La révolution des masses au Soudan, accompagnée des masses en Algérie, vient confirmer que la seule option politique possible, la révolution, ne peut être atteinte que par une action opiniâtre et à long terme pour construire un mouvement de masse par en bas, soit un défrichage et la construction progressive en préalable à l’irruption décisive des masses devant ouvrir la brèche qui finira par abattre le mur des classes dominantes au pouvoir. Cela s’applique à l’Égypte d’aujourd’hui et à beaucoup de pays de la région. La lutte contre le pouvoir répressif ne peut être remise à plus tard, même si l’espace de ce combat est très réduit. Si nous voulons la victoire future d’une lutte de masses, il faut s’y préparer dès maintenant.
Comme lors de la première vague de la révolution égyptienne qui a conduit au renversement de Moubarek, le conseil militaire au Soudan a été contraint d’écarter le dictateur Al Bachir sous la pression massive et imposante des manifestations, des sit-in et des grèves qui se sont répandues comme des feux de paille et ont déjoué les calculs de la classe dominante. Toutes les tentatives de disperser le mouvement de masses se sont heurtées à la détermination et à la conscience croissante des ces dernières et il ne faut pas sous estimer le facteur qu’est leur capacité à l’auto organisation dans de larges contrées du pays.
Le conseil militaire a bien tenté de contenir la l’insurrection montante, en isolant Al Bachir et c’est le général Awad Ben Ouf qui a pris les commandes, (désigné par Al Bachir en février dernier pour être son premier vice Président), mais les révolutionnaires soudanais, armés de l’expérience de la révolution égyptienne et d’autres révolutions de la région, ont refusé de s’arrêter à ce stade. Ben Ouf a été écarté au bout d’une journée sous la pression des masses et Salah Gosh, chef de l’appareil de sécurité et des renseignements, en lien étroit avec les renseignements égyptiens, a démissionné à son tour de son poste.
Les avancées solides et successives des révolutionnaires soudanais ont été largement répercutées dans beaucoup de pays, surtout en Égypte. Beaucoup de réactions reflètent un engouement des opposants égyptiens pour la révolution menée par les masses et un envie impétueuse car c’est maintenant au tour de l’Égypte en fin de compte d’avoir un dictateur militaire qui veut prolonger son mandat ad vitam æternam. Mais certaines de ces réactions étaient teintées de cynisme. Leur contenu laissait à penser que l’hégémonie militaire sanguinaire devait être la conclusion de toute révolution dans la région, comme si l’histoire des révolutions de pouvait que se répéter, sans prendre en compte la spécificité de chaque expérience révolutionnaire et des expériences accumulées les années passées.
La révolution égyptienne a échoué mais elle continue d’offrir son expérience aux révolutionnaires de la région et du monde et plus particulièrement aux masses égyptiennes elles-mêmes qui ont connu le goût amer des défaites sanglantes. Les masses de tous les pays sont toujours en train d’apprendre, des victoires, mais aussi des défaites. Et si la première vague du printemps arabe de 2011 avait suscité un immense espoir pour les masses de la région, cette seconde vague, au Soudan et en Algérie, a rallumé une étincelle d’espoir qui n’est pas moindre que la première, car les avant-gardes de ces masses ont fait l’expérience des révolutions de la première vague, notamment de la révolution égyptienne. L’histoire des révolutions n’est pas celle de défaites, mais d’expériences. Les révolutions commencent là où se sont achevées les précédentes, tout du moins si les conditions permettent les échanges d’expériences et une accumulation au niveau de la conscience et de l’organisation. Les possibilités de victoire sont d’autant plus grandes que l’on peut profiter et développer à partir des expériences des autres peuples.
Les révolutionnaires du Soudan n’ont pas renoncé après le départ d’Al Bachir, de Ben Ouf ou de Gosh. Ils ont poursuivi les sit in et les manifestations pour faire tomber le régime qui était tapi derrière ces derniers. Face aux manœuvres du pouvoir militaire, on a entendu des slogans tels : « Nous sommes le peuple et nous sommes entêtés, ce n’est pas un autre Sissi qui va nous gouverner ». Le refus des Soudanais du rôle de l’Égypte et des pays du Golfe est clair lors des manifestations. Ils ont compris à partir des expériences concrètes vécues dans la région ces dernières années le rôle destructeur et contre révolutionnaire des régimes de l’Égypte, de l’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis. Et ils ont compris aussi que les seuls amis de la révolution étaient les masses opprimées des autres pays. Lors de la visite d’une délégation d’Arabie Saoudite et des Émirats au chef du conseil militaire de transition, Abdelfattah Al Burhan, mardi dernier, et suite au contact entre ce dernier et Sissi le même jour, les manifestants ont scandé des slogans tels « Pas d’ingérence de l’Arabie Saoudite et de EAU par l’intermédiaire de l’Égypte ». Les révolutionnaires du Soudan ont retenu ces leçons de l’expérience égyptienne et ils sont en train d’apprendre encore d’avantage de leur propre expérience.
La révolution soudanaise en cours nous donne des leçons à foison, indispensables pour l’Égypte et les peuples de la région pour le futur. La plus évidente est celle de la direction représentée par l’Association des Professionnels Soudanais. Cette direction n’est pas incarnée par une personne ou un groupe réduit de personnes mais dans une organisation syndicale complète, souterraine, composée de militants insérés organiquement au sein des masses. Ils avaient déjà mené de grands et de petits combats, se sont ancrés dans les masses jour après jour et ont gagné leur confiance, une direction politique de la révolution, de professionnels de la classe ouvrière.
Le Soudan va connaître de nouvelles saisons révolutionnaires, les manœuvres de la contre révolution, les polarisations politiques. L’unité des masses et l’ancrage de la direction seront une condition importante pour la victoire. Le sit-in résolu et héroïque de dizaines de milliers de révolutionnaires devant le siège du commandement général est toujours déterminé à renverser le régime tout entier et à déjouer les tentatives de dispersion, dont la dernière remonte à lundi dernier, perpétrée par les Forces d’Intervention Rapide, dirigées par le général Mohammad Hamdan Daglo, choisi par Abdelfattah Borhan en tant que son chef adjoint ; ces tentatives vont bien sûr se répéter. Et l’arme principale aux mains des révolutionnaires restera alors la grève générale. Le sit-in est une menace permanente qui tord le bras des hommes de Al Bachir, la grève politique générale lui serait un coup porté en pleine face.
Vendredi 19 avril
Socialistes Révolutionnaires (Egypte)