Regards. A-t-on besoin d’Europe ? Pour quoi faire ?
Manuel Bompard. L’Europe est une grande idée, mais les traités qui l’organisent sont une grande calamité. Là où la coopération européenne devrait permettre de lutter contre la catastrophe écologique, ce sont les lobbies du productivisme et du nucléaire qui règnent en maîtres à Bruxelles. Là où l’Europe devrait permettre l’harmonisation par le haut des droits humains, elle organise au contraire la mise en concurrence des peuples et le démantèlement des services publics. Nous avons donc surtout besoin de mettre un terme à l’Europe de la caste. Alors nous pourrons nouer les coopérations internationales indispensables par exemple pour faire face au désastre écologique ou pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale.
Yánis Varoufákis. Nous sommes face à un dilemme. Soit s’organiser politiquement et économiquement au niveau de l’État-nation ; soit agir de façon transnationale dans toute l’Europe. DiEM25 est convaincu que c’est un dilemme erroné, basé sur une mauvaise appréhension du capitalisme contemporain. Les banquiers, eux, ne s’embarrassent pas de ce pseudo-dilemme. Ils comprennent que pour garder les États-nations sous leur emprise, ils doivent opérer de façon transnationale. Les fascistes, eux aussi, l’ont bien compris. Alors qu’ils appellent à la restauration d’un État national clos, ils aspirent à une Internationale nationaliste. Il n’y a que la gauche qui continue d’avoir des voix qui appellent sincèrement à un projet politique basé sur l’État-nation. Nous avons donc besoin d’Europe car la tension entre la finance et la souveraineté nationale atteint son apogée au niveau transnational. L’élite financière transnationalise le capital en une forme liquide afin de mettre les États à ses pieds. Et à DiEM25, nous considérons que pour reconquérir nos villes, nos régions et nos pays, nous devons reconquérir l’Europe.
Comment donner envie d’Europe aux Européens ? Quel projet fédérateur ?
Manuel Bompard. En cessant de faire tout pour qu’ils la détestent. Les peuples européens ne sont pas masochistes. L’Europe les attaque de toutes parts avec la complicité des oligarchies nationales. Il faut y mettre un terme. Nous proposons de sortir des traités existants en renégociant autour des points fondamentaux : fin de l’indépendance de la Banque centrale européenne, harmonisation par le haut des droits sociaux et des politiques d’égalité, arrêt des directives de libéralisation des services publics, sortie de l’OTAN, rejet des accords de libre-échange comme le TAFTA, etc. C’est le plan A. Sans cela, l’Europe court à sa perte.
Yánis Varoufákis. Les progressistes, en France, n’ont jamais commis cette erreur d’identifier la France avec l’État français. Pourquoi donc identifierions-nous l’Europe avec les institutions de l’Union européenne ? Les Européens veulent l’Europe et, en même temps, ils ont en horreur ses politiques ridicules ainsi que ses méthodes antidémocratiques. Ils méprisent le fait que, alors que les deux tiers des Européens sont favorables à l’interdiction des pesticides et des véhicules diesel, l’UE conspire pour autoriser le glyphosate tout en fermant les yeux sur le « dieselgate ». Nous devons donc démontrer aux Européens qu’il est parfaitement possible – même si ce n’est pas facile, bien sûr – de reprendre le contrôle des institutions de l’UE, de réaligner leurs politiques et leurs pratiques sur ce que souhaitent les Européens et de commencer le débat au niveau de base sur le type d’Union européenne démocratique que nous voulons.
« On ne combat pas l’euroligarchie sous domination allemande avec des pistolets à eau. Pour réussir le plan A, il faut une arme dans la négociation, un outil de dissuasion. C’est le plan B. »Manuel Bompard
Une mesure utile, urgente et qui peut changer la vie des citoyens européens ?
Manuel Bompard. Abolir la directive des travailleurs détachés. Elle précarise chaque salarié ou artisan français puisqu’on peut désormais lui préférer un ressortissant d’un autre pays européen au droit social moins favorable. C’est une mesure dangereuse qui dresse les peuples les uns contre les autres. D’ailleurs, sur ce sujet aussi, les grands discours de Macron ont accouché d’une souris.
Yánis Varoufákis. Un programme de relance verte fondé sur un investissement annuel de cinq cents milliards d’euros pendant cinq ans, financés par des obligations de la Banque européenne d’investissement. Les banques centrales européennes devront être prêtes à racheter ces obligations au cas où leurs rendements commenceraient à augmenter. Il faudra donc créer une Agence pour la transition verte européenne chargée d’identifier et de diriger ces projets de transition verte – qu’il s’agisse de l’énergie, des transports, de l’industrie et de l’agriculture. Ces « mesures » créatrices d’emplois seront à la base de la transition verte indispensable pour assurer le futur des Européens.
Peut-on vraiment changer l’orientation de l’Union européenne et avec qui ?
Manuel Bompard. Bien sûr. Mais ça ne sera pas un long fleuve tranquille. On ne combat pas l’euroligarchie sous domination allemande avec des pistolets à eau. Pour réussir le plan A, il faut une arme dans la négociation, un outil de dissuasion. C’est le plan B. C’est celui qui a manqué à Tsipras pour pouvoir appliquer sa politique. Conséquence ? C’est la Commission européenne qui lui dicte aujourd’hui sa politique, et c’est le peuple grec qui paye la facture. Des forces politiques font le même constat dans chaque pays d’Europe. C’est le cas de Podemos en Espagne ou du Bloc de gauche au Portugal, qui ont tous réalisé un score à deux chiffres à des élections nationales. C’est pourquoi nous nous sommes rassemblés dans le mouvement « Et maintenant le peuple ! » : pour mener ensemble la bataille des élections européennes. Malheureusement, en France, les listes fleurissent et les calculs politiciens semblent l’emporter sur l’ambition de faire bouger le rapport de forces en Europe. Mais je crois que les électrices et les électeurs sauront s’y retrouver.
Yánis Varoufákis. L’orientation de l’UE ne cesse de changer. Sauf sur un point : elle s’oriente toujours plus dans la direction d’un racisme rance et d’une fragmentation à laquelle aspirent l’internationale nationaliste. La question est donc : comment le changement peut-il être redirigé dans un sens humaniste et progressiste ? Après la capitulation de Syriza en 2015, DiEM25 croit que c’est une erreur d’aspirer à des alliances entre les pays – par exemple entre la France et la Grèce – ou entre des partis constitués et concourant à l’échelle nationale. La réorientation des politiques européennes nécessite un nouveau mouvement politique transnational que DiEM25 incarne déjà. À DiEM25, nous n’avons pas des branches françaises, allemandes, grecques et italiennes séparées, mais nous agissons dans tous les pays comme un mouvement unique et unifié – qui décide d’une seule voix de ses positions sur les retraites en France ou sur l’imposition en Grèce.
« L’élite financière transnationalise le capital en une forme liquide afin de mettre les États à ses pieds. Pour reconquérir nos villes, nos régions et nos pays, nous devons reconquérir l’Europe. »Yánis Varoufákis
Face à la montée du nationalisme, de l’extrême droite, quelle réponse à la question migratoire ? Quelle campagne et quelle priorité pour les européennes ?
Manuel Bompard. L’élection européenne en France sera avant tout une élection nationale. Il s’agit d’un premier test électoral pour Macron. C’est donc une occasion en or de lui faire payer sa politique pour les riches, au détriment du plus grand nombre et de l’environnement. Ce faisant, c’est aussi l’Europe de la caste que l’on combat puisque Macron veut en assouvir tous les désirs. L’extrême droite progresse sur l’absence de remise en cause d’une construction européenne autoritaire et injuste, dans laquelle la droite et les sociaux-démocrates gouvernent ensemble depuis vingt ans. Elle se nourrit d’une crise migratoire dont sont responsables les politiques européennes qui sèment la guerre et la famine. La combattre, c’est donc identifier les vrais responsables de l’impasse dans laquelle est enfermée aujourd’hui l’Europe. C’est proposer une issue positive en faisant du mouvement « Et maintenant le peuple ! » la surprise des élections européennes.
Yánis Varoufákis. À partir du moment où nous défendons le récit selon lequel il faut « reprendre le contrôle de nos frontières », nous devenons involontairement les complices de ceux qui ont construit leurs carrières politiques en faisant des immigrés des boucs-émissaires. La gauche ne doit pas tomber dans ce piège. Il est impératif d’organiser des routes sûres pour les migrants qui meurent souvent aujourd’hui sur leur trajet vers l’Europe. Certains d’entre eux sont même incarcérés par des « entrepreneurs » brutaux, bien souvent subventionnés par l’UE. Aussi, nous devons investir dans la lutte contre le changement climatique et les guerres néocoloniales qui forcent les populations à l’exil. C’est aussi pour cette raison qu’avec de nombreuses autres organisations – comme Générations en France, Razem en Pologne ou Alternativet au Danemark – Diem25 a mis en place le « Printemps européen ». Notre liste paneuropéenne, avec son programme unique, proposera un véritable New Deal européen. En mettant l’accent sur quatre objectifs fondamentaux – la démocratisation de l’Europe, la lutte contre la pauvreté et l’exploitation, la croissance partagée et la prospérité verte, et la solidarité internationale renforcée –, notre programme présentera jusqu’au moindre détail les changements institutionnels et politiques que nous proposons.
Fabien Perrier
Pierre Jacquemain
Manuel Bompard
Yánis Varoufákis
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