Une quinzaine de perquisitions ont été organisées mardi 16 octobre 2018 dans le périmètre politique du mouvement La France Insoumise, notamment dans les locaux nationaux de LFI et du Parti de gauche ou au domicile de Jean-Luc Mélenchon. Ces perquisitions ont été réalisées par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, dans le cadre de deux enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet de Paris, l’une visant de présumés emplois fictifs d’assistants parlementaires européens, l’autre portant sur des soupçons d’irrégularité des comptes de la campagne présidentielle 2017 de Jean-Luc Mélenchon.
Les réactions de Jean-Luc Mélenchon à cette occasion - quoi que l’on pense des procédures en cours et de l’inégalité de traitement avec la macronsphère - ont révélé, pour certains, ou confirmé, pour d’autres, un « côté obscur de la force » chez le leader insoumis. Cette face sombre cadre mal avec les espoirs de rénovation radicalement démocratique qu’a pu porter sa candidature présidentielle de 2017 (et déjà celle de 2012). Et il signale des écarts inquiétants avec l’horizon d’émancipation politique et sociale, indissociablement individuelle et collective, incarnée largement par la gauche depuis le XVIIIe siècle.
Revenons sur quelques points saillants de ces réactions.
« Ma personne est sacrée »
[ Vidéo non reproduite ici – © Actualité 24]
« Personne ne me touche. Ma personne est sacrée. Je suis parlementaire. », avance paradoxalement le tenant d’une VIe république supposée déprésidentialisée. » Et d’ajouter dans la foulée : « Voilà c’est moi Mélenchon avec une écharpe tricolore. » Le leader Insoumis donne ainsi une sacralité à la fonction de représentant de la République, dans la continuité de l’histoire monarchique. « Ce parfum d’Ancien régime s’incrustait curieusement », note avec justesse Antoine Perraud sur Mediapart [voir ci-dessous]. Cette sacralité républicaine à connotations monarchistes semble hésiter entre une sacralité collective (les parlementaires dans leur ensemble) et une sacralité narcissique (« ma personne », « je suis », « moi Mélenchon »…), qui tire vers une mégalo autoritaire et ridicule, nettement moins sympathique que « la mégalo » de « la fille menthe à l’eau » d’Eddy Mitchell ! Elle fait alors craindre la prétention, pour un membre de l’élite politicienne, « d’être intouchable », selon les mots de Fabrice Arfi sur Mediapart.
Si l’on rompait radicalement avec les régimes représentatifs professionnalisés à tendances oligarchiques actuels pour vraiment entrer dans un âge démocratique, est-ce que cela ne serait pas à l’exercice de la citoyenneté, à un niveau individuel, et aux délibérations de l’ensemble des citoyens, le peuple, à un niveau collectif, d’être dotées d’une sacralité laïque ; les représentants, pourvus de mandats uniques non renouvelables et contrôlés de manière continue, constituant des éléments seconds au service de la démocratie ? Par contre, un slogan comme « Les politiciens professionnels d’abord ! » (que l’on peut dériver de l’attitude de Jean-Luc Mélenchon), cela a nettement un parfum suranné de vieille politique oligarchique. Ce n’est guère étonnant pour une personne comme Jean-Luc Mélenchon dont la profession principale depuis plus de 40 ans est d’être un politicien. Les évidences politiciennes se sont coagulées de manière non-consciente au cours du temps dans ce que Pierre Bourdieu appelait un habitus, doté d’une inertie par rapport aux désirs présents d’insoumission. Bref le leader insoumis n’apparaît guère favorable en pratique à l’émancipation politique vis-à-vis des chefs. Limiter les pouvoirs de l’oligarchie économique et financière ? Oui, mais dans la préservation du statut de l’oligarchie politique…surtout si elle est un jour constituée de dirigeants insoumis !
« La République, c’est moi ! »
[Vidéo non reproduite ici – Mélenchon : « La République, c’est moi ! » © TANRESI CENSUREEparDesFDP]
« La République, c’est moi. C’est moi qui suis parlementaire. », éructe ici le chef insoumis. Entre un plus modeste « je suis une composante élue de la République » et le mégalo « la République, c’est moi ! », il y a un écart significatif. La seconde formule préférée par Jean-Luc Mélenchon tend vers la fusion narcissique de sa personne et de la République. Ce « moi la République », comme dans d’autres déclarations passées son « moi le peuple », crée une sorte de monopole de la « vraie » République (et du « vrai » peuple) au profit du Sauveur suprême autoproclamé. Ce qui rend difficile l’exercice de la critique, pourtant indispensable à un débat démocratique pluraliste, car toute critique visant Jean-Luc Mélenchon lui-même est alors interprétée comme une mise en cause de la République et du peuple dans leur ensemble.
« Tu ne me coupes pas »…la bonne femme ou #MeToo à l’envers
[Vidéo non reproduite ici – Mélenchon : « on t’a pas demandé ton avis » à Muriel Ressiguier © Gloire à Mélenchon]
Muriel Ressiguier, députée insoumise de l’Hérault, lance : « C’est des méthodes de voyous ». On ne sait pas très clairement si c’est la police ou ses amis insoumis qui tentent de défoncer la porte de leur propre local qu’elle vise. Jean-Luc Mélenchon opte, dans les précipitations de l’action, pour la deuxième interprétation et lui rétorque peu amène : « Ca va toi. On t’a pas demandé ton avis » et de renchérir peu après : « Si c’est pour faire ça, c’est pas la peine. Tu ne me coupes pas ! »
On en sait donc un peu plus sur la fameuse sacralité républicaine de Jean-Luc Mélenchon : elle appartient davantage au « moi Mélenchon » qu’aux parlementaires en général. En tout cas, il semble y avoir une hiérarchie dans la sacralité : en haut le Mâle Suprême et tout en bas…les femmes. Car c’est déjà désagréable pour un Esprit Supérieur (masculin, bien sûr !) d’être « coupé », mais en plus si c’est par une bonne femme ! Et qui parle à tort et à travers (comme souvent les bonnes femmes !), sans qu’on lui ait « demandé son avis ». L’émancipation des hommes insoumis ? Oui, surtout s’ils sont chefs. L’émancipation des femmes ? Il faudra repasser plus tard…Elles ne sont pas assez mûres pour cela…même chez les députés insoumis.
Il apparaît étonnant que cette scène sexiste ait aussi peu attiré l’œil des commentateurs à l’époque de #MeToo. Comme si le machisme constitutif de la politique dominante (y compris insoumise) était quelque chose de « naturel », de « normal »…
« Une énorme opération de police politique »
[Vidéo non reproduite ici – Perquisitions : « une opération de police politique » dit Mélenchon © AFP LP]
Jean-Luc Mélenchon vise ici « une énorme opération de police politique ». Et il ajoute : « Il y a juste une volonté de salir. Monsieur Macron est un petit personnage et sa bande de ministres de la même nature. », puis « C’est une volonté de leur part de nous intimider, de criminaliser notre action politique. » Le communiqué de presse de LFI du 16 octobre publié sur son site est titré, en un sens analogue : « Un coup de force policier, judiciaire et politique contre Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise ».
Ce sont des marécages conspirationnistes qu’empruntent ici Jean-Luc Mélenchon et LFI pour se placer au cœur du jeu politique, puisque le Pouvoir les constituerait comme cibles principales. Au passage le « moi Mélenchon » prend un peu plus de surface encore. Ce faisant, Jean-Luc Mélenchon et LFI donnent de la légitimité à des schémas conspirationnistes particulièrement périlleux dans la période. Ainsi il n’y aurait pas dans la vie sociale et politique une autonomie et une inertie des règles et des procédures, il n’y aurait pas des temporalités décalées en fonction des secteurs concernés, il n’y aurait pas une pluralité d’acteurs non complètement coordonnées par une instance unique, il n’y aurait pas d’aléas, il n’y aurait pas de contradictions entre les différents niveaux étatiques. Tout serait sous le contrôle direct et implacable d’une volonté unique cachée, comme dans un James Bond. Dans ce cas, le siège du SPECTRE serait à l’Elysée… Or les théories du complot sont aujourd’hui en train de prendre la main, sur internet et dans les réseaux sociaux, sur la critique sociale, en remplaçant la critique des logiques structurelles d’inégalité, de domination et de discrimination, d’inspiration marxiste, anarchiste et/ou issue des sciences sociales contemporaines, par la focalisation sur les supposées manipulations cachées propres à quelques individus puissants. Les séries Z d’Hollywood remplacent Proudhon, Marx ou Bourdieu. L’extrême droite est en pointe dans ce mouvement (les Eric Zemmour, Alain Soral, Renaud Camus, Jean-Yves Le Gallou, Marine Le Pen…) qui bénéficie principalement à l’air du temps ultra-conservateur. Marine Le Pen a d’ailleurs avancé sur Twitter une défense à tonalités conspirationnistes de LFI après les récentes perquisitions :
« Avec cette pseudo affaire des assistants parlementaires, le pouvoir est donc en possession de tous les contenus, notes, contacts, etc., de tous les téléphones et ordinateurs, sur plusieurs années, des deux partis d’opposition à Emmanuel #Macron, le RN et LFI. »
Dans cette même vidéo, on doit noter un autre passage significatif. Dans l’adresse à la récente ministre de la Justice, Nicole Belloubet, qu’il a connue à l’époque où elle était rectrice (et encartée au PS), Jean-Luc Mélenchon rappelle qu’il a été « son ministre ». Le « moi la République » le conduit donc à mettre en avant sa fonction hiérarchique passée vis-à-vis de la Garde des Sceaux : « Madame Belloubet, Garde des Sceaux, vous devriez avoir honte de ce que vous êtes en train de me faire. Parce que vous m’avez connu comme votre ministre. » Partant, il valorise un peu plus son statut politicien élevé. On est loin de l’association dans la pensée démocratique classique de deux de ses axes principaux : l’autogouvernement de soi, dans un individualisme démocratique pour tous, et l’autogouvernement des peuples. Dans ce cas, on a plutôt l’autopromotion élitiste de l’individualité du seul Chef et l’hétérogouvernement du peuple par le même Chef.
Bye bye la gauche et l’émancipation ?
« Le côté obscur de la force » mélenchoniste tend à gâcher les capacités de l’homme – j’avais relevé sur ce blog qu’il était un des rares politiciens à avoir une intelligence historique d’enjeux politiques importants de la période [1] – et surtout les espoirs collectifs de rénovation de la politique que ses candidatures présidentielles de 2012 et 2017 avaient pu susciter. Les récentes perquisitions auraient pu faire converger des forces de gauche en situation de renaissance autour de la cause commune réformatrice d’une justice délivrée de la tutelle par le Pouvoir politique (voir François Bonnet sur Mediapart). Les réactions de Jean-Luc Mélenchon l’ont rendu beaucoup plus difficile. Les gauches continuent à s’autodétruire. L’ancienne extrême gauche comme les organisations libertaires (dont mon organisation, la Fédération Anarchiste) contribuent à leur propre marginalisation politique et ne constituent pas une alternative crédible à cette pente fatale. Les notions de gauche et d’émancipation pourraient prochainement devenir de simples objets folkloriques. Car il n’y a pas de nécessité en histoire, et ce qui est né au XVIIIe siècle peut bien dépérir aujourd’hui. Il reste, comme appuis à l’espérance, les engagements associatifs locaux, les luttes syndicales, les ZAD et autres expériences alternatives, l’économie sociale et solidaire, la dialectique des attentes et des déceptions citoyennes, en particulier parmi ces sympathisants de gauche qui rêvent encore d’autres gauches possibles et que j’appelle « la gauche mélancolique »… et les outils des pensées critiques, notamment en sciences sociales et en philosophie.
Philippe Corcuff
• « Sacré Mélenchon : de l’autodestruction des gauches à #MeToo à l’envers ». MEDIAPART. BLOG DE PHILIPPE CORCUFF BLOG : QUAND L’HIPPOPOTAME S’EMMÊLE... 19 OCT. 2018 :
https://blogs.mediapart.fr/philippe-corcuff/blog/191018/sacre-melenchon-de-l-autodestruction-des-gauches-metoo-l-envers
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Mélenchon et les perquisitions : le leader insoumis pris aux mots
La sémiotique a cassé des briques sur le dos de Jean-Luc Mélenchon. Croyant se servir de l’image sans imaginer l’effet boomerang d’une prise de vue née dans la fureur, la figure iconique de La France insoumise s’est desservie de la pire façon.
Certes, il y a le rôle fâcheux du parquet en notre étrange pays (lire le parti pris de François Bonnet [2]). Assurément, la force publique s’arrête à la porte close de Benalla mais franchit le seuil de La France insoumise. Naturellement, la justice semble céder à une sorte de « deux poids deux mesures » en perquisitionnant les locaux de LFI tout en épargnant ceux de LREM, en dépit des soupçons pesant sur le financement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Bien sûr, enfin, qu’une fouille intrusive au petit matin chez soi apparaît intolérable, et pas seulement aux défenseurs patentés de la propriété privée. Néanmoins, Jean-Luc Mélenchon a perdu une occasion de se taire : qui vivra par la vidéo périra par la vidéo.
Qu’il s’agisse de la séquence tournée par lui, avec lui et en lui (dans son appartement), ou bien de la captation audiovisuelle réalisée par des caméras professionnelles (au siège de LFI) : les protestations de M. Mélenchon se sont avérées incongrues et impolitiques. Comme si, sous le coup de l’émotion et de l’hypertension, se télescopaient dans la bouche du politicien deux références contradictoires : d’une part Mirabeau lançant le 23 juin 1789 son fameux « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes ! », d’autre part Louis XIV lâchant le 13 avril 1655 « L’État c’est moi ! » – devenant « La République c’est moi ! » 363 ans plus tard.
Ce parfum d’Ancien Régime s’incrustait curieusement. Revenait l’impression lancinante qu’un talon rouge, c’est-à-dire un privilégié de la haute – fût-ce au nom d’un parti à la gauche de la gauche –, ne supportait pas d’être traité comme tout le monde. D’où cette remarque chuchotée, à propos de policiers soudain ravalés au rang de manants par le maître de céans parlant tel un seigneur : « Les pauvres gars, ils font leur métier à la noix. » Peut-on être à la fois Che Jean-Luc et marquis de Mélenchon ?
Autre télescopage continuel : la première personne du singulier et la première personne du pluriel : « Ne nous laissons pas intimider. Je n’ai pas peur. Nous n’aurons jamais peur. » Il apparaît cependant, à l’écoute attentive de ce qui fut filmé, que le « nous » vient continuellement en renfort du « je », pour l’épauler, le seconder, l’assister, le servir.
Le moi, qui devrait être haïssable quand on promet un affranchissement collectif à rebours du culte des hommes providentiels, ce moi hante la rhétorique rageuse de Jean-Luc Mélenchon, tel un spectre impensé. Les vidéos renvoient l’image d’une sorte de tout à l’ego doublé d’un possessif effréné (tout ce qu’il ne nous faudrait surtout pas au sommet de la Ve République, si pousse-au-crime en la matière !)…
Chez lui [3], M. Mélenchon, outragé, dit : « Vous me trouvez une drôle de tête, c’est parce que je fais l’objet d’une perquisition depuis 7 heures du matin chez moi (...) Vous voyez ma maison ? Ceci est mon euh toute ma maison est remplie de gens (...) Me touchez pas, Monsieur, vous n’avez pas le droit de me toucher. Personne ne me touche, ma personne est sacrée, je suis parlementaire. Pour vous faire bien comprendre qui je suis – mets-moi ça –, c’est moi Mélenchon, avec mon écharpe tricolore. Je n’ai peur de personne (...) On a pris mon téléphone – et on l’a fouillé –, mon ordinateur : j’espère que vous ne m’avez pas écrit des lettres d’amour, parce que dans ce cas, maintenant… »
Au siège de LFI (vidéos sur le site de Libération à voir ici), M. Mélenchon, brisé, affirme : « Ne me touchez pas, vous m’empêchez d’entrer dans mon local ! Vous savez à qui vous parlez ? Vous savez qui je suis ? Je ne représente rien pour vous : ça n’a pas de sens ! (...) Je vous prends dans mes bras parce que j’ai l’amour, là. »
Au procureur qui lui réplique « c’est la loi », M. Mélenchon, martyrisé, assène : « Je suis le président d’un groupe d’opposition, vous n’avez pas à me traiter de cette manière-là. Je n’ai pas volé de cigarettes. Je ne trafique pas. (...) Dix personnes ont essayé de m’assassiner. Je n’ai jamais bénéficié d’aucune protection. Et maintenant vous arrivez dans mon local à plus de vingt pour m’empêcher d’y entrer. »
Last but not least, Jean-Luc Mélenchon, toujours face au procureur, prononce cette phrase terrible : « C’est nous qui la votons, la loi, ce n’est pas vous ! » Sous le coup de l’émotion, l’homme politique en arrive alors à nier la séparation des pouvoirs et l’esprit des lois. Il illustre, à son corps défendant et à ses dépens, le précepte de Montesquieu qu’il retourne contre lui, de par son hubris courroucée : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. »
Antoine Perraud
• MEDIAPART. 17 OCTOBRE 2018 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/171018/melenchon-et-les-perquisitions-le-leader-insoumis-pris-aux-mots
Perquisitionné, Jean-Luc Mélenchon tord les faits et la République
Ce qui s’est passé, mardi 16 octobre, n’est pas un épiphénomène de plus dans la longue liste des coups d’éclat de Jean-Luc Mélenchon. La mise en scène insoumise autour des perquisitions qui ont visé le parti politique est grave. Il serait dangereux d’avoir à s’y habituer venant d’hommes et de femmes politiques qui font l’objet d’une enquête judiciaire.
Voici la scène. Une escouade de policiers anticorruption débarque, sous la présidence de François Hollande, chez Nicolas Sarkozy. Dans le même temps, le siège des Républicains est perquisitionné, à l’instar des domiciles de plusieurs proches de l’ancien président. Le visage déformé par la fureur, Nicolas Sarkozy déboule dans les locaux du parti qu’il dirige et pousse sans ménagement des deux mains un procureur venu superviser les opérations.
Il crie. « La République, c’est moi ! » Il provoque un policier impassible, se colle nez à nez à lui. Il hurle. « Ma personne est sacrée ! » Derrière lui, ses plus fidèles soutiens opinent du chef avec la mine des jours sombres. « C’est une agression politique ! Ce n’est pas du droit ! » Quelques minutes plus tard, dans la rue, il continue de vociférer, mû par la rage. « Je ne suis pas un passant du coin ! »
Tout est filmé par des caméras de télévision qui ont rappliqué dare-dare et par des téléphones portables fébriles.
Problème : cette scène n’existe pas. Du moins pas avec Nicolas Sarkozy, bien que l’ancien président français ait connu son lot de perquisitions, suivies par la suite de nombreuses mises en cause judiciaires (financements libyens, Bygmalion, Bismuth, etc.), et qu’il n’ait jamais été avare d’outrances pour dénoncer une prétendue justice politique le traquant. Il a même comparé un jour la police anticorruption à la Stasi.
En revanche, cette scène a existé telle quelle avec Jean-Luc Mélenchon, le patron de la France insoumise, ancien candidat à la présidence de la République qui se présente aujourd’hui comme le leader du premier parti d’opposition en France.
Visé par deux enquêtes judiciaires distinctes, l’une sur des soupçons de faux assistants parlementaires au Parlement européen et l’autre sur de possibles détournements de fonds pendant la campagne présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon et son parti ont souhaité créer le chaos autour de leurs déboires pour faire diversion.
Mais ce qui s’est passé, mardi 16 octobre, n’est pas un épiphénomène de plus dans la longue liste des coups d’éclat du leader insoumis. La mise en scène de Jean-Luc Mélenchon et des siens autour des perquisitions est grave. Il serait dangereux d’avoir à s’y habituer venant d’hommes et de femmes politiques qui font l’objet d’une enquête judiciaire. La seule insoumission visible, ce 16 octobre, fut celle à un certain esprit de la République.
Car le premier scandale, dans cette séquence, n’est pas un parquet aux ordres, même si le débat est plus que nécessaire, comme l’a rappelé François Bonnet sur Mediapart, mais Jean-Luc Mélenchon lui-même, sa réaction tapageuse et l’aveuglement de ceux qui font cortège à ses arguments.
Depuis deux jours, les fausses nouvelles volent en escadrille. La première d’entre elles consiste à dire, par un habile syllogisme, que les procureurs de la République n’étant pas indépendants en France, la perquisition visant un membre de l’opposition est la preuve d’une justice aux ordres de l’Élysée. CQFD.
C’est pourtant bien plus compliqué que cela. Mais que valent la complexité et la nuance quand il s’agit de s’ériger en martyr ?
Le contexte judiciaire dans lequel ces perquisitions ont eu lieu est en effet un peu particulier. Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis sont visés dans le cadre d’une enquête préliminaire, c’est-à-dire d’investigations placées sous l’autorité directe du procureur de la République, contrairement à une information judiciaire, dirigée, elle, par un juge d’instruction, statutairement indépendant.
Dans une enquête préliminaire, une perquisition – c’est la règle générique – ne peut avoir lieu qu’avec l’assentiment du perquisitionné. Mais il y a une exception, sinon ce serait trop facile : si l’enquête le nécessite – le besoin de surprise et de simultanéité des actes, par exemple –, la perquisition peut avoir lieu sans l’accord des principaux concernés à la seule condition qu’elle ait été validée par… un juge indépendant. En l’occurrence, un juge des libertés et de la détention (JLD) qui, comme un juge d’instruction, n’est pas soumis à une hiérarchie placée sous l’autorité du pouvoir exécutif.
L’argument du procureur tout-puissant et seul responsable des mésaventures judiciaires de Jean-Luc Mélenchon perd de facto en consistance. Et c’est aussi oublier un peu vite le rôle des policiers dans de telles opérations qui ne sont pas que les factotums d’un procureur, lui-même à la botte de l’Élysée.
Une autre contrevérité semble être savamment entretenue depuis plusieurs jours par Jean-Luc Mélenchon et ses amis. Celle-ci consiste à mettre en cause le nouveau procureur de Paris, Rémy Heitz, choisi par le pouvoir exécutif après une affligeante reprise en main voulue par l’Élysée, qui aurait ordonné la vague de perquisitions pour le bon vouloir d’Emmanuel Macron. Problème : Rémy Heitz n’avait pas encore pris ses fonctions ce jour-là… Et c’est son futur prédécesseur, François Molins, qui a fait la démonstration de son indépendance ces dernières années en ouvrant des enquêtes aussi bien sur Jérôme Cahuzac que sur Nicolas Sarkozy, qui était encore en poste.
Évidemment, toutes ces vérités de fait ne peuvent, seules, effacer le débat plus que légitime, essentiel même, sur le problème structurel de la non-indépendance des procureurs en France, comme Mediapart ne cesse de le chroniquer et de le dénoncer depuis dix ans. Et tout particulièrement du rapport incestueux qu’Emmanuel Macron et son premier ministre Édouard Philippe entendent entretenir avec les représentants du parquet.
Les hommes et femmes politiques qui refusent de donner l’indépendance aux procureurs sont les premiers responsables de cette situation délétère. Le cirque des indignations factices commence à se voir comme le nez au milieu de la figure quand, à chaque déboire judiciaire des uns, les autres louent l’indépendance de la justice, mais crient à l’agression politique quand les mêmes sont la cible de la curiosité de la justice. En la matière, Jean-Luc Mélenchon vient de faire comme Marine Le Pen, qui avait fait comme François Fillon, qui avait fait comme Nicolas Sarkozy, etc. Ni plus ni moins.
Pour autant, cette question de la non-indépendance du parquet est, dans le cas des perquisitions visant Jean-Luc Mélenchon, à mettre au second plan. Non seulement les raisonnements par association d’idées du leader insoumis reposent sur du sable, mais les lecteurs de Mediapart sont bien placés pour savoir que l’actuel soupçon judiciaire repose sur des éléments concrets, notamment dans l’affaire du financement de la campagne de 2017. Ceux-ci constituent-ils un délit pénal ? Seule la justice peut le dire et c’est d’ailleurs à cette fin qu’elle tente, tant bien que mal, de mener des perquisitions avant d’auditionner les personnes concernées.
Le drame de ces derniers jours est bien le visage politique qu’a offert Jean-Luc Mélenchon aux citoyens. Ce fut le dévoilement d’un homme qui revendique, en furie, d’être intouchable, qui pense être la République comme jadis Louis XIV l’État, qui assure sans ciller que sa personne est sacrée.
Le patron des Insoumis voudrait faire accroire qu’au nom de la séparation des pouvoirs le représentant du pouvoir parlementaire qu’il est ne pourrait être inquiété de la sorte par la justice. Rien n’est plus faux. Quand Montesquieu théorise en 1748 la séparation des pouvoirs dans L’Esprit des lois, c’est pour éviter précisément l’abus de chaque pouvoir. « Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », écrivait ce père de la nation dans sa maxime célèbre.
En un mot, c’est exactement l’inverse de la position de Jean-Luc Mélenchon. Non, la séparation des pouvoirs, ce n’est pas la liberté donnée à chacun d’entre eux de faire ce qu’il veut à l’abri d’on ne sait quelle espèce d’immunité. M. Mélenchon a beau se penser supérieur à un passant, son statut ne peut empêcher que la justice passe.
Le patron des Insoumis réalise-t-il que, contrairement au scandale qu’il dénonce, il fut traité durant cette vague de perquisitions avec égard et privilège ? N’importe qui se permettrait de pousser un procureur de la sorte, légitimant une forme de violence à l’égard de l’autorité judiciaire et policière, finirait dans la seconde en garde à vue.
Pas Jean-Luc Mélenchon.
Le patron des Insoumis se rend-il compte de la violence symbolique d’un prétendant à la magistrature suprême qui pense pouvoir s’en prendre physiquement à un représentant du ministère public parce qu’il ne supporte pas d’être la cible de l’œil judiciaire ? Que se passera-t-il si un jour il atterrit à l’Élysée ? Qu’arrivera-t-il aux policiers et aux procureurs non soumis, auxquels il n’a d’ailleurs pas prévu de donner une totale indépendance, qui voudront enquêter sur un proche du président Mélenchon ?
La réponse se trouve dans les images du 16 octobre, mais il n’est pas certain que le chef insoumis sera pressé, ce jour-là, de les diffuser sur Facebook et Twitter.
Fabrice Arfi
• MEDIAPART. 18 OCTOBRE 2018 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/181018/perquisitionne-jean-luc-melenchon-tord-les-faits-et-la-republique