Des milliers de Soudanais se sont réunis samedi 13 juillet à travers le pays pour rendre hommage aux manifestants tués le 3 juin lors de la dispersion à Khartoum d’un sit-in demandant aux dirigeants militaires un pouvoir civil.
Quarante jours après l’évacuation sanglante de ce rassemblement, l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, a appelé les Soudanais à défiler dans les rues en signe de soutien aux familles des victimes.
Scandant « sang pour sang, nous n’accepterons pas de compensation », une foule de manifestants a envahi les rues du quartier de Bahari, dans le nord de Khartoum, haut-lieu de la contestation. Des centaines de personnes ont aussi protesté à Omdourman, ville jumelle de la capitale, et à Port-Soudan, poumon économique du pays situé 675 km à l’est de Khartoum. Des manifestations se sont aussi tenues à Madani et Kassala, dans l’est du pays, et à Al-Obeid (centre).
« La justice avant tout »
Cette journée de rassemblements, qui marque la fin du deuil pour les familles selon la coutume musulmane, a été baptisée « La justice avant tout ». Les manifestants réclament des enquêtes sur la mort des victimes et le jugement des auteurs présumés des violences.
Le 3 juin, 136 personnes ont été tuées lors de l’évacuation brutale du sit-in des manifestants par des hommes armés, selon un comité de médecins proche de la contestation. Les autorités parlent, elles, de 71 morts. Le Conseil militaire, actuellement au pouvoir, affirme ne pas avoir ordonné la dispersion du sit-in, tout en reconnaissant l’implication d’« officiers et de soldats ». Des ONG et manifestants pointent du doigt les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF).
Des dizaines de personnes avaient déjà été tuées dans la répression des manifestations lancées le 19 décembre, après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Le mouvement avait alors pris une tournure politique en réclamant la chute du président Omar Al-Bachir, destitué et arrêté le 11 avril par l’armée après trois décennies au pouvoir.
Un accord proche de la signature
Après des mois de tensions, un accord entre les généraux au pouvoir depuis la chute de Bachir et les meneurs de la contestation doit être signé dans les prochains jours. Cet accord doit permettre d’enclencher la transition vers un gouvernement civil réclamé par la contestation.
Le texte de l’accord, qui fait encore l’objet de discussions entre les deux parties, a été mis sur pied à la suite d’intenses négociations entre les médiateurs de l’Union africaine et de l’Ethiopie. Il stipule que l’instance chargée de mener la transition pendant une période d’environ trois ans, sera présidée par un militaire pendant les vingt et un premiers mois, puis par un représentant civil pendant les dix-huit mois restants.
Une rencontre entre des représentants de la contestation et des militaires est prévue dans la soirée samedi, pour discuter des derniers termes de l’accord.
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 13 juillet 2019 à 17h31 - Mis à jour le 14 juillet 2019 à 10h46 :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/13/soudan-des-milliers-de-personnes-reclament-justice-pour-les-manifestants-tues_5489096_3212.html
Avec le rétablissement d’Internet, les Soudanais revivent la terreur de la répression
Depuis le retour du réseau, les images, photos ou films, des violences perpétrées par les forces de l’ordre soudanaises sont devenues virales.
Quelques jours après la fin du blocage d’Internet, mardi 9 juillet, les Soudanais revivent la terreur semée lors de l’évacuation meurtrière du sit-in de manifestants à Khartoum en regardant les images, devenues virales, de la répression.
Le 3 juin, 136 personnes ont été tuées lors du raid brutal mené sur le campement de manifestants installé depuis avril devant le siège de l’armée, selon un comité de médecins proche de la contestation. Les autorités, elles, parlent de 71 morts.
Des dizaines de protestataires, qui occupaient cet endroit devenu le poumon de la révolution pour demander le transfert du pouvoir aux civils, ont été tués par balles et frappés par des hommes armés qui ont évacué le sit-in dans le sang, provoquant un tollé international. Immédiatement après le drame, les autorités avaient imposé le blocage total de l’internet mobile dans le pays, jetant un voile sur les violences perpétrées.
« Aucune pitié, religion ou humanité »
Avec le retour du réseau mardi, les images que de nombreux Soudanais n’avaient encore jamais vues, sont devenues virales. Largement partagées sur les réseaux sociaux, elles ont provoqué le choc et la colère au sein de la population.
« Les images de meurtres et de coups brutaux m’ont mis très en colère, déclare Hussein Hashim, 19 ans, étudiant à l’université du quartier d’Al-Deen à Khartoum. Leurs auteurs n’ont aucune pitié, religion ou humanité. »
« Ces vidéos ont pour but de nous effrayer, dit pour sa part son ami Samuol, accusant les autorités de les diffuser. Mais ces scènes horribles nous donneront encore plus de raisons de nous battre pour que justice soit rendue pour les martyrs. »
Une photo en particulier a suscité la fureur de la population. Elle montre des hommes en tenue militaire et bottes, posant leurs pieds sur le visage d’un manifestant étendu sur le sol.
Des dizaines de vidéos ont été mises en ligne ces derniers jours. Une d’entre elles montre un groupe d’hommes armés, en tenue militaire, cernant une adolescente en train de crier alors qu’un d’entre eux la tient par le cou.
De nombreuses images montrent des hommes armés frappant des manifestants avec des bâtons. L’AFP n’a pas pu vérifier leur authenticité, la plupart d’entre elles ayant été diffusées sur les réseaux sociaux par des comptes affichant des pseudonymes. L’Internet mobile a été rétabli après des poursuites engagées contre les fournisseurs de réseau par un avocat basé à Khartoum, Abdelaziz Hassan. « L’objectif du blocage était de dissimuler des informations et des preuves sur ce qui s’est passé lors du massacre », a-t-il déclaré à l’AFP.
Des dizaines de personnes avaient déjà été tuées dans la répression des manifestations lancées le 19 décembre 2018, après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Le mouvement avait pris une tournure politique en réclamant la chute du président Omar Al-Bachir, destitué et arrêté le 11 avril par l’armée après trois décennies au pouvoir.
Sur une page Facebook, créée pour rassembler les images du « massacre » du 3 juin, Hassan Mora, une internaute, écrit : « Les responsables de ce crime doivent rendre des comptes. » « Sans responsabilité, punition et vengeance, cette révolution spectaculaire ne réussira pas », a renchéri Alaa Khairawi.
« Nous continuerons »
Les manifestants et des ONG accusent les redoutées Forces de soutien rapide (RSF) d’avoir mené le raid. Mais le chef de ces groupes paramilitaires, Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemeidti », également numéro deux du Conseil militaire de transition, au pouvoir, a rejeté ces allégations.
« Ces photos sont des montages », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement la semaine dernière, accusant des services de renseignement étrangers de filmer et de diffuser les images. « Il y a des gens qui ont filmé 59 vidéos en une journée, comment est-ce possible ? Ils ont des idées derrière la tête, c’est sûr. »
Le Conseil militaire de transition a ordonné l’ouverture d’une enquête sur les violences du 3 juin, mais les conclusions n’ont pas encore été rendues publiques. Montrant une vidéo dans laquelle un groupe d’hommes en treillis frappent des manifestants, un chauffeur interrogé par l’AFP assure que « ces vidéos ne sont pas des montages, certaines ont même été tournées par les hommes armés », affirme-t-il.
« Après avoir vu ces images, j’ai envie de venger les victimes », ajoute-t-il sans donner son nom.
« J’étais heureuse du retour d’Internet. Mais maintenant, je me sens en colère et humiliée », dit une jeune femme qui souhaite elle aussi rester anonyme. « Ils veulent intimider les femmes, mais nous n’aurons pas peur et nous continuerons à manifester », lance-t-elle. Samedi 13 juillet, de jour comme de nuit, ils étaient à nouveau des milliers dans les rues des grandes villes du pays pour faire mentir la peur et réclamer vérité et justice pour les victimes de la répression.
Le Monde
• Le Monde avec AFP Publié le 15 juillet 2019 à 15h08 :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/15/avec-le-retablissement-d-internet-les-soudanais-revivent-la-terreur-de-la-repression_5489662_3212.html
Au Soudan, militaires et manifestants d’accord pour se partager le pouvoir
Cet accord constitue un premier pas vers un gouvernement civil, réclamé par le mouvement de contestation depuis près de sept mois.
Un peu plus de trois mois après la chute du président Omar Al-Bachir, les généraux au pouvoir au Soudan et les meneurs du mouvement de contestation ont signé un accord. Après une nuit de discussions pour finaliser les derniers termes d’un accord trouvé le 5 juillet, les deux parties ont paraphé, mercredi 17 juillet dans la matinée, une « déclaration politique » entérinant le partage du pouvoir pendant la période de transition.
A l’issue de la rencontre, le numéro deux du Conseil militaire au pouvoir, Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemeidti », a salué un moment « historique ». « Pour le document constitutionnel, nous reprendrons les négociations vendredi », a précisé Ibrahim al-Amin, un des meneurs de la contestation.
Cet accord constitue un premier pas vers un gouvernement civil, réclamé par les Soudanais depuis près de sept mois. Le texte a été mis sur pied à la suite d’intenses négociations entre les médiateurs de l’Union africaine et de l’Ethiopie. Il prévoit la création d’un « conseil souverain », instance chargée de gérer la transition pendant un peu plus de trois ans.
Ce conseil, qui repose sur le principe du partage des pouvoirs, sera composé de cinq militaires et six civils, dont cinq qui seront issus de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation. Les militaires présideront cette instance pendant les premiers vingt et un mois de la transition, les civils prendront ensuite la relève pendant les dix-huit mois restants.
Répression sanglante
Les pourparlers entre les deux camps avaient été repoussés à plusieurs reprises au cours de ces derniers jours, butant notamment sur la question de l’immunité des militaires. Selon la protestation, les militaires, qui pourraient faire l’objet de poursuites à cause des violences survenues pendant les manifestations, réclamaient l’« immunité absolue ». « Nous refusons l’immunité absolue que les militaires au pouvoir ont demandée », avait déclaré aux journalistes Ismaïl Al-Taj, porte-parole de l’Association des professionnels soudanais (SPA), qui fait partie de la contestation, juste avant le début de la rencontre.
« Il n’y a pas de différend sur l’immunité », a déclaré mercredi le porte-parole du conseil militaire, le général Shamseddine Kabbashi, sans donner plus de détails. Outre le sujet de l’immunité, restent encore en suspens la question de la création d’un Parlement de transition et celle du retrait des milices encore présentes à Khartoum et dans d’autres villes du pays.
Le mouvement de contestation au Soudan avait débuté le 19 décembre, après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Le mouvement avait alors pris une tournure politique en réclamant la chute du président Omar Al-Bachir, destitué et arrêté le 11 avril par l’armée après trois décennies au pouvoir.
Les tensions étaient depuis persistantes entre les militaires au pouvoir depuis la chute de Bachir et les contestataires. La répression des manifestants a atteint des sommets le 3 juin, lorsque 136 personnes ont été tuées lors du raid sanglant mené sur le campement de manifestants installé depuis avril devant le siège de l’armée, selon un comité de médecins proche de la contestation. Les autorités, elles, parlent de 71 morts. Le Conseil militaire affirme toujours ne pas avoir ordonné la dispersion du sit-in, tout en reconnaissant l’implication « d’officiers et de soldats ». Des ONG et des manifestants pointent du doigt les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF).
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 17 juillet 2019 à 09h20 - Mis à jour le 17 juillet 2019 à 12h41 :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/17/soudan-militaires-et-chefs-de-la-contestation-signent-un-accord-pour-partager-le-pouvoir_5490264_3212.html
La révolution soudanaise et son street art « effacé » s’exposent à Londres
De nombreuses fresques et peintures réalisées lors des manifestations populaires qui ont conduit à la chute du dictateur Omar Al-Bachir en avril ont été détruites.
[Photos non reproduites ici.]
Jumana Amir, 20 ans, passe et repasse devant la petite trentaine de photos exposées dans une salle d’université à Londres et montrant des œuvres de street art réalisées lors du sit-in antigouvernemental à Khartoum : ces
Car, depuis la dispersion du sit-in dans le sang le 3 juin, « beaucoup » de ces peintures murales ont été « effacées », assure Marwa Gibril, membre de la branche britannique du Syndicat de médecins soudanais, SDU UK, qui organise cette exposition éphémère consacrée à « l’art révolutionnaire soudanais » dans l’enceinte de l’Université SOAS, spécialisée dans l’étude de l’Afrique, de l’Asie et du Moyen-Orient.
Ce n’est pas la première fois que Jumana Amir voit ces fresques. Originaire du Soudan, elle est arrivée au Royaume-Uni à l’âge de 3 ans avec ses parents, mais sa famille restée à Khartoum est « très active » dans les manifestations.
« Ils étaient au sit-in, je les appelais en mode vidéo et je voyais ces peintures » derrière eux, raconte-elle. « Malheureusement, tout est parti maintenant », déplore la jeune fille aux tresses mêlées de rouge et de vert – les couleurs du Soudan – et venue spécialement de Cardiff, où elle étudie, pour l’exposition programmée vendredi 12 juillet et samedi 13 juillet.
Ses œuvres préférées : celles montrant des femmes, qu’elle considère comme « une des principales forces » du mouvement.
Comme cette large peinture colorée représentant deux Soudanaises qui s’adressent aux foules le poing levé et parées des lourdes boucles d’oreille traditionnelles. Ou encore ce visage de femme aux sourcils froncés, dessiné en noir, avec ces mots en arabe qui s’échappent de sa bouche grande ouverte : « La voix d’une femme est une révolution. » L’imposant graffiti est signé Esra Awad, le 24 avril. « On connaît le nom de certains artistes, et parmi ceux-là, certains ont disparu. Après la fin du sit-in, ils n’ont jamais été retrouvés. On ne sait pas s’ils sont vivants ou morts », souligne Marwa Gibril.
« Langage universel des artistes »
Depuis le 3 juin, la répression a fait 136 morts, dont une centaine dans la seule dispersion du sit-in, selon un comité de médecins proche de la contestation. Les autorités, elles, parlent de 71 morts depuis la même date.
Le 5 juillet, un accord a été conclu entre le pouvoir et la contestation sur une instance de transition, premier signe d’une sortie de crise dont l’épicentre a été le sit-in.
Le sit-in, débuté le 6 avril devant le quartier général de l’armée, était « comme un Etat dans l’Etat (…) avec des gens qui s’organisaient par eux-mêmes », se rappelle avec fierté le docteur soudanais Ahmed Hashim, qui exerce à Londres mais qui a pris plusieurs des photos exposées lors d’un court séjour à Khartoum en avril.
« Je les ai vus peindre (…) sur les murs mais aussi sur le sol, se souvient-il. Il y avait des stands de soins médicaux, une estrade sur laquelle des chanteurs interprétaient des chants révolutionnaires. » Un film diffuse ces scènes de vie.
Grâce à l’exposition, « n’importe qui peut regarder et comprendre ce qui se passe » au Soudan, même sans parler arabe, se réjouit Jumana Amir, alors que la plupart des photographies amateurs ne sont pas légendées.
« C’est pour ça que les artistes sont notre plus grande arme. Ils parlent un langage universel », estime-t-elle. Parmi les œuvres représentées, deux sont d’ailleurs inspirées du travail du célèbre artiste de rue britannique Banksy.
Mais les organisateurs exigent plus qu’un coup d’œil ou une oreille tendue. « Nous vous demandons votre solidarité, pas seulement votre curiosité », est-il écrit sur une feuille A3 scotchée sur un poteau. Et sur une banderole à la sortie : « Leurs balles ne nous tueront pas, ce qui tue c’est votre silence. »
Le Monde avec AFP
• Le Monde avec AFP Publié le 08 juillet 2019 à 11h47 - Mis à jour le 08 juillet 2019 à 13h49 :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/08/la-revolution-soudanaise-et-son-street-art-efface-s-exposent-a-londres_5486859_3212.html