La réponse courroucée de la direction péquiste
Le chef provisoire du PQ, Pascal Bérubé, a commencé par remettre en question la légitimité du poste de député de Catherine Fournier. Sylvain Gaudreault a parlé de son sentiment d’avoir été trahi par la députée démissionnaire. Véronique Hivon a salué le niveau de lucidité, d’absence de déni, de maturité et d’ouverture des membres du PQ face à la tâche de refonder le PQ. Face à cela, le geste de Catherine Fournier lui apparaissait incompréhensible. Pourquoi se demanda-t-elle ne pas participer à cette volonté de fonder un nouveau Parti québécois entièrement au service de l’indépendance, faisant la promotion d’un nouveau projet de société et se donnant un nouveau mode de fonctionnement à son congrès de novembre 2019, tout cela avant l’élection d’un nouveau chef en 2020.
C’est l’histoire du déclin péquiste qui a construit un scepticisme sur sa capacité de se renouveler
Depuis la défaite de 95, les débats sur le moment et les conditions de la tenue du référendum n’ont pas cessé de diviser ce parti. Mais la thèse de la direction de ce parti, toujours aux mains des couches sociales de cadres de l’appareil d’État ou de professionnel-le-s de la politique. a toujours été le même : il faut repousser la tenue d’un tel référendum. Pour Lucien Bouchard ou Bernard Landry, les conditions gagnantes n’étaient pas réunies. Pour Pauline Marois, il fallait faire la démonstration par une gouvernance proclamée souverainiste de la pertinence de l’indépendance. Pierre-Karl Péladeau, s’est contenté du mantra affirmant qu’il voulait faire dn Québec un pays sans qu’il ne précise jamais le chemin de cette accession à l’indépendance. Jean-François Lisée reportait à une élection subséquente la tenue d’un tel référendum si jamais le PQ était élu en 2018. Depuis 1995, soit depuis plus de vingt ans, jamais, le PQ n’a essayé de faire de l’indépendance l’enjeu des différentes élections.
En fait, le PQ a été un bloc social, dirigé par des représentant-e-s des couches technocratiques nationalistes (de la classe des cadres du secteur public) et des professionnel-le-s de la politique auxquelles se sont jointes des secteurs de la petite-bourgeoisie et des classes populaires. L’objectif de cette direction a été toujours de se hisser à l’administration du gouvernement provincial. Avec le tournant néolibéral de cette direction qui s’est illustré par le ralliement au libre-échange, au culte du déficit zéro et aux politiques d’austérité, les bases populaires de ce parti ont quitté le navire et sa base électorale s’est érodée. Le PQ est alors entré dans un long déclin. La direction du parti a toujours cherché à marginaliser les indépendantistes définis comme des “purs et durs”, des “pressés”, des “irréalistes” et des “rêveurs”. Les indépendantistes ont été marginalisés dans ce parti comme les résultats de Martine Ouellet dans les deux dernières courses à la chefferie l’ont clairement révélé. Le repli sur le nationalisme identitaire a contribué à accentuer la dérive du parti vers la droite et à sa perte d’attractivité.
À chaque fois que les indépendantistes au sein du PQ ont commencé à percevoir qu’ils étaient instrumenter par les couches technocratiques comme force d’appoint pour accéder au pouvoir, elles ont tenté de relancer le débat au sein du parti sur la priorité à donner à l’indépendance. Mais à chaque fois la structure du pouvoir en faveur d’une direction s’appuyant des couches de cadres et de professionnels de la politique ont imposé comme conclusion à ces débats, le report de tout geste de rupture et de toute lutte conséquente pour l’indépendance au nom de l’objectif de former un bon gouvernement comme seule alternative réaliste. C’est la réalité du rapport de force (socialement et électoralement) en faveur de ces couches de cadres qui explique que toutes les perspectives de renouvellement du Parti québécois comme parti donnant la priorité à l’indépendance qui ont débouché sur des échecs. L’échec de la tentative de Martine Ouellet de changer la donne au sein du Bloc québécois repose également sur ce rapport de force social qui a débouché sur la mobilisation de la députation en place à Ottawa et des élites nationalistes qui ont réussi à l’éjecter et à conduire le Bloc québécois sur la ligne des élites péquistes.
Entre faux diagnostics et fausses perspectives, l’unité sera le fruit de multiples combats
Les indépendantistes ne sont pas dans une période de convergence nationale, mais de débats stratégiques essentiels pour dépasser l’impasse héritée des défaites que le mouvement indépendantiste a subies durant ces dernières décennies. Le Parti québécois a perdu son monopole sur la question nationale et il n’est plus hégémonique sur ce terrain. Ce n’est pas pour rien. Il faut d’abord comprendre le fondement de cette réalité pour reconstruire l’unité du mouvement indépendantiste sur de nouvelles bases.
La question de la dispersion actuelle des forces indépendantistes au Québec n’est pas une question de mauvaise volonté, d’esprit de chapelle ou de culture du désabusement. Un tel diagnostic est superficiel et faux, radicalement inopérant. Ces débats stratégiques entre les différents partis indépendantistes ne sont pas des caprices. Ils sont incontournables. Avant de proclamer la convergence des indépendantistes et de nier les transformations du mouvement indépendantiste issu de la crise de la domination péquiste sur ce dernier, il faut mener ces débats jusqu’au bout.
La dispersion actuelle du mouvement indépendantiste est le résultat du blocage historique qu’a connu la lutte pour l’indépendance, des défaites qui se sont accumulées face aux offensives de l’État fédéral et de l’incapacité du mouvement indépendantiste et de sa direction péquiste à proposer les stratégies et à construire les mobilisations pour y faire face. C’est cette réalité que refusent de reconnaître tant Catherine Fournier, la mouvance qui l’appuie que la direction actuelle du Parti québécois.
Le mouvement indépendantiste ne pourra refonder son unité s’il refuse de tirer le bilan historique de son action. Ce n’est pas en balayant sous le tapis les divergences et les perspectives élaborées par les partis politiques indépendantistes, mais en en prenant leur véritable mesure, que nous pourrons esquisser les voies du dépassement de la situation actuelle. Il serait peut-être temps de prendre au sérieux l’ampleur des débats qui ont mené à la mise en place des différents partis indépendantistes et arrêter de dénoncer ces débats comme de simples joutes partisanes servant à protéger des chapelles.
Quelles sont les questions stratégiques qu’il faut discuter ?
On ne peut échapper à la hiérarchisation des questions... La rhétorique de l’indépendance qui n’est ni de gauche ni de droite est dangereuse et fausse. C’est un thème de la droite de refuser de situer une question politique sur cet axe. Après 1995, le soutien au libre-échange qui affaiblissait les pouvoirs du Québec sur son économie, la défiscalisation des revenus des plus riches, la poursuite du déficit zéro qui s’attaquait au service public, le maintien de la privatisation d’un secteur de l’école québécoise, la déréglementation tous azimuts de l’exploitation forestière, le maintien des redevances minières à des niveaux très bas, n’était-ce pas la construction d’un Québec selon les axes néolibéraux ? Ces politiques menées par des souverainistes qui heurtaient les droits et les intérêts de la majorité populaire n’ont-elles pas contribué à affaiblir le soutien à la souveraineté et à permettre aux fédéralistes de reprendre le pouvoir. Quand aujourd’hui, le PQ maintient son soutien au libre-échange avec l’Europe qui menace notre secteur public, leur soutien à l’hégémonie du privé dans l’économie, le refus d’une réforme de la fiscalité et de la redistribution de la richesse et ne s’ouvre au rejet de l’exploitation des énergies fossiles que lorsqu’il est dans l’opposition, à quoi identifie-t-il la souveraineté qu’il prétend défendre ? Est-ce à un projet de société emballant pour la majorité populaire ou un Québec faisant toute la place à l’oligarchie régnante ?
La principale question qui est devant nous est la suivante : comment construire au cœur de la vie de cette nation, cette volonté majoritaire pour un État du Québec réellement indépendant ? Car la question stratégique centrale c’est celle des moteurs du ralliement de la majorité de la nation québécoise à son indépendance. La faillite du péquisme, c’est la faillite de la croyance que la volonté d’un Québec indépendant peut se faire en rupture avec la lutte pour un projet de société plus démocratique, plus égalitaire et plus inclusif. C’est la faillite de la croyance que l’unité de la gauche et de la droite est un facteur de force alors qu’elle mine et affaiblir structurellement l’unification de la majorité populaire autour d’un projet de pays.
Les voies de la reconstruction du mouvement indépendantiste
La reconstruction du mouvement pour l’indépendance du Québec passera par le développement d’une alliance sociale défendant un programme de démocratie radicale et de transformation sociale. Une telle alliance refusera de séparer le projet de société égalitaire, féministe et écologique du projet de pays que le peuple du Québec aspire à construire. La majorité de la population du Québec est formée de travailleurs et de travailleuses. C’est cette majorité qui a intérêt à l’indépendance du Québec. Cela veut dire que c’est à partir des intérêts sociaux, nationaux et démocratiques de la population qu’il sera possible de dépasser la fragmentation politique actuelle. Aujourd’hui, la lutte pour l’indépendance ne peut se distinguer du projet de reprendre en mains nos richesses naturelles, d’en contrôler démocratiquement l’usage dans une perspective écologiste. Elle ne peut se distinguer de la perspective de refonder notre société dans une logique qui refuse la concentration de la richesse aux mains d’une minorité ; elle ne peut se distinguer de la perspective de fonder une société refusant la domination patriarcale et sexiste. Elle ne peut se distinguer de la lutte pour une société inclusive et antiraciste. La perspective d’indépendance ne peut se distinguer surtout de la nécessité de refonder la démocratie que nous voulons dans une perspective de véritable démocratie citoyenne au-delà de la démocratie représentative actuelle.
Le peuple québécois doit pouvoir reprendre la parole sur la définition de l’indépendance et de la société qu’il veut construire au Québec. La constituante pose cette nécessité de démocratie radicale, permettant de définir démocratiquement le Québec que nous voulons, un pays de projets qui saura rallier la majorité sociale autour d’un grand projet national. La perspective de l’élection d’une constituante élue au suffrage universel est une alternative pour sortir du cul-de-sac actuel. Dans ce sens, cette nouvelle alliance indépendantiste pourra trouver un premier moment de concrétisation par la mise en place d’un mouvement pour la constituante... qui saura rallier tous les secteurs de la population autour d’une prise de parole libératrice définissant le pays que nous voulons nous donner.
Québec solidaire inscrit son combat dans cette perspective, c’est pourquoi, il peut et sera le parti qui amènera une contribution essentielle à la renaissance du mouvement indépendantiste et à la lutte pour que le projet de pays indépendant devienne majoritaire dans la société québécoise, à ce que la majorité sociale devienne enfin la majorité politique.
Bernard Rioux
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