Peut-être est-il difficile de blâmer les nombreux électeurs arabes qui ont refusé de participer à un scrutin mettant en scène un Benyamin Nétanyahou incitant clairement à la haine antiarabe, un Benny Gantz faisant sienne l’affirmation selon laquelle les partis arabes sont des ennemis de l’État ou encore un Yaïr Lapid auteur du dénigrant “les Zoabis” [du nom de Hanin Zoabi, députée nationaliste arabe].
Mais ma conviction intime me dicte exactement le contraire. C’est précisément à cause de cette incitation à la haine, de cette exclusion et de ce racisme que les Arabes auraient dû se rendre en masse dans les bureaux de vote et faire front. Certes, ce ne sont pas les raisons qui manquent pour expliquer le faible taux de participation de communauté arabe citoyenne d’Israël aux élections législatives de ce printemps 2019 : l’éclatement de la Liste unifiée [arabe], le piètre comportement des élus de cette liste, la destitution du Comité de coordination censé résoudre les problèmes internes du groupe parlementaire arabe sortant, l’incapacité de ses élus à honorer leurs engagements électoraux de 2015, l’autoritarisme du député Ahmad Tibi, etc.
La colère tournée vers des élus pourtant de l’opposition
Mais ce genre de choses se produit dans les meilleures familles et les partis juifs eux-mêmes souffrent de ces querelles intestines propres à toutes les démocraties parlementaires. Quiconque rêve d’un monde parfait n’a qu’à s’en remettre à un régime totalitaire. Là, il n’y aura plus l’embarras du choix et l’on pourra même siéger en uniforme à la Knesset.
L’establishment israélien est parvenu à convaincre l’opinion arabe elle-même que les partis arabes ne se préoccupaient pas de ses problèmes mais uniquement de surenchère “nationaliste”. La conclusion absurde de ce scrutin est donc que la campagne du Likoud menée contre les partis arabes a été prise pour argent comptant par les électeurs arabes eux-mêmes.
Au lieu de faire pression sur l’exécutif israélien, les Arabes préfèrent accuser de tous les maux leurs propres élus, lesquels, à moins de me tromper, siègent dans l’opposition. C’est au même processus que l’on assiste dans les municipalités arabes israéliennes. Le pouvoir israélien pratique une politique discriminatoire à l’encontre des localités arabes mais c’est contre leurs propres maires que les citoyens arabes se déchaînent. À un autre niveau, c’est également ce qui se passe dans les territoires occupés administrés par l’Autorité palestinienne (AP), où Israël contrôle absolument tout mais où la colère est orientée contre les dirigeants de l’AP.
Boycotter les élections est une erreur
À chaque démolition de maison [palestinienne], on entend crier des Arabes qui exigent de savoir où se trouvaient alors leurs députés. Comme si le conducteur du bulldozer israélien était le président du groupe parlementaire arabe à la Knesset. C’est ainsi que j’ai entendu récemment encore quelqu’un affirmer que la faible participation des électeurs arabes était une façon de punir les députés arabes pour ne pas avoir su empêcher l’adoption de la loi faisant d’Israël “l’État-nation du peuple juif”. À ce rythme, le citoyen arabe d’Israël exigera bientôt de ses députés de bien le couvrir la nuit pour qu’il ne prenne pas froid.
Il est faux ou trop facile d’affirmer que le boycott des dernières élections exprime un mouvement de contestation, ce mouvement n’existant tout simplement pas. Quiconque propose de boycotter les élections a le devoir moral de proposer une alternative. Vu l’absence de réflexion sur une telle alternative, il ne s’agit là que d’une réponse purement émotionnelle qui fait fi de la longue et riche expérience acquise jadis par la communauté arabe en matière de contestation pacifique extraparlementaire.
La non-participation aux élections est une voie dangereuse, car elle ne laisse rien d’autre que le désespoir ou l’alignement sur la propagande d’un gouvernement répressif, voire l’adoption d’initiatives aventureuses qui sont un cadeau en or pour l’establishment sécuritaire israélien. Nous devons aussi nous rappeler que, autour de nous, les peuples arabes ont payé au prix fort la revendication de leur droit élémentaire d’élire et d’être élu.
Autocritique
La racine du problème est le piège du seuil électoral, rehaussé en 2015, seuil qui a contraint des formations politiques arabes rivales à s’unir en 2015 dans une Liste unifiée qui s’est avérée une cellule de prison ou, comme en 2019, à présenter des cartels contre nature. Cela a débouché sur le chaos politique et l’aliénation d’une majorité d’électeurs arabes.
Les citoyens arabes israéliens doivent procéder à une autocritique en profondeur et répondre aux deux questions suivantes. Quelle est leur propre part de responsabilité dans leur statut de parias ? Quel rôle sont-ils eux-mêmes prêts à jouer pour sortir de l’impasse ?
Odeh Bisharat
Ha’Aretz
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