La première ministre sortante du Bangladesh, Sheikh Hasina, 71 ans, a largement remporté les élections législatives du 30 décembre, décrochant son quatrième mandat à la tête du gouvernement en vingt-deux ans, selon les résultats officiels annoncés dans la nuit de dimanche à lundi et rejetés par l’opposition qui dénonce des fraudes.
La coalition de Sheikh Hasina a obtenu 288 des 300 sièges du Parlement monocaméral contre six seulement au principal parti d’opposition, a indiqué dans la nuit de dimanche à lundi le secrétaire de la Commission électorale, Helal Uddin Ahmed.
Mais il n’est pas exclu que les résultats puissent provoquer lundi des réactions violentes dans le contexte d’un scrutin marqué par la mort de dix-sept personnes et une situation politique des plus volatiles.
Au Bangladesh, les périodes électorales sont toujours tendues et la dérive autoritaire de la « Ligue Awami », le parti au pouvoir, n’aura rien fait pour arranger les choses : le Parti national du Bangladesh (BNP), principale formation de la coalition de l’opposition, a affirmé que 10 400 de ses membres et de ses activistes ont été arrêtés depuis que le scrutin a été annoncé, le 8 novembre.
La présidente du BNP, la « Begum » Khaleda Zia, qui ne cesse de « s’échanger » le pouvoir avec sa rivale Sheikh Hasina depuis le retour à la démocratie en 1990, purge par ailleurs depuis février une peine de prison de cinq ans pour corruption. Et l’opposition dénonce déjà des fraudes électorales et de multiples intimidations de ses candidats et supporters, affirmant qu’un « climat de peur » a été instauré par les nervis du régime en place. Quant au chef de la coalition, le vieux juriste et ex-ministre Kamal Hossain, qui fut un proche allié de la première ministre avant de se retourner contre elle, a dénoncé le 21 décembre, lors d’une conférence de presse, « un niveau de harcèlement sans précédent et contraire à la Constitution ».
Un rythme de croissance sans précédent
La troisième victoire consécutive de la Ligue Awami, le parti symbole de l’indépendance arrachée au Pakistan en 1971, pourrait cependant illustrer un autre type de réalité, d’ordre socio-économique celle-là : depuis 2009, date de l’accession au pouvoir de la première ministre, – elle a aussi été à la tête du gouvernement entre 1996 et 2001 –, le « pays des Bangladais » (Bangladesh) a connu un rythme de croissance sans précédent (7,8 % cette année). Sous son « règne », la dérive antidémocratique aura été de pair avec la chute de l’extrême pauvreté, tendance enclenchée depuis une vingtaine d’années : cet indicateur est passé de 34,3 % à 12,9 % entre l’an 2000 et 2016, selon la Banque mondiale. Pas mal pour un jeune pays qui était encore, au tournant du siècle, l’un des plus miséreux de la planète et dont la population (169 millions d’habitants) est la nation la plus densément peuplée du monde.
« Je considère que les droits de l’Homme, c’est d’être capable de fournir assez à manger, des emplois et des soins médicaux [aux Bangladais] », a déclaré Sheikh Hasina lors d’une interview au New York Times. Défiante à l’égard des accusations croissantes de comportement autoritaire à son encontre, Mme Hasina a dit à son fils, qui l’a répété et vient d’être cité par l’Agence Reuters, qu’elle considérait « comme une marque d’honneur d’être accusée d’autoritarisme par les médias étrangers ». Son fils Sajeeb Wazed a plus tard précisé que cette provocante déclaration était une référence au fait que l’ancien premier ministre singapourien, Lee Kuan Yew, était lui aussi taxé de tyran quand il conduisait son pays sur les voies de la prospérité…
« Encore plus autoritaire »
Le Bangladesh fait aussi face depuis une dizaine d’années à d’autres évolutions : non seulement celles de l’islamisation et de la bigoterie, mais aussi celles de la violence de type djihadiste – même si ce pays à 90 % musulman pratiquait encore récemment un Islam tolérant influencé par la mystique du soufisme. Les dirigeants du BNP ont ainsi choisi de capitaliser sur le désir religieux en affichant, de longue date, leur proximité avec le parti fondamentaliste Jamaat-e-islami. Une formation accusée de crimes de guerre durant la guerre d’indépendance contre le Pakistan, au début des années 1970 – entre 1947 et 1971, le Bangladesh s’appelait « Pakistan oriental », conséquence de la partition de l’empire des Indes britanniques.
Les accusations de disparitions forcées et de tortures aux mains des forces paramilitaires bangladaises concernent d’ailleurs surtout les membres de cette organisation islamiste, que le parti au pouvoir a fait interdire en 2013. La Ligue Awami, dont le fondateur et père de l’actuelle première ministre, Sheikh Mujibur Rahman, qui fut le premier chef de gouvernement du Bangladesh indépendant avant d’être assassiné en 1975, avait opté pour un Bangladesh laïque et tolérant à l’égard des minorités hindoues, chrétiennes ou bouddhistes. Mais l’islamisation croissante du pays a conduit le parti au pouvoir à instrumentaliser, lui aussi, cette demande religieuse en donnant des gages à certains lobbies des milieux islamo-conservateurs. La question de la place de l’Islam dans la société et de ses rapports avec l’Etat est ainsi devenue centrale dans le débat électoral, confirmant un affaissement réel du sécularisme originel.
Le scrutin du 30 décembre revient ainsi pour certains observateurs à choisir « entre deux maux » : c’est ce que pense Iftekhar Zaman, directeur de l’ONG « Transparency international » pour le Bangladesh. Il n’est pas optimiste pour la suite des événements : « si Mme Hasina gagne un nouveau mandat », affirme-t-il, « elle deviendra encore plus autoritaire qu’elle ne l’était déjà ».
Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
• Le Monde. Publié le 30 décembre 2018 à 15h42, mis à jour hier à 06h15 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/30/elections-au-bangladesh-victoire-attendue-de-la-premiere-ministre-hasina_5403702_3210.html
Fin de campagne dans la violence au Bangladesh
Avant les élections générales du 30 décembre, la première ministre, Sheikh Hasina, est critiquée pour son exercice du pouvoir de plus en plus autoritaire.
Malgré le déploiement de l’armée, censée faire régner l’ordre durant les élections générales du dimanche 30 décembre, la coalition de partis qui forment l’opposition bangladaise continue de s’alarmer. Elle a fait état, le 25 décembre, de 7 000 arrestations, surtout dans les rangs de sa principale formation, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), depuis l’annonce officielle, en novembre, de la tenue du scrutin qui doit renouveler les 350 sièges du Parlement de ce jeune pays de 166 millions d’habitants.
Le chef de la coalition, le juriste Kamal Hossain, avait dénoncé le 21 décembre, lors d’une conférence de presse, « un niveau de harcèlement sans précédent et contraire à la Constitution : les forces de police sont principalement utilisées pour arrêter des dirigeants et des militants de l’opposition ».
Déterminée à ne pas lâcher le pouvoir après dix ans de règne, la première ministre, Sheikh Hasina, 71 ans, fait feu de tout bois : sa grande rivale, Khaleda Zia, 73 ans, chef du BNP et deux fois première ministre (entre 1991 et 1996 puis de 2001 à 2006), est en prison depuis février. Elle a vu en octobre sa peine passer de cinq à dix ans après avoir fait appel, et a reçu sept ans de plus pour une affaire de détournement de fonds en 2005, lorsqu’elle était au pouvoir. Son fils, en exil à Londres, a été condamné par contumace à la perpétuité.
Gros bras
Des milliers de procédures judiciaires, pour des motifs souvent controuvés, ont été lancées contre des militants de l’opposition ou des critiques du parti au pouvoir, menant à des détentions préventives qui les neutralisent pendant des mois, voire des années. Tandis que les cas de disparitions forcées et de torture entre les mains des forces paramilitaires antiterroristes se sont multipliés, notamment dans les rangs du Bangladesh Jamaat-e-Islami (Jamaat), le parti islamiste interdit en 2013. L’organisation Human Rights Watch leur a consacré en décembre un rapport circonstancié.
Les Bangladais, musulmans à 90 %, pratiquent traditionnellement l’islam de rite soufi, vu comme tolérant vis-à-vis des femmes et des autres cultes, mais les groupes de pression en faveur d’un islam rigoriste gagnent en influence.
Ses dernières semaines, la Ligue Awami, le parti de Sheikh Hasina et principale formation de la coalition sortante, a envoyé les gros bras de sa branche jeunesse faire le coup de force contre les candidats des partis rivaux en campagne, que ses militants attaquent à coups de bâton et parfois avec des armes à feu, vandalisant leurs véhicules ou leur matériel. Bilan : au moins six morts et plus d’un millier de blessés, selon l’opposition.
« Pas de posters »
Les témoignages sur le terrain font état d’obstructions systématiques, à toutes les étapes des élections, en raison d’une police et d’une justice inféodées au parti au pouvoir : « Dans mon village natal de 5 000 habitants, des responsables de la Ligue Awami que je connais m’ont dit avoir prévenu tous les candidats de l’opposition de ne pas mettre de posters, et de partir se mettre au vert pendant une semaine au moment des élections, sans quoi ils ne pourront plus jamais remettre les pieds au village, explique depuis Dacca, sous couvert d’anonymat, un ex-journaliste bangladais reconverti dans l’humanitaire.
Le gouvernement, croit-il, laissera des sièges à l’opposition pour donner le change. Mais les dés sons pipés. « On peut donc croire le fils de Sheikh Hasina, qui a donné comme estimation qu’entre 170 à 230 sièges iront à la Ligue Awami », dit-il.
Si le Daily Star, le quotidien anglophone, a rapporté quelques-uns des incidents contre l’opposition, l’autocensure règne dans la presse bangladaise. Et les autorités sont passées maître dans l’art de repousser sans cesse l’attribution de visas de journalistes aux médias étrangers sans jamais ouvertement les refuser, limitant à la portion congrue la couverture médiatique internationale.
Né il y a quarante-sept ans d’une séparation sanglante d’avec le Pakistan, le Bangladesh se débat aujourd’hui avec les démons de l’autoritarisme et de l’islamisme radical. Son économie affiche une croissance robuste, avec un PIB en hausse de 6 % par an en moyenne ces dix dernières années. La première ministre a fait de cette performance son principal argument de campagne, le Bangladesh étant désormais programmé pour sortir du groupe des pays les moins développés d’ici à 2024.
Interférences
A l’origine, la fille de Sheikh Mujibur Rahman, libérateur et fondateur du pays en 1971, incarnait les forces du sécularisme et de la modernisation lors de son retour au pouvoir en 2009 (elle fut première ministre de 1996 à 2000) face à la plus conservatrice Khaleda Zia, du BNP. Mais en 2011, Mme Hasina fait abroger les dispositions de la Constitution qui imposait un gouvernement intérimaire et neutre au moment des élections – vu comme un garde-fou contre les interférences du pouvoir dans cette fragile démocratie parlementaire. Cette décision, et l’interdiction du parti islamiste Bangladesh Jamaat-e-Islami proclamée en 2013, conduiront au boycottage par l’opposition du scrutin de 2014.
Sheikh Hasina obtint une victoire confortable – mais peu légitime. Son père, pourtant, fut assassiné en 1975 sur ordre de l’armée pour avoir voulu imposer un système de parti unique… « Sheikh Hasina est en train de faire passer son pays de la démocratie à la démocrature », constate une observatrice française au long cours des évolutions du Bangladesh, investie dans le travail humanitaire. Sans compter que tout en se présentant comme un rempart contre l’islamisme radical, la bégum a largement composé avec les mouvements islamistes rigoristes en échange de leur soutien électoral.
Affaibli par l’interdiction du Jamaat, son partenaire de coalition, et l’incarcération de Khaleda Zia, le BNP a cette fois fait alliance avec une fraction de l’élite bangladaise, dont des défecteurs de la Ligue Awami déçus de l’actuelle dérive autoritaire. L’opposition a ainsi pris pour leader l’octogénaire Kamal Hossain, ex-ministre des affaires étrangères et l’un des rédacteurs de la Constitution du pays.
Règne de plomb
« Kamal Hossain est très respecté, mais il n’a pas de réseaux, il ne fait pas peur à la Ligue Awami, qui a mobilisé en sa faveur beaucoup de figures publiques, de vedettes, d’intellectuels », dit l’ex-journaliste de Dacca. « Ce que craint le gouvernement, c’est la capacité de nuisance des islamistes, avec une nouvelle vague d’attentats qui obligerait l’armée à intervenir », poursuit-il.
Khaleda Zia, l’opposante emprisonnée, est la veuve du général Ziaur Rahman, dit « Zia », qui déclara l’indépendance au nom du père de Sheikh Hasina en 1971. Il fut ensuite son chef d’état-major adjoint. Après l’assassinat de ce dernier en 1975, il prit le pouvoir en 1977. Mais il écarta le pays de la voie socialiste du fondateur en autorisant les partis islamistes – pour se faire assassiner à son tour par des officiers en 1981.
Le Bangladesh n’a cessé depuis lors d’osciller entre sécularisme et islamisme, démocratie et autoritarisme – notamment sous le règne de plomb du général Ershad (1983-1990), contre qui les deux femmes allièrent leurs forces. Le vieux dictateur est aujourd’hui le principal partenaire de Sheikh Hasina dans sa coalition à toute épreuve.
Brice Pedroletti
• Le Monde. Publié le 28 décembre 2018 à 18h00 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/28/fin-de-campagne-dans-la-violence-au-bangladesh_5403289_3210.html
Plus de 10 000 arrestations avant les législatives au Bangladesh, selon l’opposition
Les partis d’opposition dénoncent une vague d’arrestations à l’approche des élections législatives prévues dimanche.
La police du Bangladesh a arrêté plus de 10 500 militants de l’opposition au cours des dernières semaines, ont déclaré, mardi 25 décembre, les partis d’opposition en dénonçant une opération d’intimidation avant les élections législatives prévues dimanche. Ces chiffres sont publiés alors que les Etats-Unis ont exhorté le gouvernement de la première ministre, Sheikh Hasina, qui vise un quatrième mandat, à faire davantage pour garantir la liberté de vote durant ces élections.
Les partis d’opposition ont déclaré que la vague d’arrestations en cours depuis la convocation des élections le 8 novembre visait à créer un « climat de peur ». Le principal parti nationaliste d’opposition, le Parti nationaliste bangladais (BNP), dont la dirigeante Khaleda Zia est actuellement en prison, a déclaré que 7 021 de ses militants avaient été arrêtés.
Son allié islamiste, Jamaat-e-Islami, a ajouté que plus de 3 500 de ses partisans avaient été placés en détention. Le Jamaat-e-Islami n’est pas autorisé à participer aux élections, mais il a des candidats à titre individuel avec le BNP.
Climat de peur
Le BNP avait espéré que le déploiement, lundi, de 30 000 membres des forces de sécurité améliorerait la sécurité dans ce pays de 165 millions d’habitants à majorité musulmane. Mais « chaque jour, 80 à 90 de nos militants sont arrêtés dans le pays. Ces arrestations ont créé un climat de peur », a déclaré le secrétaire général du Jamaat, Shafiqur Rahman, à l’Agence France-Presse (AFP).
Un porte-parole de la police, Sohel Rana, n’a pas confirmé le nombre d’arrestations, mais a déclaré qu’aucune arrestation n’était effectuée sans mandat. « Nous ne ciblons jamais un individu à moins qu’il n’enfreigne la loi. Ces personnes ont des mandats d’arrêt précis contre elles », a-t-il déclaré.
Rizvi Ahmed, porte-parole du BNP, a répondu que les accusations portées contre les militants étaient des cas « fictifs » et « fantômes » visant à une « élection déséquilibrée » en faveur de Sheikh Hasina.
Une dizaine de journalistes blessés
Le BNP et ses alliés ont également accusé la police et les militants du parti Awami League au pouvoir d’attaquer leurs militants et candidats.
Lundi soir, une dizaine de journalistes locaux couvrant les élections ont été blessés à Nawabganj (centre) dans une attaque contre un motel où ils résidaient, selon Masud Karim, correspondant spécial du quotidien national bengali Jugantor.
Seize voitures ont été vandalisées et « au moins dix journalistes de Jugantor et de Jamuna TV ont été blessés », a-t-il déclaré à l’AFP, accusant la police d’avoir tardé à intervenir. Le quotidien, qui a également indiqué être sans nouvelles d’un de ses journalistes depuis lundi soir, a incriminé les sections étudiantes et de jeunes de l’Awami League pour cette attaque. La police a dit ne pas connaître l’identité des agresseurs.
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 25 décembre 2018 à 16h15 - Mis à jour le 25 décembre 2018 à 16h51 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/25/plus-de-10-000-arrestations-avant-les-legislatives-au-bangladesh-selon-l-opposition_5402052_3210.html