« L’Inde s’était émue de l’incursion de la Chine dans son pré-carré stratégique. Le nouveau président a bien pris compte de cette situation géostratégique, qui peut être mise au profit des Maldives, en rappelant que les bonnes relations avec l’Inde devaient être restaurées, mais qu’en même temps il ne s’agissait pas d’envoyer par les flots les relations qui ont été tissées avec la Chine, pour le bien du développement national. » Olivier Guillard
Certains journalistes imaginaient une « farce », l’opposition dénonçait à l’avance un « vol » ; une perquisition de la police et des arrestations au QG de l’opposition la veille étaient de mauvais augure ; finalement le président Abdulla Yameen quitte le pouvoir par les urnes, avec même pas la moitié des voix 41 %. Les 89,2 % de participation sont un message clair contre son mandat, et en faveur du Parti Démocratique des Maldives de l’outsider Ibrahim Solih. Ce changement est donc autant une victoire de l’opposition que l’abdication d’un autocrate.
L’archipel toujours en plein essor touristique était soudain apparu plus austère à la faveur de la crise politique du début d’année, la reprise en main de la Cour Suprême, les arrestations dans les rangs de l’opposition et les 45 jours d’état d’urgence décrété par Abdulla Yameen. La loi électorale avait été modifiée en faveur du pouvoir, il avait mené pour sa campagne pas moins de 68 déplacements en 3 mois ; mais les pressions internationales et internes sont devenues trop fortes pour le président à la légitimité douteuse depuis son élection en 2013 lors d’un scrutin annulé puis rejoué.
Carte des Maldives et présentation du candidat de l’opposition Ibrahim Mohamed Solih, vainqueur des élections, et du président sortant Abdulla Yameen • Crédits : AFP
Abdulla Yameen et Ibrahim Solih ont tous les deux annoncés une « transition en douceur ». Pour le nouveau président l’enjeu sera au moins double : D’une part il devra assurer le retour à d’un ordre démocratique à la dérive depuis un coup d’Etat en 2016.
D’autre part il lui faudra préciser l’orientation géopolitique d’un archipel de 350 000 habitants et 1200 îles, vigie de l’Océan Indien, dont le parrainage est convoité par les deux grands rivaux asiatiques, la Chine et l’Inde. Le Nord de l’archipel est à 700 km du sous-continent indien, son parrain historique ; l’ensemble est situé en plein sur la Route de la Soie maritime chinoise, face au Sri Lanka ou Pékin vient d’obtenir une concession de 99 ans pour un port en eaux profondes.
« Pour la Chine, sa présence dans l’Océan Indien est une nécessité et le Sri Lanka voisin en a fait les frais très récemment. La Chine a besoin de pays amis situés sur la voie de son commerce maritime mondial. Mais stratégiquement, avoir une présence à moins de 1000 km de l’Inde lui permet d’avoir un mot à dire sur ce qui se passe dans la région d’un point de vue strictement « réflexe de défense ». » Olivier Guillard
Ces dernières années Yameen s’était rapproché de la Chine, un traité de libre échange a été conclu l’année dernière. Cependant, les Maldives souffrent d’une solvabilité fragile et les investissements chinois attendraient 80 % de la dette de l’archipel. Comme beaucoup de pays-étapes ou bénéficiares des Nouvelles Routes de la Soie, le risque d’un « piège de la dette » se pose. Ibrahim Mohamed Solih a promis d’infléchir cette attitude mais il ne pourra pas rompre radicalement. L’Inde, elle, s’est empressée de féliciter « de tout cœur » le nouveau président.
S’il s’agit d’un retournement politique, assistera-t-on aussi à un pivot géopolitique ?
Olivier Guillard, directeur de recherche Asie à l’IRIS, directeur de l’information chez CRISIS24.
• France culture. Les Enjeux internationaux. 25/09/2018 :
https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/maldives-victoire-de-lopposition-et-basculement-geopolitique
Le candidat pro-démocratie remporte les élections aux Maldives
Ibrahim Mohamed Solih a obtenu 58,3 % au premier tour du scrutin présidentiel organisé dans l’archipel, battant le président sortant, le conservateur Abdulla Yameen, connu pour ses positions pro-Pékin.
Le gouvernement des Maldives a reconnu lundi 24 septembre la victoire surprise du candidat de l’opposition Ibrahim Mohamed Solih, dit « Ibu », 56 ans, face à l’homme fort du pays, Abdulla Yameen. M. Solih a remporté 58,3 % des voix lors du scrutin présidentiel qui s’est déroulé la veille, avec un taux de participation de 89,2 % - selon des résultats provisoires. Les résultats définitifs ne seront toutefois annoncés que dans sept jours. Les Maldives sont une micronation de l’océan Indien d’environ 340 000 habitants.
Malgré les craintes exprimées par l’opposition, depuis dimanche, d’un coup de force de la part du président sortant, celui-ci a publiquement accepté sa défaite lundi à la télévision d’Etat. « Je sais que je dois me retirer maintenant », a-t-il déclaré. M. Yameen reste président jusqu’en novembre.
« Le ralliement de Maumoon Abdul Gayoom a été décisif »
Pour Abdulla Yameen, le résultat du scrutin est une claque : élu en 2013 avec une très faible marge au second tour sur son rival d’alors, Mohamed Nasheed, il a durant son mandat emprisonné ou forcé à l’exil ses prédécesseurs, dont M. Nasheed, ainsi que deux vice-présidents et des juges de la Cour suprême.
En février dernier, il avait imposé quarante-cinq jours d’état d’urgence pour forcer la plus haute juridiction, qui avait osé casser les condamnations litigieuses d’opposants, à revenir sur sa décision. Il avait ensuite ordonné l’arrestation de son demi-frère, l’ex-dictateur (1978-2008) Maumoon Abdul Gayoom, qui a rejoint l’opposition depuis la prison. L’homme fort des Maldives a fini par faire l’unanimité contre lui, faisant grossir la coalition de forces rassemblée sous l’égide du PDM. « Le ralliement de Maumoon Abdul Gayoom a été décisif, il a entraîné avec lui sa faction au sein du parti au pouvoir, le Parti progressiste des Maldives [PPM] », explique la chercheuse Gulbin Sultana, spécialiste des Maldives à l’Institute for Defense Studies and Analyses à New Delhi. « Solih était populaire, mais tout le monde craignait que les élections seraient truquées. Or, l’opposition a su faire beaucoup de tapage sur les réseaux sociaux, ce qui a mis sous pression la commission électorale », analyse-t-elle.
L’opposition a fait campagne sur un projet de justice transitionnelle qui prévoit la libération des prisonniers politiques et l’adoption d’une loi pour protéger les lanceurs d’alerte. Forcé de quitter le pouvoir en 2012 lors d’une crise qu’il a qualifiée de « coup d’Etat », M. Nasheed avait été condamné à treize ans de prison en 2015 pour terrorisme à la suite d’un procès jugé inéquitable par les Nations unies. Cette année, il faisait partie des opposants dont la condamnation avait été déclarée invalide par la Cour suprême en février, avant que l’arrestation de deux de ses juges ne remette en question cette décision et son dernier espoir de pouvoir se qualifier pour les élections de septembre.
Risque de défaut de paiement
Abdulla Yameen était critiqué par les organisations des droits de l’homme pour avoir attisé un courant islamo-conservateur dans la société des Maldives, tout en jetant derrière les barreaux les critiques du régime. Un journaliste avait mystérieusement disparu en 2014. Puis un blogueur connu pour ses satires avait été assassiné dans sa cage d’escalier par des islamistes radicaux.
Sur le front extérieur, Abdulla Yameen a été l’artisan d’un rapprochement spectaculaire de son petit pays traditionnellement allié à l’Inde avec la Chine. En 2016, il avait sorti les Maldives du Commonwealth au motif d’interférences dans les affaires intérieures. La Chine a massivement investi sous son règne, finançant notamment un nouvel aéroport. Au point que le Center for Global Development (CGDEV) estimait dans un rapport publié en mars que les Maldives faisaient partie de huit Etats dans le monde susceptibles de se retrouver en défaut de paiement en raison de l’endettement contracté auprès de Pékin.
L’extension aux Maldives des « nouvelles routes de la soie » du président chinois Xi Jinping pose un dilemme géostratégique à l’Inde. L’accord entre la Chine et les Maldives sur la construction d’une station d’observation océanique conjointe a notamment fait grand bruit, suscitant des spéculations sur une utilisation militaire. Pour la chercheuse indienne Gulbin Sultana, la victoire de l’opposition pourrait signaler une prise de distance vis-à-vis de la Chine, même si elle ne devrait pas menacer frontalement la présence chinoise. « M. Solih a déclaré qu’il était en faveur du développement, et qu’il ne remettrait pas en cause les projets d’infrastructures déjà signés, sans quoi il y aurait d’énormes compensations à payer comme pour le Sri Lanka. Il veut surtout plus de transparence », estime-t-elle. En revanche, il va « réorienter sa politique étrangère de façon à entretenir de bonnes relations avec l’Inde, les Etats-Unis et l’Union européenne ».
Brice Pedroletti
• Le Monde avec AFP Publié le 23 septembre 2018 à 22h23 - Mis à jour le 24 septembre 2018 à 16h20 :
https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/09/23/maldives-le-leader-de-l-opposition-revendique-la-victoire-a-l-election-presidentielle_5359124_3216.html