Les signataires du Manifeste de RCE [2] sont tout à fait ouverts à la critique des propositions qu’ils soumettent au débat. Gaston Lefranc a exprimé son rejet total du texte [3]. Le problème c’est qu’il donne une présentation totalement déformée du Manifeste en question.
Il affirme que : « Cette orientation est une impasse totale, et les anticapitalistes révolutionnaires devraient plutôt expliquer que la seule alternative à l’austérité capitaliste est une rupture avec l’ordre capitaliste, au lieu d’alimenter les illusions réformistes. »
Or, contrairement à ce que déclare Gaston Lefranc, le texte est clairement favorable à une rupture avec le système capitaliste.
Gaston Lefranc prétend de mauvaise fois que : « Les mesures immédiates consistent à augmenter les salaires et à augmenter les dépenses publiques pour stimuler la demande intérieure, sans remettre en cause la propriété capitaliste. »
Contrairement à ce que prétend Gaston Lefranc, dès l’introduction, le Manifeste dit tout à fait clairement : « Ce chapitre (1) présente des mesures qu’un gouvernement populaire dans un pays membre de l’UE devrait mettre en œuvre de manière immédiate (dès les premières heures de sa prise de fonction) et unilatérale – c’est-à-dire en ne respectant pas les traités européens et en entrant en conflit avec les institutions européennes –, telles que la hausse immédiate des salaires et la taxation du capital, le moratoire sur les intérêts de la dette publique, le contrôle des mouvements de capitaux (afin d’empêcher leur fuite organisée par les capitalistes), la socialisation des banques et la reprise du contrôle public sur la monnaie, etc., autant de dispositions sans lesquelles aucune forme de politique progressiste n’est possible. »
Comme l’indique encore l’introduction du Manifeste : « Les chapitres suivants sont porteurs de propositions concernant :
• la dette publique, dont il faut abolir la part illégitime, illégale, odieuse et insoutenable (chapitre 2) ;
• les banques, qu’il faut socialiser dans le cadre d’un service public bancaire mettant l’argent au service des besoins fondamentaux et non de l’accumulation de profit (chapitre 3) ; »
Si on suivait le raisonnement de Gaston Lefranc : le moratoire sur le paiement de la dette publique, l’abolition de la partie illégitime de la dette et la socialisation des banques ne remettent pas en cause la propriété capitaliste. Lefranc devrait peut-être demander l’avis des capitalistes là-dessus.
Il affirme de manière mensongère que « Même le secteur bancaire ne sera pas immédiatement nationalisé, mais un pôle public bancaire sera constitué à côté du système bancaire privé qui sera « régulé » (quelle audace !). » Or le texte présente deux scénarii qui sont soumis à la discussion, car ils sont en débat dans la gauche. L’un propose la mise en place d’un pôle public bancaire (ce qui est mis en avant par exemple par la CGT, la FI, le PCF) allant vers la socialisation complète et l’autre propose l’expropriation immédiate complète du système bancaire et des assurances dont plusieurs des coauteurs sont clairement et publiquement des partisans. Ils défendent inlassablement cette position dans de nombreux textes et dans des livres [4]
Gaston Lefranc visiblement ne voit pas l’intérêt de débattre et d’argumenter il préfère l’excommunication de ceux et de celles qui tout en étant favorables à l’expropriation complète du secteur bancaire sont prêts à en débattre avec d’autres secteurs de la gauche (syndicats ou parti). L’essentiel est de porter le débat devant tous ceux qui, tout en étant partisans d’une autre société, s’interrogent sur les voies et les moyens d’y parvenir.
Gaston Lefranc affirme que seul un programme communiste de notre temps peut résoudre les problèmes, mais il ne prend pas la peine d’expliquer en quoi il est fondamentalement différent de ce qui se trouve dans le Manifeste qu’il dénonce. Tous ceux et celles qui sont prêts à mener un débat avec des courants de gauche qui ne sont pas nécessairement anticapitalistes sont qualifiés de faux anticapitalistes. Pour Gaston Lefranc, il suffit de les caractériser de « keynésiens » et la discussion n’a plus d’intérêt.
Il est recommandé de lire le texte du Manifeste [5] plutôt que de s’en remettre au résumé tronqué qu’en fait Gaston Lefranc.
L’introduction du Manifeste dit : « la rupture avec les traités et les institutions de l’Union européenne devra être conflictuelle, démocratique et internationaliste. Ce Manifeste défend qu’il est nécessaire et possible de s’opposer en même temps aux forces et politiques inégalitaires et réactionnaires (qui se présentent sous des étiquettes tant libérales que protectionnistes) au niveau national, européen et international, en s’appuyant à la fois sur l’initiative des citoyen-ne-s et des mouvements sociaux organisés et sur l’action d’un gouvernement populaire défenseur de droits pour tou-te-s. »
Il faut ajouter que Gaston Lefranc adopte dans sa réponse une perspective largement limitée à l’hexagone de laquelle le reste de l’Europe et du monde sont quasi absents : alors que le Manifeste est signé par plus de 160 militants et militantes de 21 pays européens, Gaston se réfère essentiellement à la dimension franco-française. Gaston Lefranc ne dit pas un seul mot sur la dimension féministe, écosocialiste, auto-organisatrice du Manifeste.
Nous ne prétendons pas que le texte du Manifeste est parfait dans tous ses paragraphes. Comme nous l’avons dit en introduction, on peut le critiquer mais avec la volonté de mener un véritable débat et non sur la base d’une présentation déformée et d’invectives, méthodes qui rappellent la façon dont les staliniens ont stigmatisé les militants internationalistes, anticapitalistes et antibureaucratiques durant des décennies.
Léon Crémieux, Penny Duggan, Pierre Rousset, Catherine Samary, Eric Toussaint, Henry Wilno