MOKRANE AIT OUARABI- Comment évaluez-vous la 4e rencontre de la société civile qui reste ouverte en raison du non-aboutissement à un consensus sur une feuille de route commune de sortie de crise ?
Saïd Salhi - Il s’agit d’une réunion de préparation pour la Conférence nationale prévue pour le 15 juin 2019, cruciale et importante. Bien avant cette réunion, nous avons mis en place un groupe de travail mixte, qui est chargé de rapprocher les trois feuilles de route des trois dynamiques pour aller vers une seule proposition à présenter lors de la conférence.
Les trois dynamiques sont celles de notre Collectif de la société civile pour une transition démocratique, la Confédération des syndicats avec le collectif El Amel et l’association des Ouléma musulmans, le Forum civil, chacune à sa propre feuille de route. La nôtre, on l’a rendue publique le 18 mai 2019, un mois après la création du collectif, le 27 février 2019.
Depuis, nous avons lancé des consultations avec les autres acteurs de la société civile mais aussi des partis politiques de l’opposition, nous avons mis comme seul préalable pour ces consultations : la rupture pacifique avec le système et l’adhésion aux revendications légitimes du mouvement populaire, hirak. Nous voulions être en phase et en totale symbiose avec le mouvement qui a réussi à construire un front commun dans l’union, dans un consensus, contre le système.
C’est ce consensus construit dans la rue, qui se manifeste chaque vendredi, que nous voulions traduire en un message politique, un consensus fort, basé sur le vivre-ensemble dans la paix, la démocratie et la diversité.
En tant que société civile, conscients de notre responsabilité historique et partant de notre mandat de force de propositions et de médiation, nous avons mis à débat notre proposition de feuille de route qui est restée ouverte, on l’a dit, car nous voulions aller vers un large consensus pour l’édification de l’Algérie de demain, celle de tous nos espoirs communs.
Un Etat civil, démocratique et social autour des valeurs de liberté, d’égalité, des droits humains… Au-delà de ce premier round de consultations avec la majorité des acteurs, des sensibilités qui traversent la société, nous avons lancé le 27 avril 2019 l’idée de la Conférence nationale qui sera l’espace de convergence de toutes les propositions.
La rencontre de samedi était très animée…
Effectivement, cette rencontre était très animée. On le savait et on était conscients du défi, car composée de toutes les sensibilités, qui n’ont jamais eu l’occasion auparavant de se rencontrer et de travailler ensemble. Il y avait des syndicats, des associations des droits humains, des jeunes, des femmes, des proches de disparus, des étudiants, des représentants du secteur de la culture, des religieux. C’était vraiment une participation arc-en-ciel.
Il y a forcément des divergences et des approches différentes. Notre objectif n’est pas de les taire ou de les niveler. Bien au contraire, les exprimer en les assumant en toute liberté et franchise.
Le défi est d’acter les convergences : en matière d’appréciation de l’actualité, de la sortie de crise, mais aussi au sujet de l’Algérie de demain. Un exercice ardu, malgré tout, les participants étaient tous animés par cette envie d’arriver à un consensus, car notre initiative reste la seule qui ait suscité, jusque-là, de l’attente et de l’espoir, sa force, sa légitimité et sa crédibilité résident justement dans sa composante, sa pluralité et sa représentativité. On n’a pas le droit de décevoir la rue et de nourrir les tenants du chaos et de la division.
Le peuple nous a montré la voie, il nous a devancé, à nous d’être à l’écoute et à la hauteur de ses aspirations face à un système qui n’a ménagé aucun effort pour diviser les Algériens. La société civile peut donc relever le défi de la médiation, car elle n’est pas animée par les enjeux de prise de pouvoir qui sont le rôle des partis politiques.
Quels sont les points de divergence entre les trois dynamiques qui participent à cette concertation, à savoir le Collectif de la société civile pour la transition démocratique, le Forum civil pour le changement et la confédération des syndicats algériens ?
Le groupe mixte, qui regroupe des représentants des trois dynamiques, s’est attelé à travailler pendant une semaine lors de réunions interminables. Nous avons avancé sur plusieurs points : l’exigence de rester en phase avec le mouvement populaire, qui est l’arbitre, le dernier mot lui revient. On ne prétend pas à le représenter.
On s’est entendu sur la nécessité d’une transition politique pacifique et consensuelle pour acter la rupture avec le système et aller vers un nouveau. On s’est aussi entendu sur les institutions de transition.
Nous avons également discuté au sujet du dialogue, comme une vertu et une valeur pour toute résolution de conflits, juste qu’il faudra qu’il soit balisé avec des préalables et doit permettre le changement du système, objectif premier du mouvement.
Un premier projet de feuille de route a été présenté.
Il n’a pas eu l’adhésion de tous les participants, des divergences sont soulevées autour des points importants, à savoir la question des valeurs et principes qui doivent être introduits dans le préambule, la question des préalables à tout dialogue avec le système et la question des élections.
Le plus important pour nous est d’aller vers une période de transition avec des institutions fortes qui permettront de réunir toutes les conditions et garanties avant tout retour aux élections.
Et tout cela dans le but de permettre au peuple algérien d’exercer réellement et librement sa volonté. Je ne pourrais pas dire plus, sauf cette détermination de l’ensemble des présents à poursuivre le travail et à laisser la réunion ouverte pour approfondir les discussions et débats afin d’aboutir à un compromis. Des propositions ont été faites. Il faudra se donner le temps pour maturer tout cela et laisser prendre.
Pensez-vous que les divergences puissent être dépassées et que le consensus recherché puisse se dégager avant le 15 juin, date prévue pour la Conférence nationale de la société civile ?
Oui, la réunion d’hier est laissée ouverte avec l’engagement de tous de poursuivre les discussions avant d’aller à cette conférence. A rappeler que la conférence n’est pas notre objectif, c’est une étape, une station dans un processus. C’est un moyen de consolidation du consensus, nous voulons, à travers elle, présenter la feuille de route consensuelle et aller, dans une deuxième étape, vers les autres acteurs politiques.
Dans son dernier discours, le chef de l’Etat, Abdelkader Bensalah, relance son appel au dialogue. Mais quel dialogue faut-il pour faire sortir le pays de l’impasse actuelle ?
Le seul dialogue possible, c’est celui qui amorcera un processus qui permettra au peuple de reprendre sa souveraineté. C’est celui qui permettra au pays de se doter d’institutions fortes, légitimes, d’un Etat en phase avec le peuple, qui traduit ses aspirations, qui permet à tous les Algériens de vivre dans la diversité, la dignité et les libertés.
Le dialogue doit être sincère. Il doit être précédé par des signaux forts, à savoir la levée des restrictions sur les champs d’exercice des libertés démocratiques, l’arrêt des poursuites judiciaires contre les activistes et la libération de tous les détenus d’opinion.
Le dialogue ne doit pas être exclusif, autour d’un ordre du jour imposé et piloté par des figures rejetées par la rue. Le système appelle à un dialogue autour de sa feuille de route rejetée massivement lors de la marche du 16e vendredi.