’à 65 pucerons par jour, les larves plus de 300. Résistance : la p’tite bête passe l’hiver sans encombres et commence à pondre très tôt au printemps. Abondance : Harmonia se reproduit beaucoup plus vite que ses cousines, de sorte qu’elle est sur le pied de guerre dès le début de la saison. Les firmes qui commercialisent cette espèce ne manquent pas de souligner ces qualités. Seulement voilà : chacune d’elles a un revers. Vorace, Harmonia l’est tellement qu’elle bouffe même nos coccinelles à deux points, ou d’autres prédateurs des pucerons, comme les Chrysopes ; quand elle n’a plus de bidoche à se mettre sous la mandibule, elle mange même du pollen et des fruits ! Prolifique, la japonaise l’est à ce point qu’elle fait le vide autour d’elle. Quant à la résistance au gel, elle n’a pas que des avantages : en effet, Harmonia préfère passer l’hiver au chaud dans les maisons, où elle pullule, fait des taches et sent mauvais. A l’heure qu’il est, cette bête à bon dieu diabolique a conquis de vastes territoires en Amérique du Nord, dans le bassin méditerranéen et dans le Sud-Est asiatique. Elle lance de sérieux défis non seulement en termes de biodiversité et de désagrément mais aussi en termes économiques. Dans les vignobles, par exemple, la peu harmonieuse Harmonia gâche le goût du vin… parce qu’elle reste cramponnée aux grappes de raisin lors de la récolte. A vous dégoûter de la lutte biologique !
Comment en est-on arrivé là ? Par expansion naturelle ? Non, parce que des commerçants se sont dits qu’il y avait du pognon à se faire en surfant sur la vague bio et en vendant Harmonia axyridis comme alternative aux pesticides. L’enfer est décidément pavé de bonnes intentions… Mais pourquoi avoir été chercher cette coccinelle exotique alors que les bêtes à bon dieu de chez nous auraient pu faire l’affaire ? Parce que l’élevage d’Harmonia axyridis coûte moins cher, pardi ! La ponte est plus abondante et les bestioles sont moins exigeantes (alors que nos coccinelles exigent de la viande de puceron de sorte qu’il faut élever des pucerons pour élever des coccinelles). Comme aucune législation n’interdit d’importer des coccinelles et que la mode est au marché « libre » les pouvoirs publics ont laissé faire, trop contents d’ailleurs de se donner une image de marque « bio ». Selon certaines informations, la Région wallonne aurait même subsidié l’importation et l’élevage d’Harmonia… sans se soucier des expériences négatives faites depuis vingt ans aux Etats-Unis et au Canada, notamment.
Dans toute cette affaire, ce n’est évidemment pas la lutte biologique qui est en cause, mais la course au profit. A ce propos, puisque le « péril jaune » refait surface dans les phantasmes occidentaux, précisons deux choses : 1°) quand elle est maîtrisée scientifiquement et répond à un certain nombre de garanties, l’introduction d’une espèce prédatrice exogène pour lutter biologiquement contre un parasite peut donner d’excellents résultats ; 2°) dans sa région d’origine Harmonia axyridis est une bête à bon dieu digne de ce nom, pas diabolique pour un sou. Il semble en réalité que les caractéristiques qui posent problème soient le résultat de mutations intervenues suite à l’introduction imprudente de la bestiole aux Etats-Unis. Autrement dit : c’est sur les apprentis sorciers capitalistes qu’il faut tirer, pas sur les coccinelles asiatiques… Et vous voyez que le bon Jean de La Fontaine n’a pas épuisé la possibilité de parler des bêtes pour tirer des conclusions humaines !