Le Kerala fait « face aux pires inondations depuis un siècle », selon le chef du gouvernement de la région, Pinarayi Vijayan. Alors que l’accalmie sur le front des pluies de la mousson était attendue, au mieux, pour dimanche 19 août, cette contrée du sud-ouest de l’Inde est en train de vivre un désastre comme elle n’en avait pas connu depuis 1924. Des centaines de morts sont déjà recensés depuis le début de la mousson, qui a commencé en juin. Les précipitations ont été supérieures « de 37 % à la normale », indiquent les services de la météorologie nationale.
« On n’a jamais vu ça, explique Manju Sara Rajan, ancienne présidente de la Biennale de Cochin, jointe au téléphone à la faveur du retour momentané du réseau dans le district de Kottayam, célèbre pour ses backwaters, un entrelacs de rivières et de canaux. Ma maison est au bord de l’eau, dans un village complètement isolé depuis plusieurs jours. Les seuls moyens d’information dont je dispose sont les réseaux sociaux, WhatsApp et Twitter pour l’essentiel, c’est comme ça que les autorités alertent la population et organisent les secours. »
L’Etat le plus densément peuplé
La situation est d’autant plus difficile que le Kerala est l’Etat le plus densément peuplé du sous-continent, avec 860 habitants au kilomètre carré, contre une moyenne de 382 dans le pays. Il abrite un habitat dispersé et compte de très nombreux retraités venus jouir, pour leurs vieux jours, du climat tropical.
A une trentaine de kilomètres plus au nord, la ville de Cochin est complètement noyée et l’aéroport international, qui devait rouvrir au bout de quatre jours, a suspendu toutes ses opérations jusqu’au 26 août, sa piste étant inutilisable. « Ma sœur habite là-bas, dans un immeuble moderne où il n’y a plus ni gaz ni électricité », raconte Manju Sara Rajan, qui a appris la veille que ses enfants resteraient en congé forcé durant encore deux semaines.
Les écoles du Kerala ont été fermées jusqu’au 29 août, date à laquelle devait s’achever Onam, la fête de la moisson. Une fête dont il n’est plus question désormais, plus de 32 000 hectares de cultures ayant été ravagés, surtout des rizières. Selon le dernier bilan publié par les services du gouvernement marxiste de Pinarayi Vijayan, 174 morts sont à déplorer depuis dix jours – 324 depuis le début de la saison de la mousson –, et 223 000 personnes ont été mises à l’abri dans un peu plus de 1 500 centres d’accueil, ouverts en urgence. Une bonne vingtaine de ponts se sont écroulés, environ 10 000 km de routes ont été détruits, et plus de 20 000 maisons endommagées. Pour le moment, les dégâts sont évalués à 83,2 milliards de roupies (1 milliard d’euros). L’aide de 1 milliard de roupies évoquée dans un premier temps par New Delhi apparaît « incongrue » vu l’ampleur de la catastrophe, souligne The Hindu, principal journal anglophone du sud de l’Inde.
Le premier ministre, Narendra Modi, est arrivé sur place vendredi soir et devait survoler les zones sinistrées samedi matin. L’armée de l’air est sur le pied de guerre, pour distribuer de la nourriture aux foyers isolés. Les garde-côtes appellent les gens à monter sur le toit de leur habitation quand ils le peuvent ou à sortir à découvert dans des clairières, loin des arbres, afin d’être plus facilement repérés.
Certaines zones sont totalement isolées du monde, comme la région d’Idukki et ses célèbres montagnes de Munnar, où certaines plantations de thé ont été emportées par les eaux. Dans la soirée de jeudi, il y est tombé 127 millimètres de pluie en l’espace de quelques heures. Même chose pour les villes de Cheruthoni, Chalakudy et Pandalam, où la population est toujours piégée, ainsi que pour les stations balnéaires de Kozhikode et Kannur. L’autorité nationale chargée des catastrophes naturelles, la NDMA, fait savoir que la mousson a tué cette année près de 1 millier de personnes en Inde.
Guillaume Delacroix (Bombay, correspondance)