Les 84 photos montrent des Ouïgours souriant, des villageois jouant d’instruments de musique, des enfants sur un toboggan, des femmes s’activant à la récolte, ou des hommes de cette minorité musulmane de l’extrême ouest chinois étudiant le mandarin dans un « centre d’apprentissage et de formation ».
L’exposition, intitulée « Développement et progrès des droits de l’homme dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang en Chine », s’est tenue dans le Palais des Nations, à Genève, au mois de mars. Au même moment, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (ONU) procédait à l’examen périodique universel de la Chine, un rendez-vous quinquennal pour chacun de ses pays membres : l’Etat y présente son bilan et entend les remarques et recommandations des pays tiers et de la société civile.
Selon des estimations crédibles et reprises par l’ONU, un million de Ouïgours (sur une population totale de 11 millions) seraient aujourd’hui internés dans des camps où ils doivent clamer leur loyauté à la Chine populaire, dénoncer l’islam, associé au terrorisme, et le séparatisme. Ces camps, que les défenseurs des droits désignent comme de nouveaux goulags, sont ceux que Pékin qualifie, en légende de ses photos, de « centres d’apprentissage ».
L’obscénité de cette exposition organisée au sein même du Conseil des droits de l’homme n’a pas échappé aux fonctionnaires de l’ONU. Pourtant, ils n’ont rien pu faire : ce type d’événement n’est pas interdit par les chartes onusiennes, la règle stipulant simplement de ne pas s’en prendre à un autre Etat. Tout juste ont-ils pu protester lorsque des diplomates chinois ont voulu présenter des images d’attentats sanglants. Les diplomates russes et cubains, eux, ont salué l’exposition.
Une heure pour les droits de l’homme
Pour beaucoup d’Etats répressifs, l’examen de leur situation en matière de droits de l’homme n’est qu’un moment désagréable à passer, mais bref et sans suivi réel. En session plénière finale, le cas est discuté pendant une heure : vingt minutes pour le pays qui défend son bilan, vingt autres pour les Etats membres, qui ne sont pas tous hostiles et avec lesquels on peut négocier, et autant pour la société civile.
Pourtant, en 2014, le précédent passage de la Chine s’est déroulé sous haute tension. Pour interpeller l’opinion internationale, une activiste chinoise, Cao Shunli, avait organisé un sit-in devant le ministère des affaires étrangères à Pékin, en juin 2013.
Le 14 septembre, elle avait été arrêtée à l’aéroport, alors qu’elle s’apprêtait à embarquer à destination de Genève où elle devait participer à une conférence d’ONG en vue de l’examen de la Chine. Mme Cao, qui souffrait de tuberculose et de problèmes hépatiques, s’est vu refuser tout traitement pendant sa détention. Libérée dans un état critique, le 27 février 2014, elle est morte deux semaines plus tard.
Le 20 mars, en session plénière du Conseil des droits de l’homme à Genève, les ONG ont tenté d’imposer une minute de silence en sa mémoire. La Chine a objecté que la société civile n’était autorisée qu’à des « commentaires » et rien d’autre, pas même aux silences, et a exigé un vote sur ce point. Soutenue par une flopée d’Etats autoritaires, elle l’a emporté, déstabilisant le président du Conseil, le Gabonais Baudelaire Ndong Ella – le pays de ce dernier ayant jugé plus prudent de s’abstenir face à Pékin.
La Chine n’entend pas seulement faire taire les critiques sur l’emprisonnement de ses dissidents, elle veut être célébrée
Depuis, plus rien n’est laissé au hasard. La Chine, premier pays de la planète par son poids démographique et deuxième puissance économique et militaire, qui se voit à terme prendre la première place, ne cherche pas uniquement à s’assurer qu’un tel affront ne se reproduise pas à l’ONU. Elle compte y faire reconnaître ses propres valeurs, un modèle alternatif selon lequel les droits de vote, d’expression et de manifestation s’éclipseraient au profit du droit à ne plus avoir faim, à voyager en train à grande vitesse ou à apprendre à écrire.
Le Parti communiste chinois (PCC) se targue d’avoir sorti des centaines de millions de citoyens de la pauvreté depuis qu’il a renoncé au maoïsme économique et engagé des réformes, à la fin des années 1970. La Chine n’entend pas seulement faire taire les critiques sur l’emprisonnement de ses dissidents, elle veut être célébrée – la reconnaissance internationale devant en retour nourrir la légitimité interne du régime. Et elle y parvient, avec un certain succès.
L’enthousiasme d’Antonio Guterres
En janvier 2017, le président Xi Jinping effectuait une visite remarquée au Palais des Nations. A l’occasion de son discours, les 3 000 employés du bâtiment avaient été invités à rester chez eux. « Les Nations unies avaient été complètement bouclées. Les ONG ne pouvaient pas être présentes ; ce fut aussi très compliqué pour les médias. Il nous fut étrangement expliqué qu’il s’agissait là d’une pratique normale », raconte un fonctionnaire onusien.
Le président Xi déroula son discours sur la « communauté de destin pour l’humanité » et fut le seul à mentionner les droits de l’homme. Antonio Guterres, devenu secrétaire général de l’ONU quinze jours plus tôt et dont la candidature avait été soutenue par Pékin, ne cacha pas son enthousiasme. « La Chine adopte une position très nette en faveur du multilatéralisme, c’est un facteur extrêmement positif. Le fait qu’on ne soit pas d’accord sur toutes les questions n’en diminue pas l’importance », déclara-t-il alors.
Quelques mois plus tard, en juin, le Conseil des droits de l’homme adoptait pour la première fois une résolution dont la Chine avait eu l’initiative. Intitulée « La contribution du développement au bénéfice de tous les droits de l’homme », elle fut approuvée par trente pays contre treize, grâce au lobbying chinois. Elle mentionne « le respect des politiques et priorités nationales » – expression synonyme de la non-ingérence, notion chère à la Chine qui refuse qu’on lui fasse la morale –, ainsi que des résultats « gagnants-gagnants », un vocable récurrent de sa diplomatie.
« L’adoption de ce texte a été un tournant. De là, on est passé à une offensive tous azimuts : la Chine occupe l’espace, envoie des diplomates en nombre impressionnant. Elle noie le débat avec du “gagnant-gagnant” et menace de représailles les pays qui s’opposeraient. Aucun autre Etat ne déploie de tels moyens », résume le fonctionnaire déjà cité qui, comme plusieurs sources, s’exprime sous le couvert de l’anonymat par crainte de perdre son poste.
En préparation de son examen périodique de 2019, la Chine a exercé des pressions pendant de longues semaines auprès du Conseil des droits de l’homme pour savoir si des dissidents politiques, qu’elle qualifie de « terroristes », seraient présents.
La société civile a découvert avec stupeur, en octobre 2018, que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme avait subitement retiré de son site Internet un premier résumé des contributions d’ONG à l’évaluation des progrès réalisés ou non par Pékin. Plusieurs semaines plus tard, l’ONU remettait en ligne une version épurée des remarques émises par un groupe lié au gouvernement tibétain en exil, le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie (TCHRD) et d’un parti de Hongkong, Demosisto, qui dénonçait la mainmise de Pékin sur cette ancienne colonie britannique. En coulisses, des officiels de l’ONU expliquent avoir été pris au piège de leurs propres règles : celles-ci ne permettant pas la participation de partis politiques et de groupes se revendiquant d’un gouvernement, ils n’ont eu d’autres choix que de céder quand les diplomates chinois sont venus se plaindre.
ONG et journalistes dehors, faute de place
Ces mêmes règles n’ont en revanche pas empêché des groupes chantant les louanges du PCC de se fondre parmi les ONG. Il s’agit, selon le langage onusien, de Gongo, un acronyme anglophone signifiant « Organisations non gouvernementales organisées par un gouvernement ». Non seulement leurs remarques sont incluses dans les rapports, mais elles accaparent l’essentiel du temps de parole à Genève. Lors des travaux préparatoires de novembre 2018, elles avaient ainsi envahi la salle de conférence, ovationnant debout le modèle chinois. Quant aux vraies ONG et aux journalistes, ils avaient dû rester dehors, faute de place.
De son côté, l’ambassadeur de la Chine à l’ONU à Genève, Yu Jianhua, avait multiplié les messages exhortant les diplomates étrangers à ne pas participer aux réunions organisées en marge par des ONG, sur la situation des Ouïgours dans la région du Xinjiang. Durant les deux à trois semaines précédant la session plénière principale de l’examen, le 15 mars, les diplomates chinois ont rendu visite, plusieurs fois par jour, au secrétariat du Conseil des droits de l’homme pour exercer des pressions sur le choix des thèmes qui allaient être abordés. Pékin est parvenu à enregistrer – à la place d’ONG internationales – un nombre considérable de Gongo, telles que la Société chinoise d’étude des droits de l’homme ou l’Association chinoise pour la préservation et le développement de la culture tibétaine, qui se contentent d’applaudir les réalisations de l’Etat-Parti.
Pour Pékin, l’opération est simple. Les organisations doivent être pré-approuvées par le Comité pour les ONG, qui dépend lui-même du Conseil économique et social (Ecosoc) de l’ONU, un organe sensible à l’influence chinoise. Elles doivent ensuite s’enregistrer en ligne, à un horaire précis, en l’occurrence le 21 février 2019 à 14 heures.
Fait inédit, les ONG reçurent un message leur annonçant qu’en raison de « problèmes techniques », elles devraient recommencer le 26 février. Mais après cette date, les ONG sont informées que « des problèmes techniques se sont de nouveau produits » ce jour-là et qu’il leur faudra en conséquence s’enregistrer une troisième fois, le 1er mars.
Au final, six « fausses » ONG proches du gouvernement chinois et quatre vraies ONG indépendantes s’exprimeront sur le bilan des droits de l’homme de la Chine à la session déterminante du 15 mars. Pour un temps de parole total de vingt minutes, soit deux minutes chacune.
Un bug technique
C’est peu, mais cela aurait pu être pire. Selon nos informations, le bug technique cachait surtout la crainte en interne que seules des organisations progouvernementales chinoises parviennent à s’enregistrer du premier coup : il fallait s’assurer qu’au moins une poignée d’ONG reconnues internationalement puissent s’exprimer. Car la Chine a fait preuve d’une célérité inégalable, que ses représentants aient eu le clic ultrarapide ou qu’ils aient développé pour l’occasion un programme informatique. « J’étais juste à côté de ma collègue devant l’ordinateur et elle est allée vraiment vite, il ne lui a fallu que quelques secondes », se souvient pourtant une responsable d’une grande ONG internationale.
De son côté, John Fisher, le responsable de Human Rights Watch à Genève explique : « Human Rights Watch connaît très bien le système en ligne et s’est enregistré pour parler aussi vite qu’humainement possible. Le fait que tant d’organisations pro-étatiques aient été capables d’évincer des ONG légitimes avec une célérité qui défie la crédibilité pose de sérieuses questions. (…) Toute manipulation du processus par la Chine serait aussi grave que grotesque, et ne ferait que souligner le fait que la Chine est consciente que son bilan sur les droits de l’homme ne peut pas tenir un examen véritablement indépendant. »
Malgré toutes les précautions, un imprévu a quand même embarrassé Pékin. Le jour de la séance plénière du 15 mars, un homme pénétrait dans deux mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande, pour y abattre 51 musulmans. Le Conseil des droits de l’homme a demandé une minute de silence. Un responsable chinois a aussitôt frappé à la porte : cet hommage pouvait remémorer aux ONG la mort de l’activiste Cao Shunli et la minute de silence qui lui avait été refusée, cinq ans plus tôt. Cette fois cependant, les délégués chinois n’ont pas eu gain de cause, l’émotion suscitée par l’acte terroriste en Nouvelle-Zélande étant trop vive.
« La Chine s’emploie à combler le vide laissé par le repli américain avec une énergie remarquable »
Pékin avance. D’autant qu’il peut profiter depuis le mandat de Donald Trump du désengagement américain. Et d’autant que la Chine avait jusqu’à présent fait profil bas, restant le membre permanent du Conseil de sécurité qui a le moins utilisé son droit de veto. Les Etats-Unis ont quitté le Conseil des droits de l’homme en juin 2018. A l’époque, leur ambassadrice à l’ONU, Nikki Haley, qualifiait cette institution de « fosse septique du parti pris politique », le Conseil dénonçant avec constance la politique d’Israël envers les Palestiniens. « La Chine s’emploie à combler le vide laissé par le repli américain avec une énergie remarquable », constate un responsable onusien. « Nous ne sommes pas un peuple conquérant. Et nous ne nous sommes jamais comportés en puissance impérialiste », rétorque un responsable chinois, lui aussi sous le couvert de l’anonymat.
En 2019, la Chine est devenue le deuxième contributeur au budget régulier de l’ONU, devant le Japon, mais encore derrière les Etats-Unis. Elle est aussi le deuxième contributeur au budget des opérations de maintien de la paix et tient en état d’alerte une force de 8 000 hommes, prête à intervenir si l’ONU le demandait – un cas unique.
A l’heure du retrait financier et politique des Etats-Unis de la machine onusienne, la diplomatie du portefeuille menée par Pékin fait mouche. Le secrétaire général Antonio Guterres s’est d’ailleurs déplacé, jeudi 25 avril, au deuxième forum des « nouvelles routes de la soie » à Pékin, à l’inverse des gouvernements occidentaux qui ont symboliquement marqué leur inquiétude de cet entrisme chinois par l’absence de leurs dirigeants.
« L’importance remarquable et urgente »
Le projet des « nouvelles routes de la soie » – des investissements massifs dans les ports, routes, voies ferrées reliant l’empire du Milieu au reste de l’Asie, à l’Afrique et à l’Europe – vise à étendre l’influence de la Chine et à imposer, grâce aux amitiés diplomatiques qu’elle aura tissées en chemin, la pleine acceptation de son système politique dans le monde.
A Pékin, M. Guterres a salué « l’importance remarquable et urgente » des « routes de la soie », soulignant que « l’échelle des investissements prévus » offrait une « opportunité significative de contribuer à un monde plus équitable et plus juste pour tous, tout en luttant contre le changement climatique ». Il faudra attendre quatre jours pour apprendre, par l’un de ses porte-parole, que M. Guterres a « discuté de tous les sujets pertinents avec les autorités chinoises, ce qui inclut la situation au Xinjiang ».
En créant, en 2015, un Fonds des Nations unies pour la paix et le développement, doté de 200 millions de dollars (180 millions d’euros) sur dix ans, le président Xi Jinping n’avait pas caché l’importance de sa stratégie onusienne. Son comité de pilotage compte aujourd’hui l’ambassadeur de Chine à l’ONU, Ma Zhaoxu, ainsi que trois hauts fonctionnaires chargés de sélectionner les projets de développement à financer. Ces derniers sont pour la plupart situés en Afrique, où les entreprises chinoises investissent en masse. Les détracteurs de Pékin redoutent de le voir « ONU-iser » tous ses projets. « On ne peut pas accepter la logique de Pékin de réécrire ainsi les règles de la diplomatie mondiale », souffle une source qui rejette cette vision chinoise plaçant la souveraineté nationale et la coopération au-dessus du respect des droits de l’homme.
A mesure que croît sa contribution, Pékin revendique davantage de postes dans les hautes sphères de l’organigramme onusien
A mesure que croît sa contribution, Pékin revendique davantage de postes dans les hautes sphères de l’organigramme onusien. En 2017, il avait espéré obtenir la direction des opérations de maintien de la paix, finalement restée dans le giron de Paris, bien que « ce ne soit qu’une question de temps », note une source française. Un premier signal a été envoyé par M. Guterres, en février, avec la nomination, pour la première fois, d’un diplomate chinois comme envoyé spécial de l’ONU dans la région des Grands Lacs. Washington a tenté de s’y opposer, en vain. La conquête de l’ONU par Pékin passe aussi par le déploiement et la qualité de ses diplomates : le nombre de ses représentants a ainsi doublé au sein de la Cinquième Commission chargée du budget de l’ONU.
Depuis deux ans, les Européens n’ont cessé de sonner l’alarme sur la capacité et la rapidité des Chinois à supplanter le vide diplomatique laissé par le retrait américain dans de multiples instances internationales : le Conseil des droits de l’homme à Genève, mais aussi l’Unesco, l’accord de Paris sur le climat, l’agence d’aide aux Palestiniens, etc. « Washington a bien compris le message, mais, au lieu de se réinvestir, les Américains ont choisi la confrontation. C’est aujourd’hui leur seul engagement à l’ONU : s’opposer à Pékin », note un observateur.
« Le désengagement américain de l’ONU, revient à la donner à la Chine »
A l’automne 2018, Donald Trump a nommé à la tête du Bureau de la sécurité nationale pour les affaires multilatérales Elizabeth Erin Walsh, une diplomate de carrière passée par Pékin. Officiellement, elle doit coordonner la relation entre les Etats-Unis et les Nations unies sous l’autorité du conseiller à la sécurité nationale John Bolton, dont l’hostilité à l’égard de l’ONU est bien connue – en 2005, il déclarait que « ça ne ferait pas une grosse différence » si le siège de l’organisation à New York perdait dix de ses trente-huit étages. Officieusement, le rôle de Mme Walsh serait surtout de faire barrage à l’influence et au discours chinois à l’ONU. « Il faudrait savoir ce que veut Bolton, s’interroge un ambassadeur. L’ONU compte-t-elle ou ne compte-elle pas ? Car le désengagement américain, lui, revient à la donner à la Chine. »
Les tensions sino-américaines s’exposent désormais au grand jour. Pékin avance à visage découvert. Lors du renouvellement, en mars, du mandat de la mission de l’ONU en Afghanistan, Américains et Chinois se sont invectivés en public, les premiers refusant de voir figurer la mention des « nouvelles routes de la soie » dans le projet de résolution. Les Américains sont en mode « panique à bord », dit un membre de la société civile : « Ils sont dépassés par l’intérêt de l’ONU pour la Chine. »
Dissidents à la peine
Dans cette guerre d’usure menée par Pékin au sein des Nations unies, les dissidents chinois sont à la peine. Dolkun Isa, militant ouïgour exilé à Munich et devenu depuis président du Congrès mondial ouïgour (CMO), l’organisation politique de la diaspora, en a fait l’amère expérience. En 2017, il se rend à la session annuelle de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones (IPQA), qui se tient chaque printemps à New York, en tant que membre d’une ONG allemande – la Société pour les peuples menacés (SPM) – qui y dispose d’un statut consultatif. Il assiste alors à la cérémonie d’ouverture et à diverses sessions parallèles. Au troisième jour, alors qu’il est à la cafétéria, des policiers exigent de vérifier son identité et son badge, avant de lui ordonner de quitter le siège de l’ONU. « Je leur ai demandé pourquoi. Ils m’ont dit : “Vous n’avez pas à discuter. Il faut partir. Raisons de sécurité !” J’ai répondu que j’étais en règle. Deux autres policiers sont alors arrivés. Ils n’étaient pas du tout polis, j’étais choqué, se souvient M. Isa. Un collègue a dû récupérer mon ordinateur et mon sac restés dans la salle de conférence. » Lui s’est retrouvé sur le trottoir. Depuis, sa présence est devenue un motif récurrent de frictions entre Chinois et Américains.
Lors de la session 2018, se reproduit le même parcours du combattant. A son arrivée, Dolkun Isa apprend que son accréditation, d’abord approuvée, vient d’être révoquée. La mission permanente allemande et Human Rights Watch se démènent auprès de l’ONU ; Kelley Eckels Currie, l’ambassadrice américaine adjointe aux Nations unies, prévenue de ses problèmes, propose même de l’accompagner. Les policiers, d’abord agressifs, se confondent en excuses avant d’invoquer la nécessité de nouveaux contrôles de sécurité – qui s’étirent en longueur. Dolkun Isa jette l’éponge et rentre en Allemagne. La mission allemande finit par obtenir l’assurance de sa réaccréditation : il peut enfin revenir à New York, juste à temps pour participer à l’une des dernières journées de la session.
Suivi dans les couloirs
En 2019, l’Ouïgour a pu participer à la session, à la condition de signer une lettre stipulant qu’il ne représentait que l’ONG allemande. Il a malgré tout été suivi dans les couloirs par des représentants chinois. Lors d’une conférence présidée par une « experte » chinoise, celle-ci lui a refusé la parole. « La Chine ne va jamais lâcher prise, déplore M. Isa. Ils feront tout pour réduire au silence ceux qui veulent parler. De manière agressive, par des moyens diplomatiques ou économiques… Que cela marche ou pas, ils ne cesseront jamais. »
Alors que le doute planait encore sur l’identité de celui qui avait ordonné l’expulsion de Dolkun Isa du bâtiment new-yorkais deux ans plus tôt, un ancien sous-secrétaire général chargé du Conseil économique et social de l’ONU, le Chinois Wu Hongbo, s’en est finalement vanté, en avril, sur le plateau d’une émission de la télévision publique CCTV. « Etre un diplomate chinois signifie qu’il faut être très vigilant quand il s’agit de protéger les intérêts nationaux du pays et la sécurité », a lancé M. Wu sous les applaudissements du public.
Harold Thibault
Genève, envoyé spécial
Brice Pedroletti
Marie Bourreau