“Chacun d’entre nous est président”, c’est par ces mots, rapporte le quotidien en ligne Oukraïnska Pravda, qu’a commencé le discours d’investiture du nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky devant la Rada (l’Assemblée nationale). Brandissant la boulava, la masse d’armes qui symbolise le pouvoir en Ukraine en référence à l’époque des Cosaques zaporogues (XVe-XVIIIe siècle), il a prêté serment devant les députés et s’est lancé dans un discours aussi rassembleur qu’atypique.
“Chacun d’entre nous est président. Pas seulement les 73 % qui ont voté pour moi, mais 100 % des Ukrainiens. Ce n’est pas ma victoire, c’est notre victoire commune, c’est notre chance commune, dont nous sommes tous responsables.”
“Chacun d’entre nous est mort dans le Donbass, chaque jour, nous perdons chacun d’entre nous, et chacun d’entre nous est une personne déplacée qui a perdu son foyer, et chacun d’entre nous a ouvert la porte de son domicile à l’autre et partagé ses souffrances.”
“Et chacun d’entre nous est un travailleur : celui qui n’a pas trouvé de travail chez lui, mais gagne sa vie dans un autre pays, celui qui se débat dans la misère au prix de sa dignité.”
“Nous sommes tous ukrainiens, il n’y a pas de petit, pas de grand, de tort ou de raison. Tous ukrainiens, d’Oujhorod à Louhansk, de Tchernihiv à Simferopol, Lviv, Kharkiv, Donetsk, Dnipro et Odessa, nous sommes tous ukrainiens. Il nous faut être unis, car c’est alors seulement que nous sommes forts.”
En conclusion, il a ajouté : “Je tiens vraiment à ce que vous n’affichiez pas mon portrait dans vos ministères, car le président n’est pas une icône, il n’est pas une idole, le président n’est pas un portrait. Accrochez les photos de vos enfants et regardez-les avant de prendre chacune de vos décisions.
“Chers compatriotes, toute ma vie, je me suis efforcé de faire sourire les Ukrainiens. Pour moi, ce n’était pas que mon travail, c’était ma mission. Dans les cinq années qui viennent, je ferai tout pour que vous, les Ukrainiens, ne pleuriez pas.”
Avant de rappeler que l’Europe restait “notre rêve commun”.
De son côté, l’ancien président Petro Porochenko a voulu quitter ses fonctions sur une note positive, souligne le quotidien Den. “Je suis fier de ce que j’ai accompli en cinq ans, a-t-il déclaré. Au cours de cette période, nous avons mis en œuvre davantage de réformes que durant le quart de siècle précédent. Je suis fier d’avoir défendu l’Ukraine face à l’agression russe. Bien sûr, les réformes sont parfois douloureuses, et, en tant qu’homme politique, il faut être prêt à en payer le prix.”
La guerre au cœur des préoccupations
La guerre du Donbass évoquée par Porochenko reste au cœur des préoccupations de la plupart des Ukrainiens, et il est probable que le règlement du conflit sera l’un des grands défis du nouveau président, comme le prouvent les résultats d’un sondage réalisé par l’institut ukrainien Rating Group, commentés par le site d’information russe Vzgliad : 65 % des personnes interrogées se prononcent en faveur d’un “compromis” pour “mettre fin au conflit et rétablir la paix” ; 49,2 % se déclarent en faveur d’un référendum sur le statut des “territoires hors contrôle” ; 55,4 % sont pour un dialogue direct entre le président ukrainien et les dirigeants des républiques autoproclamées ; et 74,9 % affirment être pour un dialogue direct avec Moscou. Pour Vzgliad, ce sondage “publié quatre jours avant l’investiture” peut être interprété comme une “injonction” du peuple ukrainien à l’adresse du nouveau président.
Une citation de Ronald Reagan
Ce dernier semble en tout cas décidé à agir vite. “J’annonce la dissolution de la Rada”, a-t-il décrété “pendant son discours d’investiture, après avoir prêté serment”, précise le quotidien Oukraïna Moloda. Sur un ton décidément original, il a poursuivi : “Permettez-moi maintenant de citer un acteur américain qui est devenu un bon président [Ronald Reagan] : ‘Le gouvernement ne résout pas nos problèmes, c’est lui le problème.’ […] Ce n’est qu’une citation, mais, honnêtement, je ne comprends pas notre gouvernement, qui se contente de se tordre les mains et de dire : ‘Nous ne pouvons rien faire.’ C’est faux, vous pouvez faire quelque chose. Prenez une feuille de papier et un stylo, et laissez vos places à ceux qui pensent aux prochaines générations plutôt qu’aux prochaines élections. Je pense que les gens apprécieront.”
Autrement dit, le président Zelensky vient à la fois de dissoudre l’Assemblée et de limoger le gouvernement. L’Ukraine va donc se préparer à des législatives anticipées, déjà dépeintes par Oukraïnska Pravda comme “les plus imprévisibles de l’histoire du pays. Qui sait ce qui nous attend ?” Car “où sont les vainqueurs des élections passées ? Où est le Parti des régions [du président déchu Viktor Ianoukovitch] ? Où est Notre Ukraine [proche de l’ancien président Viktor Iouchtchenko] ?” Le quotidien en ligne prévient que la seule formation qui pourrait tirer son épingle du jeu serait celle de l’inébranlable Ioulia Timochenko, qui semble avoir attendu son heure. Mais “une nouvelle campagne électorale sans merci” n’est pas souhaitable, et “nous nous retrouvons dans la situation habituelle où ce qui est profitable pour les politiques est loin de l’être pour le pays”.
Alors, “que peut faire la société civile dans cette situation ?” Elle doit “exiger que des mécanismes particuliers soient mis en place afin de répondre aux questions cruciales que se posent les électeurs.
“[Sinon,] les échéances électorales de 2019 risquent de battre un autre record, celui de l’absurdité bruyante et de l’absence totale de sens.”
Raymond Clarinard
Courrier International
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