Sophie Badens
LE SEXE SELON MAÏA
La bonne nouvelle de la rentrée sera donc la simplification des savoirs, par une démarche scientifique des plus directes : laisser tomber les capteurs et courbes d’excitation pour poser la question aux principales intéressées – « qu’est-ce qui vous donne du plaisir ? » Mille femmes ont répondu, de tout âge, anonymement (sans craindre donc les regards potentiellement désapprobateurs des sondeurs). L’étude a été publiée dans le Journal of Sex & Marital Therapy [1]. Le plaisir féminin est mystérieux, on nous l’a bien expliqué. Trop de zones érogènes ! Trop de sentiments ! De fait, les différentes combinaisons du physiologique et du psychologique rendent les préférences individuelles si variables qu’on a longtemps jeté l’éponge devant toute théorie unificatrice concernant « ce que veulent les femmes ». A quoi s’ajoutaient d’autres freins : la pudeur a souvent empêché les scientifiques de faire leur travail, et même quand ils se sont attelés à la tâche, leurs propres préjugés ont pu leur faire rater le clitoris. Les femmes sont peut-être compliquées, d’accord… mais étudier le plaisir en laissant de côté l’organe du plaisir, c’était se mettre de sérieux bâtons dans l’éprouvette.
Du côté de la mécanique, c’est le clitoris qui rafle la mise. Moins d’une femme sur cinq atteint l’orgasme par la pénétration seule. Les femmes qui n’ont jamais d’orgasmes, ou rarement, sont deux fois plus nombreuses chez les adeptes du pur rapport vaginal – autant de « frigides » qui seraient sans doute moins réfrigérées en diversifiant leurs pratiques. Pour les trois quarts des femmes interrogées, toucher le clitoris est soit une condition absolue de la jouissance, soit la condition d’une meilleure jouissance (tous les orgasmes ne se valent pas). La toute-puissance du pénis en prend pour son grade, certes, mais il ne s’agit pas de jeter la pénétration par la fenêtre. Plus les zones érogènes stimulées sont nombreuses, mieux ça marche : il faudrait au contraire repenser un rapport au corps moins artificiellement fragmenté, en sortant du discours « tout vaginal » ou « tout clitoridien » (une distinction qui n’a de toute manière aucun sens, puisque les pieds du clitoris enserrent le vagin).
Routine ou surprise
Le clitoris, donc. Mais comment ? Les opinions sont ici moins tranchées : désolée, Messieurs, il n’existe toujours pas de recette magique applicable à toutes les femmes (soyons raisonnables, vous n’allez de toute façon pas coucher avec TOUTES les femmes). Les deux tiers des sondées aiment être caressées directement sur la partie émergée du clitoris, et 45 % à proximité immédiate (à peine 5 % préfèrent que vous évitiez le bouton). Les mouvements préférés sont le frottement de haut en bas (64 % des femmes), circulaires (51 %), de gauche à droite (30 %), mais certaines femmes aiment être tapotées, pressées, tirées, caressées en diagonales, en pulsations ou en larges ovales.
Au niveau du rythme, difficile de rater son approche : si la répétition est appréciée par 82 % des jouisseuses, les trois quarts aiment aussi les changements de mouvements et/ou de vitesse, et 70 % sont adeptes de la guerre des nerfs (faire durer le plaisir en ralentissant ses caresses, en évitant les zones clés ou en prétendant pénétrer le vagin, mais sans y aller). Routine ou surprise, régularité ou sorties de route ? Tout fonctionne.
L’invisibilisation culturelle du clitoris reste d’une stupéfiante actualité
Côté psychologique, une grande tendance ressort : les gentils gagnent à la fin. C’est vrai dans les gestes (à peine une femme sur dix aime les frottements intenses sur le clitoris, la majorité préfère une pression faible ou modérée), c’est également vrai dans l’attitude. Quand on demande aux femmes ce qui améliore leurs orgasmes, la technique se révèle secondaire : la durée du rapport est ainsi mentionnée par moins d’une femme sur cinq (vous pouvez cesser de culpabiliser sur la solidité de vos érections), et la stimulation anale pointe à 10 % d’adeptes.
Les trois quarts des sondées évoquent en revanche la nécessité de rapports moins expéditifs, avec plus de temps passé à construire le désir. 43 % n’aiment pas se sentir pressées. Même demande d’humanité dans la connexion : plus de la moitié plébiscite l’intimité émotionnelle et l’attention que le partenaire porte à leurs préférences. Le même constat émergeait d’ailleurs le mois dernier d’une étude britannique : sur 5 000 personnes interrogées, les problèmes les plus fréquemment affrontés par les femmes étaient, à 84 %, le manque d’intimité, et à 75 % le manque de communication. Le dysfonctionnement sexuel n’atteignait même pas les 2 %.
Aveuglement
Revenons maintenant à notre bien moins mystérieux plaisir féminin : s’il s’agit « seulement » de caresser le clitoris (à peu près n’importe comment) et d’avoir confiance en son partenaire, ça ne demande pas exactement un doctorat en sexe. D’autant moins que les aspects physiques et psychologiques vont de pair ! En effet, dans une culture qui persiste à prétendre que toute femme est par défaut vaginale, révéler qu’on n’est pas cette femme-là reste problématique – la connexion émotionnelle permet de dire les préférences, la confiance permet l’accès au clitoris.
Il faudrait cependant se demander pourquoi nous évoluons toujours, en 2017, dans une construction sexuelle qui fait de la pénétration vaginale l’alpha et l’omega de la sexualité. Les informations s’affinent, mais elles ne sont pas nouvelles. Cela fait des décennies que les recherches montrent que la pénétration purement vaginale laisse sur le carreau l’immense majorité des femmes.
Pourquoi une telle surdité ? Certainement parce qu’on refuse d’entendre. L’école peine à parler de plaisir, les représentations artistiques peinent à le représenter. L’invisibilisation culturelle du clitoris reste d’une stupéfiante actualité. Bien sûr, changer de normes est compliqué. Le statu quo ne heurte aucun sentiment (jusqu’au jour où trop frustrée, la libido féminine part en Ouzbékistan). Il y a des femmes qui ne disent pas ce qu’elles préfèrent, et des hommes qui sont contents de faire comme s’ils tombaient toujours sur des vaginales. Nous simulons à l’échelle civilisationnelle : les femmes simulent l’orgasme vaginal, les hommes simulent la crédulité.
Beaucoup de raisons pourraient expliquer notre aveuglement. J’en citerai trois essentielles. Tout d’abord, nous sommes horriblement paresseux, et/ou nous estimons que la sexualité est un faux sujet (tiens donc). Ensuite, l’efficacité du clitoris rend la pénétration dispensable : notre idéal de fusion sexuelle s’écroule… en entraînant au passage notre idéal de fusion amoureuse (aïe). Enfin, nous refusons de parler du clitoris parce qu’il faudrait alors redéfinir la place du pénis dans l’orgasme – et peut-être au passage, la place des hommes. Combien de temps pourrons-nous refuser d’avoir cette conversation ? C’est peut-être là que se trouve le plus grand des mystères.
Maïa Mazaurette