Jusqu’en 2005, Diane était une épouse comme les autres au Rwanda. Elle n’avait pas le droit d’hériter, d’ouvrir un compte en banque ni même de travailler sans le consentement de son mari. Elle élevait ses quatre enfants et s’occupait des tâches ménagères. Aujourd’hui, elle est « l’homme de la maison », comme elle le revendique haut et fort.
Dans la pièce exiguë qui lui sert de bureau, à Cyahinda, un village du sud du Rwanda, Diane fait les comptes. Propriétaire d’une parcelle de terre avec son mari, c’est elle qui gère l’exploitation agricole. Depuis 2005, une loi sur la propriété foncière oblige les hommes à partager équitablement leurs terres avec leur épouse. « C’est à peine croyable, s’étonne encore la Rwandaise de 55 ans. Avant, on n’avait aucune importance. Personne n’avait jamais vu le potentiel business en nous. »
Réunir ses forces
Tout a basculé au lendemain du génocide des Tutsi, en 1994, qui a fait au moins 800 000 morts selon l’ONU. Alors que les Rwandaises étaient traditionnellement cantonnées à leur rôle de mère, beaucoup de veuves et de femmes dont les maris étaient emprisonnés se sont vu confier des rôles jusqu’alors réservés aux hommes. Pendant que le pays des « milles collines » se reconstruisait, elles sont entrées petit à petit sur le marché du travail, en particulier dans les campagnes, où vit plus de 70 % de la population. Depuis, encouragées par l’Etat, les femmes d’agriculteurs se rassemblent en coopératives pour réunir leurs forces.
Diane a rejoint il y a trois ans la coopérative agricole de Cyahinda, soutenue par le Programme alimentaire mondial, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, et l’agence ONU Femmes. Sur les 974 membres, 80 % sont des femmes. « L’idée était de passer de l’agriculture de subsistance à la création de profit », explique Alfonsine, la présidente de la coopérative. Les paysans ont reçu des formations pour apprendre à mieux stocker le maïs, dont un tiers était perdu après récolte à chaque saison, et connaître les techniques de marketing pour vendre la farine sur le marché local.
Grâce aux bénéfices, les membres de la coopérative ont investi dans un moulin électrique qui a « boosté » leur productivité. « Moi, j’ai acheté un ballon d’eau ainsi qu’une machine à coudre, qui me permet de fabriquer et vendre des étoffes », témoigne Beata, 48 ans. Cette mère de quatre enfants a pu financer les études supérieures de sa benjamine, et ainsi ouvrir ses perspectives d’avenir. « Dans un petit village très pauvre, nous avons réussi à réduire la pauvreté, devenir autosuffisants et apporter de la valeur ajoutée pour l’ensemble de la communauté, se réjouit la présidente de la coopérative. Et tout cela, fait par des femmes. »
« Vaincre les mentalités »
L’autre volet de la formation consiste à redonner confiance à ces paysannes, souvent analphabètes et peu à l’aise avec les chiffres. Dans une grande pièce qui ressemble à une salle de classe, à Cyahinda, des dessins de camions et de sacs de blé, et des schémas simplifiés de la chaîne de production en kinyarwanda sont affichés au mur. Des femmes de tout âge, parfois les bras lestés d’un bébé, assistent aux cours avec attention. Gestion financière, hygiène, nutrition, « conflits domestiques », contrôle des naissances, tout y est. « Ce projet m’a rendue plus confiante, moins timide », confie Diane. Son mari, Emmanuel, assis à quelques sièges d’elle, fait partie des quelques hommes participant à la formation. « Il y a quelques années, le peu d’argent que je gagnais des récoltes me servait à me saouler. En réalité, quand il y a de l’argent en jeu, il vaut mieux que les femmes s’en occupent », plaisante à peine Emmanuel.
Sur le chemin de l’émancipation des femmes, le Rwanda a donc parcouru du chemin. Le Parlement compte plus de femmes que d’hommes (63,8 %) et de plus en plus occupent des postes clés à Kigali. Les Rwandaises ont aussi gagné plusieurs combats juridiques : pénalisation de la violence, congé maternité, droit à l’avortement… Depuis 1999, une série de lois a par ailleurs renforcé leurs droits sur le plan de l’héritage, du droit foncier et des biens matrimoniaux. Le gouvernement a notamment adopté un texte qui leur accorde les mêmes droits qu’aux hommes, alors que seuls les enfants de sexe masculin pouvaient autrefois hériter.
Reste à vaincre les mentalités. Dans les campagnes, si les « leaders de village » aident à faire respecter les textes, certains hommes font encore de la résistance. Des femmes se voient ainsi refuser, par leur propre famille, l’accès à la propriété foncière ou à l’éducation. « Ils exercent une pression morale sur les femmes, qui ont souvent peu accès à l’information et connaissent mal leurs droits, déplore Louise, membre de la direction de la coopérative. Les hommes jouent sur le statut des femmes au sein de la famille. » Et souvent, elles sont rattrapées par le poids des traditions.
Ghalia Kadiri (District de Nyaruguru (Rwanda), envoyée spéciale)