L’escalade de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, si elle devait s’amplifier, aura des conséquences ruineuses pour les deux parties. Mais c’est le reste du monde qui en paiera le prix fort.
Les tensions bilatérales ont déjà contribué à un découplage économique ressenti dans l’ensemble de l’économie mondiale. Il n’est pas difficile d’imaginer un monde divisé en deux blocs commerciaux, chacun centré sur une superpuisssance. Les échanges commerciaux se poursuivraient, ou même se développeraient, au sein de chaque bloc, mais il y aurait peu, ou pas, d’échanges entre eux.
Le système financier mondial se désagrégerait également. L’administration du président américain Donald Trump a déjà démontré à quel point les Etats-Unis peuvent affaiblir leurs ennemis (l’Iran par exemple) en leur imposant des sanctions qui les privent de l’accès au système de paiement international, libellé en dollars. Les adversaires stratégiques des Etats-Unis, la Chine et la Russie – et même leur allié, l’Union européenne – envisagent déjà d’utiliser d’autres devises afin de se prémunir contre les risques futurs.
Des normes concurrentes et incompatibles
Une telle fragmentation économique, couplée aux fortes tensions géopolitiques qu’implique une guerre froide, aurait un effet dévastateur sur le secteur mondial de la technologie. Les restrictions sur les échanges et les transferts de technologies, « justifiées » par des raisons de sécurité nationale, donneraient naissance à des normes concurrentes et incompatibles. L’Internet serait également divisé en domaines concurrents. L’innovation en souffrirait, avec des coûts de production plus élevés et une adoption plus lente de produits de qualité inférieure.
Les chaînes d’approvisionnement mondiales seraient les premières victimes de cette fragmentation. Pour éviter d’être frappées par les droits de douane américains, les entreprises fabriquant ou assemblant en Chine des produits à destination des Etats-Unis seraient obligées de délocaliser la production vers d’autres pays, sans doute en Asie du Sud et du Sud-Est. La Chine étant au centre des chaînes mondiales de production, une telle vague de délocalisations aurait des effets profondément perturbateurs, car aucun pays ne peut rivaliser avec la Chine en termes d’infrastructures, de base industrielle, de volume et de compétences de la main-d’œuvre.
Ces conséquences économiques, aussi terribles soient-elles, paraîtraient dérisoires par rapport à un autre effet de ce conflit : l’absence d’action décisive pour limiter les effets du changement climatique.
Dernière chance de l’humanité
La Chine est le premier émetteur mondial de dioxyde de carbone, avec 9 milliards de tonnes par an. Les Etats-Unis arrivent en deuxième position, avec presque 5 milliards de tonnes de CO2 par an. Si les deux pays, qui représentent ensemble 38 % des émissions annuelles mondiales, ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente pour lutter contre le réchauffement, l’humanité passera à côté de la dernière chance d’éviter un dérèglement climatique catastrophique.
Une guerre froide sino-américaine augmente cette probabilité. Les Etats-Unis exigeront de la Chine qu’elle réduise drastiquement ses émissions, la Chine répondra que les Etats-Unis portent une plus grande responsabilité, en émissions cumulées et par habitant. Les négociations internationales sur le climat, déjà prodigieusement difficiles, se retrouveront dans une impasse.
L’un des espoirs de l’humanité réside dans l’innovation technologique dans le domaine des énergies renouvelables. Mais ces progrès dépendent des flux transfrontaliers de technologies, et de la capacité unique de la Chine à en accroître rapidement la production et à en réduire les coûts. Une guerre froide économique rendrait la possibilité d’une solution technologique, déjà hasardeuse, totalement utopique. Et la plus grande menace existentielle que l’humanité ait jamais connue deviendrait une réalité.
Minxin Pei, professeur de sciences politiques