Introduction
Nous allons discuter de cela avec Alexa Kolbi-Molinas, avocate de haut niveau au Reproductive Freedom Project de L’American Civil Liberty Union. Elle nous expliquera la signification de ces décisions de la Cour Suprême et des menaces grandissantes contre l’arrêt Roe vs Wade. Elle afirme : « Ce qui se passe cette année est très sûrement une action nationale et concertée de la part de politiciens.nes qui se sentent renforcés.es par le programme du Président Trump contre l’avortement, pour en faire un enjeu immédiat et s’attaquer directement à Roe vs Wade avec des lois bannissant l’avortement ».
Nous allons aussi nous entretenir avec la docteure Erin King, une gynécologue, directrice exécutive de la Hope Clinic for Women en Illinois à propos des dangers auxquels font face les médecins qui prodiguent tous les jours les avortements.
Juan Gonzalez, D.N. : Je veux vous demander : à quel genre de problèmes êtes-vous confrontée en étant une médecin prodiguant des avortements en Illinois, pour ce qui est du harcèlement ? Craignez-vous pour vous-même, pour votre sécurité compte tenu des protestations en cours et de la violence qui arrive contre d’autres professionnels.les de l’avortement partout dans le pays ?
Dr. Erin King : Alors, je suis gynécologue depuis 15 ans et je fais beaucoup d’interventions différentes à ce titre. Mais une grande partie de mon travail est de faire des avortements. Je ressens le harcèlement de la part des protestataires, de la part de personnes qui croient que ce que je fais devrait être illégal. Cet enjeu dure depuis très longtemps et ça crée une frayeur pour la dispensation des soins, de savoir qu’il y a là des gens qui ne sont pas d’accord avec ce que vous faites et qui, dans le passé, ont été violents contre vos confrères et consœurs qui prodiguent ces soins.
Mais nous sommes devant un tout nouveau niveau de préoccupations. Au Missouri, en ce moment, nous avons peur de notre propre ministère de la santé. Je suis une médecin autorisée dans cet État. C’est vraiment intimidant de penser que votre propre ministère peut soudainement se retourner contre vous parce que vous donnez des soins légaux en toute sécurité (pour la patiente) et qui sont clairement dispensés selon les règles de l’art de la pratique médicale. Je pense que c’est un nouveau niveau de préoccupation.
Et je crains pour nos patientes. Je pense qu’elles entendent dire, dans tous les États du pays, que les soins dont elles ont besoin pourraient devenir criminels. Notre gouverneur, vendredi dernier, a paraphé une loi qui banni l’avortement au-delà de 8 semaines de gestation. Je pense que les patientes ressentent maintenant le harcèlement que les praticiens.nes ressentent de l’extérieur mais aussi de leur propre État.
Amy Goodman D.N. : Vendredi (31 mai) est la date où cette clinique devrait fermer, la dernière clinique médicale prodiguant des avortements au Missouri. Ce serait le premier État à ne plus avoir de clinique de ce type du tout. (La clinique est restée ouverte. N.d.t.) C’est aussi la date du 10e anniversaire de l’assassinat de Dr. G. Tiller qui a été tué d’une balle dans la Reformation Lytheran Church à Wichita au Kansas en 2009.
Je veux que nous nous arrêtions sur cet enjeu de la signature du bannissement par le gouverneur républicain Mike Parson au Missouri. Il a signé un bannissement de l’avortement au-delà de la 8e semaine de grossesse, sans exception pour les situations de viol ou d’inceste. Cette loi déclenche une menace directe à l’arrêt Roe vs Wade en vue d’un renversement total. Durant le débat sur ce projet de loi au parlement républicain du Missouri, le député Barry Hovis, a soutenu que les viols perpétrés par des inconnus étaient différents de ce qu’il appelle les « viols consensuels ».
Barry Hovis : Disons qu’une personne sort un soir, et se fait agresser sexuellement après une fête au collège. Parce que la plupart de mes viols n’ont pas été perpétrés par un gars sortant des buissons que personne ne connait. C’est le cas une ou deux fois sur cent. La plupart des viols se passent lors de rendez-vous ; ils sont consensuels mais tout aussi terribles. J’ai observé des procès et j’ai vu des jurys qui planchent sur ce genre de situation autour de la parole de l’une et de l’autre et qui finissent par déclarer l’accusé non coupable.
A.G. : C’était le député républicain Barry Hovis qui faisait une curieuse distinction entre des viols perpétrés par des étrangers et des viols consensuels. Mais je veux aussi que nous nous arrêtions sur les puissants vocables de Michelle Alexander auteure de The New Jim Crow. Elle est maintenant chroniqueuse au New York Times. Récemment, elle a écrit au sujet de son propre avortement dans une chronique intitulée : « Mon violeur s’est excusé, mais je dois quand même avorter ». Et elle continue : « Je me demande comment une « exception au viol » ajoutée au bannissement de l’avortement pourrait aider les femmes qui comme moi ne veulent pas déclarer le viol à la police parce qu’elles ne pourraient pas prouver qu’il a eu lieu si le violeur le nie. Les démarches criminelles prennent des mois, même des années à être résolues. Est-ce que l’avortement serait autorisé sur une simple allégation de viol, sans aucune preuve ? Si non, qu’est-ce qu’une femme devrait prouver en quelques jours ou semaines pour avoir un avortement au cours du premier trimestre (de grossesse) ? Comment pourrait-elle venir à bout de l’inévitable déni ? Quel homme admettrait un viol sachant qu’il devra faire face à une possible peine de prison » ? C’était un extrait d’une récente chronique de Michelle Alexander.
Je me tourne maintenant vers Mme Alexa Kolbi-Molinas, avocate de haut niveau au Reproductive Freedom Project de l’ACLU. Quelles sont vos réactions devant les propos du député du Missouri B. Hovis et sur ce que M. Alexander a écrit ?
Alexa Kolbi-Molinas : Vous savez, je ne crois pas qu’avant cette année nous aurions pu voir de tels bannissements de l’avortement être proposés sans exception pour les cas de viols ou d’inceste. Donc, nous sommes en face d’une montée sans précédents de l’extrémisme et du radicalisme dans la nature même de ces bannissements. Antérieurement, les politiciens.nes auraient eu peur de présenter de telles lois mais, en ce moment ils et elles se sentent renforcés.es.
Néanmoins, je pense, comme M. Alexander le souligne habilement dans sa chronique, au bout du compte, une interdiction d’avortement est une interdiction d’avortement. Ces exceptions en cas de viol ou d’inceste n’apportent aucune aide à un trop grand nombre de femmes. En réalité, une interdiction d’avortement avec ou sans exception, ne pourra que porter préjudice (aux femmes).
J.G. : Je voulais vous demander….Vous mentionnez cette quantité de législations à travers le pays. Ça ressemble presque à une action délibérée à ce moment précis, de la part des Républicains.es qui sont majoritaires dans différentes législatures d’État, pour introduire une toute nouvelle guerre culturelle sur cet enjeu. Ou alors, pour alimenter les guerres culturelles au moment même de la nouvelle élection présidentielle afin de mobiliser leur base. À ce moment particulier, tout à coup, tous ces projets de loi et ces lois sont adoptés partout dans le pays d’une manière coordonnée. C’est d’un opportunisme !
A.K.-M. : Vous avez absolument raison. Clairement il s’agit de la montée d’une stratégie coordonnée. Depuis 2011, nous avons pu observer plus de 400 restrictions à l’avortement adoptées dans les législatures d’État. Mais ce qui se passe cette année est clairement une concertation nationale par des politiciens.nes qui se sentent renforcés.es par l’ordre du jour anti avortement du Président Trump. Il s’agit réellement, d’épingler l’enjeu et directement porter atteinte à l’arrêt Roe vs Wade avec des interdictions d’avortement. C’est réellement ce que nous sommes en train de voir. C’est une campagne qui s’est développée au fil du temps mais qui, cette année, se renforce et atteint un nouveau stade.
A.G. : Alors, bien sûr, vous vous êtes arrêtée sur l’interdiction en Alabama où il n’y a pas d’exception non plus. Mais, en ce moment, nous parlons du Missouri, un des 6 États où il ne reste qu’une clinique où se pratiquent des avortements. Les autres sont le Kentucky, le Mississipi, les Dakotas du nord et du sud et la Virginie occidentale. Mardi, la Cour suprême a refusé d’entendre une cause de l’Indiana au sujet d’une loi qui interdit les avortements pour raison de sexe, de race ou de malformation du fœtus. Cette décision, difficile à comprendre, laisse en vigueur une injonction d’un tribunal de première instance sur cette mesure. Mais le Juge Clarence Thomas de la Cour suprême, a déposé une opinion en 20 pages en soutient de la loi. Il écrit : « Donner un droit constitutionnel à l’avortement basé simplement sur la race, le sexe ou les malformations de l’enfant à naitre comme Planned Parenthood le plaide, serait donner un statut constitutionnel aux vues du mouvement eugénique du 20e siècle ». Pouvez-vous nous démêler cela et aussi spécifier ce qui a été maintenu de la loi de l’Indiana et ce sur quoi la Cour suprême a refusé de se prononcer ?
A.K-M. : Bien sûr. Donc, en Indiana, comme dans bien d’autres États, encore une fois nous sommes devant une flopée de restrictions qui sont pensées comme moyen de repousser les soins d’avortement hors de portée mais aussi pour stigmatiser et jeter celles qui veulent y avoir recours dans la honte. Voici ce qui est arrivé hier : il y avait 2 lois de l’Indiana, une portant sur la manière de disposer des tissus fœtaux et l’autre qui était vraiment sans précédent, une loi intrusive qui tente d’interdire les avortements selon les raisons exprimées par la femme qui veut y avoir recours. Une telle loi n’a jamais été adoptée dans aucun autre État.
Donc, la Cour suprême a rendu une décision ambiguë. Les tribunaux de première instance ont rejeté ces 2 lois. La Cour suprême déclare que quant aux interdictions d’avortement sur la base des raisons que la femme invoque, elle maintient la décision du tribunal de première instance. Cela veut dire que cette loi n’entrera jamais en vigueur. Elle a été bloquée, déclarée non constitutionnelle et cela ne changera pas.
Quant à l’autre décision sur l’autre loi, il est important de comprendre qu’elle n’avait rien à voir avec l’arrêt Roe vs Wade ; elle n’était pas dans la file d’attente de ce type de causes et que donc elle n’était pas un défi quant à l’accès à l’avortement. Il n’y avait aucune preuve qu’une loi portant sur la manière de disposer des tissus fœtaux pouvait empêcher qui que ce soit d’avoir un avortement ou non. Donc, alors que cela ne parait que malheureux, il faut comprendre que c’est une loi pour créer la honte, pour stigmatiser les femmes que veulent avoir accès à l’avortement. Que la Cour suprême permette à cette loi d’être appliquée n’interférera pas avec l’accès à l’avortement.
Et ce que nous pouvons comprendre de l’intervention du juge Thomas c’est la manifestation du manque absolu de confiance dans les femmes qui veulent avorter ; c’est d’ailleurs la motivation derrière ce genre de lois. Penser que prendre cette décision ultra personnelle, parce que ce n’est pas le moment d’avoir un enfant ou que la famille ne peut se le permettre, pourrait mener à quelque chose de discriminatoire, pourrait être un acte eugénique. C’est la démonstration de ce manque de confiance. Et c’est particulièrement vexant pour la femme sur quatre dans ce pays qui choisit d’avorter pour des raisons qui sont entièrement les siennes, qui sont ultra personnelles à elle et sa famille dans les circonstances où elles se trouvent.
A.G. : Alors qu’est-ce qui arrive ? L’injonction reste en place et la loi ne prendra pas effet en Indiana ?
A.K.-M : Exactement. L’injonction tient et la loi ne prendra pas effet.
A.G. : Mais la disposition des tissus fœtaux entre en vigueur.
A.K.-M. : Oui.
A.G. : Parlez-nous de ce que cela implique en terme de dépenses et aussi de poids psychologique quand on parle de l’obligation d’enterrer ou incinérer les tissus fœtaux. Et qu’arrive-t-il en cas de fausse couche ?
A.K.-M. : C’est un des éléments irrationnels de cette loi. Je pense que cela a été souligné dans la poursuite et que c’est pour cela que les tribunaux inférieurs l’ont rejetée. Évidemment, quand une femme fera une fausse couche à la maison, rien de tout cela ne s’appliquera. Cela vise les cliniques où se pratiquent des avortements. Donc, encore une fois, on peut lire ici les motivations sous-jacentes.
Je répète, il s’agit ici, d’une restriction de plus ajoutée au grand nombre qui existent déjà. Dre King nous a parlé de toutes ces règles et exigences de conformité auxquelles les cliniques d’avortement doivent se soumettre. Cela dépasse vraiment tout ce qui peut exister ailleurs dans les services médicaux. Cela fait partie du fardeau imposé (aux médecins pratiquant des avortements) et des tentatives de faire honte et stigmatiser les soins d’avortement, de les garder à la marge des autres soins médicaux. C’est exactement ce dont il s’agit.
J.G. : Actuellement, vous avez déposé une poursuite contre la loi de l’Alabama. Comment voyez-vous ces diverses poursuites contre cette série de lois partout au pays et qui seront entendues au cours de la prochaine année ou la suivante ? Est-ce plausible qu’elles fassent leur chemin jusqu’à la Cour suprême et qu’il y ait une décision avant les élections présidentielles ou s’il est plus probable que cela se passe après ?
A.K.-M. : Ça va prendre des années. Il faudra des années avant que ces causes arrivent à la Cour suprême. Je ne suis pas certaine qu’aucune ne se retrouve dans les voies accélérées pour y arriver. Et encore une fois, bien sûr, comme nous l’avons vu mardi, la Cour suprême n’entend pas toutes les causes qui lui sont déférées.
Donc, pour ce qui est des interdits que nous avons vu en Ohio, au Kentucky, en Alabama, au Missouri et en Georgie, j’ai confiance que les tribunaux de première instance vont continuer à les bloquer et empêcher qu’ils entrent en vigueur. Et je pense qu’il est très important que les gens sachent que l’avortement est toujours légal dans les 50 États du pays. Comme la Dre King nous l’a dit et comme les dispensateurs.trices d’avortements l’on constaté en Alabama, de nombreux coups de fil arrivent dans leurs cliniques chaque jour venant de femmes terrifiées et paniquées parce qu’elles ont compris que l’avortement était déjà illégal. Alors, il est extrêmement important de faire entendre le message que ces interdictions vont être bloquées et que l’avortement demeure légal dans les 50 États.
A.G. : Un dernier commentaire de la part de la Dre King qui est sur la ligne de front juste à la frontière de St-Louis en Illinois. Elle est directrice exécutive de la Hope Clinic for Women à Granite City en Illinois. Cette clinique est sur le point de fermer (finalement elle est restée ouverte. N.d.t.) le 31 mai à moins que le tribunal qui va entendre la cause aujourd’hui, n’en décide autrement. Je répète que c’est aujourd’hui le 10e anniversaire de l’assassinat du Dr. George Tiller, un médecin prodiguant des avortements au Kansas. Comment vous protégez-vous Dre King ?
Dr. King : Nous tentons de faire passer le message à nos patientes que l’avortement est légal, qu’elles peuvent encore y avoir accès et nous tentons de leur faire savoir où elles peuvent avoir ce service médical et les autres soins de santé dont elles ont besoin. La meilleure protection que nous puissions offrir à nos patientes c’est de leur donner les informations le plus à jour, de tenter de les rejoindre d’offrir la compassion qui permettra de sortir de la stigmatisation qui pèse sur ces soins et de leur dire qu’il y a des gens qui se soucient d’elles, qui vont prendre soin d’elles, qu’elles auront des services médicaux de grande qualité et que nous sommes là pour prendre soin d’elles.
N.d.t. Une récente recherche du Pew Research Center montre que 58% des Américains.es pensent que l’avortement doit être légal. 37% pensent le contraire. En plus, dans ce même sondage, 65% ne voudraient pas que l’arrêt Roe vs Wade soit complètement renversé.
Juan Gonzalez
Dr. Erin King
Amy Goodman
Barry Hovis
Alexa Kolbi-Molinas
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.