Il y a vingt-cinq ans, le Parti communiste chinois a vécu sa crise la plus profonde avec le mouvement pro-démocratie de Tiananmen, nourri par l’inflation, la corruption et la division du parti unique au pouvoir entre conservateurs et réformateurs. Que s’est-il passé pendant ces 50 jours qui ont fait trembler le parti au pouvoir depuis 1949 ?
Un mouvement pro-démocratie déclenché par la mort de Hu Yaobang
Les manifestations ont été provoquées par la mort le 15 avril de Hu Yaobang, une des figures réformatrices du Parti communiste chinois, qui avait été limogé en janvier 1987 sous l’accusation de faiblesse face à des manifestations étudiantes. S’ensuivirent plusieurs semaines d’agitation dans les rues des villes chinoises et l’occupation par des milliers d’étudiants de la place Tiananmen, en plein centre de Pékin. Alors que le mouvement s’essoufflait, un éditorial publié le 26 avril par le Quotidien du Peuple l’a ranimé.
Le texte condamnait la mobilisation comme un « complot planifié » visant à renverser le Parti communiste, accusant un « petit groupe de gens » de vouloir plonger le pays dans le chaos. Les différentes tentatives ultérieures de renouer le dialogue avec les étudiants échouèrent et aboutirent à la mise à l’écart de Zhao Ziyang, le secrétaire général du PCC, un réformiste. La dernière apparition publique de ce dernier aura lieu le 19 mai au matin sur la place Tiananmen. Il s’adresse aux étudiants, à l’aide d’un mégaphone, leur demandant de cesser la grève de la faim qu’ils venaient de lancer.
La répression n’a pas eu lieu sur la place Tiananmen
On évoque souvent le massacre de Tiananmen, mais, en réalité, selon un témoin de l’époque, Robin Munro, les troupes ont réprimé aux alentours de la place centrale de Pékin, en particulier dans le quartier de Muxidi. Les milliers d’étudiants, encore présents sur la place, ont pu la quitter, mais les heurts entre la population et l’armée se sont produits dans les rues alentours.
« La grande majorité de ceux qui sont morts (peut-être un millier au total) étaient des ouvriers, des ’laobaixing’ (gens du peuple, littéralement « les cent vieux noms ») et ils sont morts surtout dans des rues de l’ouest de Pékin. Plusieurs dizaines de personnes sont mortes dans les environs proches de la place et un peu sur la place elle-même. Mais en parler comme du véritable massacre occulte la nature du carnage et amoindrit le vrai drame politique qui s’est déroulé sur la place Tiananmen. »
Un bilan jamais connu
Selon le livre The Tiananmen Papers, basé sur des documents internes au bureau politique du PCC, un rapport du secrétaire du parti de Pékin, Li Ximing, a fait état, le 19 juin 1989, de 241 morts (218 civils, parmi lesquels 36 étudiants de Pékin, et 23 soldats). Amnesty International avance le chiffre de plusieurs centaines de morts, proche d’un millier. Des ONG, mais aussi l’association des « mères de Tiananmen » tentent un travail de mémoire, ne cessant de réclamer au gouvernement de faire toute la lumière sur les événements.
Le refus de la réhabilitation
Des intellectuels chinois ont plaidé pour la réhabilitation (pingfan en chinois) de ceux qui ont participé au mouvement. Mais les autorités s’en tiennent toujours au verdict de l’éditorial du 26 avril et continuent à qualifier de « contre-révolutionnaires » les manifestants.
Dans un éditorial publié le 3 juin de cette année, le journal nationaliste Global Times évoque l’« incident de Tiananmen », dénonçant l’activisme des « forces anti-chinoises en Europe et des exilés chinois » [1]. « La jeune génération évite d’être induite en erreur par des forces opposées au système politique chinois actuel », écrit le quotidien.
« La société chinoise se souvient encore à quel point nous étions pauvres il y a 25 ans. Mais le pays est devenu la deuxième plus grande économie mondiale. La désintégration de l’Union soviétique, la guerre civile en Yougoslavie et ce qui se passe en Ukraine et en Thaïlande nous ont plus troublés que les leçons et les appels de l’Occident. Nous avons vu aussi que la plupart des récipendiaires des récompenses occidentales sont des dissidents. L’Occident a également offert un espace d’activité et un soutien aux séparatistes du Xinjiang et du Tibet. Ce sont des leçons importantes pour les Chinois. »
François Bougon