Depuis la fin de la transition démocratique, en 1982, et la dissolution du mouvement franquiste Fuerza Nueva, aucun parti d’extrême droite n’avait plus siégé dans un Parlement espagnol, régional ou national. Cette exception est terminée : le parti d’extrême droite Vox a obtenu un résultat inattendu aux élections andalouses, dimanche 2 décembre, avec 11 % des voix et 12 sièges (sur 109) au Parlement régional.
L’émergence de cette petite formation anti-immigration, antiféministe, souverainiste et recentralisatrice secoue l’échiquier politique espagnol : le parti est en mesure de jouer les arbitres pour éventuellement faire basculer l’Andalousie à droite. Et promet de poursuivre sa « reconquête » et de « s’étendre dans le reste de l’Espagne », un des rares pays d’Europe qui restait jusqu’alors étanche aux discours xénophobes et eurosceptiques. Le résultat de Vox a tout de suite été salué par la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui a envoyé sur Twitter ses « vives et chaleureuses félicitations à [ses] amis de Vox ».
Créé en 2013 par d’anciens militants du Parti populaire (PP, droite) critiques des hausses d’impôts et de la gestion « molle » de la crise catalane par l’ancien premier ministre Mariano Rajoy, le parti propose, entre autres, la construction de murs antimigrants dans les enclaves de Ceuta et Melilla, la recentralisation de l’Etat, l’interdiction des partis indépendantistes et la suppression de la loi mémorielle qui a interdit l’exaltation du franquisme, en 2006. Il demande aussi l’abrogation des textes sur les violences faites aux femmes.
Alors que la gauche gouverne la région depuis trente-six ans sans interruption, les socialistes ont obtenu le pire résultat de leur histoire. Bien que le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) soit arrivé en tête, avec 33 députés et 28 % des voix, il perd 14 sièges et 7 points par rapport à 2015. L’abstention, à près de 42 %, a augmenté de 4 points, témoignant d’une certaine démobilisation des électeurs de gauche.
Et non seulement le PSOE chute brutalement, mais une alliance avec le parti de la gauche radicale Podemos ne lui suffira pas pour gouverner. Les dix-sept sièges obtenus par Adelante Andalucia, la coalition locale menée par Podemos, ne sont pas suffisants.
Ces résultats sont un coup dur pour le président du gouvernement espagnol et secrétaire général socialiste, Pedro Sanchez, qui gouverne le pays avec seulement 84 des 350 députés à Madrid, et compte sur le soutien ponctuel de Podemos et des indépendantistes catalans. L’Andalousie, région la plus peuplée d’Espagne, est traditionnellement un réservoir de voix socialistes.
Le Parti populaire, le parti libéral Ciudadanos et Vox n’ont pas tardé à attribuer la déconfiture de Susana Diaz, la présidente régionale socialiste, au gouvernement de Madrid. « C’est un échec absolu pour Pedro Sanchez, a tranché le président du PP, Pablo Casado. Les Andalous n’ont pas confiance en sa politique ni en ses alliés, indépendantistes ou de Podemos. »
« M. Sanchez, cela n’est pas gratuit de faire des pactes avec les séparatistes comme Quim Torra [le président de la Catalogne], ni de confier l’économie à Pablo Iglesias [le chef de file de Podemos] », a déclaré avec ironie son homologue chez Ciudadanos, Albert Rivera, qui lui a demandé de convoquer au plus vite des élections législatives.
Vox, faiseur de roi
Qui va gouverner l’Andalousie ? Les nouveaux élus doivent prendre leurs fonctions le 27 décembre, et élire un nouveau président. Juan Manuel Moreno, du PP, parti qui se maintient en deuxième position mais perd 6 points (avec 21 % des voix et 26 sièges), espère obtenir le soutien de Ciudadanos et de Vox pour le poste.
Fort de la troisième place obtenue par Ciudadanos, avec 21 sièges – mais 12 élus de plus qu’en 2015 –, le candidat de cette formation, Juan Marin, entend lui aussi demander l’investiture aux députés du PSOE et du PP, lequel s’est déjà prononcé contre. « Le changement que nous demandons ne peut être mené que par un parti en croissance », a déclaré M. Marin face à ses militants en liesse. Allié du gouvernement socialiste ces trois dernières années, le parti libéral a promis, durant la campagne, de ne pas réitérer son soutien et d’amener le « changement » en Andalousie pour en finir avec le « clientélisme et la corruption du PSOE ».
L’irruption de Vox pourrait donc mettre fin à l’hégémonie du PSOE. « Les 400 000 Andalous qui nous ont élus ont les clés du palais de San Telmo », a lancé, dimanche soir, triomphal, le président de la formation, Santiago Abascal, en référence au siège du gouvernement régional. Décidé à jouer les faiseurs de roi, il pourrait imposer des conditions au PP en échange de son soutien. Un tel rapprochement pourrait préfigurer d’autres grandes alliances à droite, dans d’autres régions ou à l’échelle nationale. « Nous sommes venus pour rester », a déclaré le leader régional de Vox, l’ancien juge Francisco Serrano.
« C’est une triste soirée », a déclaré Susana Diaz, la mine défaite, avant de lancer un appel à « arrêter l’extrême droite en Andalousie ». Elle s’est engagée à « ouvrir un dialogue pour construire une digue », et a mis en garde les partis disposés à laisser « un parti d’extrême droite conditionner la majorité parlementaire » de l’Andalousie. Ou de l’Espagne.
Sandrine Morel (Madrid, correspondance)