Quatorze millions de vues, soit l’équivalent de plus d’un tiers de la population polonaise : c’est, en cinq jours seulement, l’audience atteinte sur YouTube par le documentaire de Tomasz Sekielski Surtout ne le dis à personne.
D’une durée de deux heures, il montre des rencontres tournées en caméra cachée entre des victimes de pédophilie devenues adultes et leurs persécuteurs – des prêtres de l’Église catholique. Certains reconnaissent les faits et, d’ailleurs, même condamnés par la justice, ils continuent à endosser la soutane, parfois encore auprès d’enfants.
Le film souligne qu’au-delà des actes de pédophilie eux-mêmes la souffrance des victimes a été renforcée par l’absence de réaction de la hiérarchie ecclésiastique. Regardez le film ci-dessous, cliquez sur l’icône en bas à droite pour activer les sous-titres :
Dans l’un des pays les plus catholiques du monde, “que va changer ce film ?” s’interroge en couverture l’hebdomadaire de gauche Polityka.
Ce n’est pas en effet le premier choc que doit encaisser la très puissante Église polonaise : l’an dernier, Le Clergé, film de fiction dénonçant les abus de l’institution ecclésiastique, avait déjà battu des records d’entrées tandis que, en parallèle, une ONG avait mis en ligne une carte des paroisses où des cas de pédophilie avaient été signalés. Cette publication avait contraint la Conférence des évêques à présenter quelques mois plus tard son propre rapport sur la pédophilie dans l’Église.
Une rare “dissonance” entre l’Église et l’État
Pour autant, aucune de ces révélations n’avait jusque-là entraîné de démission de hiérarque, ni remis en cause l’alliance du trône et de l’autel qui unit en Pologne l’Église catholique au parti ultra-conservateur Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015. En campagne pour les élections européennes 2019, son tout-puissant président, Jaroslaw Kaczynski, répétait début mai que “quiconque lève la main contre l’Église lève, par là même, la main contre la Pologne”.
Toutefois, selon Polityka, “le film de Sekielski introduit pour la première fois depuis longtemps une dissonance entre la position de l’épiscopat et celle du PiS. La force émotionnelle du film, poursuit le magazine, s’est avérée être telle que même les principaux évêques, pourtant habitués à minimiser les accusations, se sont cette fois non seulement abstenus de condamner les cinéastes, mais leur ont même adressé des remerciements publics (même si leur sincérité est douteuse).”
Des changements à venir ?
Après ce geste, raconte encore le journal, “Jaroslaw Kaczynski, avançant toujours la thèse de l’attaque sans précédent contre la foi et l’Église, s’est retrouvé grillé et à contre-courant de l’opinion générale, marquée par l’indignation, la condamnation et l’effroi.
“Il s’est donc défendu à sa manière classique, en rejetant les accusations sur les gouvernements précédents et en annonçant un durcissement du Code pénal ainsi qu’une élévation de l’âge minimal du consentement sexuel. Des mesures tout à fait inefficaces devant l’essence du problème qu’est l’omerta montrée dans le film.”
Cette dissonance “n’est-elle qu’un incident ou peut-être le début d’un processus durable ? Aujourd’hui, conclut Polityka, personne ne peut le dire.”
Romain Su
Courrier International
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