Les attentats du 11 septembre et leurs suites ont boosté l’ambition bushiste d’autoriser des forages pétroliers dans un vaste parc naturel au nord-est de l’Alaska (Artic National Wildlife Refuge, ANWR). La Chambre américaine des représentants vient de donner son feu vert au projet (20/04). Celui-ci doit encore passer au Sénat avant d’être soumis à la signature du Président. Selon Bush, 10 milliards de barrils de but pourraient être extraits « presque sans impact sur l’environnement et la faune ».
Sans impact ? Les spécialistes n’en croient pas un mot. L’ANWR est une zone de très grande valeur écologique. L’influence humaine est limitée à un petit village d’Eskimos vivant en symbiose avec la nature. La toundra constitue la plus grande zone américaine de nidification des oies sauvages et héberge deux importantes populations d’ours blancs. Cent quatre vingt espèces d’oiseaux migrateurs ont été recensées, les eaux froides du lac Kaegaluk accueillent plus de trente sortes de poissons et la région reçoit chaque année au printemps la visite de la horde de caribous (ou rennes) Porcupine, la plus nombreuse du grand nord (123.000 bêtes).
Le sort de cette horde est au cœur des inquiétudes des écologistes. En effet, à la fin de l’hiver, les caribous quittent le Canada et parcourent mille kilomètres pour mettre bas dans l’ANWR. Fatiguées par l’hiver, par le voyage et par le vêlage, les femelles ne sont pas en grande forme au moment de l’allaitement. L’abroutage des premières pousses à la fonte des neiges est vital pour elles, pour la qualité de leur lait et pour la santé des jeunes (qui dépendent de cette seule ressource pendant leurs trois premières semaines). Tout déséquilibre alimentaire entraînerait un affaiblissement des animaux, plus exposés aux maladies et à la prédation par les loups. Les forages pourraient aussi empêcher les caribous, à la fin de l’été, de rejoindre les endroits élevés où le vent et le froid les protègent des moustiques, très abondants dans ces régions. Il s’ensuivrait une série de déplacements inutiles qui épuiseraient la horde, causant de nouvelle pertes lors du retour vers les sites d’hivernage. (1)
Les Américains sont très attachés à la défense de leur patrimoine naturel et il n’est pas facile, pour des politiciens, de passer au-dessus de ce sentiment. Les demandes de forage dans l’ANWR ont d’ailleurs été repoussés à plusieurs reprises ces vingt-cinq dernières années. Mais les attentats du 11 septembre, l’hystérie guerrière-nationaliste et la flambée des cours du brut ont quelque peu changé la donne. Tout de suite après les attaques contre le World Trade Center, un représentant républicain a proposé que le débat sur l’exploitation du pétrole de l’ANWR soit envisagé sous l’angle de la sécurité nationale des USA, donc de la protection de leur mode de vie énergivore. Depuis lors, le grignotage de l’ANWR s’accélère. En janvier dernier, le Bureau de l’Aménagement du Territoire remettait un rapport favorable, moyennant quelques restrictions pour une zone de 40.800 hectares autour du Kaegaluk.
Le rendement probable de l’exploitation pétrolière est très controversé. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, « il y a 50% de chance de trouver une quantité de pétrole égale à celle que les USA consomment en neuf mois » (2). Les forages sont décidés dans le cadre d’un Energy Policy Act qui ne consacre qu’une somme ridicule de 500 millions de dollars aux mesures en faveur d’une efficacité énergétique accrue. Tout se ramène à l’appétit de lucre à court terme du secteur pétrolier. Comme le déclarait Pete Domenici, président du comité de l’énergié du sénat : « Avec un barril à 50 dollars, nous avons un mandat des marchés financiers pour faire plus en faveur de la production de notre propre pétrole ». Ce sont les marchés qui décident, pas les Eskimos ni les caribous...
(1) National Geographic, April 2005
(2) PNUE, « Global Environment Outlook 3 »