Elle s’est popularisée sur la Toile, puis s’est invitée sur les plateaux de télévision avant de devenir un geste politique. Provocation antisystème pour les uns, gestuelle antisémite pour d’autres, la quenelle garde une signification très floue. Un flou dont bénéficie l’humoriste Dieudonné M’bala M’bala, qui en a fait un symbole politique des causes qu’il défend.
Qu’est-ce qu’une quenelle ?
Pour certains archéologues de la quenelle, c’est dans un sketch sur les mammifères lors de son spectacle intitulé 1905 et joué en 2005 que, pour la première fois, Dieudonné M’bala M’bala a effectué ce geste.
S’il est difficile de dater les origines exactes de la quenelle, sa première utilisation politique remonte aux élections européennes de 2009. Dieudonné M’bala M’bala avait déposé une « liste antisioniste » en Ile-de-France. Il avait alors expliqué sa démarche lors d’une conférence de presse au Théâtre de la Main d’or, à Paris [1] : « Glisser une petite quenelle dans le fond du fion du sionisme. »
Sur l’affiche de campagne, où il pose avec l’idéologue d’extrême droite Alain Soral, Dieudonné M’bala M’bala effectue le geste de la quenelle, qui connaît depuis une viralité certaine.
Affiche électorale de Dieudonné pour les élections européennes.
Affiche électorale de Dieudonné pour les élections européennes. D.R.
Le geste de la quenelle consiste à tendre un bras vers le bas tout en plaçant la main opposée sur l’épaule du bras tendu. Entre le salut nazi inversé et le bras d’honneur.
Que signifie-t-elle ?
Plus largement, l’ancien humoriste définit la quenelle comme un « symbole d’insoumission au système ». Dans une vidéo postée sur Youtube [2], Dieudonné M’bala M’bala explique qu’il s’agit d’un acte subversif qui ne lui appartient plus. « Il appartient à la révolution », dit-il. Une définition large, fourre-tout, qui a depuis fait des émules, rassemblant les provocateurs de tous poils qui souhaitent pour beaucoup dénoncer par ce geste « le système », un terme qui regroupe aussi bien les élites politiques, économiques ou médiatiques.
La signification que les uns et les autres donnent à ce geste peut varier. Un jeune homme qui s’était fendu d’une quenelle sur le plateau du Petit Journal, sur Canal+, a expliqué à Arrêt sur images ce qu’il y voyait [3] : « Oui, c’est associé à Dieudonné, au départ, mais je regrette que ça leur profite, à Alain Soral et compagnie. Je vois simplement ça comme un geste subversif, antisystème, mais ça ne va pas plus loin. J’associe davantage ça à une grimace, si vous voulez. »
Interrogé par Libération [4], le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus expliquait que « la quenelle est avant tout un code identitaire, qui a acquis une vraie popularité chez les jeunes. Difficile de dire que tous ont conscience de la portée de ce geste ».
Il ajoutait que Dieudonné M’bala M’bala entraînait avec lui « une mouvance transversale, antisystème et complotiste, dont l’antisémitisme reste la colonne vertébrale. Leur vision du monde est celle d’un ordre mondial dominé par l’axe Washington–Tel-Aviv. Derrière les discours fustigeant l’OTAN et la finance internationale, tout en soutenant Bachar Al-Assad et Hugo Chavez, il y a la conviction qu’au fond, ce sont les juifs qui tirent les ficelles. »
Pourquoi une telle viralité ?
Avec le temps, et à mesure que les sorties médiatiques de Dieudonné M’bala M’bala contribuaient à le marginaliser, voire à le faire condamner par la justice, la quenelle s’est répandue sur la Toile. A chaque fois, le geste, réalisé comme un défi, est immortalisé par une photo qui est ensuite postée sur Internet. De nombreux anonymes font circuler leurs clichés sur les réseaux sociaux. Certains en font même des Tumblr [5] et tentent de prendre la pose aux côtés de personnalités.
D’autres s’amusent à « glisser une quenelle » sur les plateaux de télévision. Entre la blague potache, la provocation et la revendication politique floue. Souvent le geste est teinté d’antisionisme, voire pour certains d’antisémitisme. Ainsi, Alain Soral s’est-il fait prendre en photo au Mémorial de la Shoah à Berlin. En septembre, des militaires en mission Vigipirate à Paris ont été photographiés devant une synagogue en train de faire une quenelle [6]. Ce qui leur a valu une sanction.
Deux chasseurs alpins ont été photographiés faisant le geste dit de « la quenelle », inventé par Dieudonné, devant l’entrée de la synagogue Beth David, rue de Montevideo à Paris.
Parfois, certaines personnalités se prêtent au jeu, sans forcément savoir ce que peut signifier ce geste. Ce fut le cas du basketteur Tony Parker, du footballeur Mamadou Sakho ou encore de l’animateur Yann Barthès. Pour éviter d’être ensuite instrumentalisé par la « dieudosphère », le footballeur a publié un rectificatif sur Twitter expliquant avoir été piégé. L’animateur a fait de même, précisant qu’il ne connaissait pas la signification de ce geste.
Un business pour la « dieudosphère » ?
Outre un site officiel qui recense les photos des « meilleures quenelles », Dieudonné M’bala M’balaé a lancé le concours des « quenelles d’or », qui récompense les « maîtres quenelliers ». La dernière édition a eu lieu en juin. Alain Soral figurait parmi les grands vainqueurs. Bien décidé à surfer sur cette idée, Dieudonné M’bala M’bala a lancé toute une série de produits dérivés, du tee-shirt au mug.
Le succès de ce signe de ralliement a provoqué des divisions au sein même de la mouvance de Dieudonné M’bala M’bala. Un site proche de l’extrême droite israélienne, JSS News [https://jssnews.com/2013/11/26/soral-montagne-dieudonne/]], a révélé un échange de mails entre Noémie Montagne, la compagne de Dieudonné M’bala M’bala, et Alain Soral, qui met en avant les querelles autour de la quenelle. « Tu prétends que ma société est mal gérée et bordélique alors que j’ai quadruplé le chiffre d’affaires en quatre ans », écrit Noémie Montagne.
Ce à quoi Alain Soral répond : « Vous nous reprochez quoi ? De profiter un peu de la dynamique de la quenelle ?! Il ne manquerait plus que ça que nous n’en profitions pas à E & R [Egalité et Réconciliation, l’association d’Alain Soral, NDLR], alors que nous mouillons le maillot avec vous depuis bientôt dix ans ! » et d’ajouter : « J’espère que demain, il ne faudra pas non plus vous payer des droits pour être antisémite ? »
Depuis, Noémie Montagne a déposé la marque Quenelle auprès de l’Institut national de la propriété industrielle et les statuts d’une société baptisée e-quenelle, qui s’est donné pour mission le conseil en relations publiques et la communication.
Le Monde