Grâce aux progrès de la biologie moléculaire qui offre de nouvelles cibles thérapeutiques, les médicaments innovants du cancer se multiplient depuis quelques années. Générateurs pour certains de progrès majeurs et offrant aux malades l’espoir d’une survie plus longue et en meilleure santé, ces nouveaux médicaments apparaissent sur le marché à des prix qui ont subi une augmentation exponentielle et deviennent exorbitants. Ainsi, aux Etats-Unis, la quasi-totalité de ces innovations thérapeutiques coûtent plus de 120 000 dollars (103 000 euros) par an et par malade, contre 10 000 dollars il y une vingtaine d’années.
Il serait logique que, comme par le passé, le prix d’un nouveau médicament soit déterminé en fonction des investissements de recherche et développement (R&D) engagés par les industriels. Paradoxalement, les prix explosent alors que la recherche est le plus souvent faite par des structures académiques financées par des fonds publics, et que le développement permettant la mise sur le marché est de plus en plus rapide, après des essais cliniques portant sur un nombre limité de patients. Aujourd’hui, les dépenses de R&D correspondent en moyenne à moins de 15 % du chiffre d’affaires des laboratoires, alors que plus de 25 % sont alloués au marketing et que les marges bénéficiaires excèdent 20 %.
Une politique de marketing et de lobbying
Ne pouvant plus justifier cette envolée des prix par leurs dépenses de R&D, l’industrie pharmaceutique argue maintenant de la qualité du service médical rendu comme prétexte à leurs exigences financières. Mais, outre que certaines de ces innovations n’offrent pas aux malades de réels progrès, on peut se demander si des progrès même exceptionnels pourraient justifier de telles exigences financières. Si le prix du vaccin contre la poliomyélite, apparu au milieu des années 1950, avait été défini à l’aune de son remarquable service médical rendu, il n’est pas certain que la poliomyélite aurait cessé aujourd’hui de toucher nos compatriotes.
En réalité le prix des innovations thérapeutiques du cancer est essentiellement déterminé par l’idée que l’industrie se fait de la solvabilité du marché. Ainsi, le laboratoire Novartis a augmenté en une douzaine d’années le prix du Glivec aux Etats-Unis de 30 000 à 90 000 dollars par malade et par an, uniquement parce qu’il a considéré que le marché américain était capable de tolérer une telle inflation.
« UN MARKETING ÉNERGIQUE AUPRÈS DES MÉDECINS PRESCRIPTEURS A FAIT PASSER LES DÉPENSES MONDIALES DE TASIGNA DE 300 MILLIONS DE DOLLARS PAR AN À 2 MILLIARDS EN 2017. »
L’arrivée de génériques ne permet pas de limiter significativement ces dépenses indues. La durée de l’exclusivité après la mise sur le marché est d’une quinzaine d’années avant que le produit puisse être génériqué. De plus, lors de l’arrivée d’un générique, l’industriel adopte une politique de marketing et de lobbying qui lui permet souvent de remplacer un produit génériqué par un autre qui ne l’est pas encore. Par exemple le Glivec était indiqué en première ligne dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique et rapportait jusqu’à 4,5 milliards de dollars par an au laboratoire Novartis avant d’être génériqué en 2015.
Le Tasigna plus cher et produit par le même laboratoire était autorisé à la prescription dans la même maladie en deuxième ligne, pour un nombre restreint de malades, en cas d’intolérance ou de résistance au Glivec. Alors qu’en dehors de ces situations particulières le Tasigna n’offre pas d’avantage notable par rapport au Glivec, il a cependant été possible à Novartis, grâce un lobbying efficace, d’obtenir pour le Tasigna une autorisation de prescription en première ligne. Puis un marketing énergique auprès des médecins prescripteurs a fait passer les dépenses mondiales en Tasigna de 300 millions de dollars par an à un milliard dès 2015, puis 2 milliards en 2017.
Retours sur investissements élevés
Depuis 2013 les médecins américains spécialistes du cancer ont, par de multiples articles et pétitions, manifesté leur émotion devant la situation de plusieurs dizaines de millions de leurs compatriotes qui, pour des raisons financières, ne peuvent bénéficier de ces nouveaux traitements. En Grande-Bretagne certains produits efficaces, largement utilisés en France, ne sont plus remboursés. Nous avons la chance en France de bénéficier d’un régime de santé solidaire qui semble nous mette à l’abri de ce type de problème, mais pour combien de temps encore ? L’inquiétude devant cette situation a justifié la mobilisation de 110 professeurs des universités, cancérologues et hématologues qui ont signé en 2016 une tribune dans Le Figaro. Plusieurs campagnes sur le même thème ont également été menées, entre autres par la Ligue contre le cancer et Médecins du monde.
Pour couronner le tout un certain nombre de vieux médicaments du cancer, encore très largement utilisés parce que très efficaces et jusqu’alors peu coûteux, font l’objet de périodes de rupture d’approvisionnement pour réapparaître ensuite sur le marché à des prix qui explosent alourdissant d’autant les charges de la Sécurité sociale.
Les patients n’ont pas choisi d’être malades, ce ne sont pas de simples consommateurs et les médicaments qu’ils sont contraints de prendre ne sont pas des produits de consommation comme les autres. L’industrie pharmaceutique se doit donc d’être une industrie particulièrement éthique. Or, force est de constater qu’elle se comporte comme n’importe quelle industrie, préoccupée principalement par sa rentabilité financière. Pour preuve citons le palmarès des activités les plus rentables pour les actionnaires aux Etats-Unis publié par la revue financière Forbes en 2015. Il révèle que l’industrie pharmaceutique arrive très largement en tête loin devant la finance, l’informatique, la communication… N’est-il pas difficile d’accepter que ce soit la maladie de certains, payée en grande partie par la solidarité publique, qui génère les meilleurs retours sur investissement pour les actionnaires ?
Alain Astier (Professeur honoraire de pharmacie), André Grimaldi (Professeur émérite d’endocrinologie) et Jean-Paul Vernant (Professeur émérite d’hématologie)
Alain Astier et André Grimaldi déclarent avoir donné des conférences pour le compte de l’industrie pharmaceutique. Jean-Paul Vernant ne déclare aucun lien avec l’industrie pharmaceutique.