A l’heure où nous écrivons, il reste bien peu d’espoir de retrouver des survivant.e.s dans les décombres. Le 8 octobre, les corps de près de 2000 victimes avaient été récupérés dans la ville de Palu (iles des Célèbes) et ses environs. Selon les autorités, quelque 5 000 personnes sont portées disparues. Les parties basses des côtes ont été anéanties [1], au point que le gouvernement envisage de faire de deux localités des environs, Petobo et Balaroa, des lieux de sépultures collectives, et de les laisser en l’état.
L’étendue du désastre est encore inconnue pour ce qui concerne les zones reculées. Les routes sont souvent impraticables. Au moins 200 000 personnes manquent de nourriture, eau potable, carburant, médicaments, tentes… Les victimes ont tout perdu et dépendent de l’aide pour survivre.
Sous le contrôle de l’armée
Le déploiement de l’aide est placé sous le contrôle étroit de l’armée. Trois jours après le séisme, elle a reçu l’ordre du tirer à vue sur les « pillards ». Les secouristes français présents fournissent du matériel, mais n’ont pas le droit de participer directement aux opérations : « l’armée bloque tout. Nous sommes venus livrer du matériel, et nous ne pouvons rien faire d’autre. Pas de missions de sauvetage, pas de tentatives de recherche des survivants parmi les décombres […] Ce qui nous surprend aussi, c’est qu’une semaine seulement après la catastrophe, il ne semble plus y avoir de recherches de survivants. Leurs priorités sont l’accès à l’alimentation, à l’eau, le déblaiement et l’enlèvement des corps, mais nos interlocuteurs ne voient pas l’intérêt de sonder à la recherche de personnes encore vivantes dans un bâtiment détruit. Ce n’est pas ce qu’on a l’habitude de voir, en France ou dans d’autres pays où nous sommes intervenus, où la recherche de survivants peut continuer jusqu’à dix jours après la catastrophe. » [2].
Pourquoi tant de morts ?
Le nombre de morts particulièrement élevé s’explique par la conjugaison de plusieurs facteurs, naturels et humains.
Palu est située au fond d’une baie étroite, en entonnoir, ce qui favorise l’élévation d’un tsunami, la hauteur de la vague ayant probablement atteint les trois mètres. L’agglomération comporte peu de points hauts où se réfugier. Sous le coup du séisme, la terre s’est « liquéfiée », le sol se comportant en effet comme un liquide [3].
Restent les facteurs humains. L’une des principales leçons de cette catastrophe, c’est qu’il n’y a pas une réponse unique au risque de tsunami et qu’une politique de prévention doit inclure un large éventail de moyens, d’organisation et de mesures de préparation de la population.
Il s’avère que réseau indonésien de bouées chargées de détecter les grands tsunamis transocéaniques est en déshérence faute d’entretien à la suite de vols de composants ou de dégradations. Cela sera très couteux au cas où (quand) se répéterait la catastrophe de 2004, qui a frappé toute la région (Thaïlande, Aceh…). Cependant, un tel réseau n’est pas conçu pour des événements de proximité, comme cette fois-ci à Palu, où l’épicentre du glissement de terrain qui a déclenché la vague dévastatrice n’était qu’à 78 km de Palu.
Selon l’Associated Press, des chercheurs travaillent sur un système de détection précoce, adapté à des situations comme celle de Palu, s’appuyant sur des capteurs posés au fond de la mer et des communications par fibre optique. Cependant, ce programme n’a pas bénéficié de financements suffisants pour devenir opérationnel [4].
Les dispositifs d’alerte sont donc aujourd’hui insuffisants.
Par ailleurs, et ce point est particulièrement important, le désastre de Sulawesi démontre l’importance du « dernier kilomètre » de la chaine d’alerte, à savoir la communication entre les autorités locales et la population. Soit il n’y avait pas de sirène d’alarme, soit elles n’ont pas fonctionné. De plus, selon les témoignages, aucune voiture de police équipée de haut-parleurs n’a averti les gens – y compris la foule réunie, ce jour, sur la plage de Palu pour une célébration et qui se retrouvait en situation particulièrement exposée [5].
L’éducation à la prévention s’avère aussi défaillante. Quand son épicentre est proche, et que les délais sont très courts, le tremblement de terre lui-même constitue l’alerte tsunami : si les gens ressentent une secousse durable (plus de soixante secondes), ils doivent se réfugier immédiatement en hauteur. Il n’y a pas eu d’exercices pour préparer la population à réagir correctement dans une telle épreuve, pourtant prévisible et prévue. Facteur aggravant, Palu étant une ville essentiellement plate, lesdites « hauteurs » sont les bâtiments... dont bon nombre se sont effondrés du fait du séisme.
Quelle reconstruction ?
En règle générale, la reconstruction des régions sinistrées après de grandes catastrophes humanitaires se fait au détriment des pauvres et au bénéfice des puissants.
Les pauvres plongent dans la très grande pauvreté. Les puissants profitent de la destruction de villages et de quartiers pour s’emparer de nouvelles terres. Ils utilisent la détresse des populations pour étendre leur clientèle et étendre leur domination politique.
Dans le cas indonésien, l’armée profite aussi de la situation pour renforcer sa mainmise sur la société.
Par ailleurs, une importante communauté chrétienne cohabite avec la majorité musulmane dans cette partie de l’archipel. La tradition laïque est forte dans ce pays, mais les mouvements fondamentalistes, islamo-conservateurs, sont en plein développement et leur influence est dorénavant très importante dans la vie politique.
Des djihadistes indonésiens ont contrôlé un temps, avant d’être délogés par l’armée, une base dans les environs de la municipalité de Poso, à six heures seulement de route de Palu. Par ailleurs, entre décembre 1998 et juin 2000, l’île Célèbes (de son nom ancien) a été « le théâtre de violentes émeutes entre chrétiens et musulmans, déclenchées à tour de rôle par des extrémistes des deux camps. Elles avaient fait un millier de morts » [6].
Le choc de la catastrophe va-t-il nourrir des solidarités, ou au contraire être utilisé par les fondamentalistes pour attiser des divisions intercommunautaires ?
La ceinture de feu du Pacifique
L’Indonésie est située sur la ceinture de feu du Pacifique, à la confluence de trois plaques tectoniques : les plaques indo-australienne, eurasienne et pacifique.
Cartographie Le Monde.
Il semble que nous soyons entrés dans une période de forte activité sismique et volcanique. L’Indonésie a déjà été touchée cet été (plus de cinq cents morts sur l’île de Lombok, près de Bali, en juillet et en août), ainsi que le Japon. Les Philippines risquent à leur tour d’être prochainement frappées.
A cela s’ajoute la violence des épisodes climatiques extrêmes, avec dans la région une succession de typhons de forte puissance.
Sans oublier les déplacements massifs de population dus à des guerres (à Marawi, au sud des Philippines) et des opérations d’épuration ethnique (dont furent victimes les Rohingyas chassés de Birmanie au profit notamment d’intérêts chinois). Il y eut dans les deux cas six cent mille personnes déplacées – les Rohingyas devenant de fait des apatrides interdits de retour.
La multiplication des catastrophes humanitaires pose la question de nos responsabilités (et pas seulement celles des autorités). L’Indonésie nous rappelle l’urgence de cette question, après les Philippines et bien d’autres pays – une question à mettre à l’ordre du jour politique des mouvements progressistes, en Europe tout particulièrement.
Pierre Rousset