Le jour où est célébré le Hijab Day [la Journée mondiale du hijab, le 1er février], l’écrivaine égyptienne Dina Anwar a fait paraître son nouveau livre : “Celles qui ont enlevé le voile et le niqab, la révolution silencieuse” [non traduit en français]. Anwar brosse le portrait de cent trente femmes qui ont cessé de se voiler et qui ont subi toutes sortes de brimades et de violences. Sur la photo de couverture, sept femmes jettent leur voile en l’air. Cela a suffi pour enflammer les esprits : hommes de religion et médias égyptiens ont réagi avec une grande virulence.
Parmi d’innombrables réactions, il y en a une qui est particulièrement étrange. C’est celle de la présentatrice Doaa Farouk dans son émission Posez vos questions avec Doaa, diffusée sur la chaîne de télévision [privée égyptienne] An-Nahar. “En enlevant le voile, ces femmes accomplissent-elles quelque chose de glorieux ?” s’est-elle demandé. Doaa, qui est elle-même voilée, a enchaîné les exemples de filles qui ont été en mesure d’“accomplir quelque chose de glorieux” tout en étant voilées. Puis elle s’est moquée violemment du livre et de ces femmes qui “ne cherchent qu’à se dédouaner de leur échec en en rejetant la responsabilité sur le voile”.
Le stigmate social
Cette polémique a enflammé les réseaux sociaux. Beaucoup de femmes non voilées se sont exprimées pour dire à quel point Doaa Farouk méconnaissait les souffrances qu’endurent les Égyptiennes qui décident de ne plus porter le voile. Et notamment les violences familiales, qui vont de l’enfermement à la maison à la tonte forcée des cheveux jusqu’à des sévices corporels. À quoi s’ajoute le stigmate social, surtout parmi les classes sociales moyenne et inférieure.
Curieusement, c’est la même présentatrice qui, dans une autre de ses émissions, avait tenu tête à un homme de religion qui avait déclaré que le maquillage était haram [péché]. Elle avait éclaté en sanglots et défendu bec et ongles son droit au maquillage. Les téléspectatrices l’avaient alors soutenue.
Une autre prise de position quelque peu surprenante par sa virulence a été celle du [télécoraniste] Khaled Al-Guindi sur la chaîne de télévision DMC : “L’acte de ces femmes est inquiétant. Cela revient pour elles à s’exposer à l’accusation d’atteinte indiscutable à la religion et de mépris ouvert envers la société. Cet acte est susceptible de déclencher des actes de violence et peut justifier l’usage de la force à leur encontre”, a-t-il déclaré. Mais Al-Guindi ne s’est pas arrêté en si bon chemin dans ses trouvailles verbales, puisqu’il a également expliqué que le voile n’était “pas seulement un morceau de tissu, mais quelque chose qui s’apparente au drapeau national”.
Repli identitaire
Paradoxalement, en comparant le voile au drapeau national, il montre qu’un certain nombre d’hommes de religion n’ont plus d’arguments théologiques pour défendre ce couvre-chef. Ils recourent donc à des arguties qui portent les germes du repli identitaire, du rejet de l’autre et parfois de l’incitation à l’usage de la violence. Car, explique notre homme :
Celui qui insulte ce symbole insulte les musulmans. Celui-là, les gens vont le tuer et n’en faire qu’une bouchée.”
Le mufti de la République Ali Gomaa a eu aussi son mot à dire. Interrogé par une femme qui voulait savoir si son père avait le droit de l’obliger à porter le voile, précisait qu’elle l’avait porté quand elle était enfant, mais qu’elle n’était plus convaincue de la nécessité de le faire, il lui a répondu : “Le voile distingue la musulmane de la non-musulmane.” Pour lui, il est donc important qu’une musulmane montre sa différence. Mais si la femme en question n’y tient pas, doit-on la forcer ?
Face à cette jeune femme, Ali Gomaa [considéré pourtant comme un modéré] a cité des versets de la sourate du Coran “La Caverne”, qui promettent aux pécheurs “les flammes de l’enfer”. Cette sourate n’a a priori aucun lien avec la question du voile, mais elle a servi à faire naître la peur chez son interlocutrice.
Toutefois, ce ne sont pas tant les considérations religieuses que les réactions de l’environnement social qui préoccupent les femmes. Le voile est devenu un vêtement extrêmement répandu en Égypte, jusques et y compris dans l’éducation publique, parfois dès le primaire. Les journaux égyptiens ont rapporté des dizaines de cas où des enseignants ou des chefs d’établissement ont coupé les cheveux aux filles, devant leurs camarades, parce qu’elles ne les cachaient pas.
Ces punitions ne sont pas menées de manière officielle ni en vertu d’une quelconque loi, mais sous le seul effet des pressions sociales. Reste que personne n’a été sanctionné pour avoir eu recours à de telles méthodes.
Iman Adel
Daraj, “Escalier”, est un nouveau site d’information alternatif né en 2017 à Beyrouth. Son équipe rédactionnelle est composée de journalistes professionnels du Liban et d’autres pays arabes. Par ses rubriques, le site tranche avec les
Iman Adel
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.