L’enquête est dépaysée pour éviter « une forme de suspicion »
Le tireur de la grenade lacrymogène qui a touché l’Algérienne de 80 ans en marge d’une manifestation de « gilets jaunes » à Marseille, n’a pas été identifié malgré six mois d’investigations.
Après un premier avis défavorable, le procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, Robert Gelli, a annoncé au Monde, jeudi 20 juin, le dépaysement de l’enquête sur la mort de Zineb Redouane, survenue le 2 décembre 2018 lors d’une opération à l’hôpital de la Conception à Marseille.
La veille au soir, cette Algérienne de 80 ans avait reçu une grenade lacrymogène en pleine figure en marge d’une manifestation de « gilets jaunes » alors qu’elle était en train de fermer les fenêtres de son appartement, situé au quatrième étage.
« Au moment de la manifestation, un magistrat du parquet était présent aux côtés des forces de l’ordre, ce qui, en soi, n’a aucune incidence sur les faits mais peut créer une forme de suspicion, explique le magistrat Robert Gelli. C’est un élément que j’ignorais jusqu’alors et qui me gêne un peu. Je considère que la sérénité de la poursuite de l’information à Marseille risque d’être perturbée. Autant anticiper des polémiques inutiles. »
« Fausses informations »
C’est une première victoire pour la famille de Mme Redouane qui considérait que l’enquête, suite à l’information judiciaire ouverte le 4 décembre 2018 pour « recherche des causes de la mort », était « catastrophique », selon l’avocat Yassine Bouzrou. Pour la relancer, Me Bouzrou avait porté plainte, en avril, pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » en demandant un dépaysement de l’affaire, car « la juridiction de Marseille semble protéger le policier dans la mesure où aucun tireur n’a été identifié », atteste-t-il, et ce malgré la présence d’une caméra de la ville.
Le procureur de la République de Marseille, Xavier Tarabeux, avait, au lendemain du décès, estimé que la mort de Mme Redouane résultait « d’un choc opératoire et non d’un choc facial », ajoutant qu’« à ce stade, on ne [pouvait] pas établir de lien de cause à effet entre la blessure et le décès ». « C’est une honte qu’un procureur de la République divulgue des fausses informations à la presse en toute connaissance de cause », assène Me Bouzrou.
« Contrairement à ce qui a été rapporté, il n’a jamais été question de nier qu’elle a reçu un projectile au visage, cette blessure est indiscutable, souligne M. Tarabeux. La question est de savoir si son décès a pour origine l’intervention chirurgicale, compte tenu de ses antécédents médicaux lourds. »
Plus de six mois après le décès de Mme Redouane, l’enquête n’a pas avancé et le policier n’a toujours pas été identifié.
Mustapha Kessous
• Le Monde. Publié le 20 juin 2019 à 12h59 - Mis à jour le 02 juillet 2019 à 17h31 :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/06/20/affaire-zineb-redouane-l-enquete-est-depaysee-pour-eviter-une-forme-de-suspicion_5479063_3212.html
Où en est l’enquête ?
Une seconde autopsie, réalisée par la justice algérienne, conclut que l’octogénaire a bien été tuée en décembre 2018 par une grenade lacrymogène.
Sept mois après le décès de l’Algérienne Zineb Redouane, 80 ans, atteinte au visage par une grenade lacrymogène à la fenêtre de son appartement lors d’une manifestation de « gilets jaunes » à Marseille, ses proches déplorent que le policier qui a tiré ne soit toujours pas identifié.
Mme Redouane est morte à l’hôpital, le 3 décembre 2018, deux jours après avoir été grièvement blessée par une grenade alors qu’elle fermait les volets de son appartement situé au 4e étage d’un immeuble rue des Feuillants (1er arrondissement). En bas de son immeuble, de violents incidents avaient éclaté après des manifestations de « gilets jaunes », mais aussi contre l’habitat insalubre et pour le climat.
Fin janvier, les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », ont entendu les cinq CRS dotés de lanceurs de grenade qui se trouvaient sur les lieux, ainsi que le capitaine qui les dirigeait. Après avoir regardé les images de vidéosurveillance, aucun n’a désigné le tireur ou n’a reconnu avoir tiré.
Au total, 200 grenades ont été tirées ce samedi 1er décembre, a relaté leur chef au cours de ces auditions, dévoilées par Mediapart mardi 2 juillet, et dont l’Agence France-Presse (AFP) a eu connaissance. Sur les images, un CRS fait un tir « en cloche », en direction de l’immeuble de Zineb Redouane à l’angle de la Canebière, puis quelques secondes après prend du recul et regarde à plusieurs reprises en hauteur, face à lui. Trois policiers ont récusé apparaître – dont l’un car il portait une barbe et un autre une cagoule et des lunettes, alors que le CRS n’en a pas sur les images – et deux ne se prononcent ni dans un sens ni dans l’autre.
« Ces policiers, qui n’ont même pas été placés en garde à vue contrairement à l’usage, savent qui a tiré et font preuve d’une mauvaise foi évidente », a déclaré à l’AFP l’un des avocats de la famille Redouane, Me Yassine Bouzrou. Le numéro de la grenade qui a touché Mme Redouane, retrouvée dans l’appartement, ne permet pas non plus d’identifier le tireur, car il s’agit d’une munition « de remplacement », après l’épuisement d’un premier stock, selon ces auditions.
Dépaysement des investigations
Les fonctionnaires, expérimentés, ont assuré s’être abstenus de tout tir tendu, conformément à la législation. Selon la fille de Zineb Redouane, rapportant des propos de sa mère au téléphone au moment de l’impact, un policier l’aurait, au contraire, regardée et visée.
De leur côté, les CRS ont insisté sur le climat particulièrement violent ce soir-là à Marseille : « C’est l’un des maintiens de l’ordre les plus durs que j’ai eu à gérer », explique l’un, tandis qu’un autre se rappelle qu’il n’était « pas sûr [d’en] sortir indemne ».
Les proches des victimes attendent désormais le dépaysement des investigations, sur lequel la Cour de cassation doit se prononcer rapidement. En cause, notamment, la présence d’un vice-procureur de Marseille sur le terrain, aux côtés des policiers, le soir du drame. Cette présence a été signalée par les policiers lors de leurs auditions et est donc « connue de l’autorité judiciaire depuis le 25 janvier », a souligné Me Bouzrou. Ce vice-procureur a été chargé du début de l’enquête, et le procureur général n’a accepté d’enclencher le dépaysement de l’enquête qu’en juin, s’indigne-t-il.
Un écueil judiciaire de plus selon l’avocat, qui met en cause « l’impartialité » de la justice marseillaise dans cette affaire sensible, depuis la première enquête, ouverte par le parquet pour « recherche des causes de la mort », jusqu’au traitement de sa plainte pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donnée », déposée au nom de la fille de Mme Redouane pour faire avancer l’enquête.
Mardi, un autre élément s’est ajouté au puzzle : une autopsie réalisée par la justice algérienne, le pays d’origine de Mme Redouane. Ses conclusions, dévoilées par Le Média, établissent que le « traumatisme [facial] est directement responsable de la mort par aggravation de l’état antérieur […], malgré les soins ».
« J’espère que cette expertise va faire bouger les choses », a commenté Brice Grazzini, autre avocat des proches, qui va la faire verser à l’instruction. Selon lui, la première autopsie à Marseille, qui s’abstenait de trancher l’origine du décès de Mme Redouane, faute d’éléments suffisants notamment sur ses antécédents médicaux, témoignait d’un « manque de diligence »
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 02 juillet 2019 à 17h24 - Mis à jour le 03 juillet 2019 à 15h00 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/07/02/mort-de-zineb-redouane-a-marseille-l-enquete-pietine_5484410_3224.html
Une nouvelle plainte de la famille
Ses proches accusent aujourd’hui les enquêteurs de vouloir « entraver la manifestation de la vérité dans l’enquête sur les circonstances » de sa mort le 3 décembre 2018, après une manifestation de Gilet jaunes à Marseille.
Les proches de Zineb Redouane ont déposé une nouvelle plainte pour « faits de faux en écriture publique aggravés », contestant qu’une caméra de surveillance ait été hors d’usage comme l’écrit l’IGPN, a-t-on appris auprès de leur avocat.
Selon la plainte, déposée le 5 juillet par Me Yacine Bouzrou, que Le Parisien évoque dans son édition du samedi 6 juillet et dont l’AFP a eu copie, la caméra de surveillance la plus proche de la scène du drame, le 1er décembre 2018, a été déclarée « inopérante » par les enquêteurs de l’IGPN qui ont conduit l’enquête préliminaire. Sur les images des autres caméras, aucune identification n’est possible.
« La seule caméra qui n’aurait pas fonctionné le jour des faits serait donc celle qui était positionnée à proximité immédiate du lieu d’où la grenade lacrymogène a été tirée », selon la plainte.
Fin juin, quatre des cinq enfants de la victime, Zineb Redouane, ont déposé une première plainte contre X pour « dissimulation de preuves », après que le capitaine des CRS présent lors de la manifestation eut refusé de transmettre aux enquêteurs de l’IGPN les fusils lanceurs de grenades utilisés le 1er décembre, lors de la manifestation en marge de laquelle Mme Redouane avait été grièvement blessée. Ses proches accusent aujourd’hui les enquêteurs de vouloir « entraver la manifestation de la vérité dans l’enquête sur les circonstances » de sa mort.
« Toutes ces manœuvres, armes non expertisées, caméra hors service, faux procès-verbaux, s’apparentent à une association de malfaiteurs en vue de commettre des faits de faux en écriture publique aggravés et dissimulation de preuves », estime Me Bouzrou accusant le procureur de la République de Marseille « d’avoir tenté d’étouffer l’affaire ».
L’enquête est en cours de dépaysement, notamment en raison de la présence le soir des faits sur le terrain d’un vice-procureur de Marseille, qui avait été chargé ensuite du début de l’enquête.
Mme Redouane est morte à l’hôpital, le 3 décembre 2018, deux jours après avoir été grièvement blessée par une grenade alors qu’elle se trouvait à la fenêtre de son appartement. En bas de son immeuble, de violents incidents avaient éclaté après des manifestations contre l’habitat insalubre, pour le climat et des « gilets jaunes ».
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 07 juillet 2019 à 15h47 - Mis à jour le 07 juillet 2019 à 16h03 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/07/07/affaire-zineb-redouane-nouvelle-plainte-de-la-famille_5486533_3224.html