Le contexte général
Cette lutte a commencé en novembre 2016. Les salarié.es ont adopté diverses tactiques : rencontres avec le syndicat pro-patronal, assemblées générales, manifestations et rassemblements.
Ils/elles voulaient ainsi exhorter l’entreprise automobile sino-allemande à s’attaquer au problème du versement de salaires différents à des travailleurs/euses effectuant le même travail, selon qu’ils/elles étaient intérimaires de longue durée ou salarié.es permanent.es.
Photo d’un rassemblement devant l’usine en 2016
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Néanmoins, non seulement le différend n’était toujours pas été réglé en mai 2017, mais trois représentants élus des travailleurs/euses ont été arrêtés par la police.
Les délégués Wang Shuai et Ai Zhenyu ont ensuite été libérés sous caution en attendant leur procès, mais Fu Tianbo était toujours en détention en février 2018.
L’usine FAW-Volkswagen de Changchun emploie près de trois mille intérimaires de longue durée. Il/elles occupent les mêmes postes et effectuent le même travail que les travailleurs/euses permanent.es, pour un salaire deux fois plus faible, et sans aucun des avantages sociaux dont bénéficient les salarié.es permanent.es.
Les intérimaires de longue durée ont formulé deux revendications simples :
– être indemnisé.es pour le manque à gagner qu’ils/elles ont subi au cours des années passées,
– avoir la garantie qu’à l’avenir, intérimaires et salarié.es permanent.es bénéficieront des mêmes salaires et avantages sociaux.
Selon l’article 63 de la loi chinoise sur le contrat de travail, les travailleurs/euses détaché.es ont droit, pour un travail égal, à un salaire égal à celui des salarié.es titulaires. Par ailleurs, ils/elles ne devraient normalement être employé.es que sur une base temporaire et/ou occasionnelle. (1)
Néanmoins, la plupart des intérimaires de longue durée de FAW-Volkswagen Changchun travaillant dans l’usine depuis plus de dix ans sont affecté.es sur les mêmes postes que les travailleurs/euses permanent.es et effectuent le même travail.
Ce comportement de la direction est totalement contraire à la loi chinoise sur le contrat de travail.
Comme de nombreuses marques internationales, le modèle de production du constructeur automobile allemand Volkswagen repose sur des chaînes d’approvisionnement mondiales, dans lesquelles l’essentiel de la production repose sur des fournisseurs et usines délocalisés à l’étranger.
La délocalisation et l’externalisation de la production permettent à Volkswagen de transférer le coût et la responsabilité du respect des normes internationales de travail aux fournisseurs et aux usines des autres pays. Ceux-ci, à leur tour, réduisent les coûts en employant des intérimaires de longue durée.
Ces travailleurs/euses sont sévèrement exploités.es, soit parce qu’on ne les informe pas de leurs droits, soit parce qu’on les force à accepter un salaire plus faible, des horaires plus longs, et des avantages sociaux inférieurs.
Cette classification déraisonnable et illégale intensifie la concurrence et la méfiance entre les salarié.es, et ne profite en final qu’aux grandes marques, ainsi qu’à leurs fournisseurs et sous-traitants.
Soutien depuis l’Allemagne
Les travailleurs/euses d’Allemagne comprennent bien les problèmes auxquels sont confronté.es les salarié.es chinois.es. Eux/elles aussi sont victimes de la mondialisation des chaînes d’approvisionnement et de la sous-traitance.
Lorsqu’ils/elles ont appris, par les organisations de Hong Kong, la lutte des travailleurs/euses de FAW-Volkswagen Changchun, beaucoup d’entre eux/elles ont organisé des actions de solidarité pour soutenir la lutte légitime des intérimaires de longue durée chinois.es pour être traité.es équitablement. Ces actions comprenaient :
1 - Une lettre ouverte de solidarité rédigée conjointement par le conseil d’entreprise d’une usine Mercedes-Benz de Brême et 25 représentant.es d’IG Metall, le principal syndicat des métallurgistes d’Allemagne ;
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2 - Une déclaration de solidarité de Leihkeule, un magazine fondé par des intérimaires de longue durée d’Allemagne ;
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3 - Une déclaration de solidarité de IG Leiharbeiter, une organisation de travailleurs/euses temporaires.
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Outre la publication de déclarations, des travailleurs/euses d’Allemagne ont également participé aux manifestations contre le sommet du G20 qui s’est tenu à Hambourg en juillet 2017, déployant des banderoles soutenant les revendications des intérimaires de FAW-Volkswagen Changchun qui demandent une rémunération égale pour un travail égal, ainsi que la libération Fu Tianbo, représentant des intérimaires de longue durée.
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Soutien depuis Hong Kong
Le 10 novembre 2017, Globalization Monitor et plusieurs syndicats locaux et organisations ouvrières ont organisé un rassemblement dans la salle d’exposition de Volkswagen à Hong Kong pour soutenir les travailleurs de FAW-Volkswagen Changchun, appelant la direction centrale du groupe Volkswagen à s’engager à résoudre le conflit.(2)
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Trois revendications principales étaient mises en avant :
1. FAW-Volkswagen Changchun doit dédommager ses intérimaires de longue durée pour le manque à gagner subi au cours des années passées ;
2. FAW-Volkswagen Changchun doit garantir qu’à l’avenir, les travailleurs/euses détaché.es et permanent.es bénéficieront des mêmes salaires et avantages ;
3. Le représentant des travailleurs/euses, Fu Tianbo, doit être immédiatement libéré par les autorités.
Avancées obtenues dès la première vague de mobilisation
Le 17 novembre 2017, sept jours après les actions de solidarité à Hong Kong et, par pure coïncidence, un an après le début du conflit, plus de 2 000 intérimaires de longue durée ont été « titularisé.es » sur emplois permanents.
Pour les salarié.es, cette mesure ne suffisait pas à assurer la justice sociale. En effet, le nouveau contrat signé entre FAW-Volkswagen Changchun et les ancien/nes intérimaires ne prenait pas en compte leurs années de service antérieures. La carrière de ces salarié.es nouvellement « titularisé.es » repartait donc à zéro, ce qui signifie qu’ils ne bénéficieront pas des droits à pension et/ou de l’indemnité de licenciement auxquelles ils auraient normalement eu droit à leur départ de l’entreprise (3). Il s’agissait néanmoins d’une victoire partielle, bien qu’en ce qui concerne la liberté syndicale, la lutte sera encore longue : Fu Tianbo n’avait toujours pas été libéré après plus d’un an de détention (4).
Nouvelle vague de mobilisation des travailleurs/euses de FAW-Volkswagen Changchun
Dans la matinée du 14 septembre 2018, la nouvelle est devenue virale que plusieurs groupes d’intérimaires de longue durée ayant participé aux actions précédentes avaient demandé à la juridiction locale d’intervenir dans le conflit.
Parmi les plaignant.es se trouvaient d’actuel.les et ancien.nes salarié.es de base et leurs familles, qui ont exigé que le tribunal intente un procès contre la société afin que leurs moyens de subsistance soient garantis et que soit défendu leur droit à un salaire égal pour un travail égal (5). Au même moment, d’ancien.nes intérimaires de longue durée ont organisé une manifestation devant l’usine FAW-Volkswagen.
Il semble évident que cette titularisation ne permettait pas d’obtenir un salaire égal pour un travail égal : « Même si les ancien.nes intérimaires ont maintenant un statut de salarié.e permanent.e, la direction n’a jamais admis le fait qu’ils/elles avaient dans le passé été moins payés pour faire le même travail. Et la direction ne veut pas indemniser ces salarié.es pour le manque à gagner. Le nouveau texte qu’ils/elles ont signé comprend une clause stipulant que « les deux parties conviennent qu’il n’y a pas de controverses et/ou de différends entre elles ». »
Les revendications sont tombées dans l’oreille d’un sourd
Un internaute souligne qu’après leur « titularisation », certain.es des ancien.nes intérimaires de FAW-Volkswagen n’ont toujours pas droit à un salaire égal à travail égal.
Ils/elles ont saisi la justice locale, mais le tribunal a déclaré qu’elle pouvait seulement demander à la société d’améliorer ses pratiques, mais qu’elle n’avait aucun pouvoir pour les réglementer.
« Le Conseil de surveillance de la ville de Changchun nous a dit « nous exhorterons la direction de l’entreprise à résoudre les problèmes, mais nous ne nous fixons pas de délai pour mener une enquête. Le Bureau des pétitions de la province de Jilin et la Commission des affaires politiques et juridiques ont déclaré : »ce n’est pas à nous de décider ». Ce sont les seules réponses que nous avons reçues à ce jour. » (6)
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Le 14 septembre 2018, environ une vingtaine d’intérimaires de longue durée ont scandé devant l’usine : « FAW-Volkswagen Changchun, rend nous notre argent durement gagné ! ».
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Les ouvrier.es de FAW-Volkswagen Changchun sont venu.es remettre une pétition aux autorités le 14 septembre 2018. Sur le devant et le derrière de leurs tee-shirts étaient imprimé : « Nous appelons le pouvoir à rendre justice aux intérimaires de longue durée ! » et « FAW-Volkswagen nous paie moins pour le même travail, les tribunaux refusent d’intervenir, rendez-nous notre argent durement gagné ! ».
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Le 14 septembre 2018 également, un groupe d’intérimaires a fait signer une pétition aux alentours de l’usine.
Le représentant des travailleurs/euses Fu Tianbo enfin libéré
En février 2019, alors que nous finalisions ce rapport, Fu Tianbo (30 ans) a soudainement annoncé sa libération, sur son compte Weibo (le Facebook chinois) : « Condamné mais exempté de peine, je fais mon retour. Je suis encore un jeune homme et cette lutte ne fait que commencer. » Posté le 21 février 2019 à 21h59, depuis le Tribunal de Changchun. (8)
Il a également publié des informations concernant sa situation professionnelle à FAW-Volkswagen, dans une réponse à un ami sur Weibo : « Mon contrat de travail a été résilié. Je suis maintenant en train d’engager une procédure civile à leur encontre. »
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Entre sa première arrestation en mai 2017, en compagnie de deux autres représentants du personnel, et le 21 février 2019, Fu Tianbo a été placé en détention préventive pendant un an et neuf mois. En fin de compte, la raison de sa libération est que le tribunal l’a « condamné avec exemption de peine ». Mais pour quel crime ? Pourquoi a-t-il été « exempté de peine » s’il est effectivement reconnu coupable d’un crime ? Quel crime Fu a-t-il commis qui ne soit pas punissable ? Comme nous n’avons pas accès au verdict concernant Fu, il n’y a toujours pas de réponse à ces questions.
Selon l’article 37 de la loi pénale de la République populaire de Chine (version révisée de 1997), lorsque qu’un crime est mineur et ne nécessite pas de condamnation, « une exemption de sanctions pénales peut lui être accordée, mais il peut, selon les circonstances de chaque cas, être réprimandé ou obligé de faire une déclaration de repentance ou d’ excuses officielles, ou payer une indemnisation pour les préjudices causés, ou faire l’objet de sanctions administratives par le service compétent. » (9)
Un ami travaillant dans l’aide juridique explique : « Lorsque j’étudiais le droit pénal il y a vingt ans, je n’ai jamais entendu parler de « condamné exempté de peine ». Le terme que nous avons appris était « exemption des sanctions pénales », ce qui est similaire à l’ expression utilisée par Fu Tianbo ».
« Etre déclaré coupable et exempté de la peine, comme cette expression l’indique, signifie que vous êtes reconnu coupable par la loi et considéré comme coupable, mais que vous n’êtes pas tenu responsable pénalement. Cela signifie que vous serez exempté de détention criminelle, par exemple d’emprisonnement. Cependant, même en l’absence de sanctions pénales effectives, la condamnation peut toujours avoir un effet considérable sur la personne, car sera toujours considéré comme criminel quelqu’un qui a commis un crime, aux yeux de la loi. Le crime sera enregistré dans son dossier et cela peut constituer un obstacle pour trouver un emploi ou sortir du pays. »
Nous estimons qu’il n’y avait pas de réelles raisons de condamner Fu Tianbo au motif qu’il exigeait - avec d’autres intérimaires - la même rémunération que les travailleurs/euses permanent.es effectuant le même travail, demande qui a été satisfaite en novembre 2017 lorsque FAW-Volkswagen Changchun a titularisé plus de 2 000 intérimaires de longue durée. Cela démontre que les revendications des salarié.es étaient légitimes, et que les arrestations de représentant.es des salarié.es ne l’étaient pas. Nous avons des raisons de penser que Fu Tianbo a été « reconnu coupable et exempté de sanctions », uniquement pour donner aux autorités la possibilité de reculer de façon plus élégante.
Conclusion
Mieux vaut que la libération de Fu Tianbo soit intervenue tard que jamais. Elle est une source de réconfort pour les groupes comme le nôtre qui ont ont une activité de solidarité depuis l’extérieur de la Chine continentale.
Néanmoins, la nouvelle vague de mobilisations des intérimaires de longue durée pour défendre leurs droits qui a débuté en septembre 2018 montre que leur « titularisation » n’a pas été satisfaisante. De nombreux travailleurs/euses continuent de penser qu’ils/elles ne sont pas payé.es correctement et raisonnablement, en particulier celles et ceux qui travaillent dans cette usine depuis de nombreuses années. Ils/elles estiment qu’ils/elles devraient être indemnisé.es pour le manque à gagner subi pendant des années. Quand à celles et ceux qui ont été licencié.es dans le cadre de cette « titularisation », ils/elles ont maintenant du mal à joindre les deux bouts.
On peut s’attendre à ce que la lutte des intérimaires de FAW-Volkswagen Changchun pour défendre leurs droits se poursuive jusqu’à ce qu’une solution plus raisonnable soit trouvée.
Notes :
[1] http://www.npc.gov.cn/wxzl/gongbao/2013-04/15/content_1811072.htm
[2] https://www.inmediahk.net/node/1054714
[3] https://twitter.com/huangzhaoyun/status/1042707811400970240
[4] https://clb.org.hk/content/release-worker-representative-fu-tianbo-and-resume-collective-bargaining-faw-volkswagen
[5] https://www.weibo.com/6241442262/GzO7HqFd9?type=comment#_rnd1551868264142
[6] https://maps.clb.org.hk/strikes/zh-cn#201803/201809/10806
[7] https://mp.weixin.qq.com/s/VrDyKrNdE1gsUdYSSbzWXQ
https://twitter.com/huangzhaoyun/status/1042707811400970240
[8] https://www.weibo.com/2101574701/like?from=page_100505_profile&wvr=6&mod=like
[9] http://www.npc.gov.cn/wxzl/gongbao/2000-12/17/content_5004680.htm