Par décision de sa plus haute juridiction, Taïwan est devenu, mercredi 24 mai, le premier pays d’Asie à ouvrir la voie au mariage de personnes du même sexe. Dans un arrêt qui suscite de forts espoirs ailleurs sur le continent, la Cour constitutionnelle a considéré qu’interdire d’épouser une personne du même sexe était une violation « de la liberté des individus à se marier » ainsi que du « droit à l’égalité ». « C’est un tournant historique », se réjouit Wayne Lin, le président de l’association de soutien à la communauté LGBT Taiwan Tongzhi Hotline. Il reste néanmoins à convaincre les députés pour faire adopter le texte de loi.
Cette décision des juges suprêmes est d’abord la victoire d’un homme, Chi Chia-wei, 59 ans, le premier à avoir introduit des recours en justice, il y a une trentaine d’années, pour faire reconnaître son droit à épouser son compagnon. Il s’est longtemps battu seul, avant d’être rejoint, au début de la décennie, par les mouvements civiques. « Chi Chia-wei a lancé sa première action en 1986, il est sorti du placard à 28 ans, à une époque où la société taïwanaise était très conservatrice. Jusqu’en 2014, il n’avait pas de formation juridique, pas d’avocat, c’était une sorte de one-man-show », explique Victoria Hsu, présidente de la Taiwan Alliance to Promote Civil Partnership Rights.
« Atmosphère plus propice »
Mme Hsu est devenue en 2014 l’avocate de Chi Chia-wei. La dernière demande d’enregistrement du mariage de M. Chi avec son compagnon vient alors d’être rejetée. Il fait appel devant un tribunal administratif, puis devant la Cour suprême administrative. En vain. En août 2015, M. Chi saisit la Cour constitutionnelle, qui dans sa décision de mercredi laisse deux ans aux législateurs taïwanais pour modifier le code civil. A défaut, les cours reconnaîtront d’elles-mêmes la validité des mariages, qui pourront être enregistrés auprès de l’état civil.
Les associations avaient en parallèle proposé un projet de loi qui, sans être adopté, a nourri le débat. « Tous ces échanges ont fait réfléchir beaucoup de monde. Et même si cela a aussi provoqué des réactions négatives de la part de gens associés à des groupes religieux, je crois que les nouvelles générations ont une attitude beaucoup plus ouverte et positive », estime Elizabeth Hsinyin Lee, qui enseigne les questions de genre à l’Université nationale Tsinghua à Taipei.
« Les choses ont mûri, abonde Victoria Hsu. L’atmosphère générale est devenue plus propice. Les juges sont des êtres humains, ils ont été sensibles à l’air du temps et ont considéré que ces préjugés vis-à-vis des personnes de la communauté LGBT ne sont pas justes. Ils ont d’ailleurs insisté sur cette injustice dans leur décision », poursuit l’avocate et militante.
En devenant le premier pays d’Asie à accepter le mariage gay, Taïwan s’impose sur le devant de la scène. Et ce à un moment où la Chine, furieuse de la victoire à l’élection présidentielle de 2016 de Tsai Ing-wen avec la promesse de se distancier du continent, multiplie les pressions à l’égard de l’île. Taipei, considéré par Pékin comme une province destinée à revenir dans le giron chinois, n’a ainsi pas été convié à l’assemblée de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui se tient à Genève du 22 au 31 mai. « La loi doit protéger le droit des individus au mariage et le droit à l’égalité » a souligné Mme Tsai mercredi.
« Le fait que, cette même semaine, Taïwan soit exclue de l’assemblée mondiale de l’OMS sur pression de la Chine donne du poids à cette décision souveraine. Cela montre de manière nette et sans agressivité que Taïwan est un pays », a réagi Pierre-Yves Baubry, observateur français de la société et des médias taïwanais à Taipei.
L’avancée est singulière dans une région particulièrement conservatrice sur la vision de la famille. En Chine populaire, nombre de jeunes homosexuels préfèrent se faire discrets par crainte de décevoir leur famille. En Corée du Sud, le nouveau président, Moon Jae-in, a dit en campagne son « opposition » à l’homosexualité. En Indonésie, la police a placé en détention 141 personnes après une descente dans un sauna gay du nord de Djakarta, le 21 mai, et deux homosexuels ont reçu 83 coups de rotin chacun, dans la province d’Aceh, mardi.
« On nous regarde dans le monde sinophone, mais aussi en Corée du Sud et au Japon. Nous avons reçu des messages de partout, même venant du Kenya, se félicite Wayne Lin. On considère souvent que le mariage pour tous ne peut concerner que l’Occident. Taïwan prouve aujourd’hui que c’est faux. »
Des militants LGBT montrent leur joie en agitant leur téléphone portable aux couleurs de l’arc-en-ciel à Taipei, le 24 mai.
Harold Thibault et Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)