Ce Manifeste du réseau ReCommonsEurope a été élaboré par un collectif de chercheuses et chercheurs, de militantes et de militants provenant d’une douzaine de pays d’Europe qui ont souhaité proposer un plan à mettre en œuvre par des forces de gauche populaire qui veulent stimuler un changement social favorable au plus grand nombre et qui arriveraient au gouvernement dans un pays d’Europe avec l’appui du peuple mobilisé. Il s’inscrit dans le cadre du projet « ReCommonsEurope » initié par deux réseaux internationaux, le CADTM et EReNSEP, ainsi que par le syndicat basque ELA afin de contribuer aux débats stratégiques qui traversent la gauche populaire en Europe aujourd’hui. Il a été élaboré au cours de réunions tenues en 2018, et rédigé de manière collective en 2019. Il prolonge notamment l’appel intitulé « Les défis pour la gauche dans la zone euro », texte collectif présenté par plus de 70 co-signataires en février 2017.
Les personnes suivantes ont participé directement à la rédaction de ce manifeste :
Walter Actis (Ecologistas en Accion, État espagnol)
Daniel Albarracin (économiste, Podemos, État espagnol)
Jeanne Chevalier (France insoumise, France)
Pablo Cotarelo (EReNSEP, État espagnol)
Alexis Cukier (philosophe, Ensemble !, EReNSEP, France)
Sergi Cutillas (économiste, EReNSEP, CADTM, Catalogne – État espagnol)
Yayo Herrero (anthropologue, écoféministe, État espagnol)
Stathis Kouvélakis (philisophe, EReNSEP, Grèce et Royaume-Uni)
Janire Landaluze (syndicaliste, syndicat ELA, Pays basque – État espagnol)
Costas Lapavitsas (économiste, EReNSEP, Royaume-Uni)
Nathan Legrand (CADTM, Belgique)
Mikel Noval (syndicaliste, syndicat ELA, Pays basque – État espagnol)
Tijana Okic (philosophe, militante politique, Bosnie-Herzégovine)
Catherine Samary (économiste, ATTAC France, NPA, France)
Patrick Saurin (CADTM, France)
Éric Toussaint (politologue, économiste, CADTM, Belgique)
Ont coordonné la rédaction finale : Alexis Cukier, Nathan Legrand et Éric Toussaint
Traduction de l’anglais vers le français : Vicki Briault (CADTM), Alexis Cukier (EReNSEP), Nathan Legrand (CADTM), Virginie de Romanet (CADTM) et Christine Pagnoulle (CADTM).
Mise en page : Tina D’angelantonio (CADTM)
Table des matières : |
Avant-propos
Introduction
Chapitre 1 - Les premières mesures d’un gouvernement populaire
Chapitre 2 - Banques
Chapitre 3 - Dette
Chapitre 4 - Travail, emploi et droits sociaux
Chapitre 5 - Écosocialisme et transition énergétique
Chapitre 6 - Féminisme
Chapitre 7 - Santé et éducation
Chapitre 8 - Politiques internationales
Chapitre 9 - Luttes sociales, confrontations politiques et processus constituants
Avant-propos |
Ce Manifeste du réseau ReCommonsEurope a été élaboré par un collectif de chercheuses et chercheurs, de militantes et de militants provenant d’une douzaine de pays d’Europe qui ont souhaité proposer un plan à mettre en œuvre par des forces de gauche populaire qui veulent stimuler un changement social favorable au plus grand nombre et qui arriveraient au gouvernement dans un pays d’Europe avec l’appui du peuple mobilisé. Il s’inscrit dans le cadre du projet « ReCommonsEurope » initié par deux réseaux internationaux, le CADTM et EReNSEP, ainsi que par le syndicat basque ELA afin de contribuer aux débats stratégiques qui traversent la gauche populaire en Europe aujourd’hui. Il a été élaboré au cours de réunions tenues en 2018, et rédigé de manière collective en 2019. Il prolonge notamment l’appel intitulé « Les défis pour la gauche dans la zone euro », texte collectif présenté par plus de 70 co-signataires en février 2017.
Un programme qu’un gouvernement de gauche populaire devrait mettre en œuvre pour apporter des réponses immédiates à l’urgence sociale et écologique
Nous avons rédigé une proposition cohérente concernant les engagements, les initiatives et les mesures que devraient prendre les forces de gauche populaire. Ce manifeste à vocation pratique, propose un programme qu’un gouvernement de gauche populaire devrait mettre en œuvre lors de la première année de son mandat, pour apporter des réponses immédiates à l’urgence sociale et écologique, et vaincre les résistances que les forces conservatrices et les institutions qui les représentent ne manqueront pas de lui opposer. Les propositions portent sur les principaux problèmes auxquels un gouvernement populaire devra faire face de manière urgente dès son arrivée au pouvoir. La Manifeste s’adresse également aux mouvements sociaux (syndicaux, associatifs, citoyens) qui luttent aux niveaux local, national et international pour les droits humains fondamentaux et l’égalité de toutes et tous, pour l’émancipation sociale et la démocratie, et contre la destruction des écosystèmes. Le programme inclut également des objectifs à moyen et à long termes qui pourraient être partagés et assumés entre les organisations politiques et les mouvements sociaux de la gauche populaire.
Notre objectif est de soumettre ces analyses et propositions à la discussion de la gauche sociale et politique et de l’ensemble des militant-e-s et des citoyen-ne-s en Europe qui sont convaincus qu’il faut prendre un virage radical si l’on veut répondre aux grands défis de l’heure. L’Europe traverse une crise majeure et prolongée. L’Union européenne continue de se construire de manière anti-démocratique et au service des plus riches. De manière répétée les secteurs populaires manifestent dans les rues et dans les urnes leur rejet des politiques appliquées depuis des décennies par les gouvernements – et le plus souvent coordonnées et soutenues par les institutions européennes –, ainsi que leur volonté d’un changement radical. Ces dernières années, plusieurs occasions ont été manquées, notamment en 2015 en Grèce.
La crise climatique, les violentes politiques d’austérité, le danger représenté par une extrême droite raciste et xénophobe ne rendent que plus urgente la définition d’une stratégie associant auto-organisation populaire, mouvements sociaux et organisations politiques, afin de mettre la politique au service du plus grand nombre.
Introduction |
Depuis dix ans, la colère populaire ne cesse de s’exprimer en Europe contre les politiques au service des plus riches et des grandes entreprises, discriminatoires et anti-démocratiques mises en œuvre par les gouvernements nationaux et souvent coordonnées par l’Union européenne (UE). Elle a pris la forme d’initiatives syndicales mais aussi de nouveaux mouvements tels que « 15-M » en Espagne (aussi appelé mouvement des « indignés » à l’étranger), l’occupation des places en Grèce et les manifestations massives au Portugal en 2011, les mouvements contre la « loi travail » en France et contre la taxe sur l’eau en Irlande en 2016, les grandes manifestations pour l’autonomie et contre la répression politique en Catalogne en 2017. Les luttes féministes ont donné lieu à des mobilisations historiques en Pologne (« Czarny Protest » contre la loi anti-IVG en 2017), en Italie (mouvement « Non Una di Meno » depuis 2016), en Espagne (grève générale féministe de 5 millions de personnes le 8 mars 2018), ainsi qu’à une victoire contre l’influence politique de l’Église catholique en Irlande avec la légalisation de l’avortement par référendum en mai 2018, et sont enfin en train d’imposer leur centralité dans toutes les luttes sociales. L’année 2018 a encore vu émerger des mobilisations sociales nouvelles contre l’ordre économique et politique dominant, avec par exemple le mouvement contre « la loi de l’esclavage » (réforme néolibérale du droit du travail) en Hongrie, la manifestation et le développement du mouvement antiraciste « Indivisible » en Allemagne, et en France et Belgique francophone le mouvement des Gilets jaunes, qui s’oppose notamment aux politiques fiscales injustes et à l’absence de démocratie dans les institutions politiques. Sans oublier les manifestations écologistes pour le climat, portées notamment par la jeunesse qui se met en grève dans de nombreux pays comme en Suède, au Danemark, en Suisse, en Belgique, en France, ou encore en Grande-Bretagne. Tous ces mouvements sociaux, et d’autres encore, ont contesté l’orientation austéritaire et autoritaire des politiques menées en Europe, en posant, directement ou indirectement, la question d’un projet de société radicalement alternatif au capitalisme, au productivisme, au saccage écologique, au racisme et au patriarcat. Ce Manifeste s’inscrit au sein de ces mouvements et partage leurs objectifs : la lutte contre toutes les dominations, pour les droits de toutes et tous, pour l’égalité et pour une démocratie à inventer, qui ne s’arrêterait pas aux portes des entreprises et des quartiers populaires, et qui serait nécessairement profondément contradictoire avec la logique capitaliste (qu’elle se prétende « protectionniste » et donc contre les « étrangers », ou bien « libérale ») qui détruit les droits sociaux et l’environnement.
Ces mouvements sociaux sont indissociables des urgences sociale, écologique, démocratique, féministe et de solidarité
Ces mouvements sociaux sont indissociables des urgences sociale, écologique, démocratique, féministe et de solidarité. Urgence sociale parce que les conditions de vie et de travail des classes populaires en Europe n’ont cessé de se dégrader ces trente dernières années, et notamment depuis la crise qui a touché le continent à partir de 2008-2009. Urgence écologique parce que la consommation exponentielle d’énergies fossiles, et plus généralement la destruction des écosystèmes, nécessaires pour le capitalisme, rapprochent sans cesse le changement climatique planétaire (dont les effets sont désormais tout à fait visibles) d’un point de non-retour et menacent l’existence même de l’humanité. Urgence démocratique parce que, face aux défis qui se sont posés aux classes dominantes au cours des trente dernières années, celles-ci n’ont pas hésité à adopter des méthodes de domination de moins en moins soucieuses des apparences démocratiques et de plus en plus coercitives. Urgence féministe car l’oppression patriarcale sous ses différentes formes provoque de plus en plus de réactions massives de rejet clamées haut et fort par des millions de femmes et d’hommes. Urgence de solidarité, enfin, parce que la fermeture des frontières et l’érection de murs apportées en réponses aux millions de migrant-e-s à travers le monde, qui fuient la guerre, la misère, les désastres environnementaux ou les régimes autoritaires, ne constituent rien d’autre qu’un déni d’humanité. Chacune de ces urgences conduit, en réaction, à des mobilisations de désobéissance, d’auto-organisation et de construction d’alternatives, qui constituent autant de foyers possibles d’alternatives démocratiques en Europe.
Dans ce Manifeste, notre réflexion et notre volonté d’action s’ancrent sur ces mobilisations à l’échelle européenne, sans toutefois s’enfermer dans les frontières et institutions existantes : tous les enjeux et droits évoqués sont devenus planétaires. Ils se déclinent dans chaque pays et continent, avec leurs spécificités et histoires propres. Les attaques sociales sont articulées du local au global du fait des stratégies des firmes multinationales et de leurs groupes d’intérêts au sein des États et institutions de la mondialisation capitaliste, en s’appuyant sur les normes d’un prétendu « libre échange ». C’est en réalité une telle logique qui préside à « l’intérêt général » que la Commission européenne prétend défendre au sein de l’UE, ou aux « partenariats » profondément inégaux que l’UE développe avec les pays au Sud et à l’Est de l’espace européen.
Cet accroissement des inégalités est lié aux politiques européennes concernant l’emploi, visant la destruction des protections salariales et le précariat généralisé
Les institutions européennes contribuent à organiser et coordonnent les politiques néolibérales au niveau international, incitent et parfois contraignent les gouvernements nationaux à accélérer dans chaque pays les processus de baisse des salaires et des pensions, de démantèlement du droit du travail et des droits sociaux, de privatisation des services publics, etc. Bien sûr, les politiques néolibérales ne sont pas dictées par les seules institutions européennes – les pays qui ne font pas partie de l’UE les appliquent également – mais les traités et les institutions constituent un puissant instrument pour les encourager et les imposer. Quelles que soient les interprétations diverses que l’on peut avoir des phases passées de la « construction européenne », il est manifeste que l’UE a toujours été un ensemble d’institutions pro-capitalistes, et s’est construite depuis le Traité de Rome comme un grand marché des capitaux et de la « concurrence libre et non faussée », à l’abri de l’intervention populaire et démocratique. Mais les évolutions récentes ont radicalisé ce caractère inégalitaire et autoritaire des politiques européennes.
La dernière période est marquée d’une part par l’accroissement considérable des inégalités économiques et sociales, au sein de chaque pays ainsi qu’entre le centre et les périphéries internes et externes (du Sud et de l’Est) de l’UE ; et d’autre part par le caractère de plus en plus dangereux que revêt la crise écologique – le dérèglement climatique et les catastrophes dites naturelles, induites par la destruction des écosystèmes, étant désormais observables de façon forte et continue.
Cet accroissement des inégalités est directement lié aux politiques européennes concernant l’emploi, visant la destruction des protections salariales et le précariat généralisé ; la finance, visant à mettre les banques et les grandes entreprises à l’abri de l’impôt et de toute forme de régulation un tant soit peu sérieuse ; mais aussi la monnaie, c’est-à-dire touchant à l’architecture même de l’Union économique et monétaire (UEM) ainsi qu’aux initiatives spécifiques conduites par la BCE et l’Eurogroupe informel à l’œuvre dans les pseudo-négociations avec la Grèce.
D’un côté, l’impossibilité de dévaluer la monnaie, conséquence directe de la monnaie unique, participe au creusement des disparités continentales, à la précarisation des conditions du travail, au chômage (notamment chez les jeunes) et à l’émigration des populations des zones périphériques du continent vers ses zones centrales, en particulier des jeunes diplômés à la recherche d’un emploi. Tout en camouflant les responsabilités des classes dominantes aux niveaux nationaux, les règles de la zone euro poussent les gouvernements à baisser systématiquement les salaires, particulièrement dans les pays des périphéries, tandis que les économies du Centre se font concurrence sur le dos de leurs propres populations de plus en plus précarisées (telles que les 7 millions de salariés payés 400 euros mensuels en Allemagne) en menaçant de délocaliser les emplois et en exploitant cette main-d’œuvre périphérique en vue de continuer de gagner des parts de marché à l’extérieur.
D’un autre côté, ces inégalités ont été renforcées par le recours systématique de la BCE et de la Banque d’Angleterre à une politique d’inondation des marchés par des centaines de milliards d’euros de liquidité (quantitative easing) pour sauver les banques européennes, au détriment des conditions de vie des peuples, particulièrement dans les périphéries. L’UEM, au cœur de la construction européenne, a fonctionné depuis la crise de 2007-2008 comme un instrument d’exploitation économique des travailleuses et des travailleurs, de polarisation sociale entre les peuples et de domination politique de certains États sur d’autres. Les pays non membres de la zone euro mais faisant partie de l’UE sont eux-mêmes poussés à diminuer les coûts salariaux, à faire du dumping fiscal et à précariser les contrats de travail afin de rester compétitifs par rapport aux poids lourds de la zone euro comme l’Allemagne, la France et le Benelux. La Grande-Bretagne, qui est en train de négocier sa sortie de l’UE, est elle-même un exemple de précarisation du travail, notamment du fait de ses centaines de milliers de contrats « zéro heure ».
Les institutions de l’UE et les gouvernements de ses États membres préfèrent sauvegarder l’existence du capitalisme plutôt que celle de l’humanité
Dans le même temps, alors qu’existe désormais un consensus clair quant à l’ampleur de la crise écologique en cours, les institutions de l’UE et les gouvernements de ses États membres (comme les gouvernements des autres principaux États responsables du réchauffement climatique et de la destruction des écosystèmes du fait de leurs politiques favorables aux grandes entreprises polluantes) n’en tirent aucune conséquence quant à la nécessaire transition vers des économies décarbonées et à la transformation du mode de production que celle-ci implique. Ces institutions préfèrent sauvegarder l’existence du capitalisme plutôt que celle de l’humanité, mettant ainsi en péril la vie même des jeunes et des futures générations.
La réponse de la plupart des gouvernements face aux mouvements croissants de contestation consiste à augmenter le niveau de la répression étatique : les opposants sociaux et politiques sont menacés en Grèce, les lois liberticides se succèdent et les violences policières se multiplient en France et en Belgique, des militant-e-s des mouvements d’accueil et de solidarité avec les migrant-e-s sont criminalisé-e-s, etc. Les forces d’extrême-droite, xénophobes et autoritaires, progressent de manière importante au point de participer désormais à des gouvernements européens (par exemple en Italie), ou bien de configurer l’agenda politique des gouvernements de « l’extrême-centre » (par exemple en France). Les institutions européennes, quant à elles, n’ont jamais aussi activement protégé les intérêts capitalistes et ne se sont jamais autant barricadé contre toute intervention de la volonté populaire et du choix démocratique que ces dernières années. En Grèce, elles ont répondu par une politique d’asphyxie monétaire (assèchement des liquidités de l’État) à la victoire électorale de Syriza en janvier 2015 puis, après la victoire du « NON » au référendum de juillet 2015, elles ont poursuivi des négociations à huis clos avec ce même gouvernement en vue de neutraliser la volonté populaire et de lui imposer, avec le concours du gouvernement grec, un troisième mémorandum austéritaire. Avec les accords sur les politiques migratoires signés entre l’UE et des pays tiers, tels que l’accord avec la Turquie d’avril 2016, ces institutions ont ajouté à l’injustice du règlement Dublin III et à la violence de Frontex (l’agence de répression des migrant-e-s aux frontières de l’UE), la violation systématique du droit international, notamment du droit d’asile, et le financement direct d’une politique répressive externalisée à des pays tiers. Aujourd’hui, les projets dominants pour la « réforme » de l’UE sont militaristes (augmentation du budget de l’Euroforce), anti-démocratiques (caractère automatique du contrôle européen des budgets nationaux), et encore plus néolibéraux (projets de privatisation généralisée des services publics). Plus que jamais, comme l’a affirmé en 2015 le président de la Commission européenne de l’époque, Jean-Claude Juncker, du point de vue des institutions européennes, « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».
Il est nécessaire et possible de s’opposer aux forces et politiques inégalitaires et réactionnaires au niveau national, européen et international
Face à cette construction pro-capitaliste, anti-démocratique et xénophobe qu’est l’UE, que faire ? Une réforme par voie électorale au niveau européen ne constitue pas une option réaliste. Une (très) hypothétique majorité d’une coalition de gauche populaire au Parlement européen ne suffirait pas à imposer une modification des principaux traités et un contrôle démocratique de la Commission européenne et de la BCE, qui sont les deux principales machines de guerre du néolibéralisme en Europe. Le Parlement, en effet, ne possède pas les prérogatives nécessaires pour de telles réformes, et la BCE, la Commission européenne mais aussi la CJCE et les diverses agences européennes se sont absolument autonomisées de la souveraineté populaire. Et une élection simultanée dans la quasi-totalité des États membres de gouvernements voulant réformer l’UE semble également illusoire, ne serait-ce que pour des questions de temporalité différente des cycles électoraux. L’Union européenne constitue aujourd’hui non seulement l’une des avant-gardes mondiales du néolibéralisme mais aussi un ensemble d’institutions irréformable, c’est pourquoi une gauche de transformation sociale ne peut plus être crédible et réaliste sans mettre au cœur de sa stratégie la rupture avec les traités et les institutions de l’Union européenne.
Mais quelles formes devrait prendre cette rupture ? Nous savons déjà qu’elle ne peut consister en des négociations cherchant le consensus sans rapport de force avec les institutions européennes, comme l’a montré clairement l’expérience du premier gouvernement de Syriza en 2015. Nous savons aussi que des ruptures politiques doivent nécessairement s’appuyer sur des mobilisations sociales de grande ampleur. De telles mobilisations ont cruellement fait défaut en Grèce début 2015, et elles auraient pu permettre d’orienter la campagne pour le Brexit dans un sens différent de celui, nationaliste et xénophobe, qui a malheureusement prévalu en Grande-Bretagne en 2016. Autrement dit, la rupture avec les traités et les institutions de l’Union européenne devra être conflictuelle, démocratique et internationaliste. Ce Manifeste défend qu’il est nécessaire et possible de s’opposer en même temps aux forces et politiques inégalitaires et réactionnaires (qui se présentent sous des étiquettes tant libérales que protectionnistes) au niveau national, européen et international, en s’appuyant à la fois sur l’initiative des citoyen-ne-s et des mouvements sociaux organisés et sur l’action d’un gouvernement populaire défenseur de droits pour tou-te-s.
Les chapitres de ce Manifeste sont conçus comme des propositions à débattre
Encore faut-il que ce qu’on appelle en Europe la « gauche populaire » se hisse enfin à la hauteur de la situation. À ce jour, l’ensemble de ses composantes manque cruellement de clarté et de courage dans son rapport aux institutions européennes, de radicalité et d’ambition dans les propositions politiques qu’elle défend, et d’ancrage populaire du fait de sa déconnexion des mouvements sociaux qui, d’en bas, défient l’ordre existant. Il est temps de mettre en discussion, aux différents échelons locaux, nationaux et internationaux, des mesures et des initiatives réalistes et radicales dont la mise en œuvre permettrait vraiment de répondre aux besoins sociaux et de garantir les droits fondamentaux des hommes et des femmes résidant en Europe ou souhaitant s’y installer, d’améliorer leurs conditions de vie et de travail, de conquérir du pouvoir démocratique et d’amorcer le dépassement du capitalisme et engageant la transition écologique.
Les chapitres de ce Manifeste sont conçus comme des propositions à débattre, issues d’une réflexion tournée vers des actions immédiates et de plus long terme. Ils s’adressent aux citoyen-ne-s et militant-e-s, de la gauche sociale, syndicale et politique des divers pays membres ou dans l’orbite de l’UE, en soumettant à la discussion des diagnostics et des propositions que les mouvements sociaux et les forces de gauche prétendant constituer un gouvernement populaire pourraient défendre de concert.
Le chapitre 1 soumet à la discussion des principes, des stratégies et des outils pour réaliser ces objectifs et mettre en œuvre ces propositions. Il propose de répondre à cette question : que devrait faire un gouvernement populaire dans les premiers jours et les premiers mois de son activité ? Ce chapitre présente des mesures qu’un gouvernement populaire dans un pays membre de l’UE devrait mettre en œuvre de manière immédiate (dès les premières heures de sa prise de fonction) et unilatérale – c’est-à-dire en ne respectant par les traités européens et en entrant en conflit avec les institutions européennes –, telles que la hausse immédiate des salaires et la taxation du capital, le moratoire sur les intérêts de la dette publique, le contrôle des mouvements de capitaux (afin d’empêcher leur fuite organisée par les capitalistes), la socialisation des banques et la reprise du contrôle public sur la monnaie, etc., autant de dispositions sans lesquelles aucune forme de politique progressiste n’est possible. Comme les chapitres suivants, il distingue et énumère les mesures immédiates, de moyen terme et de plus long terme, à prendre au niveau national et international.
Les chapitres suivants sont porteurs de propositions concernant :
- la dette publique, dont il faut abolir la part illégitime, illégale, odieuse et insoutenable (chapitre 2) ;
- les banques, qu’il faut socialiser dans le cadre d’un service public bancaire mettant l’argent au service des besoins fondamentaux et non de l’accumulation de profit (chapitre 3) ;
- l’emploi et les droits sociaux, qu’il faut développer et réinventer pour améliorer les conditions de vie et conquérir un pouvoir démocratique sur les moyens et les fins du travail (chapitre 4) ;
- la transition énergétique et écologique, qu’il est urgent de mettre en œuvre pour faire cesser la destruction des écosystèmes et inventer de nouvelles formes de vie durables (chapitre 5) ;
- les luttes féministes, qui doivent être au cœur d’un projet radicalement démocratique et transversales à toutes les luttes sociales et politiques (chapitre 6) ;
- l’éducation et la santé, qui doivent être défendues à titre de droits fondamentaux, développés et étendus à toutes et tous à titre de services publics, contre leur marchandisation et leur dégradation en cours (chapitre 7) ;
- la politique internationale et les migrations, qui doivent viser concrètement la réalisation des droits fondamentaux de toutes et tous, la paix et la solidarité entre les peuples (chapitre 8).
Le chapitre 9 propose, à l’instar du premier chapitre, des principes, des stratégies et des outils visant à atteindre les objectifs présentés. Il propose de répondre à cette question : que faire face à l’hostilité et aux contraintes des institutions européennes ? Il présente une démarche de désobéissance (à tous les niveaux territoriaux), de confrontation (incluant des outils défensifs et offensifs), de rupture (sous diverses formes possibles). Cette démarche ne propose pas des réponses figées à l’avance, mais des principes d’orientation qui partent des objectifs défendus et de la prise en compte des logiques auxquelles nous nous confrontons. Ce chapitre soulève l’enjeu de la reconstruction d’alliances et de processus constituants en vue d’instituer des formes de coopération internationale démocratiques, alternatives à celles de l’UE.
La souveraineté populaire ne se construira qu’en créant, sur la base de l’auto-organisation, de nouvelles institutions démocratiques
Notre camp doit refuser aussi bien les projets irréalistes de réforme institutionnelle des institutions européennes, qui ne font au final que renforcer le statu quo, que les projets de repli national, qui n’aboutissent qu’à renforcer le capitalisme domestique. Une force de gauche qui prétend constituer un gouvernement populaire et engager les changements sociaux prioritaires doit s’engager à désobéir aux institutions européennes, rompre avec son fonctionnement normal, se défendre des attaques et représailles qui proviendront des institutions européennes et du grand capital, comme des tentatives de blocages de la part des institutions nationales acquises à l’ordre existant, et œuvrer à de nouvelles alliances internationales avec des acteurs dans et en dehors de l’actuelle UE, en vue de créer de nouvelles formes de coopération et de solidarité. La souveraineté populaire ne peut se construire qu’en s’attaquant aux formes actuelles des institutions politiques, au niveau national, européen, comme international, et en créant, sur la base de l’auto-organisation, de nouvelles institutions démocratiques. Pour cela, il est nécessaire à la fois de convaincre de la nécessité d’une rupture politique avec les institutions nationales, européennes et internationales porteuses des politiques que nous combattons, et de consolider les liens entre les réseaux et les résistances, et entre toutes les composantes politiques, associatives, syndicales qui partagent des objectifs de changements progressistes et radicaux, notamment pour peser au plan européen. Dans l’immédiat, l’urgence est de renforcer et de coordonner les initiatives de désobéissance, de rupture et d’auto-organisation existantes, et d’en initier de nouvelles, en leur donnant systématiquement une dimension internationale, et en les orientant clairement contre les institutions de l’UE et pour de nouvelles formes de solidarité entre les peuples.
En faisant ces propositions de désobéissance et de rupture avec les institutions européennes, il ne s’agit donc pas de chercher une issue nationaliste à la crise et à la protestation sociale. Tout autant que par le passé, il est nécessaire d’adopter une stratégie internationaliste et de prôner une fédération européenne des peuples opposée à la poursuite de la forme actuelle d’intégration totalement dominée par les intérêts du grand capital. Il s’agit également de chercher constamment à développer des campagnes et des actions coordonnées au niveau continental (et au-delà) dans les domaines de la dette, de l’écologie, du droit au logement, de l’accueil des migrant-e-s et des réfugié-e-s, de la santé publique, de l’éducation publique et des autres services publics, du droit au travail, dans la lutte pour la fermeture des centrales nucléaires, dans la réduction radicale du recours aux énergies fossiles, dans la lutte contre le dumping fiscal et les paradis fiscaux, dans le combat pour la socialisation des banques, des assurances et du secteur de l’énergie, dans la réappropriation des communs, dans l’action contre l’évolution de plus en plus autoritaire des gouvernements et pour la démocratie dans tous secteurs de la vie sociale, dans la lutte pour la défense et l’extension des droits des femmes et des LGBTI, dans la promotion des biens et des services publics, dans le lancement de processus constituants.
Objectera-t-on que cette voie révolutionnaire est trop radicale ou trop difficile ? Nous répondons que les autres voies sont des impasses, et que celle-ci est la seule qui permette d’engager une rupture avec l’ordre existant, dès maintenant et partout où c’est possible, pour reconstruire des espaces locaux, régionaux, nationaux, internationaux, et au-delà un monde, qui soient vivables, justes et démocratiques.
Chapitre 1 - Les premières mesures d’un gouvernement populaire |
I. DIAGNOSTIC
Les grandes entreprises et les grandes banques, armés de lobbyistes, fixent l’agenda politique aux niveaux à la fois national et supranational
Dans leurs grandes lignes, le contenu et les conséquences des politiques néolibérales de l’Union européenne ont été similaires dans tous les pays membres. Les grandes entreprises et les grandes banques, au moyen notamment d’une armée de lobbyistes, fixent l’agenda politique aux niveaux à la fois national et supranational. Le déclin corrélatif de la démocratie ainsi que la perte de souveraineté populaire en Europe reflètent un tournant historique en faveur du capital et au détriment du travail. Pour les travailleurs, ce tournant a eu pour conséquence une énorme augmentation de l’insécurité concernant l’emploi, le revenu, les soins médicaux, les retraites et allocations, etc. Pour les capitalistes, il a pris la forme d’une appropriation vorace des richesses de chaque pays, conduisant à des niveaux d’inégalité sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. Les politiques de l’UE pour faire face à la crise de la zone euro ont contribué plus encore à favoriser le capital et à détériorer les conditions de vie des travailleurs. Elles ont renforcé le chômage de masse, particulièrement des jeunes et dans les pays de la périphérie de l’Europe, comprimé les salaires, généré un manque d’investissements et de services publics. Elles ont également augmenté de manière dramatique la prédominance économique et la domination politique du centre de l’Europe sur les périphéries du Sud et de l’Est de l’Europe. [1]
Face à cette impitoyable réalité, il est tout d’abord nécessaire pour la gauche populaire de s’attaquer à la croyance selon laquelle l’Union européenne (UE) pourrait être réformée de manière radicale de l’intérieur, c’est-à-dire en respectant les traités, en suivant les canaux et les procédures de décision des institutions européennes.
La machinerie de l’UE et l’autorité de la Cours de justice de l’Union Européenne s’assurent que les traités continuent d’être interprétés en faveur du maintien du néolibéralisme. De même qu’il n’y a pas de normalité dans la politique de l’UE, de même il ne peut y avoir de procédure normale pour contester le contour des institutions européennes. L’UE est une grande machine transnationale conçue pour le néolibéralisme et qui ne se meut que de manière hiérarchique. C’est une alliance hiérarchisée d’Etats-nations qui ont créé le cadre institutionnel d’un marché unique promouvant de manière implacable le néolibéralisme.
Dès lors, le principal problème est de savoir ce que devrait faire une force politique populaire qui accèderait au gouvernement et constaterait qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre des mesures progressistes sans une forte réaction négative de l’appareil économique de l’UE. Dans notre perspective, la souveraineté populaire et l’internationalisme sont non seulement compatibles mais encore se conditionnent l’une l’autre. Il est donc nécessaire de défendre une feuille de route politique combinant des mesures politiques populaires au niveau national et une approche internationaliste de la politique. Cette feuille de route politique consiste à mettre en œuvre les mesures nécessaires pour rompre de manière unilatérale avec l’austérité, et donc à désobéir aux traités et aux pactes néolibéraux, tout en construisant un cadre alternatif de coopération avec les autres pays (qu’ils soient membres ou non de l’UE) permettant de développer un nouvel espace économique de solidarité en Europe.
A cette fin, un agenda radical de mesures démocratiques, sociales et économiques doit être mis en avant. La protection et l’extension du droit du travail, la création d’emplois et l’extension des droits sociaux et des services publics requièrent une économie politique incompatible avec les traités de l’UE. La gauche populaire doit faire de nouvelles propositions politiques capables de faire pencher la balance du pouvoir en faveur des travailleurs, de renforcer la démocratie, de récupérer de la souveraineté, et de promouvoir une perspective socialiste réaliste pour l’Europe. Pour que cela puisse devenir une réalité politique, cependant, la gauche populaire doit renouer avec son radicalisme historique, rejeter les mécanismes de l’Union économique et monétaire et de l’UE, et accepter les conséquences de sa politique de désobéissance. C’est sur cette base qu’elle pourrait, en pratique, défendre les droits des citoyens et des migrant-e-s, particulièrement des classes populaires.
II. PROPOSITIONS
Que devrait faire, alors, la gauche populaire européenne ? [2] La leçon de l’expérience de Syriza est primordiale à cet égard. Si la gauche prétend mettre en œuvre des politiques radicales et anticapitalistes et se confronter effectivement à la machine néolibérale de l’UE, elle doit être préparée à la rupture. Il doit y avoir un bouleversement, un renversement des conditions politiques existantes, pour que les choses changent en Europe. Il doit y avoir une rupture avec les structures de pouvoir nationales qui ont un intérêt direct dans l’état actuel des choses. Et il doit y avoir une rupture avec les institutions transnationales de l’UE qui soutiennent cet ordre dominant.
En ce qui concerne la politique économique et sociale d’un gouvernement populaire, la priorité est de mettre en œuvre, au niveau national, un programme de mesures permettant de défier le pouvoir du capital. Dans chaque pays, il faut bien sûr adapter le programme en fonction des besoins spécifiques, mais les éléments principaux sont valables pour tous les pays. A court terme, ces principaux éléments consistent à en finir avec l’austérité, à rétablir et étendre le droit du travail et les droits sociaux, à initier la redistribution des revenus et des richesses ainsi qu’un programme d’investissement public afin de satisfaire les besoins immédiats et fondamentaux ainsi que les aspirations des travailleurs et des pauvres.
Que devrait faire la gauche populaire si elle accédait au gouvernement dans un pays en Europe ?
Les mesures immédiates :
La priorité est d’en finir avec l’austérité. La politique fiscale et monétaire doit être conçue pour relancer la demande intérieure avec l’objectif de réduire le chômage et d’augmenter les revenus. Dans une grande économie telle que celle de l’UE, les sources de la demande doivent être cherchées en priorité à l’intérieur. Cela vaut pour les pays du centre comme pour ceux des périphéries, mais aussi pour le pouvoir hégémonique. L’Allemagne doit en finir avec le néo-mercantilisme en se concentrant sur son économie intérieure.
La stimulation de la demande intérieure doit nécessairement inclure la redistribution des revenus et des richesses en le transférant depuis le capital vers le travail. Il faut s’attaquer aux inégalités de manière urgente en Europe, à la fois dans le centre et dans les périphéries. Dans plusieurs pays membres de l’UE, il est tout à fait sensé, d’un point de vue économique, d’augmenter les salaires afin de soutenir la demande globale. Il est également sensé d’augmenter la charge fiscale des entreprises et des riches, y compris en ce qui concerne leurs richesses. La restauration des droits des travailleurs et des travailleuses, et la protection de l’emploi, de même que le renforcement de l’Etat social au moyen d’allocations et d’investissements dans les domaines de la santé, du logement et de l’éducation notamment constitue une dimension à part entière de la réduction des inégalités. Il n’y a rien d’infaisable dans de telles politiques au sein de l’Europe. Il s’agit d’une question de choix politiques et sociaux reflétant la balance du pouvoir entre le travail et le capital.
On peut diviser les mesures nécessaires en une partie sociale et une partie économique. Concernant le droits sociaux, un gouvernement populaire devrait immédiatement :
- augmenter le salaire minimum et les droits de retraite ;
- étendre les services publics universels et gratuits dans le domaine de la santé, de l’éducation, du soin des enfants et des personnes âgées, des transports collectifs, ainsi que du logement au moyen de logements sociaux ;
- créer des emplois de grande qualité à cette fin, et initier un processus de transition écologique, incluant pour tous les logements un plan d’isolation et de rénovation ainsi que la réquisition des logements vacants ;
- mettre en œuvre, par voie législative, une réduction conséquente du temps de travail ;
- mettre en œuvre une nouvelle réforme progressiste du droit du travail afin de limiter le pouvoir des propriétaires dans l’entreprise, et de se diriger vers une démocratie dans l’ensemble des espaces de travail.
Un gouvernement populaire devrait aussi mettre en œuvre une série de mesures économiques afin de garantir cet agenda social et de soutenir son développement. Il lui faudrait :
- interrompre le respect du Pacte européen de stabilité et de croissance ;
- établir un contrôle temporaire du mouvements des capitaux pour prévenir la fuite des capitaux et l’évasion fiscale ;
- établir un contrôle des prix sur les biens de première nécessité ;
- suspendre le paiement de la dette publique, sur la base d’un moratoire ou d’un audit citoyen de la dette publique, en optant pour un défaut sélectif permettant de protéger les caisses de sécurité sociale et de paiement des retraites ainsi que les avoirs des petits épargnants ;
- réguler et limiter le système bancaire privé, et créer un nouveau système bancaire public sous contrôle démocratique et social ;
- mettre en œuvre une réforme progressiste de la fiscalité (avec plus de taxes sur les profits et les richesses), permettant de taxer en priorité le capital, les grandes entreprises et les très hauts salaires, afin de financer la politique d’investissement public ;
- créer des emplois dans le domaine de la transition energétique, protéger les classes populaires en cas de diminution temporaire des recettes nationales, et faire payer la crise aux classes dominantes.
L’élection d’un gouvernement populaire ouvrira immédiatement une période d’intense contre-attaque idéologique et d’initiatives des forces économiques et politiques pro-capitalistes pour neutraliser ces mesures progressistes
Ces mesures impliquent de désobéir avec les traités européens et les institutions européennes. Ces dernières réagiront nécessairement pour essayer d’empêcher leur mise en œuvre. En réalité, l’élection d’un gouvernement populaire ouvrira immédiatement une période d’intense contre-attaque idéologique et d’initiatives des forces économiques et politiques pro-capitalistes pour neutraliser ces mesures progressistes. Cette contre-attaque des classes dominantes européennes peut prendre la forme de la fuite des capitaux ou de l’augmentation des taux d’intérêt par exemple, mais aussi d’un chantage politique opéré par les bourgeoisies nationales et les institutions européennes afin de contraindre le gouvernement populaire à abandonner sa politique en faveur des classes populaires ainsi que son mandat démocratique.
Au cours de cette période, le gouvernement populaire nouvellement élu devrait donc mobiliser à la fois la population et les mouvements sociaux pour soutenir ces politiques radicales et les travailleurs des secteurs stratégiques (notamment les banques) pour empêcher les « saboteurs » de l’économie et de la démocratie de réussir. Il devrait également rassurer la population concernant la garantie de son épargne, de la valeur de son argent et de ses conditions de vie et de travail, tout en s’adressant aux autres peuples d’Europe afin d’obtenir leur soutien actif.
La nécessité d’une telle défense à l’égard de la contre-attaque pro-capitaliste et d’un tel renforcement du soutien et de la mobilisation populaires exige que le gouvernement populaire nouvellement élu soit prêt à promulguer des décrets dès le premier jour de son entrée en fonction, concernant :
- la sécurisation des dépôts (jusqu’à un certain montant) ;
- le contrôle des banques, des compagnies d’assurance, etc. ;
- la Banque centrale, qui devrait être placée immédiatement sous l’autorité du gouvernement, et devra être autorisée à émettre de la monnaie ;
- un moratoire sur le service de la dette publique ;
- le contrôle des capitaux ;
- au moins une mesure importante permettant d’améliorer immédiatement et de manière évidente les conditions de vie du plus grand nombre, par exemple l’augmentation du salaire minimal.
Sur cette base et dans le même temps, elle devrait initier immédiatement des discussions publiques avec d’autres gouvernements et s’adresser aux autres peuples de l’UE afin de lancer des campagnes internationales pour soutenir ces politiques.
Mesures de moyen terme au niveau national :
Comme indiqué précédemment, il faut d’abord s’attendre à une hostilité de la part des mécanismes du pouvoir dont les intérêts seraient directement menacés au niveau national. Il faut également s’attendre à une hostilité de la part des institutions européennes, car une politique industrielle fondée sur la propriété publique et une série de mécanismes de contrôle public de l’économie irait directement à l’encontre de la logique du marché unique. La machine néolibérale de Bruxelles ne tolérerait pas une telle remise en cause de l’organisation institutionnelle de l’UE et du pouvoir de l’acquis communautaire. La perspective de représailles, de sanctions, d’un retrait de financement ou même de l’expulsion de l’UE deviendrait inévitable.
Face à l’hostilité de l’UE, la gauche populaire devrait donc rejeter le marché unique et son cadre institutionnel et juridique. Elle devrait plaider en faveur d’un contrôle de la circulation des biens, des services et des capitaux, sans lequel il serait impossible d’appliquer un programme radical dirigé vers le socialisme. Elle devrait également rejeter l’autorité de l’acquis communautaire et de la Cour de justice de l’Union Européenne, et commencer ainsi à dissocier la législation nationale de la législation communautaire. Enfin, elle devrait s’appuyer sur les luttes sociales pour imposer des avancées et réalisations dans les domaines des relations de travail, de la répartition des richesses, de la coopération entre les peuples et de la protection de l’environnement, et initier des processus constituants pour créer de nouvelles institutions démocratiques aux niveaux national et international. En fin de compte, il n’y a pas d’autre moyen de recouvrer la souveraineté populaire. Cette récupération de la souveraineté populaire doit être compatible avec l’internationalisme, dans la mesure où elle sera ouverte à la solidarité et permettra de partager les bénéfices de ces politiques entre différents peuples dans le cadre d’une coopération démocratique. Si cela implique de se voir opposer un ultimatum pour quitter l’UE, qu’il en soit ainsi.
Concernant la manière de répondre à la très probable réaction hostile des institutions de l’UE, la question cruciale est celle de la souveraineté monétaire. À cet égard, un gouvernement populaire devrait envisager deux options possibles.
Scénario 1. Sortie de l’Union économique et monétaire et création d’une nouvelle monnaie nationale
Une étape cruciale sur la voie que devra emprunter un gouvernement populaire est le rejet de l’Union économique et monétaire (UEM), et de sa structure économique néolibérale telle qu’elle existe actuellement. L’UEM est l’épine dorsale du marché unique et le dispositif disciplinaire aujourd’hui le plus efficace pour imposer une politique et une idéologie néolibérales. Les nations d’Europe n’ont pas besoin d’une monnaie commune pour engager une coopération libre et fructueuse entre elles, et elles n’ont certainement pas besoin de l’euro. Inversement, plus longtemps l’UEM se maintient et plus elle devient rigide, plus il sera difficile de mettre en œuvre des mesures anticapitalistes en Europe.
Démantèlement total de l’union monétaire et mise en place de dispositifs alternatifs
Pour les pays périphériques, et en particulier pour la périphérie du Sud de l’Europe, la sortie de l’UEM telle qu’elle existe actuellement, est impérative. Sortir de cette cage d’acier est un moyen nécessaire pour mettre en œuvre des politiques permettant de développer l’économie, d’absorber le chômage par la création d’emplois bien rémunérés, de réduire la pauvreté et de mettre les pays sur la voie d’une croissance soutenue et soutenable. La sortie n’est certainement pas un processus facile, mais il existe aujourd’hui des connaissances considérables au sujet de la façon d’y parvenir avec le moins de perturbations possible. [3] Si la sortie était consensuelle, les coûts en seraient encore réduits.
Pour les pays du centre, la question de l’UEM est beaucoup plus complexe, car elle implique le démantèlement total de l’union monétaire et la mise en place de dispositifs alternatifs. L’UEM ne devrait certainement pas être remplacée par une concurrence sans entraves entre les pays sur les marchés des changes. L’Europe a besoin d’un système de stabilisation des taux de change et d’un moyen de paiement entre pays. Les connaissances techniques pour atteindre ces objectifs existent, et certains des mécanismes de l’ancien système monétaire européen existent encore.
L’UE est une énorme entité économique dans laquelle la plupart des échanges commerciaux ont lieu entre les États membres. Dans une telle économie, il est certainement possible de stabiliser les taux de change et de produire des résultats économiques bien meilleurs que ceux obtenus par l’euro au cours de ses deux décennies d’existence. Pour cela, il serait nécessaire de choisir une monnaie d’ancrage de même que d’appliquer des contrôles sur la circulation des capitaux à travers l’Europe. La flexibilité pourrait alors consister à rééquilibrer les relations extérieures des économies de l’UE. Avec un contrôle des capitaux en place, il serait même plausible de concevoir un nouveau moyen de paiement commun basé sur des principes de solidarité qui ne serait utilisé par les Etats européens que pour faciliter les transactions internationales et non comme monnaie nationale.
Le démantèlement de l’UEM permettrait d’ouvrir la voie à un changement radical plus vaste au sein de l’UE. Cela signifierait une modification radicale du caractère de la BCE, de l’Eurogroupe et du Mécanisme européen de stabilité. (MES). Cela permettrait de supprimer les contraintes externes pesant sur les opérations des autres institutions de l’UE, y compris le contrôle des activités fiscales des États membres. Ce démantèlement permettrait d’assouplir l’acquis communautaire en supprimant toute une série de directives et de règlements. Et cela supprimerait également le dispositif disciplinaire le plus strict parmi ceux qui sont actuellement dirigés à l’encontre des travailleurs dans une grande partie de l’Europe. S’il est provoqué par les forces populaires, le démantèlement de l’UEM pourra constituer un pas important contre le régime néolibéral de l’UE.
Scénario 2. Une monnaie alternative en restant dans l’UEM
L’avantage politique d’une monnaie alternative, même si elle est simplement complémentaire, est qu’elle permet, sans devoir se débarrasser de la monnaie internationale, de répondre à plusieurs défis. Tout en facilitant l’émergence de certaines activités secondaires, qui, autrement, ne seraient pas très étendues ou se dérouleraient de manière informelle, les pouvoirs publics disposeraient ainsi d’une plus grande marge de manœuvre pour traiter les paiements.
Il pourrait s’agir d’une mesure ex ante, en relation avec d’éventuels conflits politiques causés par des représailles de l’UE en raison de divergences liées à la politique économique adoptée. C’est le cas par exemple des représailles à l’égard de politiques qui ne s’inscrivent pas dans les Traités européens ou dans le Pacte de stabilité et de croissance, et qui pourraient consister en une menace de retrait de liquidités ou en des mécanismes d’expulsion ou de sortie de l’UEM. Dans ce cas, la mise en place d’une monnaie complémentaire permettrait de se doter d’un moyen garantissant les transactions internes, et évitant ou atténuant tout processus de transition désordonnée. Elle offrirait un moyen pour une souveraineté monétaire permettant de remplacer l’euro.
Dans un premier temps, la monnaie complémentaire serait utilisée pour le paiement des fonctionnaires et des services liés au secteur public. Le gouvernement accepterait le paiement des impôts dans cette monnaie. Pour éviter un rejet de cette nouvelle monnaie, elle devrait avoir, au moins dans un premier temps, la parité avec la monnaie dominante. Seule la monnaie complémentaire pourrait jouer un rôle de transition et d’amortisseur, et d’élargissement de la marge de manœuvre, dans un contexte défavorable de rupture avec une zone monétaire antérieure.
Les caractéristiques d’une telle monnaie alternative seraient – dans un premier temps mais elles pourraient être révisables en fonction du contexte macroéconomique et politique – les suivantes :
- Dans une première phase, la monnaie serait complémentaire.
- Elle inviterait les monnaies locales à établir une relation avec cette monnaie, afin d’unifier le système monétaire complémentaire et d’amplifier sa recevabilité et son impact.
- Cette monnaie alternative serait, en principe, en parité avec la monnaie principale.
- Elle serait appuyée par l’imposition future.
- Elle disposerait de plusieurs canaux de circulation et systèmes de paiement : cartes électroniques pour les transactions mineures, complétées par les pièces et le papier, et monnaie numérique virtuelle identifiant les transactions et les agents pour les volumes moyens et élevés (à partir de 300 euros).
- Dans un premier temps, son cours serait requis dans les transactions avec le secteur public et le secteur bénévole dans le secteur intra-privé.
- Il s’agirait d’une monnaie alternative avec une date d’expiration à compter de son émission, par exemple après cinq ans, mais une période plus courte peut être étudiée, dans tous les cas de nature renouvelable.
- La monnaie alternative peut être conçue pour mettre fin au monopole de l’intermédiation bancaire privée, en donnant la possibilité à la future banque publique de prendre le pas sur la banque privée, tout en coexistant avec des banques coopératives régionales ou des banques éthiques.
- Pour éviter un excès de pouvoir des entités dédiées à l’opération monétaire, il serait possible de créer une banque centrale en charge des émissions réglementées et de la politique monétaire, sous contrôle social et démocratique.
Les initiatives de moyen terme au niveau international
Quitter ou court-circuiter l’UEM, et éventuellement quitter l’UE, si cela est fait pour mettre en œuvre des politiques de soutien aux travailleurs (quelle que soit leur nationalité) contre le capital, ne constitue pas une démarche nationaliste et ne représenterait pas non plus un retour à des États concurrents et en guerre en Europe. Au contraire, cela pourrait signaler l’émergence d’un internationalisme radical qui s’appuierait sur la force exprimée au niveau domestique pour rejeter les structures dysfonctionnelles et hégémoniques de l’UE. Cette rupture permettrait des politiques économiques concrètes créant une véritable base de solidarité en Europe et donnant un contenu nouveau à la souveraineté populaire et aux droits démocratiques, à l’intérieur ou au-delà des frontières existantes. Elle pourrait aussi conduire à de nouvelles formes d’alliances interétatiques en Europe, voire à un modèle alternatif d’espace supranational, démocratique et solidaire basé sur la coopération entre les peuples et sur l’internationalisme, déconnecté du développement capitaliste et qui refléterait le nouvel équilibre des forces entre les classes.
Un gouvernement populaire a besoin d’un programme écologique, socialiste et internationaliste de long terme au niveau international. Dans cette perspective, il devrait rechercher de nouvelles alliances en Europe et hors d’Europe. Cela pourrait passer par la proposition d’un nouveau cadre solidaire axé sur la coopération et l’intégration des ressources financières, des accords de commerce ainsi que des échanges de matières premières (énergie) équitables et la coopération en matière d’investissement. L’objectif est d’encourager la coopération et la solidarité populaires tout en rompant avec les contraintes des traités et des institutions de l’UE.
La forme et le contenu réels d’une coopération européenne renouvelée dépendraient du régime social et politique interne des États membres. L’internationalisme ouvrier commence toujours chez soi. Si le capitalisme était contesté au niveau national, plusieurs formes d’intégration fédérale socialiste deviendraient possibles en Europe. C’est un objectif réalisable et valable pour la gauche populaire européenne. Plus tôt elle commencera à engager un débat ouvert et à agir dans ce sens, mieux ce sera pour les peuples du continent.
Chapitre 2 - Banques |
I. INTRODUCTION
Plan d’organisation du secteur bancaire et conditions concrètes de sa mise en place par un gouvernement populaire
La crise financière débutée en 2007-2008 continue à produire ses effets délétères à travers des politiques d’austérité imposées aux populations. Banquiers, financiers, hommes et femmes politiques et organismes de contrôle ont fondamentalement manqué aux promesses qu’ils avaient faites à la suite de la crise : moraliser le système bancaire, séparer les banques de détail des banques d’investissement, mettre fin aux bonus et aux rémunérations exorbitantes, et enfin financer l’économie réelle.
L’hétérodoxie économique et les programmes de la social-démocratie en décomposition souffrent d’un impensé quant à la constitution d’un système bancaire alternatif. Pour y remédier, cette contribution tente d’avancer vers une proposition partagée, cohérente et opérationnelle quant à un plan d’organisation du secteur bancaire et aux conditions concrètes de sa mise en place par un gouvernement populaire qui arriverait au pouvoir en Europe.
II. DIAGNOSTIC
Des centaines de milliards d’euros ont été dépensés par les gouvernements européens pour renflouer des dizaines de banques privées
À la suite de la crise, des centaines de milliards d’euros ont été dépensés par les gouvernements européens pour renflouer des dizaines de banques privées [4]. Les pouvoirs publics ont décidé de couvrir les exactions de ces banques en faisant supporter les conséquences des agissements coupables de leurs dirigeants et actionnaires par les populations. La séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires reste toujours un vœu pieux.
Aucune mesure visant à éviter de nouvelles crises n’a été imposée au système financier privé. La concentration des banques s’est accrue, de même que leurs activités à haut risque. Il y a eu de nouveaux scandales impliquant les quinze à vingt plus grandes banques privées d’Europe et des États-Unis : prêts toxiques, crédits hypothécaires frauduleux, manipulation des marchés des changes, des taux d’intérêt (notamment le LIBOR) et des marchés de l’énergie, évasion fiscale massive, blanchiment d’argent pour le crime organisé, etc.
Les autorités ont à peine imposé des amendes, généralement négligeables par rapport aux crimes commis dont l’impact est négatif non seulement sur les finances publiques mais aussi sur les conditions de vie de millions de personnes dans le monde entier. À l’exception de l’Islande et de l’État espagnol où Rodrigo de Rato, ancien directeur de Bankia et ancien directeur général du FMI, est emprisonné depuis 2018, aucun directeur de banque aux États-Unis ou en Europe n’a été condamné, alors que des traders, simples exécutants subalternes, sont poursuivis et condamnés à des peines de prison allant de cinq à quatorze ans.
Comme c’est le cas pour la Royal Bank of Scotland (RBS), il est prévu (quand ça n’a pas déjà été fait) que les banques qui ont été nationalisées à grands frais pour protéger les intérêts des principaux actionnaires privés soient revendues au secteur privé pour une fraction de leur valeur. Le sauvetage de la RBS a coûté 45 milliards de livres sterling de fonds publics, tandis que sa reprivatisation entraînera probablement la perte de 14 milliards de livres sterling supplémentaires.
Enfin, pour ce qui est du financement de l’économie réelle, les efforts déployés jusqu’aujourd’hui par les banques centrales se sont révélés impuissants à enclencher un moindre début de reprise de l’économie.
III. PROPOSITIONS
L’importance de la mobilisation populaire :
La socialisation du secteur bancaire est une condition nécessaire à un changement de modèle social
La monnaie, l’épargne, le crédit et le système des paiements, parce qu’ils sont utiles à l’intérêt général, devraient impérativement répondre à une logique de service public (donc être utilisés et gérés dans le cadre d’un service public). Le système financier ne doit pas constituer un centre de profit en soi, indépendamment du financement de l’économie réelle. La socialisation du secteur bancaire (c’est-à-dire la gestion du secteur bancaire par les travailleurs et travailleuses avec la participation des usagers, d’associations et de représentant-e-s élu-e-s) est une condition nécessaire à un changement de modèle social ; et le soutien populaire est une condition nécessaire à la socialisation du secteur bancaire.
La socialisation du secteur bancaire ne peut être envisagée comme un slogan ou une revendication qui se suffirait en elle-même et que les décideurs appliqueraient après en avoir saisi le bon sens. Elle doit être conçue comme un objectif politique à atteindre dans le cadre d’un processus porté par une dynamique citoyenne. Il faut non seulement que les mouvements sociaux organisés existants (dont les syndicats) en fassent une priorité de leur agenda et que les différents secteurs (collectivités locales, petites et moyennes entreprises, associations de consommateurs, etc.) se positionnent en ce sens, mais aussi – et surtout – que les employé-e-s de banque soient sensibilisé-e-s au rôle de leur métier et à l’intérêt qu’ils auraient à voir les banques socialisées ; que les usagers soient informés là où ils se trouvent (exemple : occupations d’agences bancaires partout le même jour) afin de participer directement à la définition de ce que doit être la banque.
Seules des mobilisations de très grande ampleur peuvent garantir que la socialisation du secteur bancaire soit réalisée en pratique car cette mesure touche au cœur le système capitaliste. Des initiatives de terrain associant la population, comme des audits citoyens (tels que ceux lancés, entre autres, en France, en Grèce et en Espagne à partir de 2011), peuvent être mises en place et soutenues par une force politique visant à accéder au gouvernement. De manière générale, il faut faire perdre leur caractère sacré aux questions monétaires et financières afin de créer les conditions permettant un engagement le plus large possible dans ces luttes.
Pour une force de gauche, il est fondamental de montrer à la population l’énorme avancée que constituerait la décision de ne plus confier au grand capital la propriété et la gestion du système bancaire et les énormes avantages que pourrait apporter l’existence d’un service public de la banque.
Mesures à mettre en œuvre immédiatement par un gouvernement populaire :
Contrôler les capitaux n’est pas forcément contraire aux traités européens
Pour avoir des marges de manœuvre une fois arrivé au pouvoir et limiter les risques d’asphyxie financière, un gouvernement populaire doit instaurer un contrôle des capitaux. Contrôler les capitaux n’est pas forcément contraire aux traités européens. L’article 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne introduit en effet un certain nombre de restrictions à la liberté des mouvements de capitaux, justifiées notamment par la lutte contre les infractions aux lois nationales en matière fiscale ou prudentielle ou par des motifs liés à l’ordre public ou la sécurité publique. Ces motifs ont été invoqués pour Chypre en 2013 et pour la Grèce en 2015. Si toutefois le contrôle des capitaux était contraire aux traités, un gouvernement populaire devrait assumer la désobéissance. Par ailleurs, la question se pose de la place d’une mesure visant à réguler les capitaux dans la hiérarchie des normes, et donc de la possibilité pour un gouvernement de la mettre en place immédiatement. Dans plusieurs pays européens, la réglementation nationale prévoit des mesures pour contrôler les mouvements de capitaux, comme le fait de réguler la durée des placements, qui relèvent du niveau réglementaire et non du niveau législatif. Elles pourraient donc être appliquées immédiatement dès l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement populaire.
Les banques d’affaires doivent être séparées des banques de dépôt afin de protéger ces dernières
Un gouvernement populaire devrait immédiatement mettre en place une régulation importante du secteur financier afin d’assurer la stabilité financière. La taille des banques doit être réduite afin qu’aucune banque « systémique » ne menace l’ensemble du système. Les banques d’affaires doivent être séparées des banques de dépôt afin de protéger ces dernières. Les banques d’affaires ne bénéficieront d’aucune garantie de l’Etat. De telles mesures avaient été prises par le président F. Roosevelt en 1933 à la suite de l’onde de choc du krach de Wall Street d’octobre 1929.
En plus, la nouvelle régulation bancaire imposera :
- d’augmenter significativement la part des fonds propres des banques dans leur bilan en portant leur seuil minimum à 20% ;
- de prendre toutes les mesures utiles pour obliger les banques à assainir leur hors-bilan en leur imposant de dénouer toutes les opérations spéculatives et toutes les autres transactions à risques sans intérêt réel pour la collectivité ;
- d’interdire les relations de crédit entre banques de dépôt et banques d’affaires ;
- d’interdire la titrisation. Chacune des activités portera ainsi le risque qu’elle engendre, à travers des exigences réglementaires adaptées ;
- d’interdire le trading de haute fréquence ;
- d’interdire la spéculation ;
- d’interdire les marchés financiers de gré à gré ;
- d’interdire toutes relations des établissements bancaires avec le shadow banking et les paradis fiscaux et judiciaires ;
- d’interdire la socialisation des pertes ;
- de mettre fin au secret bancaire ;
- de poursuivre systématiquement les dirigeants responsables de délits et de crimes financiers et de retirer la licence bancaire aux institutions qui ne respectent pas les interdictions et se rendent coupables de malversations ;
- d’instaurer une véritable responsabilité financière des grands actionnaires, notamment lors des faillites. Il s’agit de restaurer la responsabilité illimitée des grands actionnaires afin que la récupération du coût de leurs activités dangereuses puisse être effectuée sur l’ensemble de leur patrimoine ;
- d’augmenter l’imposition des banques pour les obliger à participer à l’effort d’impôt du pays.
Reprendre le contrôle de la banque centrale est essentiel pour sortir l’État des griffes des marchés financiers afin de financer les services publics
Pour assurer la supervision de la sphère financière, un commissariat à la sûreté financière peut par ailleurs être créé. Il rassemblerait les autorités de supervision des banques, des marchés financiers et des assurances. Il aurait pour missions de :
- mesurer l’évolution de l’épargne, du crédit, le bon fonctionnement du système des paiements ;
- vérifier et contrôler si la politique des établissements bancaires s’inscrit bien dans les axes de la feuille de route qui ont été définis, notamment le financement de la transition écologique, le financement des besoins de fonctionnement et d’investissement des grands services publics, le financement de la déprivatisation des grands services publics précédemment transférés au secteur privé (par exemple, la santé, l’eau, l’énergie, etc.) ;
- veiller également à prévenir les bulles dans certains secteurs comme l’immobilier.
Le commissariat à la sûreté financière mettrait en œuvre le contrôle des capitaux, ainsi qu’une taxe sur les transactions financières. L’un de ses objectifs serait de soumettre les innovations financières à un principe de précaution : les banques qui les développeront devront prouver leur utilité et en assumer l’entière responsabilité. Les produits et activités trop complexes seraient interdits. Le superviseur aurait, enfin, la possibilité d’imposer des amendes significatives aux banques en cas de manquement à la réglementation et à leurs obligations (les sanctions seraient ajustées au préjudice subi par la communauté et aux gains illégalement réalisés). De même, les dirigeants seraient susceptibles de voir leur responsabilité personnelle engagée en cas de grave manquement. La licence bancaire sera retirée à toute banque qui contreviendra de manière avérée à la nouvelle législation et ses dirigeants seront poursuivis en justice et seront passibles de peines de prison.
Un gouvernement populaire devrait également récupérer le contrôle de sa banque centrale, dans l’optique d’une reprise en main de sa politique monétaire et de ses conditions de financement. Reprendre le contrôle de la banque centrale est essentiel pour sortir l’État des griffes des marchés financiers afin de financer les services publics.
Vers une socialisation du système bancaire privé :
Alors que les développements du capitalisme financier et la finance dérégulée ont mis à terre l’économie réelle en 2008 et menacent de le faire à nouveau, l’urgence est à la socialisation de tout ou partie du secteur bancaire. En effet, deux voies programmatiques se dessinent ici : soit socialiser une partie du secteur bancaire avec la création d’un pôle public conçu comme une étape avant la socialisation de l’intégralité du secteur (scénario 1), soit procéder d’emblée à la socialisation de l’intégralité du système bancaire en pouvant aller jusqu’à intégrer les banques de financement et d’investissement, ainsi que le secteur des assurances (scénario 2).
Le concept de socialisation renvoie explicitement à une collectivisation dans laquelle les travailleurs exercent le pouvoir de décision et de contrôle, avec la participation des usagers
Alors que le concept de nationalisation peut porter à confusion avec l’étatisation et la prise de contrôle des banques par les élites dirigeantes dans le cadre d’un capitalisme national, celui de socialisation renvoie plus explicitement à une collectivisation dans laquelle les travailleurs exercent le pouvoir de décision et de contrôle, avec la participation des usagers, d’associations et de représentant-e-s élu-e-s. Ce type de fonctionnement serait complété par le contrôle des représentant-e-s des instances bancaires publiques nationales et régionales. Il faut privilégier un service de proximité et de qualité rompant avec les politiques d’externalisation menées actuellement. Il faut encourager le personnel des établissements financiers à assurer à la clientèle un authentique service de conseil et éradiquer les politiques commerciales agressives de vente forcée.
- Le nombre de banques à socialiser :
Si un programme gouvernemental ne prévoit pas de socialiser l’intégralité du système bancaire, la question du nombre de banques à socialiser et du critère de choix se pose. Au-delà de son aspect théorique, elle renvoie au rapport de force qu’un gouvernement populaire est capable de mettre en place, et de sa capacité à s’appuyer sur la mobilisation de la population. Dans la quasi-totalité des expériences de nationalisations bancaires, les banques d’affaires ont été exclues du champ des lois de nationalisation et maintenues dans le secteur privé sous la pression des milieux financiers. La mise en place d’un service public bancaire va s’inscrire dans le cadre d’un rapport de force auquel il faudra bien se préparer.
- L’indemnisation des actionnaires :
Il convient de traiter de manière différente les grands actionnaires et les petits actionnaires
Afin de socialiser les banques, la question de l’indemnisation des actionnaires privés se pose également. Il convient de traiter de manière différente les grands actionnaires et les petits actionnaires. Les grands actionnaires sont en effet activement ou passivement responsables de l’accentuation des activités bancaires spéculatives et à haut risque pour les épargnants, pour le Trésor public et pour la société dans son ensemble. Les petits actionnaires n’interviennent pas dans les décisions des banques ; il est normal qu’ils soient indemnisés. Par ailleurs, il va de soi que les dépôts seront protégés. À l’inverse de ce qui a été fait dans la plupart des nationalisations de banques intervenues à ce jour, où les actionnaires ont été indemnisés aux frais des contribuables, un gouvernement populaire pourrait décider de ne verser que l’euro symbolique aux grands actionnaires et récupérer le coût de l’assainissement de la banque [5] sur leur patrimoine.
Scénario 1 : Un pôle public bancaire
Si le choix de la socialisation immédiate de l’intégralité du secteur bancaire n’est pas partagé par l’ensemble des forces rassemblées dans la mise en place d’un gouvernement populaire, le pôle public bancaire pourrait représenter une solution de compromis et permettre à ce gouvernement de disposer des moyens de sa politique. De manière à orienter le crédit vers les projets socialement et écologiquement utiles, la socialisation de banques généralistes doit venir à l’appui de la création plus large d’un pôle public bancaire (ou pôle financier public). Ce pôle public aurait pour mission de soutenir un plan de relance économique, écologique et social, de renforcer l’appareil productif, de diriger l’épargne populaire vers la satisfaction des besoins sociaux et économiques et d’assurer l’inclusion financière et l’accès de tous aux services financiers.
Dans l’optique de la création de ce pôle, un gouvernement populaire pourra s’appuyer sur les institutions déjà existantes dans chaque pays. Les institutions financières publiques ou semi-publiques telles que les banques publiques d’investissement ont souvent été complètement dévoyées et adoptent des comportements de banques classiques alors qu’elles devraient être parmi les acteurs clés de l’investissement dans la transition écologique. Il serait certainement judicieux d’intégrer dans ce pôle public les grandes banques mutualistes. Cela aurait deux avantages : sortir les réseaux mutualistes de la logique purement financière des autres grands groupes bancaires, et donner plus de force au pôle public pour peser face aux banques privées dont la socialisation aurait été différée dans le temps dans l’hypothèse d’un processus de socialisation par étapes.
De manière générale, dans ce pôle public, en matière de gouvernance, chaque établissement conserverait son autonomie de fonctionnement et ses propres instances de direction. Toutefois, l’action de ces établissements s’inscrirait dans un cadre commun défini par une instance de pilotage nationale qui assurerait la cohérence d’ensemble. L’instance de pilotage nationale serait composée d’élus politiques nationaux et locaux, des responsables des établissements et de représentants de la société civile, tout particulièrement des organisations syndicales et associatives. Le pôle public aurait des déclinaisons territoriales, organisées selon les mêmes modalités, de sorte à assurer un maillage suffisamment fin et équilibré du territoire.
En cas de maintien d’un système bancaire privé, c’est un système bancaire tripartite qui émergerait : un pôle financier public, intégrant les banques socialisées et d’autres institutions publiques, coexisterait avec les banques privées et un pôle mutualiste. Alors qu’aujourd’hui, les plus grandes banques coopératives et mutualistes fonctionnent et se comportent de la même manière que les banques privées, il s’agirait de remettre les banques coopératives et mutualistes sur pied en réinvestissant les valeurs de démocratie, de solidarité et de non-lucrativité inscrites dans leurs statuts.
Un droit d’information et de veto des représentants des salariés sur les projets qui seront financés pourrait également être créé.
La socialisation impose de revoir fondamentalement la composition des conseils d’administration et de revoir leur mode de désignation.
Pour l’ensemble des banques qui n’appartiennent pas au secteur public, une « Loi bancaire » doit redéfinir les missions de toutes les banques ainsi que la composition et le mode de désignation des membres de leurs conseils d’administration, quel que soit leur statut juridique. Elles seraient ainsi obligées de prendre en charge une part des clientèles considérées peu « rentables » qui ne seront ainsi pas accueillies uniquement par le pôle bancaire public.
Une nouvelle déontologie devrait être définie pour l’ensemble du secteur bancaire et une feuille de route exigeante devrait être imposée à l’ensemble du secteur bancaire pour ramener les groupes bancaires et leurs établissements à leurs missions essentielles : la conservation sans risque de l’épargne et des dépôts et le financement de l’économie réelle. Un suivi particulièrement vigilant devrait être exercé sur les banques laissées en dehors du champ du pôle public pour contrôler le respect de la nouvelle déontologie et la bonne mise en application de la feuille de route.
La question de savoir si un pôle public bancaire peut coexister avec des banques privées et si celles-ci, soumises à des régulations publiques importantes, peuvent être mises au service de l’intérêt général est une question essentielle, d’où la nécessité du suivi précité. En cas de non-respect de leurs obligations par les banques privées, des sanctions interviendraient et les responsables des groupes fautifs verraient leur responsabilité civile et pénale engagées devant les tribunaux.
Scénario 2 : Socialisation intégrale du secteur bancaire
Les banques, et plus généralement le système financier, sont des armes entre les mains de la classe capitaliste. Le maintien d’un système bancaire privé à côté d’un secteur bancaire socialisé constituerait une menace pour ce dernier, puisque le capital utilisera tous les moyens à sa disposition pour attaquer le secteur socialisé dont la politique en faveur du plus grand nombre contredit l’essence d’un système capitaliste travaillant dans l’intérêt de quelques privilégiés.
La socialisation intégrale du secteur bancaire signifie :
- l’expropriation sans indemnité (ou avec comme seule indemnité l’euro symbolique) des grands actionnaires (les petits actionnaires seront indemnisés) ;
- l’octroi au secteur public du monopole de l’activité bancaire à une exception près : l’existence d’un secteur bancaire coopératif de petite taille (soumis aux mêmes règles fondamentales que le secteur public) ;
- la définition – avec participation citoyenne – d’une charte sur les objectifs à atteindre et sur les missions à poursuivre, qui mette le service public de l’épargne, du crédit et de l’investissement au service des priorités définies selon un processus de planification démocratique.
La socialisation du secteur bancaire et des assurances et son intégration aux services publics permettront :
- de soustraire les citoyens et les pouvoirs publics de l’emprise des marchés financiers ;
- de financer les projets des citoyens et des pouvoirs publics ;
- de dédier l’activité bancaire au bien commun, avec entre autres missions celle de faciliter la transition d’une économie capitaliste, productiviste et nuisible à une économie sociale, soutenable et écologique.
Personne ne sera exclu de l’accès au service public bancaire qui doit être gratuit
Imaginons ce que signifie concrètement la socialisation du secteur bancaire : les banques privées auront disparu, c’est-à-dire qu’après leur expropriation (avec indemnisation des petits actionnaires), leur personnel aura été réaffecté au service public bancaire et des assurances, avec garantie de l’ancienneté, des salaires (jusqu’à un maximum autorisé afin de limiter fortement les très hauts salaires, et en augmentant les bas salaires pour réduire l’éventail salarial) et avec une amélioration des conditions de travail (abandon du benchmarking [6] et des pratiques de vente forcée). Un système de recrutement pour les nouvelles embauches sera mis en place en respectant les normes de recrutement d’un service public.
Il sera mis fin à une situation qui voit une concentration d’agences bancaires concurrentes dans les grandes agglomérations et une pénurie ou une absence de succursales dans les petites villes, les villages et les quartiers populaires. Un réseau dense d’agences locales sera développé afin d’augmenter fortement l’accessibilité aux services bancaires et d’assurance, avec du personnel compétent pour répondre aux besoins des utilisateurs en relation avec les missions de service public. Personne ne sera exclu de l’accès au service public bancaire qui doit être gratuit.
Les agences locales du service public géreront les comptes courants et recevront l’épargne des utilisateurs qui sera entièrement garantie. L’épargne sera gérée sans prendre de risque. Cette épargne sera affectée, sous contrôle citoyen, au financement de projets locaux et d’investissements de plus large portée axés sur l’amélioration des conditions de vie, la lutte contre le changement climatique, la sortie du nucléaire, le développement des circuits courts, le financement de l’aménagement du territoire respectant des normes sociales et environnementales rigoureuses, etc. Les épargnants pourront choisir le ou les projets qu’ils souhaiteront voir financés par leur épargne.
Les agences locales octroieront des crédits sans risque aux individus, aux ménages, aux PME et structures privées locales, aux associations, aux collectivités locales et aux établissements publics. Elles pourront affecter une partie de leurs ressources à des projets de plus large échelle que ceux menés au niveau local, naturellement dans le cadre d’une politique concertée.
Le fait que les agences locales géreront des moyens financiers de taille raisonnable pour des usages locaux ou pour des projets plus larges qui seront présentés de manière précise (avec l’établissement d’un calendrier de programmation et d’outils de suivi permettant de contrôler clairement l’usage des fonds et la bonne mise en œuvre des projets) facilitera le contrôle des différents protagonistes.
Les projets locaux à financer seront définis de manière démocratique avec un maximum de participation citoyenne.
Les agences locales auront également en charge les contrats d’assurance pour les personnes physiques et les personnes morales.
La reprise en main de la banque centrale contribuerait à soutenir une transition vers une économie sociale durable et écologique
Quel que soit le scénario choisi, la reprise en main de la banque centrale contribuerait à soutenir une transition vers une économie sociale durable et écologique. Les ministères en charge de la santé publique, de l’éducation nationale, de l’énergie, des transports publics, des retraites, de la transition écologique, etc. disposeront de moyens de financement provenant du budget de l’État.
Des agences transversales spécialisées interviendront dans des domaines et des activités excédant les compétences et les sphères d’action d’un seul ministère. Elles auront pour vocation d’assurer des missions spécifiques ou transversales définies avec participation citoyenne, comme le programme de sortie totale du nucléaire, y compris le traitement sécurisé des déchets nucléaires sur le long terme.
Le secteur bancaire socialisé permettra de reconstituer un circuit vertueux de financement des pouvoirs publics : ceux-ci pourront émettre des titres qui seront acquis par le service public sans passer par les diktats des marchés financiers.
CONCLUSION
Alors que la monnaie, le crédit, l’épargne ou le système de paiement sont des outils utiles pour l’économie, les institutions bancaires sont de puissants instruments d’accumulation pour la classe capitaliste. Ainsi, prendre des mesures contre leur propriété privée répondrait à la fois à la nécessité de développer des services publics pour le plus grand nombre et à la nécessité de retirer le pouvoir à la classe capitaliste, afin d’avancer vers l’égalité sociale. De telles mesures menaceraient le cœur de l’économie capitaliste et le secteur bancaire privé ne se rendra pas sans combattre ; il sera donc vital de mobiliser un fort soutien populaire en faveur de ces mesures. L’objectif est de parvenir à un secteur bancaire socialisé, géré démocratiquement par les travailleurs des banques avec les usagers, les associations et les élus, et finançant des projets locaux et nationaux en fonction de leur utilité pour la communauté plutôt que des profits privés qui pourraient en être tirés. Aux niveaux européen et international, un gouvernement populaire pourrait chercher à organiser la coopération entre son secteur bancaire public et des institutions similaires dans d’autres pays.
Chapitre 3 - Dette |
Après que la crise bancaire ait frappé l’Europe en 2008-2009, les sauvetages d’institutions bancaires privées par des injections massives de fonds publics combinés au ralentissement économique ont fait se détourner les préoccupations du comportement nuisible du secteur bancaire privé à la soutenabilité de la dette souveraine dans l’UE. Le récit adopté par les gouvernements européens et les institutions capitalistes a exonéré les institutions bancaires et leurs grands actionnaires de leurs responsabilités et blâmé les dépenses prétendument irresponsables des États et des ménages.
Contester la légitimité de la dette souveraine qui a été contractée pour renflouer les institutions financières privées
Dans la plupart des pays ayant une économie dite développée, les politiques budgétaires appliquées en réponse à la crise en cours ont consisté en des mesures visant à restreindre la capacité des gouvernements à lutter contre le chômage et à fournir des services sociaux en limitant les dépenses publiques et les investissements, au motif que cela serait nécessaire pour maintenir la confiance des marchés financiers et donc la solvabilité des finances publiques. Dans les pays de l’UE, cela s’est fait par le biais des règles budgétaires strictes de l’Union et de leur durcissement ; les objectifs inavoués étaient d’approfondir l’offensive du capital contre le travail et de réprimer toute tentative de d’application de politiques alternatives. En particulier, les États de la périphérie européenne ont appliqué de très graves mesures d’austérité en réduisant les dépenses et en augmentant les impôts indirects tout en réduisant les impôts directs. L’adoption de mesures d’austérité en pleine récession a été destructrice en termes de production, d’emploi, de programmes sociaux et plus généralement en ce qui concerne les capacités de l’appareil étatique. Tout gouvernement dont l’objectif est d’inverser cette dynamique devrait rejeter ces politiques, contester la légitimité de la dette souveraine qui a été contractée pour renflouer les institutions financières privées et accumuler du capital privé, et rejeter le principe de l’équilibre budgétaire.
Un tel processus doit commencer, dans certains cas, par la suspension du paiement de la dette et la mise en place de contrôle des capitaux afin d’initier un exercice de transparence et de souveraineté qui permette au nouveau gouvernement de déterminer quelle partie de la dette est illégitime et devrait être répudiée ou restructurée unilatéralement. Étant donné le niveau de conflictualité avec les créanciers que cela implique, il est très important que ces processus soient menés à bien avec le soutien populaire. Cela signifie qu’il doit y avoir une participation directe des citoyens, l’ouverture des livres de la dette nationale afin qu’ils soient soumis à l’examen public, et l’exercice d’un contrôle démocratique sur l’ensemble du processus [7]. Une étape utile vers cet objectif serait la création d’une Commission d’audit de la dette, comme cela a été le cas en Équateur entre 2007 et 2008 (l’expérience se soldant par un succès) et en Grèce en 2015 (avec moins de succès).
I. REMETTRE EN CAUSE LA LÉGITIMITÉ DE LA DETTE PUBLIQUE
L’augmentation de la dette publique au cours des quatre dernières décennies a accompagné le processus de financiarisation de l’économie depuis les années 1980
La légitimité d’une grande partie de la dette publique des États membres de l’UE doit être remise en question. Alors que la dette publique est présentée comme une simple nécessité visant à financer des politiques publiques pour le plus grand nombre, son augmentation au cours des quatre dernières décennies a en fait accompagné le processus de financiarisation de l’économie depuis les années 1980, à travers lequel le rôle du capital financier privé et l’accumulation du capital dans les mains de quelques-uns ont été renforcés. Les États ont cessé d’emprunter auprès de leurs propres banques centrales et d’autres institutions nationales avec des taux d’intérêt décidés par le souverain, pour leur préférer des emprunts sur les marchés financiers (et donc auprès d’institutions financières privées qui accumulent des capitaux par le paiement d’intérêts) avec des taux d’intérêt décidés par les marchés [8], tandis que les réformes fiscales successives ont permis au capital et aux plus riches de contribuer de moins en moins aux budgets nationaux, obligeant ainsi les plus pauvres à contribuer de façon croissante. Ce transfert de richesse du plus grand nombre vers une minorité privilégiée au cours des quatre dernières décennies constitue une raison de remettre en cause la légitimité de la dette publique.
À travers l’Union monétaire européenne, l’architecture économique européenne a reproduit et approfondi ce fonctionnement. D’autres événements qui se sont produits en particulier au cours de la crise à partir de 2008-2009 doivent être considérés comme des sources d’illégitimité de la dette publique.
L’arnaque des sauvetages bancaires :
Les sauvetages dont la Grèce a bénéficié étaient destinés à protéger les banques étrangères, qui étaient les principales détentrices de la dette grecque
À partir de 2008, les États sont intervenus pour renflouer les institutions bancaires privées qui étaient sur le point de s’effondrer. Dans certains pays périphériques comme la Grèce, des dispositifs similaires ont été mis en œuvre par l’intervention de fonds de sauvetage internationaux à l’initiative de ce qui est devenu connu sous le nom de Troïka (Fonds monétaire international, Commission européenne, Banque centrale européenne). L’audit du Comité pour la vérité sur la dette publique grecque a montré que la dette due par la Grèce au reste des États de la zone euro par l’intermédiaire de ces institutions de sauvetage est odieuse, illégitime, illégale et insoutenable (voir définitions ci-dessous), puisque les sauvetages dont la Grèce a bénéficié étaient destinés à protéger les banques étrangères, notamment françaises, allemandes, néerlandaises et belges, qui étaient les principales détentrices de la dette grecque au moment où éclate la crise. Le sauvetage de 2010 a protégé les créanciers d’un probable défaut et imposé des politiques cruelles dont le seul but était de s’assurer que le remboursement de la dette se poursuive. Le renflouement de 2011-2012 a de nouveau protégé les investisseurs internationaux et les banques privées locales puisque l’accord sur la restructuration de la dette a indemnisé les premiers et renfloué les secondes. Pour couronner le tout, la Grèce a fait l’objet d’un nouveau plan d’ajustement à l’été 2015, imposant un nouveau cycle d’austérité, de privatisations et de libéralisation. La Troïka a imposé des plans de sauvetage similaires en Irlande (2010), au Portugal (2011) et à Chypre (2013). Auparavant, le FMI avait déjà participé à des programmes d’ajustement macroéconomique destructeurs dans des États membres et non membres de l’UE en Europe de l’Est : Hongrie, Ukraine, Lettonie (2008), Roumanie et Serbie (2009).
Mettre fin aux politiques néolibérales imposées par le remboursement de la dette :
Les politiques d’austérité imposées par les institutions supranationales ont des conséquences désastreuses pour les pays débiteurs
La nécessité de réduire le montant de la dette n’est pas seulement due à la lourde charge que les paiements d’intérêts font peser sur les budgets publics, mais aussi au fait que les politiques d’austérité imposées par les institutions supranationales pour se conformer à leurs obligations de paiement ont généralement des conséquences désastreuses pour les pays débiteurs. L’obtention de ressources à court terme pour assurer le paiement de la dette est la principale préoccupation de ces politiques. La Grèce est un cas paradigmatique de ce modèle. Le pays a mis en œuvre des mesures d’austérité sévères depuis 2010 et négocié avec ses créanciers une restructuration de la dette, effectuée en 2011-2012, qui a essentiellement imposé des réductions significatives aux détenteurs nationaux de la dette, y compris aux banques. Et pourtant, précisément en raison du caractère désastreux des politiques de la Troïka, la dette a atteint 177 % du PIB en 2014, soit 4 % de plus que le pic précédent, atteint en 2012. Fin 2018, la dette grecque n’avait toujours pas diminué et le Fonds monétaire international lui-même indique clairement que la Grèce a besoin d’une décote importante, car si la dette continue de croître, elle finira par étouffer la société et par faire s’effondrer l’État. En fait, dans son analyse de la soutenabilité de la dette à la mi-2016, le FMI a prédit que s’il n’y avait pas de restructuration majeure, la dette continuerait d’augmenter pour atteindre 250 % du PIB dans quelques décennies.
Si l’on analyse ces programmes qui ne sont pas nouveaux, le mythe selon lequel ils sont bénéfiques pour le pays débiteur disparaît immédiatement. Même dans les cas où il y a eu une restructuration de la dette gérée par les créanciers (le cas grec est très important à cet égard), les programmes n’ont eu pour seul objectif que de sauver les créanciers qui, en cas de défaut d’un gouvernement qui voudrait défendre la souveraineté populaire, seraient condamnés à la faillite.
L’objectif de tels programmes d’ajustement est en fait de restructurer les économies afin d’approfondir l’offensive du capital contre le travail. Ces programmes comprennent généralement, par exemple, des mesures visant à maximiser le paiement de la dette, telles que la réduction des dépenses publiques, les privatisations – qui créent également de nouvelles opportunités commerciales pour les investisseurs – ; des réformes fiscales, généralement sous la forme d’augmentations des impôts indirects comme la TVA ; des mesures visant à réactiver l’économie au niveau de l’offre, qui peuvent aller des exemptions fiscales pour les nouveaux investisseurs aux mesures de libéralisation commerciale ; ou d’autres mesures pour garantir la sécurité juridique, comme l’imposition de réformes constitutionnelles pour garantir le remboursement de la dette. Le gel des pensions, la baisse des salaires, la réduction des déficits, la réduction des dépenses sociales et l’augmentation des impôts indirects sont les exigences les plus courantes.
Ces conditionnalités finissent non seulement par asphyxier la majorité de la population dans la pauvreté, par la priver de ses droits et par accroître les inégalités, mais elles offrent aussi des opportunités commerciales attrayantes pour les élites économiques. Les privatisations et les mesures de libéralisation profitent particulièrement aux investisseurs et aux multinationales qui reprennent ces entreprises à bas prix. Les programmes d’ajustement structurel du FMI ou les mémorandums de la troïka avec les pays de la périphérie européenne en sont des exemples. Si les effets désastreux ont été ressentis le plus fortement dans les pays périphériques et en particulier en Grèce, des politiques d’austérité partageant des objectifs similaires ont été mises en œuvre dans d’autres pays européens, y compris dans les pays du centre, sans intervention extérieure de la troïka. La mise en œuvre de ces politiques doit être arrêtée immédiatement par un gouvernement de gauche qui veut proposer un programme progressiste.
Dettes publiques excessives :
Aucun programme alternatif ne serait plausible sans résoudre d’abord la question de la dette publique excessive des États souverains. La soutenabilité de la dette publique est principalement une question de flux économiques. Le flux correspondant au revenu national doit être restauré par une taxation plus forte du capital et des plus riches et à travers la revitalisation de l’économie. La soutenabilité de la dette dans de nombreux pays développés, en particulier ceux de la périphérie européenne, a également à voir avec son montant total, ce qui est devenu difficile à gérer. La gestion de la dette exigera d’importantes réductions, constituant une politique qui mènera inévitablement à la confrontation car elle implique des défauts de paiement, de longues négociations et, en général, des procédures judiciaires considérables [9].
Le contrôle des capitaux comme première étape pour faire face à la dette :
Il est plus que probable qu’un gouvernement progressiste qui veut faire face à ses créanciers et mettre fin à l’austérité accèdera au pouvoir dans un contexte de fortes turbulences du marché. C’est ce qui a pu être observé en Grèce en 2015. La crise de la zone euro a ouvert la porte à de nombreuses crises bancaires faisant porter des risquer sur les dettes souveraines, ce qui pourrait forcer des États membres qui en sont victimes à quitter l’union monétaire. Dans ce contexte, le besoin de contrôles de capitaux devient urgent. Les cas de Chypre et de la Grèce en 2013 et 2015 ont montré combien il est important de se préparer à faire face aux pressions financières liées à la fuite de capitaux et aux paniques quant à de possibles effondrements bancaires. La seule manière d’y faire face est le contrôle des capitaux. Ils empêcheraient la fuite massive de capitaux hors du pays (par des capitalistes craignant pour leurs intérêts personnels ou cherchant ouvertement à saboter les efforts du gouvernement progressiste), et aideraient ainsi à éviter l’instabilité et l’effondrement bancaires. Les contrôles de capitaux assureraient également que ceux-ci soient soumis à l’impôt domestique.
Le contrôle des capitaux est une politique largement utilisée mondialement. La raison en est que les régimes de changes flottants impliquent une absence d’autonomie en matière de politique monétaire, particulièrement pour les petites économies, et la cause principale à cela est la liberté de mouvement des capitaux libellés en devises étrangères. En présence de cette libre circulation des capitaux, les taux de change déterminés par le marché tendent à être supérieurs ou inférieurs au taux d’équilibre, parfois même pendant un grand laps de temps.
Il est nécessaire que les forces progressistes des États européens désireuses de mener des politiques gouvernementales de gauche, notamment celles de la périphérie européenne, tirent les leçons de l’histoire récente de l’Europe : les politiques de contrôle des capitaux sont essentielles pour une sortie de gauche de la dépression économique actuelle, mais elles ne représentent qu’une partie des mesures à appliquer et doivent s’accompagner d’autres mesures politiques dans d’autres domaines.
II. L’AUDIT DE LA DETTE PUBLIQUE COMME OUTIL PERMETTANT DE PRENDRE DES MESURES UNILATÉRALES CONTRE LES DETTES PUBLIQUES ILLÉGITIMES
Un audit citoyen de la dette doit être effectué pour argumenter et obtenir le soutien populaire en faveur de mesures unilatérales contre le poids de la dette publique, allant de la suspension de paiement à la restructuration unilatérale ou à la répudiation. Les livres de la dette publique devraient être ouverts afin d’être soumis à l’examen public et une enquête sous contrôle démocratique devrait déterminer les dettes qui ne doivent pas être remboursées. L’audit de la dette doit donc s’accorder sur les définitions de ces dettes qu’il faut remettre en cause. La proposition suivante est basée sur la Commission de la vérité sur la dette publique de la Grèce [10].
Catégories de dettes à remettre en cause (définitions) :
- Dette illégitime : dette qui n’a pas été contractée afin de satisfaire l’intérêt du plus grand nombre, mais, au contraire, a servi les intérêts d’une minorité privilégiée (par exemple la conversion de dettes privées en dettes publiques sous la pression de créanciers participant aux sauvetages bancaires, ou l’emprunt d’argent pour construire une centrale nucléaire bénéficiant à des entreprises privées du secteur de l’énergie). Il peut également s’agir d’une dette contractée à des conditions manifestement injustes ou abusives.
- Dette odieuse : dette qui a été contractée contre l’intérêt du plus grand nombre et au service d’une minorité privilégiée alors que les créanciers le savaient ou auraient dû faire le nécessaire pour le savoir.
- Dette illégale : dette pour laquelle les procédures légales en vigueur n’ont pas été respectées, ou dette qui implique une faute grave de la part du créancier (par exemple, recours à la corruption, à la menace ou à l’abus d’influence). Il peut s’agir également d’une dette contractée en violation du droit national ou international ou qui contient des conditions contraires au droit.
- Dette insoutenable : dette qui ne peut être honorée sans attenter gravement à la capacité de l’État débiteur à assurer ses obligations en matière de droits humains fondamentaux, comme ceux relevant du domaine des soins de santé, de l’éducation, de l’accès à l’eau, de l’hygiène publique ou du logement. Il peut s’agir aussi d’une dette dont le remboursement nuit à la capacité de l’État débiteur à investir dans les infrastructures publiques et les programmes nécessaires au développement économique et social. Ou encore d’une dette dont le remboursement entraînera des conséquences préjudiciables pour la population de l’État débiteur (ce qui inclut une détérioration des conditions de vie).
L’audit citoyen :
L’audit de la dette publique est un droit démocratique fondamental des citoyens ainsi qu’un droit souverain d’une nation. Il ne peut y avoir de démocratie sans transparence sur les finances de l’État, et il est immoral de demander aux citoyens de payer la dette sans savoir comment et pourquoi cette dette a été créée. L’audit est important au regard des sacrifices substantiels exigés et/ou imposés aux populations européennes pour honorer le paiement de la dette.
L’audit de la dette est une obligation découlant du droit international
L’audit de la dette est également un devoir institutionnel des États européens selon le droit européen. Il répond à l’obligation créée par le règlement (UE) n° 472/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013, dont l’article 7, paragraphe 9, énonce : « Un État membre faisant l’objet d’un programme d’ajustement macroéconomique réalise un audit complet de ses finances publiques afin, notamment, d’évaluer les raisons qui ont entraîné l’accumulation de niveaux d’endettement excessifs ainsi que de déceler toute irrégularité ».
Enfin, l’audit de la dette est également une obligation découlant du droit international. Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme (A/HRC/20/23), adoptés par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en juillet 2012, appellent les États à effectuer des audits réguliers de leur dette publique, afin de garantir la transparence et l’obligation de rendre compte dans la gestion de leurs ressources, ainsi que pour éclairer les futures décisions d’emprunt [11].
Pour un gouvernement de gauche qui veut se confronter au problème de la dette de manière démocratique, l’option optimale serait de réaliser un audit citoyen de la dette. Cela signifie que les citoyens doivent participer activement au processus en ayant accès à l’information, en contribuant à analyser les données, en développant un argumentaire politique sur base des résultats, en publiant ces résultats et en participant aux processus d’éducation populaire liés au sujet. L’audit devrait permettre une analyse répondant aux questions suivantes : Comment la dette a été générée et accumulée ? Quels ont été les principaux bénéficiaires de l’endettement ? Quels ont été les différents instruments utilisés dans ce processus d’endettement ? Qui sont les créanciers ? Quelles sont les conséquences socio-économiques du remboursement ? Cela devra permettre d’évaluer dans quelle mesure la dette est odieuse, illégitime, illégale et insoutenable. Un tel processus pourrait déboucher sur un référendum soumettant à la population les résultats de l’audit et visant à décider démocratiquement des mesures politiques à prendre en conséquence de ces résultats.
Principes et éléments à prendre en compte pour décider d’une réduction ou d’une annulation de dette :
Un audit pourrait aider un gouvernement à décider quelles parties de la dette ne devraient pas être remboursées. Par principe, les dettes considérées comme odieuses, illégitimes, illégales ou insoutenables ne doivent pas être payées. Cependant, lorsqu’un gouvernement prend la décision de répudier une dette, il devrait également prendre en compte la composition des détenteurs de dette, les formes sous lesquelles l’État s’est endetté, les aspects juridiques tels que le droit de la juridiction à laquelle la dette est reliée, la devise dans laquelle la dette a été émise, ainsi que les résultats économiques (et la distribution faite de la richesse) de cet endettement. En effet, il est possible que dans certains cas les principaux bénéficiaires du processus d’endettement ne soient pas les créanciers mais le secteur privé qui a été renfloué par des schémas de bail-out, ou de grandes entreprises qui ont bénéficié de contrats de plusieurs milliards pour construire des infrastructures coûteuses et inutiles. Il se pourrait bien que les détenteurs de dette soient de petits investisseurs ou des fonds de pension, ce qui signifie que, comme dans le cas de la Grèce, une décote sans compensation nuirait aux plus faibles. Ainsi, les décotes ou même l’annulation totale devraient viser les grands investisseurs institutionnels et les créanciers publics étrangers qui ont imposé des mesures antisociales à la population, tels que les institutions et les États de l’UE ; ces mesures devraient avoir pour objectif de redistribuer les richesses en faveur des travailleurs et des travailleuses.
Celles et ceux qui s’opposent à la possibilité d’un défaut total ou partiel prétendent que le respect de la légalité doit avant tout prévaloir – une priorité qui n’est pas défendue avec le même enthousiasme lorsqu’il s’agit de respecter les droits humains ou les droits économiques, sociaux et culturels des populations. Face à la possibilité de défaut du débiteur, les défenseurs de la prévalence de la « loi » et des contrats financiers déploient une série de menaces et de scénarios catastrophiques : la fermeture des marchés financiers, l’isolement économique et commercial entraînant une pénurie d’approvisionnements, etc. La cessation du paiement de la dette apparaît généralement comme une option folle, irréalisable au-delà de sa portée propagandiste. Quel que soit le coût social découlant des engagements financiers, il est soutenu que le fait de continuer à payer la dette est toujours le « moindre mal » [12].
Cependant, à la fois la théorie et la pratique suggèrent que la menace de fermeture du robinet du crédit a été exagérée. Des cas tels que ceux de la Russie en 1998 ou de l’Argentine dans les années 2000 prouvent qu’une suspension du remboursement de la dette peut être bénéfique pour les pays qui l’appliquent, car les fonds précédemment dédiés au remboursement de la dette peuvent ainsi être consacrés à la réactivation économique. Joseph Stiglitz écrit à propos de l’Argentine : « Le fait que l’Argentine soit allée si bien après son défaut de paiement, même sans l’appui du FMI (ou peut-être parce qu’elle n’a pas eu l’appui du FMI), peut conduire à un changement de cette croyance » selon laquelle le défaut mènerait au chaos généralisé [13]. Eduardo Levy Yeyati et Ugo Panizza, deux économistes qui ont travaillé pour la Banque interaméricaine de développement, ont mené des recherches minutieuses sur les défauts de paiement concernant une quarantaine de pays. Une de leurs conclusions principales est la suivante : « Les périodes de défaut de paiement marquent le début de la récupération économique » [14]. Un autre cas emblématique est celui de l’Islande qui, en 2008, a nationalisé la banque Landsbanki en faillite, mais n’a pas sauvé Icesave, la succursale étrangère de Landsbanki. Après que les Pays-Bas et la Grande-Bretagne ont indemnisé les déposants néerlandais et britanniques d’Icesave, leurs gouvernements ont demandé à l’Islande d’assumer les coûts. Sous la forte pression populaire qui s’opposait à ce que l’Islande couvre les pertes privées subies par Icesave, le gouvernement islandais a dû céder à l’organisation d’un référendum par lequel le paiement de la dette réclamée par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas a été massivement rejeté (en outre, le gouvernement islandais a pris des mesures pour réduire les dettes hypothécaires de la population, et l’Islande a été le seul pays où des banquiers ont été traduits en justice et emprisonnés pour leur implication dans la crise bancaire). L’Islande a connu une reprise économique rapide. Le contrôle des mouvements de capitaux a également été couronné de succès. Ce succès a été confirmé lorsque la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, qui avaient déposé plainte devant la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange, ont échoué à faire condamner l’Islande pour non-paiement de sa dette [15].
Dans l’histoire, qu’elle soit récente ou plus éloignée, il existe de multiples précédents de défauts, de restructurations sous forme de réductions, et d’annulations de dettes [16]. On peut apprendre beaucoup à partir de ces exemples. Mais la principale leçon que l’histoire peut enseigner à un gouvernement de gauche populaire qui aurait l’intention de mettre en œuvre un programme progressiste en Europe devrait être la suivante : il est possible pour un État débiteur d’utiliser le défaut de paiement afin d’améliorer les conditions de vie de la majorité et des plus vulnérables (à travers une réorientation des ressources jusque-là allouées au remboursement de la dette vers une augmentation de la demande publique interne, l’augmentation du pouvoir d’achat de la population et la création d’emplois), et une suspension de paiement améliore le rapport de forces en faveur du gouvernement qui la met en œuvre, en lui permettant d’accroître son pouvoir d’influence sur les créanciers afin de leur imposer une décote unilatérale de leurs obligations, garanties ou titres.
III. DÉFINIR L’ATTITUDE À ADOPTER FACE AUX DIFFÉRENTS CRÉANCIERS
Porteurs d’obligations :
Afin de définir l’attitude à adopter face aux différents porteurs d’obligations, un gouvernement pourrait établir de nouveaux termes régissant les offres d’échange par rapport aux différents titres de créance, ce qui implique un processus volontaire durant lequel les créanciers accepteraient un « nouveau » titre de créance en échange de l’ancien. Afin de s’assurer de la coopération des créanciers, le gouvernement pourrait offrir des titres assortis de conditions très favorables à ceux qui acceptent d’échanger leurs anciens titres (prépaiement obligatoire, redéfinition des termes dans le cas d’une faillite).
Une autre option serait de protéger et compenser certains groupes de créanciers grâce à des subventions publiques, qui leur offriraient des avantages préalablement définis par un audit citoyen de la dette et le gouvernement de gauche. Ces avantages pourraient être offerts à de petits investisseurs non-coupables de l’endettement illicite contracté au nom d’arguments économiques. Quant aux grands investisseurs, ou ceux qui ont participé à la création ou ont profité de dettes illicites, ils seraient poursuivis en justice, ce qui pourrait amener à une restitution totale de leurs profits et à une annulation des obligations courant encore.
Un gouvernement de gauche devrait s’engager à ne pas renégocier les accords avantageux offerts aux créanciers qui acceptent d’échanger leurs titres, et à ne pas non plus revenir sur les décisions prises vis-à-vis des créanciers désignés comme responsables de dettes illégitimes par l’audit citoyen (et qui auront donc été exclus des offres d’échange ou dont les conditions d’échange auront été moins favorables). Il s’agit de montrer que l’offre d’échange est définitive et que, si certains créanciers se refusent à l’échange, le gouvernement ne renégociera pas de contrat aux termes plus avantageux avec eux.
En novembre 2018 dans l’affaire Kuhn, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que de telles décotes unilatérales peuvent être prises par un État agissant comme souverain (jure imperii) sur un contrat concernant sa propre juridiction nationale, et que les créanciers ne peuvent donc pas exiger devant une juridiction étrangère que l’État débiteur remplisse les conditions du contrat initial (ou qu’il paye une compensation) [17].
Les résultats de l’audit devraient aussi encourager un gouvernement de gauche à entamer des actions judiciaires contre ceux qui, sans être forcément créanciers, ont bénéficié du processus d’endettement au détriment du bien-être de la majorité (par exemple les entreprises privées qui ont profité de la privatisation d’infrastructures publiques exigée par les créanciers comme condition visant à rembourser un prêt). L’audit citoyen devrait aussi autoriser le Parlement à prendre les mesures nécessaires pour obtenir de la part des créanciers des compensations pour les coûts engendrés par le paiement de la dette, via des lois, de nouvelles taxes ou des expropriations sans indemnisation.
Titres de créances possédés par des banques :
Dans un grand nombre de cas, notamment dans la périphérie du Sud de l’Europe où les banques locales détiennent une part importante de la dette de leurs États respectifs, il est possible de réduire substantiellement la dette grâce à la socialisation du système bancaire national. Une socialisation partielle ou totale de la dette pourrait faciliter la restructuration unilatérale ou l’annulation d’une part de cette dette. Cela pourrait cependant s’avérer difficile sans souveraineté monétaire, car le nouveau gouvernement aurait des difficultés pour rembourser les banques s’il ne peut pas le faire dans sa propre monnaie. Dans ce cas de figure, il devrait se reposer sur des taxes lourdes (ce qui peut provoquer une récession en temps de crise) ou emprunter à des créanciers privés, ce qui est difficilement envisageable au vu des réformes bancaires susmentionnées. Une autre possibilité serait de mettre à contribution, par un schéma de bail-in, les investisseurs et les déposants, même s’il serait préférable d’éviter les pertes pour les déposants. Si le gouvernement choisit d’inclure les dépôts dans un bail-in, il devrait garantir l’intégrité des dépôts sous un certain seuil, tel que 150 000 ou 200 000 euros.
La dette publique détenue par la Banque centrale européenne :
Une autre piste, si elle était proposée par l’audit citoyen, serait de faire défaut sur la dette souveraine détenue par la BCE et les autres fonds de sauvetage européens. Cela constituerait une puissante arme d’autodéfense. La dette détenue par la BCE n’est pas une dette qu’il est nécessaire de rembourser selon des arguments économiques. Le programme de quantitative easing (littéralement « assouplissement quantitatif », ci-après QE) a montré qu’une banque centrale créatrice de monnaie peut s’engager dans des plans de financement monétaire sans causer d’inflation dans des périodes de sous-emploi sévère et de sous-utilisation des capacités productives.
Le QE consiste en des rachats massifs par la BCE de titres de la dette privée et publique aux banques de la zone euro ainsi qu’à de grandes entreprises. En faisant cela, la BCE vient en aide aux banques et aux autres grandes entreprises privées en les gavant de liquidités que celles-ci utilisent pour spéculer en agrandissant les risques de nouvelles crises. Quand des titres souverains arrivent à échéance, la BCE rachète des titres pour un montant équivalent et continue ainsi à injecter des liquidités dans les banques, qui achètent encore plus de titres souverains. Si un gouvernement décidait de rompre avec l’austérité, la BCE pourrait décider de ne pas racheter ses titres de la dette publique lorsque les titres précédents arriveraient à échéance. Elle pourrait faire du tort au gouvernement concerné en décidant de remplacer les titres venus à échéance par des titres émis par un gouvernement néolibéral pur et dur. Cela aurait comme conséquence de faire augmenter le coût du financement de la dette du pays indiscipliné. C’est donc une raison supplémentaire pour qu’un gouvernement de la gauche populaire suspende immédiatement ses paiements dus pour les titres de la dette détenus par la BCE.
Si l’on extrapole les résultats de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque [18], nous pouvons affirmer qu’il serait contraire à l’objectif de reprise économique et illégitime de repayer une telle dette, car cela impliquerait de mettre en œuvre plus de réformes néolibérales, ce qui n’aurait pour conséquences que d’assécher le système monétaire. Ces réformes imposeraient une déflation, encore une fois au détriment de la majorité, particulièrement des plus précaires et des plus pauvres. Si la BCE se voyait forcée de détenir de la dette publique de façon permanente, les États pourraient restructurer et réduire leur dette publique à hauteur du montant détenu par la BCE.
La dette détenue par les fonds de sauvetage internationaux :
Un cas similaire est celui de la dette due par des pays périphériques aux fonds de sauvetage européens (le Fonds européen de stabilité financière et son successeur, le Mécanisme européen de stabilité) auxquels participent les États membres de la zone euro. Ces fonds de sauvetage sont responsables de l’arnaque qu’ont constitué les sauvetages d’institutions bancaires dans les pays qui ont été touchés le plus fortement par la crise, comme la Grèce. Les sauvetages ont été conditionnés à la mise en œuvre de plans d’ajustement macroéconomiques dont les effets ont été catastrophiques, comme cela a été décrit précédemment. Il est temps de mettre fin à tant d’abus, de mettre fin aux remboursements à ces fonds de sauvetage et de dédier les ressources ainsi libérées à la remise sur pied d’une protection sociale et de conditions économiques permettant à tous les Européens de vivre dignement. Une telle décision mettrait fin aux politiques néo-mercantilistes conduites par l’Allemagne au sein de la zone euro, qui causent tant de souffrance dans les sociétés du sud de l’Europe, en détruisant leurs économies et en menant à des cauchemars comme la montée de l’extrême-droite.
IV. RÉDUCTION DE LA DETTE PRIVÉE
Appliquer un programme de réduction de la dette privée, en réduisant ou en annulant les dettes des individus et des familles
Pour assainir les bilans des banques et redistribuer les ressources en faveur des personnes les plus pauvres et dans le besoin (qui sont de plus en plus nombreuses en ces temps de crises sociales), un gouvernement de gauche devrait appliquer un programme de réduction de la dette privée, en réduisant ou en annulant les dettes des individus et des familles. Les dettes hypothécaires et étudiantes en particulier ont généralement été contractées d’abord et avant tout dans le cadre de l’offensive néolibérale du capital contre le travail. Les dettes hypothécaires ont accompagné les bulles spéculatives sur le marché du logement, favorisant ainsi l’accumulation de capital dans le secteur immobilier (en parallèle de l’accumulation dans le secteur bancaire). L’endettement des étudiants augmente avec la détérioration du niveau de vie sous le néolibéralisme en général et avec les attaques néolibérales contre l’éducation publique en particulier (par exemple l’introduction et/ou l’augmentation des frais de scolarité dans les universités publiques), forçant de plus en plus de jeunes travailleurs et travailleuses à devoir supporter un fardeau de dette tout au long de leur carrière.
Une façon de financer un tel programme de réduction de dette serait de réduire les obligations que les banques privées ont envers la BCE. Ceci constituerait un « assouplissement quantitatif pour le peuple », à travers lequel le gouvernement transférerait les prêts hypothécaires et dettes étudiantes à la BCE et imposerait leur annulation, améliorant ainsi les conditions de vie de la majorité, et mettant en place des conditions favorables à l’expansion du crédit des banques, permettant la revitalisation de l’économie.
Une autre option serait de financer les annulations à travers une mise à contribution des actionnaires du grand capital (bail-in). Ceci réduirait le prix des actions des banques et permettrait au gouvernement d’investir dans ces banques à un prix réduit, ce qui permettrait à l’État de prendre part à la direction de ces banques (partiellement ou totalement) si elles n’ont pas encore été socialisées.
En cas de redénomination monétaire, le gouvernement émettant sa propre monnaie pourrait recapitaliser les banques selon leurs besoins en capitaux après l’application du programme de réduction de dette, et ce sans avoir besoin de recourir à la taxation, au bail-in ou au financement extérieur.
V. FINANCEMENT D’URGENCE
Une coalition de la gauche populaire qui parviendrait au gouvernement et ne disposerait pas de banque centrale émettrice de monnaie devrait immédiatement chercher des moyens de financer ses déficits. Les ressources seront rares pour un gouvernement qui a besoin de recourir à d’importants déficits budgétaires afin de réactiver l’économie et d’appliquer de profondes mesures sociales et de redistribution.
Émettre des obligations sur le marché intérieur comme option pour accumuler des réserves
En pareil cas le gouvernement devrait envisager d’émettre des obligations sur le marché intérieur comme option pour accumuler ces réserves. Ces obligations pourraient faire partie de la restructuration d’anciennes obligations ou bien on pourrait en émettre de nouvelles. Dans tous les cas elles devraient être conçues avec de longues échéances et un taux d’intérêt nul dans le cas de restructuration d’anciennes obligations détenues par de riches porteurs. La réduction du taux d’intérêt apporterait un soulagement significatif en termes budgétaires. De même, le retard de l’échéance des obligations éliminerait les pressions budgétaires associées au besoin de faire rouler la dette de court terme [19]. Les retraités et les petits porteurs seraient entièrement indemnisés.
La dette publique pourrait constituer un instrument de financement d’un vaste programme de transition écologique
La dette publique pourrait constituer un instrument de financement d’un vaste programme de transition écologique, au lieu de servir à imposer des politiques antisociales, extractivistes, productivistes, favorisant la compétition entre les peuples. L’endettement public n’est pas mauvais en soi. Les pouvoirs publics peuvent recourir à l’emprunt pour :
- financer la fermeture complète des centrales nucléaires ou thermiques ;
- remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables respectueuses de l’environnement ;
- financer une reconversion de l’agriculture actuelle qui contribue de manière importante au changement climatique et qui est une grosse consommatrice d’intrants chimiques responsables de la baisse de biodiversité. Il s’agit de redonner aux activités agricoles une orientation compatible avec la lutte contre le changement climatique en favorisant notamment les circuits courts et en produisant de la nourriture biologique ;
- réduire radicalement le transport routier et aérien au profit de transports collectifs par voies ferrées ;
- financer un vaste programme de développement d’un habitat de meilleure qualité et consommant beaucoup moins d’énergie.
L’emprunt public est légitime s’il est au service de projets eux-mêmes légitimes et si ceux et celles qui contribuent à l’emprunt le font également de manière légitime.
Un gouvernement populaire n’hésitera pas à obliger les grandes entreprises (nationales ou étrangères) et les ménages les plus riches à contribuer à l’emprunt sans que ceux-ci en retirent avantage, c’est-à-dire à taux zéro et sans compensation pour l’inflation.
Simultanément, une grande partie des ménages des classes populaires qui ont une épargne pourront être convaincus d’accepter de confier volontairement celle-ci aux pouvoirs publics afin de financer les projets légitimes mentionnés plus haut. Ce financement sur base volontaire par les couches populaires serait rémunéré à un taux réel positif, par exemple de 3 %. Cela signifie que si l’inflation annuelle atteignait 2 %, les pouvoirs publics assureraient le paiement d’un intérêt nominal de 5 % afin de garantir un taux réel de 3 %.
Ce mécanisme serait hautement légitime car il financerait des projets utiles pour la société et parce qu’il permettrait de réduire la richesse des plus riches tout en augmentant les revenus des couches populaires et en sécurisant leur épargne.
Les banques nationales pourraient également financer le gouvernement directement au moyen de prêts.
Une réforme fiscale progressive qui augmente le revenu par un multiplicateur minimum serait aussi nécessaire. Cela inclurait une réduction de la TVA, et une augmentation de la progressivité de la taxation sur les revenus, les profits et les richesses. Il faudrait poursuivre et réduire la fraude et l’évasion fiscales.
VI. ANNULATION DE CRÉANCES EUROPÉENNES SUR DES PAYS TIERS
Les États européens (et le capital basé dans ces pays) continuent à s’engager dans des relations néocoloniales et impérialistes avec des pays plus pauvres à travers le monde. Actuellement, la dette publique en augmentation dans les pays à revenus moyens de même que dans les pays les plus pauvres atteint des niveaux inquiétants. Les économistes s’inquiètent de l’impact de la situation sur les perspectives et les développements macroéconomiques, notamment dans les pays en développement à faibles revenus. Ce groupe comporte actuellement 59 pays comptant pour environ un cinquième de la population mondiale et 4 % de la production mondiale. Pour ce groupe de pays, le ratio médian de la dette publique exprimée en part du PIB oscille autour de 47 %. Certains pays de ce groupe ont commencé à faire défaut car ils ne peuvent plus refinancer leur dette. En fait, en seulement quatre années, la part des pays en développement à faibles revenus en grand risque de détresse financière due à la dette ou déjà en incapacité de servir totalement leur dette a presque doublé pour atteindre 40 %.
Les dettes des États débiteurs considérées comme illégitimes, illégales, odieuses et/ou insoutenables doivent être annulées
Des gouvernements de la gauche populaire devraient inclure les dettes que d’autres nations ont contractées auprès de leurs États dans l’audit de la dette mentionné ci-dessus. Selon les mêmes principes, les dettes considérées comme illégitimes, illégales, odieuses et/ou insoutenables doivent être annulées. C’est ce qu’a fait la Norvège en 2006, lorsque le pays a annulé les créances qu’il détenait sur l’Équateur, l’Égypte, la Jamaïque, le Pérou et la Sierra Leone, les prêts ayant été contractés sous la pression abusive du créancier. De même, en 1953, à l’initiative des principaux créanciers de l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, une grande partie de la dette de l’Allemagne a été annulée, permettant son développement économique rapide dans les années suivantes.
VII. UN SCÉNARIO ALTERNATIF : ENVISAGER LA REDÉNOMINATION MONÉTAIRE
Quelques-unes des mesures mentionnées dans ce chapitre (socialisation et recapitalisation des banques, réduction de la dette privée, financement d’urgence, annulation/réduction de dette des nations débitrices) seraient plus facilement financées à travers un financement monétaire, qui nécessiterait un contrôle du gouvernement sur une banque centrale émettrice de monnaie. Si ce n’était pas le cas, comme dans le cas des pays à l’intérieur de la zone euro, un gouvernement de la gauche populaire devrait décider s’il faut recouvrer sa souveraineté monétaire et le contrôle de sa banque centrale, ou bien continuer sous les contraintes courantes actuelles. Une sortie de l’Union monétaire européenne est une possibilité stratégique qu’un gouvernement de gauche devrait sérieusement explorer (voir le chapitre 1).
CONCLUSION
L’audit citoyen de la dette publique, un outil important pour faire évoluer les rapports de forces par une mobilisation populaire
La dette publique a été et est encore un outil important pour l’accumulation du capital et pour la restructuration des économies européennes en faveur du capital au détriment du travail. Elle doit donc être contestée par des mesures unilatérales telles que la suspension de paiement, la décote unilatérale ou la répudiation de la dette. Les mesures politiques liées à la dette ne peuvent être séparées des autres mesures liées à la mobilité du capital financier et du crédit ; le contrôle des capitaux et d’autres mesures décisives visant à installer un système bancaire public sont des conditions nécessaires à la mise en œuvre réussie de politiques relatives à la dette. Compte tenu du fort potentiel de conflit que cela implique avec les créanciers, il est absolument nécessaire de faire évoluer les rapports de forces par une mobilisation populaire en faveur de ces politiques. À cet égard, l’audit citoyen de la dette publique peut être un outil important.
Chapitre 4 - Travail, emploi et droits sociaux |
Nous défendons un projet de transformation éco-féministe, social et démocratique de l’économie
Ce chapitre met en discussion des analyses et des propositions de politiques publiques qui concernent le travail, l’emploi et les droits sociaux. Ces questions doivent être considérées dans une perspective large, fondée sur la compréhension du fait que le conflit entre le capital et le travail fait partie du conflit entre le capital et la vie. Cela signifie que la lutte ne consiste pas exclusivement dans un combat pour une répartition plus juste des richesses. Il s’agit d’un élément fondamental de la lutte, mais il est loin d’être le seul. Nos propositions sont orientées vers un changement radical du système économique et social, qui doit mettre en son centre la vie et le soin des individus et de la planète. Nous défendons ainsi un projet de transformation éco-féministe, social et démocratique de l’économie.
Pour réaliser cet objectif, les syndicats demeurent des instruments cruciaux, mais leur activité doit être centrée sur la contestation et la lutte plutôt que sur l’expertise institutionnelle et la co-gestion. Il est manifeste que les formes existantes du mouvement ouvrier sont plutôt sur le déclin en Europe, mises en difficulté par des politiques anti-syndicales mais aussi par la division néolibérale et l’organisation néomanagériale du travail. Cependant, un syndicalisme de lutte des classes – aux niveaux local mais aussi international – est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. Son renouveau et son développement peuvent s’appuyer sur des alliances avec d’autres formes de mouvements sociaux, qui concernent le travail mais ne sont pas exclusivement ancrées dans l’entreprise, telles que les luttes sociales des travailleurs sans emploi et précaires, ainsi que les luttes féministes, écologistes et antiracistes. Les luttes féministes, notamment, sont d’une importance cruciale pour le syndicalisme, dans la mesure où elles relient l’antagonisme entre travail et capital aux enjeux de l’égalité et de la démocratie dans l’ensemble des domaines de la vie sociale. En ce qui concerne ces alliances, le syndicalisme de lutte des classes doit œuvrer à des convergences au-delà des revendications traditionnelles du mouvement ouvrier, au sujet notamment de la justice fiscale, des services publics, des droits des migrant-e-s, des circuits courts et de la relocalisation de l’économie, ainsi que de l’égalité entre hommes et femmes.
Les propositions et stratégies qui sont mises en discussion dans ce texte visent à la fois à améliorer la distribution des revenus, des richesses et du pouvoir social et faciliter le changement radical du modèle. C’est dans cette perspective que nous estimons essentiel de repenser les formes de l’emploi et de l’autorité publique.
I. DIAGNOSTIC
L’Union européenne est un projet néolibéral dont les grandes lignes d’action sont notamment :
- La réduction des droits des travailleuses et des travailleurs. L’argument selon lequel leur protection génère des “rigidités” au sein du marché du travail qui elles-mêmes sont des causes de chômage s’est constitué en théorie, certes fausse mais sur laquelle ont pu s’appuyer les attaques permanentes et généralisées contre le droit du travail ces dernières décennies. Les quarante dernières années de réformes néolibérales constantes ont dégradé de manière inacceptable les conditions de travail et les droits sociaux.
- L’attaque du droit de négociation collective. La même théorie précédemment mentionnée a constitué l’alibi pour réduire les droits permettant la négociation collective et augmenter le pouvoir des grandes entreprises au détriment de la classe ouvrière. Les instruments de défense collective, et en premier lieu le droit de faire grève, font partie de ces éléments de la négociation collective qui sont particulièrement menacés.
- Les coupes dans les pensions de retraite ont été promues par les institutions européennes et mises en œuvre par les pays membres. Cela a conduit à des cycles successifs de réforme du système des pensions, qui ont imposé des coupes de trois manières : la diminution des nouvelles pensions, le report de l’âge de départ à la retraite et l’absence de garanties concernant le pouvoir d’achat des retraités. L’introduction du facteur dit de “stabilité” (par exemple en Allemagne, en Espagne, en Grèce, etc.) [20] de même que le “Pacte budgétaire européen” [21] ont visé à donner une apparence naturelle à des coupes à venir qui n’ont dès lors plus besoin de passer par voie législative.
- Les coupes dans les allocations de chômage et dans les autres droits sociaux. En prétendant constituer des encouragements dans la recherche d’un emploi, plusieurs coupes ont été imposées dans les revenus des chômeurs (concernant le montant, les conditions d’accès ou la durée des allocations).
- La réduction du rôle des services publics et leur ouverture à la participation d’entreprises privées de toutes sortes. La privatisation et la sous-traitance au privé ont également affecté les emplois relevant du service public. La mise en relation ou la formation à l’emploi sont considérées comme des secteurs au sein desquels les entreprises privées (tels que les agences de travail intérimaire) doivent jouer un rôle prépondérant, ce qui rend les emplois encore plus précaires et contribue à exclure toujours plus les groupes les plus défavorisés du marché du travail et de l’accès à des emplois de qualité.
Les objectifs macro-économiques de l’Union européenne sont le contrôle de l’inflation, du déficit public et de la dette publique, et l’augmentation de la compétitivité des grandes entreprises européennes sur le marché global, au détriment d’autres objectifs tels que l’amélioration des conditions de vie, d’emploi et de travail, l’égalité et le plein emploi. Il n’est donc pas surprenant qu’il en résulte une augmentation spectaculaire de la part prise par les plus riches dans la distribution des richesses, tandis que les revenus et les richesses des travailleurs et travailleuses sont drastiquement réduits. Corrélativement, le niveau de chômage atteint des niveaux élevés tandis que s’accroissent la précarité, la pauvreté et l’exclusion sociale en Europe. [22]
Il existe des disparités très importantes entre les États européens en ce qui concerne l’emploi, les salaires et les droits sociaux. Un exemple clair consiste dans les fortes inégalités en termes de salaire minimum et de protection sociale, qui sont attestées par les données officielles de l’agence Eurostat. Par exemple, les salaires minimums en Allemagne, en France et en Belgique sont en moyenne entre dix et cinq fois supérieurs à ceux de la Bulgarie, de la Lituanie et de la Roumanie. [23] Ces inégalités n’ont pas empêché les institutions européennes et les pays membres de persister dans la même orientation néolibérale ces deux dernières décennies.
Les politiques européennes sont clairement un facteur de dégradation des conditions matérielle de la vie de la grande majorité de la population en Europe :
- Non seulement ces politiques de l’UE génèrent de la pauvreté et du chômage, mais encore elles facilitent la domination économique et politique des grandes entreprises et des banques sur les institutions démocratiques. Avec le soutien actif des institutions européennes, les grandes entreprises ont profité de l’occasion de la crise pour approfondir leurs attaques contre les conquêtes sociales et démocratiques des travailleurs au 20e siècle, et pour continuer à étendre leur hégémonie sur les aspects publics comme privés de la vie des peuples européens.
- Les inégalités de genre sont fortement liées à l’exploitation capitaliste : les femmes subissent des écarts salariaux, une division du travail dans laquelle les femmes et en particulièrement les femmes migrantes racisées sont assignées au travail domestique, de soins (« care ») et au travail gratuit, des inégalités dans le montant de leurs pensions, etc.
- La croissance économique et l’accroissement de la consommation sont considérés comme la meilleure et unique méthode (« one best way »), ce qui signifie ignorer la nature insoutenable de cette voie, des conséquences désastreuses pour l’environnement, pour le futur de la planète et pour la reproduction de la vie humaine.
- Les privilèges du grand capital ont été constitutionnalisés au détriment des droits humains, économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Des avancées ont été accomplies en direction d’un nouvel ordre mondial dans lequel, au moyen de la soi-disant « nouvelle génération » d’accords commerciaux (TAFTA, CETA, etc.), les intérêts du capital prévalent à titre de normes obligatoires, tandis que les droits humains, économiques, sociaux, culturels et environnementaux sont détruits.
De même, les traités de l’Union européenne font de l’Europe une forteresse contre les migrants, et méprisent le droit à la migration en vue d’une vie décente et à l’asile en vue d’échapper aux guerres et aux persécutions sociales ou politiques. À cela, il faut ajouter la responsabilité des politiques menées par les institutions européennes et par les gouvernements des pays membres à l’égard de l’appauvrissement de centaines de millions de personnes à travers le monde.
II. PROPOSITIONS
Un changement radical dans les politiques de l’emploi et les politiques sociales est nécessaire afin de garantir un emploi équitable, une vie décente et le droit à la démocratie économique pour toutes et tous. Dans cette perspective, il est nécessaire de mettre en œuvre une série d’initiatives et de mesures :
Les mouvements sociaux et citoyens :
Les revendications et initiatives des mouvements sociaux et citoyens constituent des préconditions pour sortir de la logique néolibérale. Ces initiatives devraient viser :
- L’annulation et l’inversion du processus de dégradation des droits sociaux ainsi que de démantèlement de la négociation collective et des droits sociaux mis en œuvre ces dernières années.
- L’établissement d’un salaire minimum de référence (comme l’expérience des 15 dollars horaires aux États-Unis, ou des 1200 euros mensuels au Pays basque, etc.).
- La réduction de la durée de la journée de travail, avec pour horizon 32 heures, et la garantie du droit au logement.
- Le droit de toute personne à migrer, et à bénéficier d’un accueil digne en lui garantissant la pleine citoyenneté.
- Le démantèlement du pouvoir des grandes entreprises et notamment des multinationales (au moyen par exemple de traités contraignants sur les entreprises transnationales et les droits humains) par le biais de leur socialisation et de leur régulation publique ; ainsi que la transformation sociale, écologique, démocratique et féministe du modèle économique capitaliste, au moyen de politiques promouvant le développement d’activités correspondant à ces critères et qui réduisent ou interdisent celles qui les contredisent (par exemple l’industrie des armes).
Les mesures immédiates d’un gouvernement populaire :
Un gouvernement populaire devrait d’abord adopter des mesures immédiates pour annuler les coupes effectuées ces dernières années dans le droit du travail, les droits sociaux et le droit de négociation collective. Il lui faudrait :
- rétablir les droits perdus dans le domaine de l’emploi ;
- rétablir la valeur de la négociation collective et augmenter le pouvoir de la classe ouvrière et des syndicats ;
- annuler et inverser les coupes imposées dans les pensions de retraites, les allocations de chômage et les autres allocations sociales ;
- garantir tous les droits à toutes les personnes forcées de migrer pour des raisons économiques, sociales et politiques ;
- annuler et s’opposer à la nouvelle génération de traités commerciaux.
Des gouvernements populaires devraient ensuite appliquer des mesures dans l’ensemble de ces domaines :
- La réduction de la semaine de travail à 35 heures, en guise de première étape pour une réduction plus importante, sans réduction de salaire. La réduction du temps de travail est une question décisive. Elle permettrait une amélioration importante des conditions de travail, et constituerait un premier pas vers une distribution plus juste des richesses, du temps et du soin dans la société.
- L’augmentation du salaire minimum, qui doit atteindre au moins 70 % du salaire médian dans chaque pays.
- L’abolition des restrictions existantes à l’amélioration des accords collectifs dans les divers espaces territoriaux et sectoriels (ou, pour le dire autrement, il s’agit de ne pas permettre que la négociation collective puisse être utilisée pour dégrader les conditions de travail ou empêcher leur amélioration) ; interdire les licenciements dans les entreprises qui génèrent du profit.
- L’abolition de l’inégalité de genre au travail, rendre effectif le principe de l’égalité des salaires entre hommes et femmes à qualification égale.
- L’établissement d’un nombre significatif d’heures minimales qui doivent être rémunérées dans les emplois à temps partiel.
- La démocratisation des établissements de travail et l’augmentation de la participation des travailleurs dans les processus de décision dans l’entreprise.
- L’augmentation de la protection sociale, ainsi que de la part de la richesse (en termes de PIB) qui est affectée à la santé, à l’éducation, aux prestations sociales, etc..
- Favoriser les expérimentations démocratiques au travail : coopératives, production auto-organisée de biens et de services, économie sociale et solidaire, etc.
- Création de nouveaux droits sociaux permettant de vivre dignement : accès au logement public ; droit au travail (qui est préférable au revenu de base) ; reconnaissance des situations de dépendance spécifique au moyen d’un système de soin et d’accompagnement public, universel et gratuit ; garantie de places disponibles et gratuites dans les crèches publiques ; création d’une « allocation d’autonomie » (ou salaire étudiant) permettant aux jeunes de financer leurs études à l’abri de la pression du marché de l’emploi, etc. Comme cela a été indiqué précédemment, ces mesures impliquent une augmentation des emplois de haute qualité dans les secteurs économiques socialement nécessaires et écologiquement soutenables.
Les mesures à moyen terme d’un gouvernement populaire :
Accorder à toutes et tous un droit inaliénable au travail ainsi qu’à l’éducation et au logement
À moyen terme, les mesures sociales et économiques d’un gouvernement populaire devraient :
- Rompre avec les mécanismes imposés par la logique des politiques d’alignement (critères budgétaires, limitation des dépenses publiques, etc.). Ces mécanismes constituent des violations de la démocratie, dans la mesure où ils visent à constitutionaliser les politiques néolibérales au service des grandes entreprises, au détriment de politiques publiques qui pourraient favoriser la prospérité de toutes et tous et la justice. La désobéissance ou la rupture avec ces mécanismes constitue une condition fondamentale pour mettre en œuvre les politiques économiques et sociales que nous défendons.
- Démocratiser l’économie : le droit des travailleurs à décider au sujet des conditions et de l’organisation de leur travail, ainsi que sur les moyens et les fins de leur activité, doit être reconnu comme un droit démocratique et social et doit être garanti par le droit du travail. Cela implique d’accorder à toutes et tous un droit inaliénable au travail ainsi qu’à l’éducation et au logement, et de concevoir autrement l’établissement de travail pour le transformer en une institution démocratique.
Les initiatives à moyen terme dans le domaine international :
Au-delà, dans le domaine international, nous devrions systématiquement promouvoir :
- Des initiatives en faveur de la transformation sociale, démocratique, écologique et féministe du travail. Cela signifie que toutes les institutions politiques et sociales doivent être mises au service du changement des manières de produire, de distribuer et de consommer, de la relocalisation des emplois dans les secteurs socialement et écologiquement nécessaires, et de l’établissement de conditions de travail justes et dignes.
- La transformation radicale des règles de la mondialisation, pour donner la priorité aux droits humains, économiques, sociaux et culturels. Cela implique de rompre avec la logique de ce qu’on appelle les “accords commerciaux”, qui constituent en réalité des systèmes de domination du grand capital et des multinationales. Cette voie a aussi manifestement des répercussions favorables concernant l’emploi et le niveau de protection sociale.
En ce qui concerne les questions stratégiques au niveau européen, la priorité devrait être :
- des grèves transnationales, afin de se confronter collectivement au pouvoir des multinationales dans une perspective de lutte des classes ;
- des campagnes européennes ou internationales menées par les syndicats et les mouvements sociaux au sujet de tous les enjeux précédemment mentionnés ;
- la pédagogie au sujet des effets désastreux de l’Union européenne concernant l’emploi, les inégalités et les droits sociaux ;
- l’opposition, la désobéissance et la lutte vis-à-vis de toutes les institutions du capitalisme néolibéral, y compris l’Union européenne, qui entravent l’application des droits sociaux des travailleurs et des citoyens.
Les questions d’emploi, de travail et de droits sociaux ne concernent pas seulement l’enjeu de la redistribution économique mais aussi fondamentalement de l’égalité et de la démocratie. C’est aussi pour cette raison que les syndicats et les mouvements sociaux devraient s’opposer clairement aux institutions européennes pro-capitalistes. À tous les niveaux économiques et territoriaux, nous devons favoriser des soulèvements démocratiques contre l’ordre néolibéral, en nouant des alliances entre les mouvements anticapitalistes, écologistes, féministes et antiracistes et avec toutes les luttes pour la justice sociale.
Chapitre 5 - Écosocialisme et transition énergétique |
Satisfaire les besoins de la population en respectant les écosystèmes dans lesquels nous nous inscrivons
La soutenabilité de la vie et la reproduction sociale des êtres humains sont des facteurs élémentaires qu’il nous faut défendre à tous les niveaux d’action sociale et politique, aussi par un projet politique alternatif pour l’Europe qui soit soutenu par les classes populaires. La soutenabilité exige de satisfaire les besoins de la population en respectant les écosystèmes dans lesquels nous nous inscrivons, donc sans compromettre la capacité des générations à venir à satisfaire leurs besoins, en conciliant l’organisation économique avec la protection sociale et celle de l’environnement. Ces objectifs sont incompatibles avec notre système économique, particulièrement avec le mode de vie dans les pays riches et celui des classes dominantes dans les pays pauvres, avec le système capitaliste de production, d’échange et de consommation.
Le projet de changement politique doit donc viser la transition du capitalisme à un autre système économique soutenable, et cette transition radicale doit être démocratique. Elle doit de toute évidence inclure la défense des droits des écosystèmes (y compris les humains) et garantir un environnement sain et soutenable en luttant contre la pollution, préservant la biodiversité et protégeant les ressources naturelles. L’accès et la préservation de biens communs comme l’air, l’eau et les sols, qui sont la base même de la vie et de la production de nourriture, doivent être reconnus comme des droits humains élémentaires.
La défense d’une soutenabilité écologique implique de reconnaître que la nature n’est pas une source inépuisable de ressources et que par conséquent, l’organisation socio-économique doit reposer sur sa protection et son utilisation raisonnée.
Les limites physiques de la planète représentent un défi insurmontable face à l’exigence de croissance et d’accumulation infinie qui structure le capitalisme mondial et, spécifiquement, le projet néolibéral de l’Union européenne. Les écosystèmes planétaires ne peuvent plus fournir les matières premières dans des quantités et des conditions de rendement exigées par le capital, ni d’ailleurs absorber les déchets produits. À cet égard, si nous voulons avoir 50 % de chance de rester en dessous du plafond d’une augmentation des températures moyennes de 1,5°C sans recourir à des technologies d’émission négative et/ou à la géo-ingénierie, il faut que les émissions globales nettes de GES diminuent de 58 % de 2020 à 2030 et qu’elles soient réduites à rien pour 2050. Après cette date, il faudra que les émissions globales soient négatives… [24]
Un engagement cohérent envers l’environnement ne peut se limiter à modifier le rapport entre l’humanité et la nature en général ; il faut en même temps exiger l’égalité sociale, qui garantit la satisfaction des besoins sociaux et protège les classes populaires : il s’agit de concilier la soutenabilité et la justice sociale, d’atteindre l’équité sociale en dehors du productivisme.
Bref, il nous faut un programme de décroissance anti-productiviste, écosocialiste et anticapitaliste. En Europe, cela signifie une rupture radicale avec l’UE capitaliste et ses « politiques climatiques », tout particulièrement les permis de polluer, les certificats verts et les cat bonds, ou plus généralement tout ce qui touche au « capitalisme vert » [25] que la Commission européenne cherche à promouvoir. Les traités et les politiques écologiques des institutions européennes, liées aux lobbys notamment de l’énergie et de l’agro-industrie (voir les Monsanto papers), doivent être dénoncés et remplacés afin de permettre la transformation radicale de l’économie qu’il est urgent de mettre en œuvre.
I. PREUVES DE L’URGENCE
Les pièces à conviction portent sur le changement climatique mais aussi la perte de biodiversité, l’épuisement des ressources en carburants fossiles ainsi qu’en matières premières, sols arables et eau potable.
Changement climatique :
Plusieurs études scientifiques suggèrent que les conditions nécessaires au maintien de sociétés humaines ne sont garanties que si l’augmentation des températures moyennes ne dépasse pas le niveau préindustriel de plus de 1,5ºC [26]. Il faut pour cela que la concentration de CO2 dans l’atmosphère se stabilise en dessous de 350 ppm (parts par million) [27], or actuellement nous avons déjà dépassé 400 ppm.
Le changement climatique est provoqué par des agents responsables et produit des victimes. Son origine se trouve dans la logique productiviste d’une croissance infinie, nourrie par l’utilisation intense de carburants fossiles et son lot de pollution. Les intérêts financiers, les décisions des politiques et l’utilisation intensive des ressources par les plus riches (surtout dans les pays riches) sont les principaux responsables. Inversement, les régions les plus affectées sont celles où vivent les populations pauvres : les Nations unies estiment qu’il y a déjà près de 64 millions de déplacés climatiques et l’UNHCR considère que le réchauffement planétaire pourrit entraîner l’exil d’un milliard de personnes dans les prochaines décennies [28]. La déforestation et les crises dans la production alimentaire affectent directement les populations rurales pauvres. Même la Banque mondiale reconnaît que 100 millions de personnes (surtout des paysans et des pêcheurs) pourraient tomber sous le seuil de pauvreté d’ici 2030 à cause du changement climatique [29].
Épuisement des carburants fossiles :
Les carburants non-renouvelables restent la source principale d’approvisionnement du capitalisme mondial. Or nous avons atteint, sinon dépassé, le pic de leur disponibilité, au-delà duquel ces ressources sont disponibles en quantité et qualité moindres, en exigeant des investissements techniques financiers et en énergie de plus en plus élevés, et en entraînant des risques accrus pour les écosystèmes (plateforme en mer, gaz de schiste, etc.).
Depuis 2005, la capacité d’extraction de « pétrole conventionnel » à l’échelle mondiale (de bonne qualité et facilement accessible) stagne [30] ; le pic du gaz est prévu entre 2020 et 2039 [31] ; celui du charbon est plus difficile à estimer, certaines études le situent entre 2025 et 2045.
Comme le pétrole joue un rôle fondamental dans l’extraction, la commercialisation et le transport des autres matières premières, sa raréfaction va entraîner le ralentissement de leur exploitation. Ceci entraînera une tendance à l’augmentation des prix, de la spéculation, et donc le besoin d’investissements aux rendements incertains. C’est ainsi que les limites économiques et géologiques annoncent des scénarios de rareté croissante des sources d’énergie fossiles.
Une reconversion drastique de la production qui réduit considérablement la consommation d’énergie
Le fonctionnement de l’appareil productif, mais aussi les conditions d’existence de la population, reposent sur une énergie abondante et bon marché. La raréfaction de ces sources d’énergie, dont tous les pays de l’UE sont importateurs, va avoir de graves conséquences sociales. Il faut mettre en place un processus de transition énergétique rapide basé sur un engagement politique de distribution socialement équitable de ses coûts et de ses bénéfices.
Dans ce cadre, il est essentiel de remplacer les énergies fossiles et nucléaire par des énergies renouvelables compatibles avec un modèle viable reposant sur une reconversion drastique de la production qui réduit considérablement la consommation d’énergie.
Perte de biodiversité :
Notre vie dépend profondément de la nature (nourriture, eau potable, air respirable, énergie, matières premières). Une organisation économique et sociale quelle qu’elle soit dépend de la présence de systèmes naturels sains et multiples pour la régulation et la purification de l’eau et de l’air, les conditions climatiques, la pollinisation, la dispersion des semences, le contrôle des nuisibles et des maladies, entre autres.
La sixième extinction massive d’espèces de l’histoire de notre planète est en cours [32]. Partout sur la terre « les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont décliné de 58 % entre 1970 et 2012 ». Cette dynamique suppose un déclin annuel moyen de 2% dans les espèces animales. Au niveau planétaire, le taux d’extinction des espèces est actuellement 100 à 1000 fois plus élevé qu’aux époques préindustrielles [33].
Raréfaction des matières premières, des sols arables et de l’eau :
Aujourd’hui la demande planétaire en minéraux dépasse de beaucoup leur disponibilité. Le développement technologique dépend de la disponibilité de ces matières de moins en moins disponibles, dont l’extraction exige de plus en plus d’énergie fossile, qui se raréfie elle aussi. Il faut ajouter les coûts sociaux et environnementaux énormes de systèmes d’extraction qui sont de plus en plus énergivores et destructeurs pour l’environnement et la population concernée. L’Union européenne dépend d’un approvisionnement extérieur pour ce type de matériaux : sur une liste de 45 éléments, il n’y en a que deux qui se trouvent dans un pays de l’UE – 40 % des réserves mondiales de strontium se trouvent en Espagne et à peu près 10 % des réserves de sélénium sont en Belgique. Tout le reste est importé de pays tiers.
Entre 1960 et 2010 les ressources renouvelables en eau par habitant de l’UE ont diminué de 24 %
Les sols et l’eau sont également des ressources essentielles qui sont actuellement menacées, pas seulement en termes de quantité mais aussi de qualité. 20 % des nappes phréatiques au niveau mondial sont surexploitées, et l’érosion combinée au changement climatique réduit considérablement la disponibilité de sols fertiles. Comme 70 % de l’eau est utilisée pour la nourriture et que nous vidons les nappes phréatiques, la production de nourriture sera irrémédiablement compromise. Entre 1960 et 2010 les ressources renouvelables en eau par habitant de l’UE ont diminué de 24 %, surtout dans le Sud du continent.
II. PROPOSITIONS
Il faut mettre en place des politiques structurelles pour faire face à la crise que nous venons de décrire. L’urgence est telle qu’il convient de les placer dans le cadre d’un plan d’urgence pour préserver la soutenabilité en même temps que la justice sociale. Vu la nature planétaire de l’impasse, des propositions programmatiques ne peuvent pas se limiter aux problèmes « environnementaux » mais doivent comprendre d’autres mesures dans les domaines de la production, de la finance, de l’urbanisme, de l’enseignement et de la culture. De toute façon, un gouvernement populaire devrait considérer comme prioritaire une stratégie visant ces objectifs, rendant primordiaux les droits de l’environnement (y compris à travers une éventuelle réforme constitutionnelle et la prise en compte de cette dimension dans les processus constituants en Europe) et développant un pôle public puissant pour planifier et promouvoir ces mesures.
Des initiatives citoyennes immédiates :
Les changements nécessaires pour faire face à la crise décrite ci-dessus ne pourront avoir lieu que s’ils jouissent d’un large soutien populaire, reposant sur des citoyens bien informés et disposés à promouvoir et à être coresponsables de ces transformations.
Il est donc nécessaire :
- d’encourager, de protéger et de développer des initiatives citoyennes déjà orientées vers une transition socio-écologique (coopératives de services publics, consommation agro-écologique, recyclage, restauration écologique, secteurs en cours de reconversion, etc.) ;
- de promouvoir la prise de conscience et le développement d’initiatives auto-organisées fonctionnant comme des laboratoires d’expériences à reproduire à plus grande échelle ;
- d’approfondir l’établissement d’alliances de communautés publiques, y compris la société organisée dans un processus de transition.
Mesures immédiates à prendre par un gouvernement populaire :
Nous sommes conscients qu’un programme écologique et énergétique pour les classes laborieuses d’Europe dépend du contexte macroéconomique actuel, de la situation géopolitique, du prix de l’énergie et de la crise de l’énergie, de l’évolution du changement climatique ainsi que des plans et politiques de la Commission européenne. Nous savons aussi qu’un programme comme celui que nous esquissons ci-dessous exige de recourir à une façon de procéder où les gens ordinaires et leurs institutions s’occupent activement de la gestion de l’énergie et de l’environnement.
Pour garantir un programme démocratique en faveur de la majorité, il nous faut d’urgence un contrôle public sur le secteur de l’énergie, c’est-à-dire l’expropriation des compagnies privées dans ce secteur et leur transfert à un secteur public socialisé de l’énergie. Il est également nécessaire d’établir un contrôle citoyen des moyens de production et des objectifs visés dans tous les secteurs, contrôle qui devrait être exercé par des personnes aussi proches que possible du domaine et des besoins concernés. Il faut établir de plus un contrôle démocratique au niveau de l’État sur des facteurs clés comme les infrastructures, les acteurs économiques, les mécanismes financiers, la planification stratégique et les secteurs associés.
Un programme de transition écologique et énergétique doit reposer sur les principes suivants :
- Les pouvoirs publics doivent contrôler les éléments principaux des structures socioéconomiques, seule façon de prendre des décisions démocratiques dans l’intérêt des classes populaires.
- Il faut entièrement transformer l’économie, en rupture totale avec le système capitaliste, en un mode de production démocratique organisé au plus proche de la population, afin de réduire drastiquement les conséquences socio-environnementales du cycle actuel de production et de consommation.
- Des mécanismes doivent être mis en place pour financer la transition ; il faut qu’ils soient compatibles avec les chapitres du Manifeste consacrés à la dette, au secteur bancaire et au système monétaire ainsi qu’aux droits sociaux et à l’emploi.
- Il nous faut donner une priorité stratégique aux mesures ayant l’impact le plus bénéfique pour la transition, qui vont largement dépendre de leur proximité par rapport aux structures systémiques et aux risques qui y sont associés.
S’il s’inscrit dans ces principes, le programme de transition écologique et énergétique en faveur des classes populaires en Europe devrait envisager des objectifs fixant des horizons temporels et liés juridiquement à des outils efficaces – systèmes d’indicateurs, méthodes de collecte de données, systèmes de mesure, meilleures pratiques, budgets, systèmes d’évaluation, etc. – qui permettent d’atteindre ces objectifs. Ces outils permettent d’établir des objectifs démocratiquement contraignants, ce qui est une nécessité.
Réduire les risques et retarder la phase d’échec devraient être les deux objectifs fondamentaux de la culture de la résilience, et pour les atteindre il sera nécessaire de planifier :
- la mise en place de structures permettant de générer de nouvelles connaissances et de développer des bonnes pratiques sur base des expériences réussies ;
- la mise en place de système d’indicateurs et d’une évaluation continue ;
- des protocoles d’urgence ;
- la création de nouvelles institutions et de dynamiques de vie en société favorisant la résilience ;
- la construction d’infrastructures adaptées.
La seule option efficace, rapide et démocratique pour guider une transition radicale (c’est-à-dire une révolution de l’économie) en faveur des classes populaires est de socialiser les secteurs clés de l’économie et d’augmenter les investissements publics pour stimuler l’économie dans la bonne direction.
Pour que le secteur public puisse remplir sa fonction de catalyseur de la transition et être financé sans la pression du marché capitaliste, il a besoin d’autonomie monétaire. À cette fin, les règles de l’Union monétaire européenne devraient être abandonnées et remplacées par d’autres formes de coopération financière en Europe.
Tant l’approche macroéconomique de l’investissement public que l’autonomie monétaire sont traitées de manière plus approfondie dans les trois premiers chapitres de ce manifeste.
De même, nous devrions créer les mécanismes et les outils de financement qui nous permettent de mobiliser les importantes sommes d’argent nécessaires pour garantir la transition. Pour la seule transition énergétique, on estime que des investissements de 280 milliards d’euros par an seront nécessaires dans l’UE jusqu’en 2050, ce qui équivaut à 2 % du PIB actuel de l’UE.
Des mécanismes de financement sont nécessaires pour que la transition énergétique soit stable, prévisible et soumise à un contrôle démocratique. Pour parvenir à une dynamique de financement adéquate et éviter la corruption et la création de réseaux clientélistes, l’argent doit parvenir entre les bonnes mains en quantité suffisante et être utilisé sans compromettre le développement d’autres aspirations légitimes des classes populaires. Pour cela, il faut développer une banque publique proche du niveau local et des classes populaires afin d’obtenir la plus grande efficacité avec des critères démocratiques.
Nous devons promouvoir un modèle de développement qui favorise la production locale, réduit l’impact socio-environnemental global et génère la prospérité locale, même sans croissance du PIB. Pour ce faire, il sera nécessaire de développer une industrie associée à la transition qui permette l’établissement de conditions monétaires favorables, ainsi que la réduction des dépendances externes et de la balance des paiements.
Le développement d’une industrie propre permettra de créer des emplois de qualité, d’intégrer des structures de formation dans les circuits de production et de financement, et de développer des dynamiques de recherche, développement et investissement qui génèrent une efficacité économique plus favorable aux travailleurs et aux nouveaux procédés de production ainsi que des infrastructures adaptées aux besoins de chaque territoire. Une fois que la capacité de décision sur les éléments stratégiques de la politique écologique et énergétique est entre les mains des pouvoirs publics, le modèle devrait être redessiné en fonction des besoins métaboliques des territoires.
À cet effet, il sera nécessaire de définir les critères de base permettant de reconfigurer les unités institutionnelles de gestion de l’énergie, de l’eau et de l’alimentation qui contribuent à améliorer la résilience et la durabilité environnementale et sociale, à partir d’un modèle énergétique décentralisé, et donc plus local que le modèle actuel.
L’ampleur des problèmes environnementaux exige d’énormes transformations socio-économiques sur un laps de temps très court. En plus des actions mentionnées ci-dessus, le gouvernement doit donc mettre en œuvre des mécanismes exceptionnels d’urgence pour soutenir des changements radicaux immédiats. On peut énumérer les mécanismes suivants, par secteur :
Préservation de la nature et de la biodiversité
Pour contribuer à la préservation de cycles et systèmes naturels essentiels, il faut concentrer nos efforts sur :
- le contrôle de l’urbanisation et de l’occupation des terres ;
- la mitigation et l’adaptation au changement climatique ;
- la correction de la surexploitation des écosystèmes ;
- le renforcement de la législation et des règlements pour réduire la pollution et les altérations dans les cycles biogéochimiques ;
- des initiatives pour contrer l’expansion d’espèces invasives ;
- la multiplication des mesures pour réduire les incendies ;
- la reforestation et le développement de l’agroforesterie.
Énergie / climat
Les initiatives suivantes sont nécessaires.
- Contrôle par la communauté :
-
- un plan de nationalisation / socialisation des moyens de production qui tienne compte d’éléments importants comme les compagnies dans le secteur de l’énergie, les infrastructures, les opérateurs et les systèmes de fixation des prix et des taxes ;
- une redéfinition du modèle étatique basée sur les besoins de relocalisation de l’économie (énergie), reposant sur la gestion des communs ;
- un plan d’urgence, ancré dans la culture de la résilience, fondé sur des études de sensibilité de l’économie aux variations des prix de l’énergie et d’autres variables.
- Financement :
- connexion et harmonisation entre la socialisation du secteur bancaire et l’autonomie monétaire ;
- un plan de financement énergétique qui comprend non seulement la garantie d’un financement national suffisant et de mécanismes efficaces, mais aussi des critères de priorités et de redistribution de la richesse.
- Industrie :
-
- réduction de la consommation d’énergie dans l’industrie ;
- développement d’un secteur de l’énergie socialisé, détenu par les pouvoirs publics et relocalisé et transformation de tous les secteurs de la production industrielle en utilisant des sources d’énergie renouvelables et non polluantes ;
- création d’un organe législatif démocratique qui oriente la demande industrielle dans la bonne direction ;
- création des structures de formation nécessaires à la transformation radicale des secteurs de l’industrie en fonction des objectifs de la transition écologique et énergétique.
- Ressources matérielles
-
- Interdire les techniques de fracturation hydraulique et fermer toutes les centrales nucléaires et les centrales thermiques fonctionnant au carburant fossile ;
- incorporer dans les droits humains l’épuration de l’eau, l’accès à l’eau potable, l’approvisionnement de base des ménages en énergie ;
- mettre en place des politiques de gestion des déchets visant à un recyclage intégral ;
- favoriser la décentralisation territoriale et la démocratisation organisationnelle du système économique ;
- établir des stratégies afin d’adapter le métabolisme urbain aux bio-capacités locales et au changement climatique ;
- augmenter la résilience et réduire notre empreinte écologique, énergétique et climatique pour atteindre un équilibre « presque zéro » carbone avant la moitié du siècle ;
- garantir la gestion publique des sols et empêcher ainsi qu’une dynamique spéculative détermine la configuration spatiale urbaine ;
- transformer la mobilité tant en zone urbaine qu’en zone rurale (en limitant l’utilisation de véhicules privés et en augmentant les services de transport public et leur électrification), ce qui permettra de retrouver un air de bonne qualité dans les villes ;
- imposer aux producteurs et distributeurs une réduction des emballages et recycler systématiquement les déchets urbains solides, en visant à réduire leur volume à ce qu’il était en 1990 ainsi qu’à réduire la production de gaz à effet de serre (GES) de plus de moitié avant la moitié du siècle.
- Nourriture et santé. Les objectifs suivants doivent être poursuivis :
-
- fournir non seulement à la population rurale mais aussi aux habitants des villes un accès à la terre et aux infrastructures nécessaires à la production (centres de transformation, machines partagées, etc.) et à la reproduction sociale (logements, écoles, dispensaires, etc.) ;
- promouvoir une agriculture sans pesticides ni engrais chimiques ;
- réduire rapidement les surfaces irriguées et remplacer les cultures par irrigation par des cultures qui dépendent de la pluie, donc une diversification et des espèces plus résistantes qui exigent moins d’eau ;
- augmenter les investissements de recherche et développement de systèmes de production agro-écologiques et récupérer d’anciens savoirs ;
- encourager la diminution de consommation de nourriture d’origine animale, surtout la viande ;
- encourager l’élevage extensif en pâturage (par opposition à l’élevage industriel), adapter l’élevage à la capacité des sols et restaurer la fertilité des sols pour la production de légumes et de céréales.
Mesures à moyen terme :
Décentralisation des activités économiques, intégration régionale des villes et suppression de la production de déchets non recyclables
À moyen terme, un gouvernement populaire qui s’engage à soutenir les classes populaires tout en visant la soutenabilité écologique doit redéfinir les principaux secteurs économiques. L’objectif général de cette restructuration est d’économiser l’énergie, de réduire les émissions de GES, d’éliminer toute production inutile, de réduire l’obsolescence de la production et de diminuer le temps de travail tout en optimisant les possibilités de créer des emplois décents. Selon les caractéristiques de chaque secteur, il faudra veiller à une décentralisation des activités économiques, à l’intégration régionale des villes et à la suppression de la production de déchets non recyclables.
Une partie fondamentale de la fourniture de biens et de services de qualité doit être assurée par un secteur économique socialisé, qui doit couvrir l’énergie, le transport, les communications, le logement, la santé et l’enseignement.
La restructuration de la production doit s’accompagner d’une réduction du volume global de l’économie pour l’adapter aux limites de soutenabilité. De plus, la diminution matérielle dans les sphères de la production et de la reproduction doit s’accompagner d’une distribution équitable de l’emploi, de la garantie d’une sécurité sociale pour tou-te-s et de l’accès gratuit aux services publics.
Il nous faudra aussi nous attaquer aux habitudes de consommation : promouvoir une approche collective (encadrée par certaines règles) plutôt que des achats individuels et déterminés par le marché.
Voici quelques mesures concrètes à mettre en œuvre :
- établir des objectifs et des stratégies à long terme, par la Constitution ou des lois ;
- créer des mécanismes démocratiques d’investissement et de financement d’une transition écosocialiste (par la socialisation des banques, mais aussi l’annulation des dettes publiques illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables, etc.) ;
- redéfinir des unités de gestion de l’énergie, de l’eau et des sols avec une approche méthodologique métabolique ;
- mettre en place des systèmes d’indicateurs autres que le PIB qui permettent d’évaluer l’évolution dans son ensemble ;
- préserver les systèmes écologiques essentiels qu’il s’agisse des sols, des cours d’eau, des nappes phréatiques, des côtes ou des mers, en renforçant une gestion publique des communs ;
- éliminer les obstacles juridiques à la production agro-écologique en agriculture paysanne, développer des services publics en accès gratuit et facile pour tous, encourager la vie en zone rurale et le désengorgement des zones urbaines et augmenter l’autosuffisance des villes ;
- développer un nouveau modèle de gestion de l’énergie et garantir le contrôle des prix, améliorer la gestion des entreprises publiques, mieux règlementer la protection des données, penser de nouveaux types d’entreprises, etc. ;
- mettre en œuvre une stratégie qui permette de prévoir des conflits écologiques locaux et de leur trouver une solution démocratique, dans le cadre de la relocalisation économique.
Initiatives à moyen terme au niveau international :
Tenter de relever les défis socio-écologiques et énergétiques au niveau national est essentiel (ce qui peut amener des repositionnements sociaux et politiques intéressants), mais irréalisable si ces initiatives ne s’accompagnent pas de mesures au niveau international. Il s’agit essentiellement :
- de modifier les règlements européens : pour un véritable contrôle public, il nous faut nous débarrasser des règles de concurrence européennes et modifier les règles sur les marchés publics ; un changement radical du critère européen de stabilité et de la limite du déficit public est également indispensable si nous voulons garantir assez d’investissements dans la transition écologique (les restrictions monétaires européennes actuelles doivent être supprimées et remplacées si nous voulons mettre sur pied une économie distributive et démocratique) ;
- d’introduire des clauses contraignantes pour les sociétés et les investisseurs dans les stratégies de l’Union européenne pour la biodiversité, notamment en ce qui concerne la santé publique (réduction de la pollution de l’air, interdiction de pesticides pathogènes et polluants, etc.) ;
- d’abroger les traités multilatéraux (comme la Charte énergétique, les mécanismes de résolutions de différends par des tribunaux privés prévus dans les traités dits de « libre échange », etc.) et tous les traités qui sont en contradiction avec les objectifs poursuivis.
CONCLUSION
Garantir des conditions d’existence décentes pour les classes populaires aujourd’hui et demain exige une transition du modèle capitaliste duquel nous sommes prisonniers dans le cadre de l’UE à un modèle socialement et écologiquement soutenable, qui cherche à fournir un emploi décent à tous.
Pour réussir cette transition, les principes suivants sont essentiels :
- un contrôle public des éléments principaux dans les structures socioéconomiques, ce qui est la seule façon de prendre des décisions démocratiques dans l’intérêt des classes populaires ;
- la restructuration complète de l’économie en rupture nette avec le système capitaliste, pour passer à un mode de production organisé en lien étroit avec la population afin de réduire drastiquement les conséquences socio-environnementales du cycle actuel de production et de consommation.
An niveau européen, les mesures essentielles – déjà présentées plus haut et résumées ici – sont :
- la modification de règles de concurrence afin de garantir le développement d’un modèle économique soutenable et démocratique ;
- la création de nouvelles structures et institutions pour appliquer les plans de transition écologique et énergétique ;
- la préservation de systèmes écologiques essentiels qu’il s’agisse des sols, des cours d’eau, des nappes phréatiques, des côtes ou des mers, en renforçant une gestion publique des communs.
Et au niveau des États membres, les gouvernements populaires doivent :
- mettre en place un plan d’urgence pour la soutenabilité dans la justice sociale ;
- développer des plans pour la démocratisation et le contrôle public des principaux éléments de l’économie pour que la transition puisse s’effectuer rapidement, avec des conséquences limitées pour l’environnement, peu de risque pour les emplois et les droits sociaux, et suffisamment de ressources financières pour la mener à bien ;
- garantir l’accès des classes populaires à des biens de première nécessité en évitant abus et gabegie ;
- adapter les institutions et structures à cette nouvelle économie basée sur la satisfaction des besoins des classes populaires.
Il nous faut un plan radical de transition écosocialiste en Europe comme dans le reste du monde. A cette fin, dépasser le capitalisme n’est pas seulement une question d’égalité et de démocratie, mais aussi de survie et de reproduction des écosystèmes dans lesquels les humains s’inscrivent. Dans cette perspective, une rupture radicale avec les institutions et les traités européens actuels et leur remplacement par d’autres formes de coopération internationale sont une condition sine qua non.
Chapitre 6 - Féminisme |
I. DIAGNOSTIC
Nous vivons une période de crise profonde qui a des conséquences particulièrement négatives sur la vie des femmes ainsi que sur celle de minorités comme les migrant-e-s, les handicapé-e-s ou les personnes LGBTQI+.
Depuis le début de la dernière crise économique du capitalisme en 2008, l’écart entre les taux d’emploi des hommes et des femmes a diminué dans la plupart des États membres de l’UE, mais les données varient, reflétant des différences entre les pays du Centre et de la Périphérie et les États extérieurs à l’UE, ainsi qu’entre chaque État [34].
Cette diminution de l’écart s’explique par le fait que lors de la crise, ce sont principalement des secteurs masculins qui ont été frappés par des licenciements et des réductions budgétaires, tandis que les femmes restent majoritaires dans les secteurs professionnels plutôt féminisés, tels l’enseignement, les soins de santé, les emplois du secteur public en général. Ce n’est pas pour autant que les femmes ne subissent plus de discriminations et d’inégalités liées au genre en matière d’emploi, de salaires et de conditions de travail. Cette tendance se poursuit [35]. Par exemple, l’écart salarial entre hommes et femmes, une caractéristique structurelle du système capitaliste, persiste partout sans exception. Au sein des pays de l’UE, l’écart salarial moyen lié au genre se situe autour de 16,2 % avec des différences significatives entre pays. L’écart salarial lié au genre varie également selon le secteur industriel et est en général plus important dans le secteur privé que dans le secteur public [36].
Les femmes sont plus vulnérables, avec un risque plus élevé de tomber dans la pauvreté
Des recherches dans ce domaine montrent que malgré la réduction dans les chiffres du chômage, les femmes sont plus vulnérables, avec un risque plus élevé de tomber dans la pauvreté – une tendance qui persiste aussi. Les études confirment également que malgré la réduction de l’écart du taux de chômage entre les femmes et les hommes, avec une augmentation du taux de participation et du niveau d’instruction des femmes qui dans certains cas dépassent les hommes dans l’acquisition de diplômes de l’enseignement supérieur, les femmes n’en sont pas moins exposées aux risques de violence, de pauvreté et aux problèmes de santé.
On constate depuis longtemps qu’en période de crise, les femmes arrivent sur le marché du travail car elles représentent en général une main d’œuvre plus précaire et moins stable, avec un taux de participation global plus bas, et ainsi apportent plus de marge sous forme de substitution temporaire au modèle général du soutien de famille masculin [37].
Les statistiques officielles de l’UE confirment, par exemple, que les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’accepter des emplois à temps partiel [38]. Depuis l’éclatement de la crise et le début de la désintégration des systèmes de protection sociale, on a assisté à une réduction importante des subventions pour l’éducation, la santé et les services sociaux, due à la discipline budgétaire entraînant des coupes dans les dépenses sociales et les fonds publics en général. Ici encore, on observe des différences entre les pays de l’UE de la Périphérie et ceux du Centre, et des États extérieurs à l’UE.
La charge de la reproduction sociale est tombée sur les familles, les femmes en particulier
Par conséquent, la charge de la reproduction sociale est tombée sur les familles, les femmes en particulier. Ainsi les femmes sont obligées de prendre des emplois à temps partiel afin de couvrir une partie des dépenses et de contribuer au budget familial tout en se consacrant aux enfants et aux personnes âgées. Cela signifie que certains services qui se payaient antérieurement sont remplacés, à l’heure actuelle, par du travail intensif de femmes, surtout dans le domaine des tâches ménagères. Des mères célibataires en particulier sont plus vulnérables et souvent plus exposées à diverses formes de pauvreté et à d’autres désavantages sociaux : « certains groupes de femmes se caractérisent par une tendance plus élevée à travailler à temps partiel, à savoir celles dans les classes d’âge les plus jeunes et les plus âgées, et les mères de jeunes enfants » [39].
D’ailleurs, « les emplois à temps partiel sont souvent de qualité inférieure, payés à des taux horaires plus bas, avec moins de possibilités de formation continue ou de carrière, et à long terme, des droits à la retraite moindres (…). Bien plus de femmes travaillent à temps partiel que d’hommes. En 2015, la moyenne pour l’UE était de 8,9 % d’hommes qui travaillaient à temps partiel, contre 32,1 % de femmes » [40]. Le travail intérimaire sert aussi à promouvoir la « flexibilité du marché », et dans certains pays, notamment l’Italie, la Grèce et l’Espagne, les femmes sont plus susceptibles d’occuper sur le long terme des emplois à temps partiel. De manière plus générale, sous l’emprise du Conseil de l’Union européenne, on détruit progressivement le droit du travail, on impose des accords d’entreprises à la faveur d’accords de secteur, ce qui permet aux employeurs d’imposer aux femmes des conditions de travail flexibles et d’assouplir les règles de protection, d’hygiène et de sécurité.
Dans son rapport Les migrants, les minorités et l’emploi. Exclusion et discrimination dans les 27 États membres de l’Union européenne. Mise à jour 2003 – 2008 publié en 2011, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) déclare :
« Les données disponibles indiquent que les femmes issues de l’immigration et de groupes minoritaires occupent les emplois les plus mal payés et les moins qualifiés dans les segments les plus marginalisés du marché de l’emploi. Leurs possibilités de travail se limitent souvent aux emplois domestiques, avec un risque élevé d’insécurité et, souvent, des conditions de travail irrégulières. Par ailleurs, les expériences de discrimination des femmes issues de l’immigration et de groupes minoritaires varient selon leur position sociale et juridique et en fonction des attitudes de la population majoritaire à leur égard » [41].
Les États des Balkans, qui ne sont pas encore tous membres de l’UE, montrent des traits similaires. Dans la période dite « de transition » après l’éclatement de la Yougoslavie, presque tous ces pays se sont retrouvés confrontés à de graves problèmes économiques et sociaux que la crise actuelle ne fait qu’exacerber. La désindustrialisation globale, ainsi que les taux de chômage élevés et la croissance basée sur l’endettement qui en découlent, suivis par des programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI, la BCE et l’UE ont eu des effets dévastateurs sur des sociétés entières et les femmes en particulier. Dans presque tous ces pays la différence de taux de participation au travail entre hommes et femmes persiste en raison de plusieurs facteurs, allant du fait d’avoir des enfants et d’apporter des soins aux membres de la famille (et souvent de la famille élargie) combiné au manque de soutien de l’État et d’institutions de soins pour les enfants et les personnes âgées, jusqu’aux discriminations pratiquées par les employeurs moins enclins à embaucher des femmes.
Dans certains pays comme la Bosnie-Herzégovine, le taux d’analphabétisme adulte approche les 3 %, la majorité de cette population analphabète étant composée de femmes. Le taux d’analphabétisme fonctionnel [42] est plus élevé, et le taux « d’illettrisme informatique » (incapacité à utiliser des outils numériques ou informatiques de la vie courante) atteint près de 40 % [43]. Tous ces pays se sont vus contraints d’adopter le programme économique néolibéral, de changer leur droit du travail, d’offrir des incitations à investir au grand capital en introduisant des taux d’impôt forfaitaires très bas et diverses formes de taxation régressive indirecte, et de libéraliser leurs marchés.
Bien que les statistiques officielles de l’UE indiquent que le taux de pauvreté dans ces pays a baissé suite à l’élargissement ou à la signature d’accords de stabilisation et d’association, il n’en est pas moins vrai que tous ces pays connaissent actuellement un tsunami d’émigration qui reste inexpliqué. En termes économiques, ce phénomène ressemble aux vagues d’émigration depuis les pays de la Périphérie de l’UE : on exporte de la main d’œuvre pour couvrir des déséquilibres commerciaux et pour rembourser des dettes publiques et privées.
En résumé, selon les statistiques officielles européennes, environ 24 % de la population de l’Europe est exposée aux risques de la pauvreté et de l’exclusion. Environ un Européen sur quatre connaît une forme de pauvreté, sans parler des États non membres de l’UE où ces taux sont encore plus élevés [44]. Comme déjà mentionné, les femmes sont plus susceptibles de connaître diverses formes d’exclusion, de pauvreté et de violence, aussi bien à la maison qu’au travail.
II. RENVOYÉES À LA CUISINE ? LE DOUBLE FARDEAU
La violence contre les femmes est en augmentation, des féminicides aux offensives contre leurs droits reproductifs et contre leurs conditions de vie en général
Devant la montée des mouvements racistes et d’extrême-droite, la gauche doit affronter des défis sur tous les fronts. La montée de l’idéologie dite « Alt-right » [45] amène une nouvelle spécificité : elle s’attaque au féminisme et aux mouvements féministes qui avaient acquis une grande influence depuis les années 1960 et ont beaucoup contribué à la libération et à l’émancipation des femmes de par le monde. Le féminisme est de plus en plus souvent diabolisé par les mouvements et partis de droite et par des associations de la société civile d’extrême-droite, racistes et homophobes. La violence contre les femmes sous ses formes diverses est en augmentation, allant des féminicides à des offensives contre les droits reproductifs des femmes et contre leurs conditions de vie en général.
Les médias soutiennent le plus souvent le camp conservateur, présentant ainsi toutes ces questions sous l’angle d’un conflit de valeurs. Nous nous trouvons donc face au récit idéologiquement biaisé qui présente le féminisme et les valeurs féministes comme anti-famille et leur oppose les valeurs hétéro-normatives et patriarcales comme pouvant sauver le monde du féminisme. La vérité est tout autre.
Notre adversaire est en fait la crise qui résulte de l’effondrement des systèmes de protection sociale. Cet état des choses reporte sur les familles en général et sur les femmes en particulier, toute la charge de la reproduction sociale. Les femmes, qui subissent un écart salarial structurel lié au genre, sont obligées d’accepter encore plus de travail rémunéré d’une part, et doivent prendre en charge plus de travail reproductif, faire le ménage et s’occuper des enfants et des personnes âgées d’autre part. Elles s’occupent aussi de la famille étendue, particulièrement dans les pays de la Périphérie et ceux extérieurs à l’UE. L’idée d’un « retour à la famille », parfois présentée comme une aberration d’extrême-droite opposée au statu quo, est en réalité une tentative de naturaliser le capitalisme dans sa forme néolibérale.
L’idée qui sous-tend cette naturalisation, c’est que l’effondrement des systèmes de protection sociale dans les secteurs de l’enseignement et de la santé est nécessaire ; que les femmes doivent à nouveau être identifiées en tant que mères, éducatrices et préposées aux soins, que c’est là leur rôle naturel, le seul possible. Ce n’est ni le féminisme pour toutes (à distinguer du féminisme libéral qui s’adresse aux femmes les plus riches et les mieux payées) ni la gauche qui « compromettent la famille » mais, comme l’avaient déjà souligné Marx et Engels, c’est le capitalisme et ses crises qui provoquent la discorde au foyer, la violence contre les femmes, qui poussent les enfants dans la rue et isolent les êtres humains les uns des autres.
Et malgré tout, justement à cause de ces crises, pour un grand nombre de gens la famille apparaît comme le seul espace de sécurité, comme un mécanisme d’aide mutuelle contre la tyrannie de l’économie du marché. C’est là le socle matériel du soutien populaire pour les idées de la droite, en l’absence d’une alternative de gauche. C’est pour cela que certains milieux politiques et idéologiques s’attaquent au féminisme, essayant d’abolir les droits pour lesquels les femmes se battent depuis des siècles dans le cadre du mouvement féministe et ouvrier.
C’est pourquoi les mobilisations féministes à travers le monde nous semblent si pertinentes. De l’Amérique Latine à l’Inde en passant par l’Afrique, l’Amérique du Nord et l’Europe, les mobilisations féministes ont eu un impact extraordinaire pendant une période où rien de prometteur ne semblait poindre à l’horizon.
D’ailleurs, depuis 2015 le mouvement Ni Una Menos [46], né dans les mobilisations féministes de 2011 en Argentine, a gagné presque tous les continents. Depuis 2015, des groupes et des mouvements féministes ont organisé de nombreuses manifestations pour revendiquer l’égalité, pas seulement en termes juridiques. Il s’agit précisément de femmes organisées autour de divers groupes féministes qui ont mené des campagnes, par exemple en Pologne, contre l’interdiction de l’avortement ou, en Irlande, pour le référendum qui a réussi à obtenir le droit à l’avortement. Dans d’autres pays européens, les mouvements féministes sont les seuls actuellement à lutter contre le capitalisme et l’assaut global contre la vie (conditions de vie, destruction de l’environnement et des systèmes d’enseignement, de santé et des services sociaux). En 2018 a eu lieu la grève internationale des femmes, une des plus grandes vagues de protestation mondiale de femmes jamais vue. Peut-être pour la première fois, cette forme inédite de lutte, qui a mobilisé des millions de travailleuses en Espagne et en Italie dans des grèves générales, a rassemblé de larges masses de femmes ayant un travail salarié et de femmes travaillant au foyer, surmontant ainsi la séparation traditionnelle bourgeoise entre le public et le privé, séparation qui prend aussi la forme genrée de séparation entre sphères masculine et féminine.
Le succès de ces mobilisations féministes provient justement du fait qu’elles mettent en évidence que le problème ne relève pas d’un « conflit de valeurs », mais d’une tentative de transférer la charge entière de la reproduction sociale sur la famille et sur les femmes. C’est sur cette base, ainsi que grâce à la recherche de l’unité avec les syndicats, que ces mobilisations ont connu de forts succès.
Récemment, nous avons aussi pu observer un mouvement de protestation chez Google, où des travailleuses du monde entier ont organisé une campagne de « walk-out » ; quittant leurs bureaux afin de protester contre le harcèlement sexuel très répandu dans l’entreprise et les écarts salariaux liés au genre, elles ont exigé que l’entreprise tienne compte des accusations de harcèlement sexuel contre des cadres supérieurs et mette en place le principe de salaire égal à travail égal [47].
De nombreuses expériences rapportées de partout dans le monde indiquent que ce sont les femmes qui sont en première ligne pour défendre les biens publics lorsque des investisseurs s’attaquent aux ressources des communautés locales. Cela est dû au fait que ce sont les femmes qui ressentent les premières les effets néfastes de la pénurie des ressources, les atteintes à l’environnement ainsi que les conséquences des politiques d’austérité.
Il ne suffit pas de prendre position contre la misogynie, mais aussi contre le nationalisme, le racisme, la xénophobie
Pour toutes ces raisons nous considérons qu’il ne suffit pas de prendre position seulement contre la misogynie la plus criante, mais aussi contre le nationalisme, le racisme, la xénophobie. Il faut intégrer ces luttes aux luttes pour l’égalité qui visent bien plus qu’une simple égalité juridique. L’assaut que constituent les mesures néolibérales, l’endettement, la marchandisation du logement et la crise de la protection sociale, a des répercussions lourdes partout sur la planète. Il nous faut un mouvement féministe plus large qui se joint aux luttes concernant le travail, les salaires, le logement, les services sociaux, l’éducation, la santé, aux luttes contre les attaques sur la vie et nos moyens de subsistance.
Toutes les recherches dans le domaine indiquent que nous avons atteint un seuil critique, que nous avons même atteint un stade irréversible. Le seul espoir est de lutter contre le grand capital afin de nous émanciper nous-mêmes et d’obtenir des conditions de vie dignes. Le mouvement Ni Una Menos présente l’un des meilleurs exemples de ce type de lutte, une vraie inspiration, car s’inspirer de Ni Una Menos signifie s’opposer à la violence et à ses nombreux aspects, comme un collectif de féministes l’a très bien résumé :
« La violence contre les femmes, telle qu’elles [les femmes de Ni Una Menos] la définissent, revêt de multiples facettes : elle comprend la violence domestique, mais aussi la violence du marché, de la dette, des relations capitalistes, la violence d’État ; la violence des politiques discriminatoires contre les femmes lesbiennes, trans et queer, la violence de la criminalisation étatique des mouvements migratoires, la violence de l’incarcération de masse, et la violence institutionnalisée contre le corps des femmes à travers l’interdiction de l’avortement et le manque d’accès à des soins de santé gratuits et à l’avortement gratuit. Leurs positions nourrissent notre détermination à combattre les attaques institutionnelles, politiques, culturelles et économiques contre les femmes musulmanes et migrantes, les femmes de couleur, les femmes qui travaillent et celles qui sont au chômage, les femmes lesbiennes, celles dont le genre est non conforme et les femmes trans » [48].
III. PROPOSITIONS
Le secteur public socialisé pourra servir de levier pour amener des changements plus radicaux dans la structure sociale
Il faut que des gouvernements de gauche synthétisent les luttes de ces mouvements et aillent plus loin que de simples exigences d’égalité formelle, qu’ils mettent en cause la division genrée du travail et le caractère genré et privatisé de la reproduction sociale. Les racines de la forme contemporaine du patriarcat sont à chercher dans le caractère privé de la reproduction de la force de travail et dans la façon dont les femmes sont considérées comme responsables de la reproduction sociale de cette force de travail (c’est-à-dire son maintien en bonne santé, l’éducation des enfants – future force de travail –, etc.). Il existe une cohérence entre la définition de la force de travail comme marchandise et la division genrée du travail, l’idée du rôle et du travail des femmes dans la société, présente dans la séparation entre privé et public, famille et société, émotion et raison, les différentes formes de travail féminisé dans le domaine des soins et la production de valeur.
Ce sont ces séparations et aliénations, qui font de la famille un refuge dans un système en crise – un appui tout trouvé pour les idées réactionnaires qui veulent faire payer les femmes pour la crise du capital –, que nous devons combattre. Nous devons présenter des propositions crédibles pour un financement public de la socialisation de la reproduction sociale. Nous devons investir massivement dans des crèches communales, des laveries et des restaurants collectifs, en visant l’objectif à long terme de fournir ces services gratuitement. C’est de cette façon que nous créerons les conditions nécessaires à l’intégration des hommes et des femmes dans tous les secteurs économiques sur pied d’égalité et avec les mêmes salaires. Nous commençons à créer les conditions pour en finir avec le travail domestique et subalterne des femmes et ainsi transformer la division genrée du travail d’une manière qui soit véritablement égalitaire et libératrice. Pendant la période de transition, il nous faudra recourir à des quotas pour nous assurer que les femmes, et les femmes immigrées, soient correctement représentées dans les secteurs économiques de leur choix et particulièrement le secteur public. Au sein du secteur public, nous voulons créer des formes de flexibilité qui ne servent pas les intérêts du capital en assurant une reproduction de la force de travail à moindre coût dans la famille aux dépens des femmes, mais qui permettent aux femmes de choisir ou non d’avoir des enfants, de prendre ou non congé pour les élever, de poursuivre ou non leur carrière, d’avoir le droit de décider elles-mêmes de ce qu’elles font de leur vie et de leur épanouissement au travail et dans la société. C’est ainsi que le secteur public socialisé pourra servir de levier pour amener des changements plus radicaux dans la structure sociale. Notre objectif est de nous inscrire dans la lutte des mouvements de libération pour transformer la reproduction sociale par le bas à travers des initiatives de mouvements auto-organisés.
Les mouvements sociaux doivent donc tout mettre en œuvre, par des campagnes et des mobilisations, pour obtenir :
- l’égalité complète pour toutes et tous, la pénalisation de toute forme de violence et de discrimination fondées sur les constructions sociales de genre, de classe, de race ou d’âge ;
- la décriminalisation des protestations contre les politiques anti-migratoires et des actions de solidarité avec les migrant-e-s et les autres groupes vulnérables ;
- un salaire égal pour un travail égal ;
- la socialisation de la charge de la reproduction sociale : qu’on investisse dans des crèches collectives, des restaurants collectifs, des laveries collectives ;
- plus de participation citoyenne dans les décisions politiques au niveau local ;
- la protection des sources d’eau potable et de tout autre moyen de subsistance ;
- des victoires dans la lutte contre le poids de la grande finance, contre l’endettement et les politiques d’austérité ;
- les droits reproductifs à l’accès aux soins de santé reproductifs ;
- l’ouverture des frontières, le droit de circulation et d’installation ;
- la fin des guerres impérialistes, menées en particulier par la coalition de l’OTAN, qui détruisent des sociétés entières.
Les mesures concrètes à adopter par tout gouvernement de gauche :
- Imposer une taxation plus forte du grand capital pour financer une expansion massive du secteur public, y compris des emplois dans les domaines liés à la transition écologique et l’économie verte.
- Augmenter les emplois à plein temps pour les femmes dans le secteur public.
- Faire appliquer la législation sur le salaire égal pour un travail égal avec des mesures punitives pour les employeurs du secteur privé qui ne respectent pas la législation.
- Soulager les femmes de la charge complète de la reproduction sociale en augmentant l’offre en crèches collectives, restaurants collectifs et laveries collectives : initialement il faudrait subventionner fortement ces services, en vue d’en faire des biens communs.
- Veiller à ce que les emplois dans les secteurs de l’enseignement, de la santé et des services sociaux ne soient pas féminisés, afin d’avoir un juste équilibre entre travailleurs et travailleuses.
- Légiférer afin d’éviter les discriminations en termes de carrière envers les femmes qui retournent au travail après un congé de maternité ou parental.
- Légiférer et appliquer la législation existante pour la défense des droits civiques et du travail des populations LGBTQI+.
- Introduire une loi instaurant des quotas, pour permettre aux populations immigrées de trouver de l’emploi, à salaire égal, dans le secteur public.
- Compléter la législation pour l’égalité par des campagnes publiques et du soutien matériel en faveur des communautés et des mouvements qui combattent le racisme, l’oppression et la discrimination liées au genre.
- Réformer la législation existante pour soutenir les victimes de violence sexuelle et domestique, y compris les enfants : il faut soutenir la législation par des campagnes publiques et du soutien matériel pour les femmes qui résistent en se battant et pour les mouvements de jeunes qui formulent leurs propres demandes.
- Augmenter la participation citoyenne pour toutes les questions qui concernent notre vie quotidienne par l’introduction de mécanismes d’autogestion dans toutes les unités de travail du secteur public et des mécanismes d’autogestion communautaire pour aider aux processus de socialisation de la reproduction sociale.
CONCLUSION
L’égalité doit se conquérir par la lutte collective et la solidarité pour pouvoir nous émanciper et obtenir des conditions de vie décentes
Une position politique féministe cohérente exige que nous nous opposions à toute forme d’exploitation, de sexisme, d’expression du patriarcat et à toutes les formes de violence qui font que des personnes exploitées et vulnérables se tournent les unes contre les autres pendant que le capital continue à diviser nos luttes communes sans être inquiété. Notre force réside dans la solidarité. La solidarité contre le capital et l’UE qui impose des mesures d’austérité. La solidarité des opprimé-e-s, des femmes, des communautés LGBTQI+, des minorités, des personnes racisées et des travailleurs et travailleuses contre la tyrannie du marché et du capital. Contre les politiques inégalitaires qui dominent, nous lutterons pour l’égalité, mettant nos vies et l’avenir de la planète en haut de la liste de priorités dans tout débat politique, qu’il soit parlementaire ou extra-parlementaire. Quand nous exigeons l’égalité, il ne s’agit pas seulement d’une égalité juridique formelle mais d’une égalité qui refuse de se contenter des miettes du gâteau tandis que le système poursuit sa destruction méthodique de nos vies et de notre environnement.
Nous savons que l’égalité doit se conquérir par la lutte, que c’est seulement dans la lutte collective et la solidarité que nous pouvons nous émanciper et obtenir des conditions de vie décentes. Pas par des décisions de l’UE en matière de politique de genre, visant à répondre aux attentes du féminisme libéral et visant la réussite de certaines femmes – nous n’avons que faire que des femmes deviennent directrices de banques quand, dans le même temps, ces banques s’emparent de nos maisons et de nos vies. Nous refusons la politique du « moindre mal ». Nous ne voulons pas de femmes en politique simplement parce que ce sont des femmes – les femmes politiques qui votent des mesures d’austérité ne sont pas nos alliées. Celles et ceux qui votent ces mesures sont directement responsables de l’augmentation des violences faites aux les femmes, du sous-financement de logements corrects, de la dévalorisation du travail féminin par rapport au travail masculin.
Le féminisme pour lequel nous nous battons n’est pas le féminisme d’une infime minorité de femmes dans des positions de pouvoir dans les banques ou les entreprises au détriment des travailleuses, des migrantes, de toutes celles qui sont vulnérables et de nos enfants. Le féminisme pour lequel nous luttons est dirigé contre l’UE et ses mesures d’austérité dévastatrices. Au lieu de continuer à mener des politiques qui se soldent par la mort de milliers de femmes et l’exploitation de centaines de milliers d’autres, nous voulons lutter en ayant conscience que notre ennemi est le capital et qu’il est toujours chez nous.
Chapitre 7 - Santé et éducation |
La lutte pour l’éducation, la santé et les soins fait partie de la lutte pour notre émancipation et pour l’amélioration substantielle des conditions dans lesquelles nous vivons
Depuis l’éclatement de la crise financière de 2008, les mesures d’austérité imposées dans le monde et en Europe ont mis à mal les dépenses sociales, imposé une « discipline » budgétaire stricte et instauré de nouvelles coupes dans des dépenses d’éducation et de santé déjà en baisse, faisant la guerre tout d’abord à celles et ceux qui ne gagnent rien ou presque. De plus, la crise a frappé davantage les groupes les plus vulnérables : les personnes âgées, les chômeurs et chômeuses, les groupes ayant des revenus faibles et en particulier les femmes. Cela a pour conséquence que notre accès tant à la santé qu’à l’éducation dépend de plus en plus (si ce n’est entièrement) de nos moyens financiers. Ceux qui peuvent payer ont accès à de bonnes conditions d’éducation, de santé et de soins. Ceux qui ne le peuvent pas doivent soit s’endetter, soit attendre de plus en plus pour avoir accès à des prestations de santé qui se réduisent.
Les coupes dans les dépenses sociales et la « discipline » budgétaire ont privé celles et ceux qui travaillent le plus pour la société de leurs droits et garanties fondamentaux. La dernière décennie en particulier a été marquée par un accroissement majeur de la marchandisation et la privatisation de la santé, des soins et de l’éducation. Au lieu d’être considérés comme des droits humains fondamentaux et des garanties sociales, ceux-ci sont de plus en plus identifiés selon la logique capitaliste qui les transforme en marchandises vendues et achetées.
C’est cela que nous voulons changer. La lutte pour l’éducation, la santé et les soins fait partie de la lutte pour notre émancipation et pour l’amélioration substantielle des conditions dans lesquelles nous vivons.
I. DÉFENDRE ET ÉTENDRE L’ÉDUCATION ET LA SANTÉ PUBLIQUES
Alors que les gouvernements européens annoncent une augmentation des dépenses militaires [49], des mesures contre l’immigration et des investissements dans l’industrie de l’armement, alors que des pans entiers de nos sociétés sont transformés en listes d’attente en raison du manque de services disponibles, des pénuries en matière de services et d’institutions d’éducation, de santé et de soins, on nous dit que ce sont désormais des services que nous devons acheter [50].
Les listes d’attente pour les crèches ou pour obtenir un traitement médical sont de plus en plus longues et dans certains pays (en particulier de la périphérie de l’UE et des États hors UE), les subsides sont quasiment inexistants. À ce titre, nous assistons à des différences flagrantes entre les pays du centre de l’UE d’une part et les pays de la périphérie au sein de l’UE et les pays européens non membres d’autre part. C’est particulièrement frappant dans le cas de la Grèce où la réduction de moitié du budget de la santé a conduit à une augmentation significative du taux de mortalité [51]. Des études ont également mis en lumière les différences existant entre les zones rurales et les environnements urbains en matière d’accès à des services d’éducation, de santé et de soins. Dans tous les cas les différences sont fortement amplifiées par la dimension de classe.
L’investissement dans l’éducation signifie investir dans un futur toujours plus incertain
L’éducation n’est pas une marchandise, ni un service qu’on nous offre mais un processus qui doit avoir lieu tout au long de la vie, processus dans lequel nous devons investir. L’investissement dans l’éducation signifie investir dans un futur toujours plus incertain. Préparer les enfants aux changements considérables et rapides du monde contemporain est extrêmement important car ils auront à faire face au changement climatique, à la robotisation et aux autres changements qui affecteront le marché de l’emploi ainsi que l’environnement dans lequel ils vivront. C’est pourquoi l’éducation ne doit pas être vue comme une série de tests destinés à mesurer le succès ou l’échec dans le processus éducatif comme c’est de plus en plus le cas. Les enfants, les adolescents, les étudiants (y compris les étudiants adultes) ne sont pas de simples chiffres mais des êtres humains avec leurs besoins spécifiques, leurs talents et leurs capacités. Ceux-ci devraient être mis en avant et tout le monde devrait pouvoir développer au mieux ses possibilités créatives.
Bien que le tournant en matière de libéralisation, dérégulation et marchandisation en matière d’éducation ne soit pas nouveau et ait été sujet à débats depuis près de trois décennies, les rapports de l’UE eux-mêmes montrent que la dernière crise financière a agrandi le fossé entre les objectifs globaux de l’UE et la réalité en matière de taux de décrochage scolaire, d’obtention d’un diplôme dans l’enseignement secondaire ou supérieur ainsi qu’en matière d’éducation permanente, de formation et d’apprentissage des adultes. De plus, il y a d’immenses disparités entre États du centre de l’UE, États de la périphérie de l’UE et États non membres, ainsi que des différences régionales au sein des États membres [52]. Depuis les années 1990 les États européens ont, à côté des écoles publiques, développé des programmes pour des crèches et écoles privées auxquels ils participent directement par leur co-financement ou leur seule supervision. Cela a encouragé un accroissement des différentes formes de privatisation en matière d’éducation en général.
Les inégalités en matière d’accès à une éducation publique de qualité comme en matière de santé sont liées aux origines sociales et amplifiées par les politiques néolibérales
Les écoles maternelles et primaires ont été affectées par « des réformes en matière éducative caractérisées par des coupes dans les dépenses, des formes de dérégulation, de libéralisation et de marchandisation ainsi que la sous-traitance et l’introduction de nouveaux fournisseurs de services éducatifs (certains marchands, d’autres pas) » [53]. Le modèle d’éducation nordique, souvent vanté car présenté comme égalitaire, doté d’une conscience sociale et soucieux du bien-être des enfants a fait l’objet de critiques sévères précisément en raison des disparités résultant de l’introduction et l’imposition de privatisations, marchandisation dans le système éducatif en général et en particulier dans les écoles élémentaires au cours de la dernière décennie [54]. Sous le prétexte de donner formellement le choix aux parents, une ségrégation institutionnelle basée sur la race et le revenu s’est développée. Les classes moyennes sont maintenant libres de retirer leurs enfants des écoles situées dans des quartiers ouvriers et à majorité immigrée afin de privilégier leur éducation dans des zones que les classes populaires et populations immigrées doivent quitter en raison de la spéculation immobilière. Dans chaque pays, les inégalités en matière d’accès à une éducation publique de qualité sont – comme en matière de santé – liées aux origines sociales et amplifiées par les politiques néolibérales tant dans les États membres que non-membres de l’UE.
Bien que la plupart des rapports officiels de l’UE proclament que de nombreux pays progressent vers un taux d’abandon scolaire inférieur à 10 % et un taux de fréquentation de l’enseignement supérieur de plus en plus élevé, la recherche témoigne en fait d’une situation quelque peu différente. Par exemple, les résultats du PISA [55] (Programme international de suivi des acquis) pour 2012 montrent qu’en moyenne 17 % des Européens de 15 ans ont de faibles capacités de lecture et que 55 millions d’adultes entre 16 et 65 ans souffrent d’analphabétisme fonctionnel [56]. Tous les pays, bien que dans des proportions différentes, ont été affectés par la crise économique qui fait reculer la progression que l’Union européenne s’était fixée pour 2020. Les différences entre pays en matière d’investissement dans les infrastructures et l’éducation en général persistent. Des pays comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie ont vu leur système éducatif dévasté par les impacts de la crise et les différences régionales au niveau de l’Union européenne sont également frappantes [57]. Au lieu d’investir dans l’éducation, les gouvernements néolibéraux ont principalement fait des efforts pour déréguler, sous-traiter et privatiser le système éducatif dans son ensemble.
L’éducation commence très jeune et toutes les recherches récentes montrent l’importance de l’éducation à la petite enfance pour le bon développement des enfants et de leur potentiel [58]. Un congé de maternité prolongé est également important pour le bon développement mental et physique du bébé et son développement ultérieur en une personne réellement mature. C’est pourquoi le congé de maternité doit être garanti et protégé par la loi et ne pas être utilisé comme un prétexte pour pousser les femmes hors de la force de travail et du marché de l’emploi. Il faut en même temps comprendre que les États providence ont, à des degrés et moments différents, par l’utilisation de formes et taux d’imposition différentiés, cherché à maintenir la famille nucléaire en incitant à ce que les femmes n’entrent pas sur le marché du travail. C’est – de plus en plus – le cas en Allemagne et l’Italie a été historiquement un des exemples les plus marquants de ce genre de politique [59].
Les crèches, les écoles maternelles et les garderies sont là où notre première éducation débute. Nous devons en tant que société valoriser chaque niveau d’éducation et non sur base du profit. La féminisation de l’enseignement en général (crèches, écoles maternelles, écoles primaires et secondaires et dans certains cas certains secteurs de l’enseignement supérieur) s’est accompagné d’une dégradation du statut social de la profession et a pour conséquence des rémunérations faibles. Les femmes travaillant dans l’enseignement au sens large bien qu’ayant souvent un niveau élevé de formation sont considérées comme de simples maîtresses de maison occupées à des tâches « traditionnellement » féminines. Cela signifie qu’en tant que société nous acceptons et en fait confirmons que non seulement le travail avec les enfants est insignifiant mais également puisque occupé en grande majorité par des femmes, il doit être considéré comme « naturellement » féminin et donc ne pas être payé comme d’autres professions considérées comme typiquement masculines. Cette attitude est non seulement fausse et sexiste mais également inacceptable socialement. Tout travail dans le domaine éducatif devrait jouir d’une considération équivalente aux professions principalement occupées par des hommes et rémunérés en fonction.
Ces tendances se sont renforcées depuis les années 1960 et nous assistons aujourd’hui en raison de la crise économique à leur point culminant [60]. La résolution adoptée par le Conseil syndical européen de l’éducation met en garde contre « les effets dramatiques qu’a eus la crise sur les enseignants, les employés de l’éducation et les élèves, et affirme que la réduction de la dette et du déficit national au travers de mesures d’austérité ne constitue pas un moyen viable pour assurer une croissance économique durable face à la situation que traverse actuellement l’Europe. Elle exhorte également les responsables politiques européens et les gouvernements nationaux à reconnaître qu’ils ont la responsabilité impérieuse de trouver une issue à la crise pour garantir l’avenir des générations futures » [61].
Les tendances actuelles dans le monde de l’éducation ne font qu’intensifier les inégalités sociales et de classe déjà existantes. En effet, tous les systèmes éducatifs dans l’Union européenne ont à des degrés divers mis en place des systèmes de sélection qui reproduisent la division sociale du travail, c’est-à-dire d’une part la soumission requise des catégories ouvrières et le caractère routinier qui incombe à une grande partie des employé-e-s et d’autre part les cadres techniques, scientifiques et de gestion. Mais aujourd’hui les académies privées étendent le rôle historique joué par exemple par les public schools [62] britanniques qui symbolisent une régression sociale par la reproduction des hiérarchies de classe via la sélection. À moins de lutter pour une éducation accessible à tous et la défendre comme un droit humain fondamental, ces tendances ne feront que renforcer les distances sociales existant entre les classes privilégiées et celles qui ne le sont pas et miner la possibilité de l’éducation pour tous dans des conditions équivalentes.
Pour conclure, nous pensons qu’aucun être humain ne devrait être privé de la chance de pouvoir développer pleinement ses capacités et aptitudes parce qu’elle ou lui provient d’un milieu social défavorisé. Nous voulons mettre fin à ce type de discrimination et ségrégation.
II. POUR LE DROIT À DES SERVICES D’ÉDUCATION, DE SANTÉ ET DE SOINS PUBLICS, GRATUITS ET SUBSIDIÉS
Partout en Europe, les pensionnés et les pauvres sont de plus en plus privés de traitements médicaux de base, de médicaments et de soins
Tout comme pour l’éducation, il est tout aussi important d’investir dans nos systèmes de santé. Personne ne devrait être privé de l’accès aux services de santé et de soins parce qu’il-elle n’est pas riche. La santé et les soins ne sont pas un privilège mais un droit pour tous et toutes. Ce n’est pas quelque chose qu’on doit pouvoir se permettre mais quelque chose auquel tout le monde a droit dans des conditions égales et quel que soit son niveau de ressources. Partout en Europe, nous voyons comment les pensionnés et les pauvres sont de plus en plus laissés de côté, privés de traitements médicaux de base, de médicaments et de soins. Cela ne devrait pas être ainsi.
L’Union européenne fait face à de sérieux défis et problèmes en matière de questions de santé et de soins. D’une part, une population vieillissante et un plus grand nombre de personnes âgées dans le besoin, d’autre part une pénurie de force de travail tant qualifiée que peu qualifiée pour assurer les soins et l’aide à chacun-e. C’est pour cette raison que l’Union européenne est hautement dépendante de la force de travail des migrants qu’elle fait venir de l’ancien bloc soviétique ou des anciennes colonies alors que les politiciens populistes et conservateurs de l’idéologie dominante présentent les choses de manière biaisée en faisant croire que les migrants prendraient le travail des citoyens européens appauvris.
Le secteur des soins aux personnes où travaillent principalement des femmes dans des conditions échappant souvent aux régulations et à la surveillance : « de plus en plus en Europe, le travail domestique repose sur les femmes migrantes. En effet, les natives sont de moins en moins enclines à occuper ce secteur marginal du marché de l’emploi mais l’immigration croissante au cours des dernières décennies a fait grossir les rangs des femmes migrantes qui viennent dans l’Union européenne pour occuper des emplois de nettoyeuses ou d’aides à domicile » [63]. On observe le même schéma dans le recrutement de personnel médical très qualifié comme des docteur-e-s ou moins qualifié comme des infirmiers et infirmières.
Les inégalités existent et persistent dans toute l’Europe. L’Europe de l’Est et les Balkans en font particulièrement les frais au détriment de leurs systèmes éducatif et de santé. La tendance à exporter comme une marchandise une main d’œuvre à la fois hautement qualifiée et faiblement rémunérée (éduquée avec des fonds publics par des pays appauvris et endettés) vers des pays plus développés et riches de l’UE a déjà provoqué et continue de provoquer d’énormes problèmes en termes de remplacement actuellement mais également pour des générations de docteur-e-s, infirmier-ère-s, enseignant-e-s. Bientôt ces pays se trouveront confrontés à une pénurie en matière de formation de personnel médical et d’enseignement. Nous devons mettre fin à cette forme d’exploitation et lutter pour un système juste et égalitaire dans lequel tous les êtres humains bénéficieront d’une considération, d’un accès à l’éducation et aux soins égaux.
Depuis 2008, l’Union Européenne a été témoin d’un accroissement des privatisations de son système de santé
Depuis le début des années 2000 et en particulier depuis 2008, l’Union Européenne tant en son centre qu’à sa périphérie a été témoin d’un accroissement des privatisations de son système de santé que ça soit totalement ou partiellement. Généralement on distingue deux types de privatisations. Le premier est indirect et doit être compris comme un premier pas vers une privatisation complète. On peut le définir ainsi : « La décentralisation (déconcentration, délégation et transfert de compétences aux collectivités locales ou territoriales – mais sans les moyens qui devraient aller de pair), l’autonomisation, la mise sur le marché, la compétition régulée (des mesures de marchandisation ou libéralisation), la gestion de la mise en compétition » [64].
Le second groupe est compris comme une forme directe de privatisation des soins de santé et est définie comme : « la liquidation des services publics de santé, la sous-traitance, la mise en place de partenariats publics-privés (privatisation de l’investissement et de la gestion), privatisation du financement des soins de santé » [65].
Un autre aspect crucial de la marchandisation est l’émergence de partenariats publics-privés (PPP). Cela implique des contrats commerciaux entre les autorités publiques et des entreprises privées dans l’élaboration, le développement, le financement et le fonctionnement de l’infrastructure publique de santé ainsi que des services traditionnellement assurés par le service public. Le Royaume Uni a été le premier pays suivi de l’Espagne et de la Hongrie avec le reste de l’Europe qui s’y est mis au cours de la dernière décennie. Les PPP avec leurs frais et concessions multiples sur une période pouvant aller jusqu’à 25 ans ont été extrêmement lucratifs pour les entreprises multinationales. Pour la population, ils ont signifié un gaspillage qui se maintient et un endettement massif qui donne lieu à des coupes dans les services publics et plus d’endettement pour répondre aux nouveaux coûts – en raison du transfert de tout le risque sur le secteur public et de tous les bénéfices au secteur privé.
Les fonds publics, bloqués quand il s’agit d’investir dans les services publics, sont toujours disponibles pour payer les dettes du secteur privé
Au Royaume-Uni entre 1997 et 2010, 147 PPP ont été signés dans le secteur de la santé pour construire de nouveaux hôpitaux ou rénover les hôpitaux existants ainsi que pour la fourniture de services variés tels que les repas, la blanchisserie ou la maintenance technique. En 2010, pour des projets représentant un coût de 14 milliards d’euros, la santé publique britannique (National Health Service) devait le montant incroyable de 80,7 milliards d’euros sur la durée des contrats, y compris également les contrats de service. Les coûts qui augmentent d’année en année – passant de 1,5 milliard d’euros en 2010 pour atteindre 2,85 milliards d’euros en 2030 – sont un fardeau beaucoup trop lourd pour un service qui a fait l’objet d’un sous-financement chronique. Suivant la logique néolibérale, la fourniture de soins de santé a été sacrifiée pour le paiement des dettes, les hôpitaux étant forcés à des améliorations « d’efficience ». En conséquence, la capacité hospitalière britannique avait diminué de 33 % en 2009-2010, tandis que le taux d’occupation atteignait des niveaux dangereux et du personnel médical était licencié. Pendant ce temps les fonds publics, généralement bloqués quand il s’agit d’investir dans les services publics, sont toujours disponibles quand il s’agit de payer les dettes du secteur privé comme c’est le cas pour les hôpitaux mis quasiment en faillite par le paiement des dettes des PPP [66].
Sous le prétexte d’offrir un plus large choix et un meilleur accès, l’UE pousse en fait vers une plus grande libéralisation, c’est-à-dire la privatisation des services de santé [67] avec des effets dévastateurs [68]. De nombreuses études ont mis en garde contre les tentatives incessantes de l’Union européenne de privatiser les services de santé au détriment de celles et ceux qui sont déjà socialement et politiquement privés de l’accès à ces services [69].
Dans un excellent article universitaire, Thomas Gerlinger et Hans Jürgen Urban démontrent que toute la rhétorique européenne sur l’amélioration des systèmes de santé visant à permettre l’accès et à offrir le choix est en fait un choix fallacieux et inexistant :
« L’objectif d’assurer un haut niveau de protection sociale et un accès aux services de soins de santé implique un haut niveau de dépenses publiques qui entrerait en contradiction avec les coupes nécessaires pour assurer les critères de stabilité de Maastricht et affaiblirait ainsi l’UE. De manière concomitante, des politiques compétitives et de restriction des coûts peuvent encourager la privatisation des traitements médicaux mettant à mal l’objectif d’assurer un haut niveau de protection sociale et un accès facilité aux services de soins de santé » [70].
Il en découle que bien que la rhétorique européenne officielle soit liée à un vocabulaire technique où la vie des populations est liée à des critères « rationnels » de rentabilité, et bien qu’elle prétende que l’amélioration de la santé de la population soutient la croissance économique, une participation accrue à la force de travail et une plus grande productivité, nous devons nous opposer fermement à cette approche. La santé et l’éducation doivent être considérés comme des biens communs en tant que tels et de ce fait être exclus de la logique capitaliste des pertes et profits.
De plus, et c’est important, nous voulons mettre l’accent sur le fait que les recherches pertinentes prouvent l’existence d’une relation de cause à effet entre le fait d’avoir ou non bénéficié d’une éducation et une bonne ou mauvaise santé. En d’autres termes, les personnes qui disposent d’un faible bagage éducatif sont plus susceptibles d’avoir également des problèmes de santé [71].
III. PROPOSITIONS
Nos propositions visent tant les mouvements que les gouvernements populaires. Nous pensons que la lutte pour une santé et une éducation publique gratuite et accessible est la seule alternative viable aux privatisations croissantes ainsi qu’à la ségrégation de race et de classe présente dans les deux sphères conséquence des politiques d’état et les intérêts des personnes soumises aux intérêts du capital.
Propositions immédiates pour les mouvements
- Mener campagne pour une éducation, une santé et des services de soins publics, accessibles et gratuits.
- Mener campagne pour la socialisation de l’industrie pharmaceutique et l’accès aux produits pharmaceutiques à travers le système de santé publique.
- Mener campagne pour les salaires, pour la dignité de l’emploi et de l’existence.
- Exiger l’arrêt immédiat de la libéralisation, des privatisations ou de la marchandisation dans ces secteurs dont l’accès devrait être assuré pour chacun-e quelle que soit sa classe.
- Exiger et promouvoir des audits citoyens des contrats de Partenariat publics-privés et des dettes contractées via ces PPP.
- S’opposer aux dettes illégitimes contractées via les PPP.
- Exiger un moratoire immédiat sur le lancement de tout nouveau PPP.
- Exiger l’arrêt de tous les investissements dans les systèmes privés d’éducation et de santé.
- Exiger la socialisation de l’éducation, de la santé et des systèmes de soins.
- Mener campagne pour un congé de maternité prolongé jusqu’à 12 mois pour toutes.
- Exiger un accès égal et gratuit à toutes les structures éducatives de la petite enfance jusqu’à l’université.
- Mener campagne pour des repas gratuits pour tous les enfants fréquentant les structures éducatives.
- Exiger la qualité et non la quantité. Les êtres humains ne sont pas des chiffres.
Les propositions immédiates pour un gouvernement populaire
- Au lieu d’augmenter les investissements dans les équipements militaires et la défense, investir de l’argent dans l’éducation, la santé et les services de soins au bénéfice de toute la collectivité.
- Restaurer la dignité et relever les salaires des personnels de l’éducation, de la santé et du secteur des soins.
- Mettre fin aux PPP liés aux services publics.
- Mettre en question les dettes contractées à travers les différentes formes de PPP.
- Investir dans les systèmes d’éducation, de santé et de soin au lieu de promouvoir l’intérêt privé basé sur l’idéologie du choix.
- Arrêter les investissements publics dans les systèmes privés d’éducation, de santé, et dans toute autre institution privée similaire.
- S’assurer que les enfants exclus du système éducatif en raison de handicap, de la pauvreté ou d’autres formes de discrimination soient intégrés et que les ressources nécessaires soient affectées à leur développement.
- S’assurer que les enfants qui ont des besoins particuliers reçoivent l’assistance éducative spécialisée nécessaire.
- Mettre fin à la ségrégation basée sur le revenu et la race en matière d’éducation, de santé et de soins.
- Investir dans la qualité plutôt que dans des systèmes de tests quantitatifs visant à la concurrence.
- Réduire le nombre d’élèves par classe.
- Réduire la pression sur les institutions publiques en investissant dans l’emploi public en prévoyant le nombre suffisant d’enseignant-e-s, de docteur-e-s, d’infirmiers et d’infirmières, de travailleurs et travailleuses du secteur des soins pour assurer un service de qualité et répondre aux besoins.
Programme à moyen terme des gouvernements populaires
- Socialisation de l’entièreté des systèmes éducatif, sanitaire, et de soins.
- Retour dans le giron public des services actuellement privés d’éducation, de santé et de soins.
- Autogestion des secteurs éducatif, de santé et de soins par les professionnels qui y travaillent avec la participation des usagers et des citoyens en général ainsi que des représentant-e-s politiques locaux.
- Implication directe des citoyen-ne-s dans les décisions concernant la santé et l’éducation via leur droit à prendre part aux assemblées d’autogestion qui s’y rapportent.
- Accès entièrement libre et gratuit à l’éducation, aux médicaments et aux soins.
- Entière gratuité de l’enseignement supérieur et octroi d’une allocation d’études universelle pour tou-te-s les étudiant-e-s.
- Coopération internationale en matière de recherche publique et particulièrement dans le domaine de la santé pour dépasser la fragmentation, les monopoles, les gaspillages et les coûts massifs imposés par la grande industrie pharmaceutique.
- Un système de redistribution de la richesse des pays les plus riches vers les plus pauvres orienté spécialement vers les secteurs de l’éducation, de la santé et des soins.
- Des droits égaux – indifféremment de leur nationalité – à la citoyenneté et à l’emploi pour tou-te-s les travailleurs et travailleuses employé-e-s dans le secteur public socialisé.
CONCLUSION
Davantage d’investissement et de dépenses publiques ou une aggravation, voire un effondrement, des systèmes d’éducation, de santé et de soins
Le développement, la préservation et le renforcement de systèmes d’éducation, de santé et de soins financés par des fonds publics et accessibles gratuitement ne semble pas possible dans le cadre de l’Union européenne et de l’euro. Les possibilités de réaliser un tel programme sont inexistantes si l’on ne s’attaque pas à l’économie de la dette et de l’austérité. Le pacte budgétaire actuel empêche les déficits budgétaires et les dépenses contra-cycliques tandis que les politiques monétaires de la BCE s’attaquent à l’inflation plutôt qu’à la croissance des inégalités. L’augmentation des dépenses publiques est donc contrainte et dépend du taux de croissance (et donc d’imposition) ou d’emprunts sur les marchés de capitaux. Dans les circonstances actuelles, le choix est entre davantage d’investissement et de dépenses publiques ou une aggravation de la situation, et dans certains cas un effondrement, des systèmes d’éducation, de santé et de soins. Ce chapitre court a traité des questions d’éducation et de santé mais d’autres questions en lien avec les services publics mériteraient d’être traitées : celles relatives au transport public et à sa privatisation aux dépens des plus pauvres, au droit d’accéder à des logements publics qui font depuis le début de la période néolibérale l’objet d’attaques avec la gentrification et d’autres formes d’expulsion des plus pauvres dans l’intérêt de la finance et du capital, et d’autres questions en lien avec les besoins et exigences de communautés locales.
Chapitre 8 - Politiques internationales
I. CAPITALISME GLOBAL, INÉGALITÉS GLOBALES
Le développement d’un centre et d’une périphérie par le biais de « l’intégration européenne » n’est pas un phénomène inédit : l’histoire de l’accumulation du capital a été une histoire de dépossession à l’échelle mondiale, et donc de développement inégal et d’inégalités croissantes à travers le monde.
Aujourd’hui, alors que les pays du Nord et la Chine connaissent des capacités de surproduction dans la plupart des secteurs économiques, les pays du Sud restent confrontés à une faiblesse frappante de leur développement industriel, à des crises récurrentes dans la production alimentaire et à un manque de services publics [72]. Près de 2 milliards de personnes souffrent de malnutrition, la plupart d’entre elles vivant dans les pays du Sud. La moitié du monde n’a pas accès aux services de santé essentiels.
Les populations des pays du Sud sont également les plus touchées par les déplacements forcés
Les populations des pays du Sud sont également les plus touchées par les déplacements forcés. Fin 2017, 68,5 millions de personnes avaient été contraintes de fuir leur foyer à cause de guerres et de persécutions. 40 millions d’entre elles étaient déplacées à l’intérieur de leur propre pays, 3,1 millions attendaient le résultat de leur demande de statut de réfugié et 25,4 millions étaient réfugiés hors de leur propre pays [73]. Ces chiffres n’incluent pas les personnes qui fuient la misère et les conséquences du changement climatique, dont le nombre va probablement augmenter dans un avenir proche.
II. DES POPULATIONS CONDAMNÉES À L’EXIL OU À LA MORT PAR LES POLITIQUES DE L’EUROPE FORTERESSE
La réponse réellement apportée par l’UE à cette situation consiste à renforcer ses politiques de construction d’une Europe forteresse
Dans l’UE, la majorité de la classe dominante ainsi que les forces d’extrême droite (qui sont sur une pente ascendante) affirment que des flux massifs de réfugiés atteignent le continent depuis 2015. L’utilisation répandue de l’expression « crise des réfugiés » suggère la même chose. Alors que les flux de migrants cherchant refuge dans l’Union européenne ont effectivement pris de l’importance en 2015, en particulier du fait de la guerre en Syrie, l’arrivée d’environ un million de personnes sur plus de 510 millions d’habitants ne peut en aucun cas être caractérisée comme une crise pour l’Europe. L’UE accueille une petite minorité du nombre total de réfugiés dans le monde – les « pays en développement » en accueillant 85 % [74]. Dans le cas de la Syrie, par exemple, la plupart des réfugiés sont hébergés en Turquie, au Liban et en Jordanie. De plus, ces affirmations masquent la réponse réellement apportée par l’UE à cette situation, qui consiste à renforcer ses politiques de construction d’une « Europe forteresse ».
L’ouverture des frontières intérieures de l’UE permise par l’accord de Schengen (qui s’applique à 22 des 28 États membres de l’UE ainsi qu’à l’Islande, à la Norvège, à la Suisse, au Liechtenstein, à Andorre, à Monaco, à Saint-Marin et au Vatican) a été accompagnée par un renforcement des frontières extérieures de l’UE. La liberté de circulation n’a été accordée qu’aux ressortissants de l’espace Schengen, tandis que l’accès à l’UE (à l’espace Schengen) a été rendu plus compliqué pour les non-ressortissants de l’espace Schengen pauvres, en particulier pour les populations du Sud.
Avec la convention de Dublin, l’UE a reproduit dans le domaine du contrôle des frontières l’absence de solidarité entre les États membres qui prévaut dans ses politiques économiques. En effet, la convention de Dublin « stipule qu’un réfugié qui essaye d’accéder à l’asile au sein de l’UE doit déposer son dossier là où il a été enregistré, c’est-à-dire dans le premier pays d’entrée de l’UE, et rester dans le pays en question jusqu’à ce que sa demande soit examinée. Dans le cas contraire, il est passible de renvoi dans ce pays, et devient ainsi un « dubliné », c’est-à-dire un paria balloté d’un pays à un autre » [75]. Ce système relègue ainsi aux pays qui se trouvent « en première ligne » de l’espace Schengen (en particulier la Grèce et l’Italie, mais aussi l’État espagnol) le sale boulot consistant à maintenir les migrants hors de l’UE. Cette politique a été accompagnée par la création d’une agence de contrôle des frontières de l’UE, Frontex, dont le budget annuel est passé d’environ 6 millions d’euros en 2005 à environ 143 millions d’euros en 2015 et à environ 320 millions d’euros en 2018 [76]. Ces dernières années, les instruments de répression des migrations ont également constamment augmenté au sein des États membres, avec la généralisation des centres de rétention pour migrants, l’utilisation de nouvelles technologies pour surveiller les frontières, ou encore la construction de murs et de barrières pour empêcher les migrants de franchir les frontières (par exemple : Ceuta, Calais).
De plus, l’UE établit des « partenariats avec d’autres États ou avec des agences, qui permettent de sous-traiter les fonctions de coercition, de rétention, de surveillance et de contrôle. De ce fait, une bonne partie des pays du pourtour méditerranéen et au-delà sont transformés en « zones tampon » et annexés, en tant que bordure extérieure, au dispositif de la frontière de l’UE. Parmi ces gardiens extérieurs, cependant, la Turquie et la Libye sont les plus importants, puisqu’ils sont des points de passage obligés des deux principales routes empruntées par les migrations informelles vers l’UE : celle venant d’Afrique qui transite principalement par la Libye avant de traverser la Méditerranée centrale vers l’Italie ; et celle venant d’Asie et du Moyen-Orient via la Turquie, vers les Balkans ou les îles les plus orientales de la Grèce » [77]. En 2015, le sommet de l’UE sur les migrations de La Valette a donné son accord pour financer les centres de rétention libyens, rendus tristement célèbres pendant quelques jours en novembre 2017 après que CNN eut diffusé un enregistrement vidéo montrant une « vente aux enchères d’esclaves » dans un de ces centres. Le même sommet s’est mis d’accord sur l’allocation de deux milliards d’euros « d’aide au développement » au renforcement du contrôle des frontières au Soudan, en Éthiopie, au Niger, au Nigeria, au Mali et au Sénégal. En mars 2016, un autre accord tristement célèbre a été signé entre l’UE et la Turquie, qui engage la Turquie « à ne plus permettre les traversées « irrégulières » à partir de ses côtes, en contrepartie d’une promesse de levée des restrictions des visas pour l’UE accordés à ses ressortissants, de l’ouverture d’un nouveau chapitre des négociations sur l’adhésion de la Turquie à l’UE ainsi que d’une aide de trois milliards d’euros destinée à couvrir une partie du coût de l’accueil des réfugiés sur son sol » [78].
Les politiques actuelles ont transformé la mer Méditerranée en une fosse commune
Ces politiques ne sont pas seulement mauvaises d’un point de vue moral : elles ont transformé la mer Méditerranée en une fosse commune, avec au moins 17 825 personnes qui y ont trouvé la mort en janvier 2014 et août 2018 en essayant de la traverser pour rejoindre l’Europe [79]. Stathis Kouvélakis avance de façon convaincante que les fortifications installées ces dernières années afin d’empêcher les migrants de rejoindre l’UE sont responsables de cette tragédie ; il indique également que, depuis la signature de l’accord entre l’UE et la Turquie, « si le nombre de morts par mois a diminué, le nombre de morts par rapport au nombre de personnes arrivant sur le sol de l’UE continue d’augmenter, ayant doublé depuis 2016 » [80].
Cela est d’autant plus inacceptable que l’Europe porte une lourde responsabilité matérielle et morale dans la formation de situations qui conduisent des centaines de milliers de personnes à quitter leurs pays. Le passé colonial des principales puissances européennes, qui a constitué un élément structurel de l’accumulation de capital en Europe, a désintégré le tissu social dans les territoires colonisés et l’a remplacé par un rapport violent de dépendance vis-à-vis des puissances coloniales. Depuis que les nations dominées ont formellement accédé à l’indépendance, après avoir dû se battre pour celle-ci pendant des décennies, le colonialisme s’est transformé en néo-colonialisme : la subjugation directe des nations précédemment colonisées a été transformée en une subjugation indirecte dans laquelle la violence a été rendue moins visible mais la dépendance vis-à-vis des centres capitalistes les plus industrialisés a été maintenue. En conséquence, les obstacles à l’autodétermination ont également été maintenus [81].
Ce néo-colonialisme peut être caractérisé par un large éventail de politiques, parmi lesquelles on peut souligner :
- La mise en place, avec l’aide des classes dominantes locales, d’un système permanent d’endettement des nations dominées envers les créanciers bilatéraux (les États dominants) ou multilatéraux (le Fonds monétaire international – FMI –, la Banque mondiale et d’autres institutions financières). Ce système dette a permis la continuation du pillage des ressources nationales des États débiteurs en faveur des pays les plus industrialisés. Il a permis d’imposer les politiques néolibérales du consensus de Washington une fois que ces nations dominées eurent fait défaut sur leurs dettes : afin que les débiteurs continuent à rembourser leurs emprunts, les créanciers leur ont offert de nouveaux prêts et/ou des allègements de dette momentanés à la condition que ces États endettés privatisent des secteurs clés de l’économie, lèvent les barrières douanières, adoptent des taux de change flottants et des taux d’intérêt variables, diminuent leurs dépenses publiques dans les domaines sociaux, et plus généralement leurs investissements publics. Ces politiques ont rendu les États dépendants encore plus vulnérables à la concurrence internationale avec les pays les plus industrialisés, les ont empêchés d’investir dans les secteurs productifs de l’économie et dans les services publics, ont détruit les économies locales et auto-organisées qui avaient survécu à la colonisation, et ainsi ont condamné les populations de ces pays à un état permanent de précarité et de pauvreté [82].
- La mise en application, sous pression de l’UE et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), des règles et accords de libre-échange favorisant les nations les plus industriellement développées et encourageant le développement de modèles économiques basés sur l’exportation (par exemple les Accords de partenariat économique entre l’UE et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique – ACP). En conséquence, les nations dominées privilégient le développement d’un ou de quelques secteurs d’exportation, ce qui affecte négativement leur souveraineté alimentaire et leur auto-suffisance. Les modèles économiques d’exportation encouragent également la course à la compétitivité par la diminution des salaires et/ou la détérioration des conditions de travail.
- Le soutien politique, financier et matériel à des dirigeants corrompus et autoritaires afin de préserver les intérêts économiques des États les plus industrialisés et de leurs entreprises multinationales. Un exemple frappant de soutien politique : Zine El Abidine Ben Ali, Hosni Moubarak et Bachar al-Assad ont tous reçu la Légion d’honneur française, la plus haute décoration française (Bachar al-Assad a rendu la sienne en 2018 après que la France avait annoncé qu’elle la lui retirerait). Lorsque le soulèvement a éclaté en Tunisie en décembre 2010, la France a offert à Ben Ali son savoir-faire en matière de répression des manifestations. De même, l’Égypte et l’Arabie saoudite – deux États dont les régimes sont fortement impliqués dans le chaos géopolitique actuel au Moyen-Orient – ont été des acheteurs fiables d’armes lourdes françaises et britanniques ces dernières années.
- L’ingérence directe dans la politique de nations dominées à travers le chantage économique et financier, le soutien à des coups d’État ou l’intervention militaire directe, chaque fois que les intérêts économiques de nations européennes sont menacés [83].
III. NOTRE INTERNATIONALISME
Initiatives immédiates citoyennes à lancer aux niveaux national et international, notamment par les mouvements sociaux :
- La gauche doit participer aux mouvements sociaux existants qui contestent les politiques anti-migratoires de l’Europe forteresse et les développer, tels que ceux qui organisent l’hébergement de migrants, les aident à franchir les frontières, dénoncent les centres de rétention pour migrants, organisent des manifestations de masse en faveur de l’ouverture des frontières et de l’accueil digne des migrants. Nous devons nous opposer concrètement aux expulsions chaque fois que cela est possible. De plus, la gauche devrait reconnaître l’existence de déplacements forcés induits par la destruction de l’environnement et s’engager dans la solidarité avec les réfugiés climatiques. La crise des politiques migratoires européennes depuis 2015 a révélé la nécessité pour la gauche de s’engager dans l’action humanitaire et, inversement, elle a confirmé la nécessité de politiser les initiatives humanitaires existantes afin qu’elles ne se limitent pas à un pansement posé sur une plaie béante.
- La gauche européenne doit établir des liens avec les groupes et individus impliqués dans les politiques d’émancipation en dehors de l’Europe afin d’articuler au mieux nos revendications internationalistes – en particulier avec la région voisine du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, qui a connu le processus révolutionnaire le plus récent dont l’avenir est sérieusement menacé par les contre-révolutions en cours. Cela implique également de nouer des liens avec des militants exilés en Europe.
- Nous devons engager et développer des audits des créances européennes sur les pays tiers afin de plaider en faveur de l’annulation des dettes illégitimes et odieuses dues par les pays en développement à l’UE (par le biais d’agences multilatérales telles que la Banque européenne d’investissement ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et ses États membres. La gauche européenne et les mouvements sociaux devraient remettre en cause les accords de libre-échange signés avec les pays en développement et les autres politiques économiques renforçant la dépendance des nations dominées.
- Nous devons nous engager activement dans la campagne de « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » (BDS) contre le colonialisme de peuplement de l’État israélien. Les groupes de gauche et les mouvements sociaux en Europe doivent s’opposer aux guerres impérialistes et contre-révolutionnaires (par exemple l’intervention militaire européenne au Mali, la contre-révolution en Syrie dirigée par le régime syrien et ses alliés russe et iranien) et dénoncer activement la coopération entre leurs propres gouvernements et les régimes impliqués dans des violations des droits de l’homme (par exemple l’Égypte, l’Arabie saoudite, la Libye).
Premières mesures d’un gouvernement populaire au niveau national :
- Un gouvernement populaire devrait ouvrir ses frontières, garantir un accès sécurisé à son territoire pour les migrants (notamment par voie maritime) et assurer la liberté de circulation et d’installation pour toutes et tous. Les centres de rétention pour migrants seront supprimés. La durée du travail sera réduite légalement (sans perte de salaire) afin d’offrir un emploi à toutes et tous. Toutes les discriminations légales (concernant les droits politiques, économiques et sociaux) fondées sur la nationalité seront abolies. L’égalité des droits, y compris le libre accès aux soins de santé et à l’éducation publique ainsi que l’accès à un logement décent, devrait être assurée ; toute personne qui s’installe dans la juridiction du gouvernement populaire devrait disposer de tous les droits civiques, y compris du droit de vote à tous les niveaux de la juridiction. Toute participation financière aux budgets communs européens pour le contrôle des frontières (par exemple Frontex) sera annulée. Si l’État possède une force militaire marine, celle-ci sera désarmée, soumise à un contrôle démocratique et utilisée pour des actions humanitaires (par exemple en mer Méditerranée).
- Un gouvernement populaire mettra en place un moratoire sur le remboursement de ses créances sur des tiers jusqu’à ce que les résultats d’un audit avec participation citoyenne soient connus. Toutes les créances sur les nations dominées, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur (par exemple la Grèce) de l’UE seront annulées. Les créances illégitimes et odieuses sur d’autres États seront annulées. Un gouvernement populaire désobéira aux règles de l’OMC, se retirera de tout accord de libre-échange qui est défavorable aux pays moins développés, et proposera à la place un commerce équitable à ces pays. Il coopérera pleinement avec des pays tiers pour les aider à récupérer les avoirs volés par leurs anciens dirigeants (par exemple coopération avec les autorités tunisiennes actuelles pour récupérer les avoirs volés du clan Ben Ali et les transférer à un fonds de développement sous contrôle démocratique du peuple tunisien).
- Un gouvernement populaire prendra des sanctions contre les entreprises actives dans son pays et violant les lois nationales et internationales à l’étranger (afin d’être efficaces plutôt que de ne représenter qu’une fraction négligeable du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise visée, les sanctions cibleront ses principaux actionnaires). Un gouvernement populaire permettra à toute tierce partie étrangère de poursuivre une entreprise transnationale active dans sa juridiction et soutiendra l’initiative en faveur d’un traité juridiquement contraignant obligeant les entreprises transnationales à respecter le droit international. Il quittera le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, qui fait partie du groupe de la Banque mondiale et opère en faveur des plus grandes entreprises du monde. Il interdira les transactions avec les paradis fiscaux et prendra des sanctions à leur encontre.
- Un gouvernement populaire mettra fin à sa participation financière aux institutions financières internationales qui participent à la subjugation de pays dépendants, telles que le FMI et la Banque mondiale. S’il le peut, il utilisera ses représentants au sein de ces institutions pour dénoncer leurs activités et appeler à la création de nouvelles institutions de développement fondées sur la solidarité plutôt que sur l’assujettissement et le profit.
- Un gouvernement populaire reconnaîtra le rôle destructeur joué par la colonisation, incluant l’esclavage, les guerres coloniales, les guerres d’extermination et toute autre implication dans des massacres coloniaux ; il engagera un processus pour déterminer les compensations financières à verser à ses anciennes colonies s’il en avait et il restituera à ses anciennes colonies les biens culturels qui leur ont été volés (par exemple les objets d’art colonial exposés et conservés au British Museum à Londres, au musée du Louvre à Paris, au Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, près de Bruxelles). Il déterminera les compensations financières à payer pour les profits réalisés sur les États débiteurs dépendants. Il veillera à ce que les compensations soient utilisées sous contrôle démocratique par les populations concernées. S’il en a les moyens financiers, il proposera des prêts à taux zéro aux pays dépendants. Il transférera également gratuitement toute technologie utile à des tiers.
- Un gouvernement populaire d’un pays membre de l’OTAN quittera cette organisation et cessera toute coopération avec elle. Le commandement militaire le plus étroitement lié à l’État et à la classe capitalistes sera démis de ses fonctions et l’armée sera réorganisée sous contrôle démocratique. Si l’État est impliqué dans des guerres à l’étranger (par exemple au Mali), il initiera un processus de désengagement à achever le plus rapidement possible et remplacera son action par un soutien humanitaire sous contrôle démocratique des populations concernées.
- Un gouvernement populaire socialisera l’industrie de l’armement et instaurera un moratoire sur la production et la vente d’armes à l’étranger. Il s’engagera en faveur d’un désarmement mondial et démantèlera son arsenal nucléaire s’il en possède un. Il engagera des actions judiciaires rétroactives à l’encontre des responsables de la vente d’armes à des régimes criminels (par exemple Arabie saoudite, Syrie, Égypte, Maroc, Turquie, Myanmar).
- Un gouvernement populaire prendra des sanctions contre les régimes violant le droit international et les droits humains fondamentaux, en veillant à ne pas mettre davantage en danger les populations de ces régimes lorsqu’il s’agit de pays dépendants (par exemple appliquer des sanctions contre des individus responsables des actes du régime). Il gèlera tous les liens économiques avec l’État d’Israël tant que celui-ci ne respectera pas le droit international et les résolutions des Nations unies, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’État d’Israël reconnaisse la souveraineté de l’État palestinien dans les frontières de 1967 et le régime international de Jérusalem (ce qui signifie l’abandon des colonies israéliennes illégales en Cisjordanie et à Jérusalem-Est), mette fin à son blocus illégal de la bande de Gaza et à son régime d’apartheid à l’intérieur de ses propres frontières, et permette aux réfugiés palestiniens de rentrer chez eux.
- Un gouvernement populaire soutiendra activement les nations et les ethnies opprimées (par exemple les Palestiniens, les Kurdes, les Sahraouis, les Rohingya) par le biais d’une aide humanitaire et diplomatique. Il portera assistance aux populations dont la vie est directement menacée, y compris en prenant des mesures pour empêcher les régimes criminels de commettre des crimes de masse.
Étapes de moyen terme d’un gouvernement populaire en lien avec les mouvements sociaux :
- Il sera nécessaire pour un gouvernement populaire de rompre l’isolement par des mobilisations de masse contre les menaces contre-révolutionnaires venant de l’intérieur comme de l’extérieur. Un gouvernement populaire appellera à des mobilisations internationales pour la paix, la solidarité et la justice sociale. Il rendra public le chantage constant et les menaces utilisées par les gouvernements pro-capitalistes dans les négociations et les institutions multilatérales.
- Afin de briser l’isolement, un gouvernement populaire aura besoin d’établir de nouvelles coopérations bilatérales et multilatérales avec des gouvernements pro-capitalistes à l’étranger. Pour ce faire, il établira clairement la distinction entre ce qui relève des calculs diplomatiques tactiques (qui motiveraient de telles coopérations) et ce qui relève des alliances politiques stratégiques (qui ne peuvent pas être établies avec des gouvernements pro-capitalistes), et soumettra ces orientations à un contrôle démocratique strict de la population.
Étapes de moyen terme au niveau international :
- Une fois qu’ils ont des moyens financiers suffisants, plusieurs gouvernements populaires créent une institution financière commune basée sur la solidarité, offrant des prêts à taux zéro aux pays dépendants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE.
- Plusieurs gouvernements populaires établissent de nouvelles coopérations dans les domaines économique, social et écologique, en adoptant des législations égales (par exemple dans les domaines des droits du travail, de la sécurité sociale, des politiques du logement) basées sur les normes existantes les plus élevées au sein du groupe de pays concernés.
- Plusieurs gouvernements populaires adoptent un traité juridiquement contraignant pour obliger les sociétés transnationales à respecter le droit international et agir conjointement au niveau international pour promouvoir le changement social et la transition écologique.
- Plusieurs gouvernements populaires établissent un rapport de forces suffisamment fort pour entamer des négociations significatives avec des puissances oppressives en vue du règlement de problèmes nationaux (par exemple la Palestine, le Sahara occidental, le Kurdistan) et de guerres civiles prolongées (par exemple en Syrie).
CONCLUSION
Des gouvernements populaires devront chercher à développer des formes de coopération et des alliances durables basées sur la solidarité internationale
L’Union européenne et une partie significative de ses États membres ont porté et continuent de porter une responsabilité importante dans le système de domination impérialiste mondial qui mérite d’être renversé. Parce que les urgences sociale et écologique se posent au niveau mondial, les politiques de gouvernements populaires visant à favoriser l’émancipation du plus grand nombre ne sauraient s’arrêter ni aux frontières nationales, ni aux frontières de l’Europe. Au contraire, des gouvernements populaires devront chercher à développer des formes de coopération et des alliances durables basées sur la solidarité internationale. Ces nouvelles formes de coopération ne présenteront aucune délimitation géographique prédéfinie : elles seront créées avec tout gouvernement populaire qui le souhaite, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne actuelle, au Nord ou au Sud de la Méditerranée, à l’Ouest ou à l’Est du détroit du Bosphore.
Ces politiques doivent se construire dès aujourd’hui, par la solidarité internationale concrète des mouvements de la gauche populaire avec l’ensemble des opprimés et des exploités, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’UE actuelle.
Chapitre 9 - Luttes sociales, confrontations politiques et processus constituants |
Nous voulons rendre l’Europe commune, mais c’est impossible dans le cadre des institutions européennes existantes
Les institutions européennes (de l’Union européenne – UE – et de l’Union monétaire européenne – UEM) sont structurellement néolibérales, donc non démocratiques et inégalitaires. Elles constituent un obstacle à la satisfaction des besoins, des revendications et des droits des classes populaires dans chacun des pays membres, ainsi qu’à la solidarité et à l’égalité entre les peuples européens. C’est pourquoi toute véritable tentative sociale et politique de transformation radicalement progressiste au sein de l’UE et des pays avoisinants doit nécessairement s’y confronter. La priorité est de préparer cette confrontation au moyen de rébellions égalitaires, anti-xénophobes et féministes coordonnées dans les réseaux européens et de chercher à délégitimer et à rendre inefficaces les institutions et traités existants. Nous devons les contester avec des critères et des initiatives concrètes de justice sociale, de dignité, de solidarité et de démocratie. Cela implique la subordination de la monnaie, des marchés financiers, des banques et des politiques fiscales à de tels objectifs, ainsi que des choix et un contrôle populaires. À l’encontre des logiques de la concurrence et dans la perspective d’une transition écologique, l’échelle européenne des luttes et des alternatives concrètes revêt une importance particulière. Nous voulons rendre l’Europe commune, mais c’est impossible dans le cadre des institutions européennes existantes.
Le scénario présenté dans ce chapitre propose de s’appuyer sur les luttes sociales existantes aux niveaux local, national et transnational pour désobéir, affronter et rompre avec les institutions européennes non démocratiques et capitalistes, et pour les remplacer par de nouvelles formes de coopération populaire et d’institutions démocratiques en Europe.
I. PRINCIPES
Notre orientation stratégique repose sur trois principes.
En défense des droits pour toutes et tous, pour la justice environnementale, et contre les classes dirigeantes européennes, contre les courants xénophobes et racistes
Premièrement, notre « profil politique » se situe et doit toujours se situer clairement en défense des droits pour toutes et tous, pour la justice environnementale, et contre les classes dirigeantes européennes et leurs composantes nationales de même que contre les courants xénophobes et racistes, qu’ils soient en faveur ou opposés à l’UE, au sein ou en dehors de l’UEM. Par conséquent, les lignes de division doivent être clairement mises en avant (au sujet des questions sociales, environnementales et démocratiques) afin de rompre à la fois avec les forces et institutions dominantes nationales et avec les institutions et traités européens qui travaillent en faveur des classes dirigeantes. Ce scénario de désobéissance, de confrontation et de rupture trouve sa légitimité dans ses objectifs démocratiques et égalitaires au niveau transnational, qu’il faut associer clairement à la nécessaire perspective de réunir les peuples européens (mais d’une autre manière et au sein d’autres relations internationales que celles de l’UE).
Deuxièmement, nous devons instaurer de nouvelles formes de coopération internationale en vue de mettre en œuvre notre programme progressiste et dans le cadre d’une stratégie permanente et à long terme. Nos objectifs ne peuvent être atteints que par la construction de fronts permanents et de campagnes de préparation au niveau transnational sur la base des luttes qui existent déjà aux niveaux local, national et régional (et international). Grâce à ces campagnes et fronts auto-organisés, il s’agit de légitimer et de mettre en œuvre de nouveaux droits pour toutes et tous. L’enjeu est d’échapper à la double contrainte paralysante : l’acceptation des règles antidémocratiques des institutions européennes d’une part, et l’impasse du nationalisme exclusif d’autre part. Notre objectif est également de tenter de surmonter les principales faiblesses des courants de gauche mises en évidence dans les confrontations des Etats avec l’UE, comme dans les cas de la crise grecque et du Brexit : le manque de coopération entre les forces de gauche en Europe et l’absence d’un projet européen alternatif et concret.
Articuler luttes sociales et auto-organisation, des initiatives politiques et éléments de « processus constituants »
Troisièmement, le scénario, aussi bien dans ses étapes à court terme que dans ses campagnes à long terme, doit articuler des luttes sociales (et l’auto-organisation), des initiatives politiques et des éléments de « processus constituants ». Nous entendons par là la défense et la légitimation des droits fondamentaux qui pourraient être formulés comme faisant partie de la « base constitutive » d’un projet politique européen alternatif ; et tous ces droits doivent bien sûr être ancrés dans des luttes similaires aux niveaux local et national. L’ensemble du processus doit stimuler l’expression populaire des aspirations et permettre le contrôle des institutions existantes, et être associé à la création de contre-pouvoirs ainsi qu’à la perspective de nouvelles institutions démocratiques aux niveaux local, régional, national, européen et mondial.
Pour réaliser ces principes, une des conditions nécessaires est de comprendre l’importance de chacun de ces niveaux et de leur articulation en vue d’objectifs concrets – ce qui implique aussi une approche critique de toutes les institutions existantes. L’ancrage local et national est essentiel pour prendre en compte les contextes concrets, et parce que c’est à ces niveaux que les confrontations et les ruptures indispensables avec les institutions existantes, les classes dirigeantes ainsi que l’UE vont très probablement avoir lieu. Mais la perspective de réaliser les droits sociaux et démocratiques et de maîtriser les principaux enjeux sociaux et politiques se heurte à un système articulé de traités, d’institutions et de mécanismes socio-économiques qui ne peuvent être vaincus à ces deux niveaux seulement. Les initiatives locales et nationales ne doivent en aucun cas être limitées « au nom » des enjeux européens ou dans l’attente d’un contexte idéal de luttes européennes et internationales simultanées. Plutôt que d’opposer les deux perspectives, les luttes sociales locales et nationales doivent être conçues en vue de constituer des réseaux et de relier des contre-pouvoirs permettant la coopération internationale, ce qui peut en retour contribuer à consolider les résistances et ruptures nationales. Chaque avancée nationale doit être l’occasion de proposer d’initier autant que possible des processus constituants en vue d’autres alliances européennes ou internationales, afin de construire ou de renforcer un « espace public européen » qui doit lui-même permettre l’expression des luttes de classes et des conflits sociaux afin que cet espace soit démocratique. Des appels publics à d’autres forces européennes pour qu’elles rejoignent et soutiennent les mêmes revendications ou organisent des initiatives communes sont toujours nécessaires. Mais les échecs et les faiblesses probables au niveau européen ne doivent pas nous conduire à renoncer aux avancées nationales.
Le système capitaliste et ses forces dominantes ainsi que sa politique destructrice sont ancrés à la fois aux niveaux local, régional, national et européen/international. C’est donc à ces différents niveaux articulés qu’un nouveau « bloc hégémonique » (avec ses récits à propos de l’ordre dominant et des luttes passées et présentes, ainsi que ses propositions pour un système anticapitaliste et antipatriarcal alternatif) peut être construit et enraciné dans des débats et des luttes pluralistes. Et c’est pourquoi les trois enjeux sociopolitiques au principe de ce scénario (notre « profil » général, la nécessité de construire des fronts permanents et de les associer à des dynamiques de nouveaux « droits », à des processus constituants et à de nouvelles institutions) doivent être envisagées conjointement à tous ces niveaux.
II. PROPOSITIONS : LES PRINCIPALES ÉTAPES DU SCÉNARIO DE ’RÉBELLION’ POUR UNE EUROPE COMMUNE
Quelles principales étapes devons-nous élaborer ?
1. Nous devons mettre en œuvre immédiatement nos objectifs sociaux, environnementaux et politiques alternatifs au moyen de plateformes permanentes et d’une désobéissance coordonnée en Europe, orientée vers la coopération entre les peuples. Il s’agit, aux niveaux local, régional, national et européen, et concernant tous les enjeux ou bien certains enjeux spécifiques (par exemple la dette, les politiques migratoires, la transition écologique, les accords néocoloniaux avec le Sud global et y compris l’Europe de l’Est, etc), que plusieurs acteurs politiques décident d’enfreindre les traités, les diktats et décisions de l’UE. Ils devraient déclarer qu’ils le font ensemble afin de mettre en œuvre des politiques alternatives et de mettre en place de nouvelles coopérations instituées et à long terme (concernant tous les enjeux ou bien des enjeux ciblés).
Ces processus de désobéissance peuvent s’appuyer sur des luttes existantes – avec l’impératif de consolider ou de construire des réseaux européens, permettant notamment de tirer les enseignements des avancées, des difficultés et des faiblesses – telles que : les différentes formes de grèves, en particulier transnationales et contre le travail précaire ; les mouvements féministes qui se renforcent avec toutes leurs ’intersections’ ; les luttes écologistes territoriales (les ’ZAD’) et l’invention de nouvelles formes de gestion des ’communs’ ; les différentes formes de mise en scène de la lutte contre la fraude fiscale comme la réquisition du mobilier des agences bancaires des institutions financières impliquées dans cette fraude ; les mouvements d’occupation des espaces publics et les discussions sur leurs objectifs et leur fonctionnement ainsi que les mouvements de protestation au sens large qui remettent en cause les inégalités sociales et l’absence d’institutions démocratiques comme le mouvement des ’Gilets jaunes’ en France, le mouvement des ’Plenums citoyens’ en Bosnie en 2014, le mouvement ’15M’ (des Indignés) qui a débuté en 2011 en Espagne, etc. ; l’audit des institutions publiques et de leur dettes au niveau municipal, national ou européen ; l’ouverture des livres de comptes des entreprises privées pour délégitimer les critères capitalistes d’efficacité’ et les pratiques d’exploitation ; les mouvements transfrontaliers d’accueil et d’aide aux migrant-e-s ; la construction de réseaux de ’villes rebelles’ visant à mettre en œuvre des ’droits pour toutes et tous’ ; etc. Certains de ces mouvements tentent déjà de se constituer en réseaux au niveau transnational, et nous avons besoin d’espaces physiques et numériques (par exemple des assemblées et des sites web) pour unir ces forces ; cet objectif doit être visé plus systématiquement.
Ces déclarations communes de désobéissance doivent également reposer sur des campagnes concrètes (dans tous les domaines tels que le droit du travail, les politiques monétaires, la lutte contre le racisme, etc.) visant à démontrer le plus souvent possible l’efficacité de la mise en œuvre des objectifs démocratiques, environnementaux et sociaux au niveau européen, et leur contradiction avec les traités et politiques néolibérales existants. C’est sur la base de telles campagnes et d’expériences concrètes que nous pouvons préparer les populations à la nécessité de désobéir aux ’règles’ dominantes ou aux diktats des institutions politiques existantes.
Ce premier pas doit être fait pour satisfaire les besoins concrets des populations, en s’opposant à toutes les logiques de concurrence, et si possible déjà par le biais d’une coopération internationale progressive et au moyen d’une production auto-organisée de biens et de services. Bien que nous ne devions pas enfermer la lutte au sein des institutions existantes, les revendications et les luttes populaires spécifiques peuvent essayer d’utiliser tous les moyens institutionnels existants, y compris les batailles parlementaires dans l’UE, afin de renforcer les grèves et l’activité syndicale au niveau européen.
Si un acteur politique est provisoirement isolé, il peut malgré cela contribuer seul à délégitimer la politique et les institutions existantes, leur désobéir en mettant en œuvre des solutions alternatives et proposer publiquement de nouvelles formes de coopération populaire et d’auto-organisation à tous les niveaux possibles.
Refuser tout sacrifice social pour une monnaie, que ce soit l’euro ou une monnaie nationale
2. Les luttes existantes au niveau national doivent mettre en évidence les interactions entre la politique des classes dirigeantes nationales d’une part, et l’idéologie ainsi que l’économie politique dominantes des institutions européennes dominantes d’autre part, afin de s’engager systématiquement dans des confrontations ciblées avec les deux. En vue de rompre avec leur hégémonie, les consultations et les mobilisations populaires devraient se concentrer sur les objectifs et le programme concrets qui doivent être proposés contre les classes et les institutions dirigeantes de l’UE. Ainsi, lorsque le système monétaire et les Traités apparaissent en contradiction avec des objectifs légitimes et des droits démocratiques et sociaux (comme c’est évidemment le cas dans le cas de la Grèce), alors ils doivent être remis en cause et il ne faut pas les respecter ; des propositions doivent être avancées pour les remplacer par d’autres traités. Notre logique doit être de refuser tout ’sacrifice’ social pour une monnaie, que ce soit l’euro ou une monnaie nationale, et d’établir la subordination des marchés et de tous les moyens financiers à des objectifs démocratiquement déterminés. La confrontation consiste également à mettre en place des outils défensifs contre les contre-menaces et les attaques de l’UE, ainsi que des initiatives politiques offensives pour déstabiliser le bloc néolibéral et provoquer une crise de légitimité et de fonctionnement des institutions européennes.
Ces outils doivent être employés dès que possible par un acteur politique (un gouvernement au niveau d’un État, d’une communauté, d’une municipalité, ou de tout niveau institutionnel qui le permet) au moyen de mesures unilatérales, telles que la suspension du paiement de la dette publique lors d’un audit ; la mise en œuvre d’un programme de politiques publiques créant des emplois sur la base d’une taxation spécifique du capital ; le contrôle des flux de capitaux ; et certaines socialisations et/ou nationalisations liées à des luttes et revendications concrètes.
Si un acteur politique est provisoirement isolé, il doit mettre en œuvre ces outils par lui-même et, en appelant à des mobilisations populaires à travers l’Europe (plutôt que seulement dans sa propre zone géographique), il doit proposer à d’autres acteurs de contribuer à la délégitimation et à la crise politique des institutions européennes. Cependant, les ’outils défensifs’ ne devraient jamais constituer une protection du capital national mais plutôt une protection démocratique et populaire des droits de toutes et tous et un moyen d’améliorer la protection sociale contre la spéculation, le sabotage et les autres initiatives hostiles des forces dominantes, à tous les niveaux. Ces outils doivent être conçus pour favoriser la coopération plutôt que la concurrence entre les travailleurs qui veulent s’associer dans une entité commune afin de défendre des droits et des objectifs communs.
3. De tels outils défensifs et de telles initiatives politiques offensives impliquent nécessairement une rupture avec les Traités et institutions européens par des gouvernements populaires au niveau national. La forme de la ’rupture’ (que ce soit la conséquence de la mise en œuvre de politiques alternatives ou bien d’une décision démocratique de sortie) ne peut être pas être fixée à l’avance, mais l’objectif devrait être dans tous les cas de délégitimer, et si possible de ’bloquer’ la capacité d’intervention des institutions européennes existantes. Il faut aussi essayer de forcer ces institutions à déclarer que nos objectifs progressistes sont en contradiction avec leurs traités et politiques – afin de produire une crise et des dysfonctionnements dans le fonctionnement ’normal’ de l’UE. Toutes les mesures prises par un gouvernement populaire, telles que décrites précédemment dans le Manifeste, nécessitent une rupture, au moins au niveau national, avec les politiques et les règles européennes dominantes. Nous devons démontrer clairement que ce que nous défendons n’est pas lié à ’l’intérêt national’ mais à des objectifs politiques, sociaux, environnementaux et démocratiques – qui concernent toutes les personnes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union actuelle.
Par exemple, le refus de payer la partie illégitime, insoutenable, odieuse et illégale de la dette publique dans un pays doit bien sûr se fonder d’abord sur une analyse nationale concrète de la politique fiscale (qui paie ?) et des besoins et dépenses publics (comment les besoins pourraient être mieux satisfaits autrement ?). Mais ces arguments conduisent aussi à dénoncer le dumping fiscal et social au niveau européen et mondial. Aux niveaux européen et international, nous avons d’urgence besoin d’un débat afin de remettre en cause la légitimité du système monétaire international existant, le rôle du FMI et de l’Union monétaire européenne – sur la base d’une analyse concrète de leurs effets négatifs –, et de proposer des règles et formes de coopération alternatives pour le système financier. Nous devons absolument défendre le besoin d’une monnaie et d’un système monétaire démocratiquement contrôlés, et donc la nécessité d’une socialisation des banques et d’un contrôle des flux de capitaux. Or ces mesures entreraient en conflit avec l’UEM et avec les traités de l’UE.
Par conséquent, un gouvernement populaire au niveau national entrerait en confrontation avec les institutions européennes, dans des contextes spécifiques conduisant diverses formes possibles de ’rupture’ selon les rapports de force concrets, les sentiments populaires et la situation précise du pays en question dans un contexte économique donné. Ce gouvernement populaire pourrait décider d’une sortie de l’UEM et/ou de l’UE (par exemple sur la base de l’article 50), ou bien accepter le défi d’être expulsé de l’UEM ou de l’UE (même si cela n’est pas clairement prévu par les Traités) ; la dynamique pourrait également conduire à un démantèlement des institutions européennes ou à des confrontations durables avec elles.
L’enjeu essentiel est d’obtenir les conditions les plus favorables pour lutter contre les politiques néolibérales et capitalistes
Les différentes alternatives devraient être discutées démocratiquement dans le cadre d’une mobilisation populaire. Il doit être clair qu’aucun des choix possibles n’implique une volonté d’orientation nationaliste dirigée contre d’autres peuples, mais qu’ils doivent être considérés comme des moyens de mettre en œuvre des objectifs démocratiques, environnementaux et sociaux aux niveaux local, national et international, et soutenus par l’argument selon lequel toutes les orientations proposées seraient plus fortes si elles étaient mises en œuvre dans le cadre d’une nouvelle forme de coopération internationale. Dans tous les cas, il est nécessaire d’affirmer clairement que l’enjeu essentiel est d’obtenir les conditions les plus favorables pour lutter contre les politiques néolibérales et capitalistes.
Par exemple, la possibilité de quitter l’UEM devrait toujours être associée à une opposition aux forces politiques qui visent une politique d’exportation ’plus compétitive’ et/ou une ’préférence nationale’ dans la satisfaction des besoins (ces forces politiques qui promeuvent par exemple l’idée de services sociaux pour les seuls citoyens nationaux, à l’exclusion des immigrant-e-s ou des ’citoyen-ne-s de seconde zone’). Et quelle que soit la monnaie choisie, des mesures doivent être prises pour défendre les droits de circulation et d’installation de tout individu. Inversement, l’option consistant à rester au sein de l’UEM ne devrait jamais être associée à une présentation apologétique de l’UE ou à des arguments affirmant qu’un niveau politique et institutionnel ’européen’ serait en lui-même et en tant que tel plus ’progressiste’ qu’un niveau national (le récit inverse et l’approche apologétique de ’l’État-nation’ comme étant en lui-même ’progressiste’ est également inacceptable).
Une alliance d’associations, de villes, de régions ou d’Etats rebelles pourrait lancer un processus constituant rebelle
4. Des processus constituants doivent être initiés à tous les niveaux possibles pour construire des alternatives : comme indiqué, les étapes précédentes devraient être associées à la perspective d’une nouvelle coopération politique en Europe basée sur une plateforme commune dirigée contre les classes dirigeantes et les institutions européennes ainsi que les courants xénophobes, et pour des droits sociaux des travailleurs et travailleuses et de toutes les classes subalternes ainsi que pour la défense de l’environnement. Le scénario ne peut pas être totalement fixé à l’avance mais par exemple, une alliance d’associations, de villes, de régions ou d’Etats rebelles pourrait lancer un ’processus constituant rebelle’ (concernant des prérogatives fonctionnelles globales ou bien ciblées), ouvert y compris à des espaces politiques qui n’étaient pas impliqués dès le départ dans le processus de désobéissance. De tels processus (ou d’autres types de processus basés sur des initiatives et des espaces populaires) pourraient s’appuyer notamment sur l’élaboration de cahiers de doléances au moyen d’assemblées populaires démocratiques (parmi les exemples récents, on peut s’inspirer de l’expérience du mouvement de masse du Rif lancé en octobre 2016 au Maroc, ou de certains exemples locaux du mouvement des ’Gilets jaunes’ en France, comme ceux de Commercy, de Saint-Nazaire, de Toulouse). Ces processus constituants devraient toujours mettre en avant des propositions en faveur de toutes les couches des classes subalternes, et tenir compte des aspirations des travailleurs et des travailleuses, des préoccupations antiracistes et anti-patriarcales concrètes, des dimensions rurales et urbaines de ces aspirations et préoccupations, ainsi que des besoins des migrant-e-s et des réfugié-e-s, etc. Ces processus constituants, qui peuvent prendre des formes diverses selon les situations et les échelles concernées (depuis les forums et les réseaux municipaux jusqu’à des assemblées constituantes au niveau national ou européen, associées à des plateformes internationalistes), doivent être initiées en vue de créer de nouvelles coopérations, de favoriser des processus de rupture de la part d’acteurs politiques voisins qui ne s’y sont pas encore engagés, de démanteler la forteresse Europe et finalement de créer des institutions alternatives au niveau européen et international.
Si un acteur politique est provisoirement isolé, il doit lancer seul ce ’processus constituant rebelle’ dans le territoire concerné et au sujet de l’enjeu spécifique en question, et proposer à d’autres acteurs de rejoindre le processus. La notion de ’rébellion’ (comme pour les ’villes rebelles’) indique que nous ne devons pas nous limiter aux procédures institutionnelles dans l’UE existante, que nous devons organiser des réseaux de différentes formes de rébellion organisée, et que de tels ’processus constituants’ sont en conflit avec les Traités dominants et peuvent ne pas être linéaires. Par exemple, des ’assemblées constituantes’ partielles pourraient permettre de délégitimer et de bloquer l’Union existante, tandis que des ’réseaux de réseaux’ (sous une forme physique et/ou numérique) aideraient à surmonter les difficultés liées à la multiplicité des langues, des situations et des temporalités spécifiques. De telles assemblées pourraient être organisées au sujet de thèmes spécifiques (les ’communs’, les codes du travail, les droits des migrant-e-s, etc.) et sans critères géographiques, avant même de pouvoir établir de nouvelles formes de coopération internationale à un niveau européen crédible.
III. PROPOSITIONS : INITIATIVES IMMÉDIATES
Chacune des étapes précédemment présentées requiert des initiatives immédiates, afin de les rendre possibles et d’être prêts lorsque les conditions et les occasions sociopolitiques se présenteront. Les principales conditions concernent la conception collective et l’appropriation populaire des outils concrets nécessaires pour la désobéissance, la confrontation et l’initiative de processus constituants ainsi que le rassemblement des forces sociales et politiques qui pourraient les mettre en œuvre.
Pour spécifier le scénario et l’adapter concrètement aux différentes situations possibles, nous avons besoin de :
a) tirer les leçons des précédentes tentatives de rupture avec les traités européens et de désobéissance aux institutions européennes, et principalement : de la séquence politique de 2010-2015 en Grèce, du référendum et du Brexit en Grande-Bretagne, de la rébellion régionale en Catalogne qui s’est déroulée principalement en 2017 ; ainsi que d’autres exemples de rupture similaire avec des institutions exploiteuses et oppressives, exemples qui peuvent être plus anciens et s’être déroulés dans d’autres pays ou régions du monde.
b) analyser, préciser et populariser les outils juridiques et économiques déjà utilisés ou débattus dans la gauche populaire : par exemple les comités d’audit de la dette publique, les systèmes complémentaires de paiement et/ou la création d’une nouvelle monnaie nationale sous contrôle démocratique, l’article 50 du Traité de Lisbonne, etc.
S’appuyer sur les réseaux existants qui pourraient initier des campagnes corrélatives ou se joindre à sa mise en œuvre
c) s’appuyer sur les réseaux existants qui ont déjà anticipé ou qui pourraient partager ce scénario, et qui pourraient initier des campagnes corrélatives ou se joindre à sa mise en œuvre : notamment les ’villes rebelles’, le Réseau municipal contre la dette illégitime et les réductions fiscales dans l’Etat espagnol (Manifeste d’Oviedo), les réseaux Via Campesina, les réseaux et campagnes des luttes féministes, les réseaux des travailleuses et travailleurs précaires, les grève transnationales, les réseaux syndicaux. Le réseau Altersummit et son site web pourraient être “mis en commun” et utilisés comme un ’réseau de réseaux’ afin de faciliter le partage des informations et les débats, de même que nous devrions mutualiser les informations sur le réseau des sommets du Plan B, les Forums de la gauche européenne et sur toutes les autres initiatives européennes de la gauche, afin de rassembler les stratégies et les orientations politiques.
Concrètement, pour 2019, nous proposons à toutes les forces progressistes (syndicats, organisations politiques, associations, collectifs militants) partageant des objectifs similaires de :
- renforcer conjointement leur critique des institutions européennes capitalistes et antidémocratiques et de préciser ensemble leurs propositions pour rompre avec leur hégémonie et reconstruire de nouvelles formes de coopération populaire ;
- réactualiser, mettre en commun et populariser les élaborations convergentes telles que le Manifeste de l’Altersommet [84] ainsi que les contributions et le Manifeste de ReCommonsEurope. Ensemble, elles pourraient être employées pour des consultations populaires au sujet des moyens et des fins d’un processus social et politique alternatif, et pour construire un front rebelle alternatif en Europe et un “espace” public de toutes celles et tous ceux qui, de l’intérieur, contre ou en dehors de l’UE, veulent initier une rébellion européenne démocratique de longue durée ;
- encourager le développement de toutes les initiatives remarquables aux niveaux local, national et européen en faveur de ’processus constituants rebelles’ telles que celles développées par certain-e-s participant-e-s au mouvement des ’Gilets Jaunes’ en France ;
- saisir l’occasion des élections européennes pour lancer des campagnes et initier des débats populaires au sujet de ce scénario et de ses implications ; pour informer sur les initiatives existantes et les espaces alternatifs qui pourraient prendre part à ce scénario ; et pour réunir les forces sociales et politiques autour de cette perspective.
Manifeste au format pdf en bas de cette page ou à télécharger ici.
Liste des 150 premiers signataires - cliquer ici
ALLEMAGNE
Angela Klein, (revue SoZ, Allemagne)"
Jakob Schäfer (militant de la gauche syndicale, Allemagne)
AUTRICHE
Christian Zeller (professeur de géographie économique, membre de Aufbruch für eine ökosozialistische Alternative, Autriche)
BELGIQUE
Anne-Marie Andrusyszyn (directrice du CEPAG, Belgique)
Eva Betavazi (CADTM, Belgique et Chypre)
Olivier Bonfond (économiste au CEPAG, Belgique)
Camille Bruneau (féministe, CADTM Belgique)
Juliette Charlier (CADTM Belgique)
Tina D’angelantonio (CADTM Belgique)
Virginie de Romanet (CADTM Belgique)
Jean-Claude Deroubaix (sociologue, Belgique)
Ouardia Derriche (Belgique)
Grégory Dolcimascolo (ACiDE)
Anne Dufresne (Sociologue, GRESEA)
Chiara Filoni (CADTM, Belgique et Italie)
Corinne Gobin (politologue, Belgique)
Gilles Grégoire (militant pour l’audit citoyen de la dette ACiDe, CADTM Belgique)
Giulia Heredia (CADTM, Belgique)
Nathan Legrand (CADTM, Belgique)
Monique Lermusiaux (retraitée militante syndicale, Belgique)
Rosario Marmol-Perez (militante syndicale FGTB, artiste, Belgique)
Herman Michiel (éditeur du site Ander Europa, Belgique et Pays-Bas)
Alice Minette (militante syndicale, CADTM Belgique)
Christine Pagnoulle (Université de Liège, ATTAC, CADTM, Belgique)
Adrien Péroches (Militant CADTM Bruxelles et ACiDe Bruxelles)
Madeleine Ploumhans (ACiDe et CADTM Liège, Belgique)
Brigitte Ponet (travailleuse sociale, CADTM Belgique)
Daniel Richard (secrétaire régional interprofessionnel de la FGTB Verviers, Belgique)
Christian Savestre (Attac 2 Bruxelles, RJF, Acide)
Éric Toussaint (politologue, économiste, porte-parole du réseau international CADTM, Belgique)
Felipe Van Keirsbilck (secrétaire général de la Centrale Nationale des Employés - CNE, Belgique)
Christine Vanden Daelen (féministe, CADTM Belgique)
Magali Verdier (militante féministe, Belgique)
Roxane Zadvat (comédienne, Théâtre Croquemitaine, CADTM Belqique)
BOSNIE-HERZEGOVINE
Selma Asotić (poète, Bosnie-Herzégovine)
Danijela Majstorović (Université de Banja Luka, Bosnie-Herzégovine)
Svjetlana Nedimovic (activiste, Sarajevo, Bosnie-Herzégovine)
Tijana Okic (philosophe, militante politique, Bosnie-Herzégovine)
CHYPRE
Stavros Tombazos (économiste, Chypre)
CROATIE
Dimitrije Birač (coordinateur de l’organisation Croatian Center for Workers’ Solidarity, Croatie)
DANEMARK
Poya Pakzad (conseiller en politiques économiques, Alliance Rouge-Verte, Danemark)
ÉTAT ESPAGNOL
Walter Actis (Ecologistas en Accion, État espagnol)
Daniel Albarracin (économiste, Podemos, État espagnol)
Yago Alvarez (journaliste, activiste membre de la PACD, État espagnol)
Joana Bregolat (membre de Desbordem, militante de Anticapitalistas, Catalogne - État espagnol)
José Cabayol Virallonga (Président de SICOM (Solidaritat i Comunicació), journaliste, Catalogne - État espagnol)
Raúl Camargo (député de l’assemblée de Madrid, militant à Anticapitalistas, État espagnol)
Pablo Cotarelo (EReNSEP, État espagnol)
Sergi Cutillas (EReNSEP, CADTM, Catalogne – État espagnol)
Josu Egireun (revue Viento Sur, État espagnol)
Laia Facet (Anticapitalistas, Catalogne - État espagnol)
Sònia Farré (militante, ancienne députée pour En Comú Podem, Catalogne - État espagnol)
Ignacio Fdez del Páramo (architecte-urbaniste, conseiller pour l’urbanisme et l’environnement à la mairie d’Oviedo, membre de Somos Oviedo-Uvieu, Asturies - État espagnol)
Iolanda Fresnillo (sociologue, PACD, État espagnol)
Anna Gabriel (ex députée de la CUP au parlement Catalan, actuellement en exil en Suisse, État espagnol)
Ricardo García Zaldívar (économiste, ex-Coordinateur d’ATTAC Espagne)
María Gómez Garrido (professeure en sociologie, Université des Îles Baléares, Anticapitalistas, État espagnol)
Laura Gonzalez De Txabarri (ELA, pays basque)
Joana Garcia Grenzner (journaliste, spécialiste en genre et communication, militante féministe, Catalogne - État espagnol)
Yayo Herero (anthropologue, écoféministe, État espagnol)
Cuca Hernández (Coordinatrice d’ATTAC Espagne)
Juan Hernández Zubizarreta, (professeur d’université, membre de l’Observatoire des multinationales en Amérique latine (OMAL), Pays basque - État espagnol)
Petxo Idoiaga (Fondation Hitz&Hitz, Viento Sur, État espagnol)
José L. Gómez del Prado (Université de Barcelone, Centre d’études internationales - École diplomatique de Barcelone, AEDIDH, État espagnol)
Janire Landaluze (ELA, Pays basque – État espagnol)
Mats Lucia Bayer (CADTM, État espagnol)
Fátima Martín (journaliste, CADTM, État espgnol)
Alex Merlo (assistant parlementaire de Miguel Urban Crespo (eurodéputé, Podemos), État espagnol)
Anna Monjo (éditrice, Catalogne - État espagnol)
Natalia Munevar (militante, PACD, assistante parlementaire de Miguel Urban (eurodéputé Podemos), État espagnol)
Mikel Noval (syndicat ELA, Pays basque – État espagnol)
Jaime Pastor (rédacteur en chef de Viento Sur, État espagnol)
Laura Pérez Ruano (professeure et avocate, parlementaire pour Orain Bai-Ahora Navarra, Navarre - État espagnol)
Griselda Piñero Delledonne (CADTM, Catalogne – État espagnol)
Eulalia Reguant (membre du secrétariat national de la CUP, ancienne députée et conseillère municipale, Catalogne - État espagnol)
Jorge Riechmann (philosophe, écrivain, Ecologistas en Acción, État espagnol)
Rubén Rosón (médecin, conseiller pour l’économie et l’emploi à la mairie d’Oviedo, membre de Somos Oviedo-Uvieu, Asturies - État espagnol)
Carlos Sánchez Mato (responsable des politiques économiques de Izquierda Unida, État espagnol)
Ana Taboada Coma (avocate, vice-maire d’Oviedo, porte-parole de Somos Oviedo-Uvieu, Asturies - État espagnol)
Aina Tella (coordinatrice des Relations Internationales de la CUP, Catalogne - État espagnol)
Mónica Vargas Collazos (anthropologue, militante, Bolivie et Catalogne - État espagnol)
Lucía Vicent (professeur d’économie à l’Université Complutense de Madrid, État espagnol)
Esther Vivas (journaliste, Catalogne – État espagnol)
FRANCE
Marion Alcaraz (NPA, Le temps des Lilas, France)
Myriam Bourgy (paysanne, CADTM, France)
M. Sofia Brey (écrivaine, ancienne fonctionnaire du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, France)
Vicki Briault Manus (PCF, CADTM France)
François Chesnais (économiste, professeur émérite à l’Université Paris 13, France)
Jeanne Chevalier (candidate France insoumise aux élections européennes de 2019)
Annick Coupé (syndicaliste, ATTAC France)
Léon Crémieux (syndicaliste du transport aérien retraité, NPA, France)
Alexis Cukier (philosophe, Ensemble !, EReNSEP, France)
Véronique Danet-Dupuis (cadre bancaire, déléguée syndicale et défenseuse du salarié, animatrice du livret banque France Insoumise, France)
Penelope Duggan (International Viewpoint, France)
Pascal Franchet (président du CADTM France)
Isabelle Garo (philosophe, France)
Norbert Holcblat (économiste, NPA, France)
Michel Husson (économiste, France)
Pierre Khalfa (Fondation Copernic, France)
Yvette Krolikowski (CADTM France)
Michael Löwy (sociologue, France)
Laurence Lyonnais (Ensemble Insoumis, écosocialiste, candidate France insoumise aux élections européennes 2019)
Jan Malewski (journaliste, revue Inprecor, France)
Myriam Martin (porte-parole de Ensemble !, France)
Christiane Marty (ingénieure, Fondation Copernic, France)
Corinne Morel Darleux (auteure et militante écosocialiste, France)
Ugo Palheta (sociologue, NPA, Contretemps, France)
Dominique Plihon (économiste, ATTAC France)
Laura Raïm (journaliste, France)
Marlène Rosato (Ensemble, EReNSEP, France)
Catherine Samary (économiste, ATTAC France, NPA, France)
Patrick Saurin (CADTM France)
Alejandro Teitelbaum (avocat en droit international des droits humains, France)
Aurélie Trouvé (économiste, ATTAC France)
Sophie Zafari (syndicaliste FSU, France)
GRÈCE
Marie-Laure Coulmin (CADTM, Grèce)
Katerina Giannoulia (membre du Conseil général de ADEDY – confédération de la fonction publique –, membre d’Unité Populaire, Grèce)
Stathis Kouvélakis (EReNSEP, Grèce et Royaume-Uni)
Costas Lapavitsas (économiste, SOAS – Université de Londres, EReNSEP, Grèce e Royaume-Uni)
Moisis Litsis (journaliste, Grèce)
Sotiris Martalis (DEA, Grèce)
Sonia Mitralias (féministe, CADTM, Grèce)
Giorgos Mitralias (journaliste, Grèce)
Antonis Ntavanelos (DEA, Grèce)
HONGRIE
Judit Morva (économiste, militante, Hongrie)
IRLANDE
Brid Brennan (analyste politique, militant, Irlande)
ITALIE
Marta Autore (Communia Network, Italie)
Fabrizio Burattini (syndicaliste de l’Union Sindacale di Base, Italie)
Eliana Como (membre de la direction nationale CGIL, Italie)
Gippò Mukendi Ngandu (enseignant, Sinistra Anticapitalista, Italie)
Cristina Quintavalla (ATTAC-CADTM Italie)
LUXEMBOURG
Justin Turpel (ancien député déi Lénk – la Gauche, Luxembourg)
David Wagner (député déi Lénk – la Gauche, Luxembourg)
PAYS-BAS
Willem Bos (SAP-Grenzeloos, Pays-Bas)
Maral Jefroudi (co-directrice de l’IIRE, Pays-Bas)
POLOGNE
Katarzyna Bielińska (philosophe et politologue, Pologne)
Zbigniew Marcin Kowalewski (chercheur pour les mouvements sociaux, Pologne)
Stefan Zgliczyński (directeur de l’édition polonaise du Monde Diplomatique, Pologne)
PORTUGAL
Francisco Louça (économiste, Bloco de Esquerda, Portugal)
Alda Sousa (enseignante à l’Université de Porto, Bloco de Esquerda, ancienne députée européenne de 2012 à 2014, Portugal)
Rui Viana Pereira (traducteur, sound designer, CADTM, Portugal)
ROYAUME-UNI
Gilbert Achcar (professeur à SOAS – Université de Londres, Royaume-Uni)
Terry Conway (Resistance Books, Royaume-Uni)
Fanny Malinen (chercheuse, activiste, Royaume-Uni)
Michael Roberts (économiste financier, Royaume-Uni)
SERBIE
Andreja Zivkovic (sociologue, Marks21, Serbie)
SLOVÉNIE
Ana Podvrsic (sociologue, économiste, Slovénie)
SUISSE
Jean Batou (professeur d’histoire contemporaine, député, solidaritéS, Suisse)
Marianne Ebel (ancienne députée solidaritéS, vice-présidente de la Marche mondiale des Femmes Suisse)
Sébastien Guex (professeur à l’Université de Lausanne, solidaritéS, Suisse)
Stéfanie Prezioso (professeure d’histoire internationale à l’Université de Lausanne, solidaritéS, Suisse)
Beatrice Schmid (enseignante, Suisse)
Juan Tortosa (CADTM Suisse)
Charles-André Udry (économiste, directeur du site alencontre.org et des éditions Page 2, Suisse)