Après le séisme en Indonésie, l’armée a ordre de tirer sur les pilleurs
Jusqu’à présent, la police s’est abstenue d’intervenir lorsque la population de la zone sinistrée s’en prenait aux magasins pour trouver des biens de première nécessité.
Les autorités indonésiennes ont ordonné aux militaires de tirer à vue sur les individus surpris en flagrant délit de pillage après le séisme et le tsunami qui ont frappé l’île des Célèbes. « S’il y a de nouveaux pillages, nous ferons d’abord un tir de sommation, puis nous tirerons pour neutraliser » les pilleurs, a déclaré, mercredi 3 octobre, le colonel Ida Dewa Agung Hadisaputra.
La police indonésienne a d’ores et déjà arrêté des dizaines de personnes pour pillage dans la zone sinistrée autour de la ville côtière de Palu, réduite à l’état de ruines. Des survivants se sont servis dans les stocks de magasins, à la recherche de nourriture et d’eau potable.
La police s’est généralement abstenue d’intervenir jusqu’à présent lorsque la population de la zone sinistrée s’en prenait aux magasins pour trouver des biens de première nécessité, pour pallier les pénuries après le séisme et le tsunami survenus vendredi, qui ont fait plus de 1 400 morts.
Les véhicules d’approvisionnement gardés par des soldats
« Nous pouvions le tolérer [le pillage] le premier ou le deuxième jour, parce qu’ils avaient besoin de ces choses. Mais le troisième jour, ils se sont mis à piller des choses comme les équipements électroniques », a ajouté le colonel indonésien. Il a, par ailleurs, précisé que chaque véhicule d’approvisionnement serait gardé par cinq soldats armés.
Près de 200 000 personnes, dont des dizaines de milliers d’enfants, ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence, a estimé le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Unocha).
Le Monde
• LE MONDE | 03.10.2018 à 16h27 • Mis à jour le 04.10.2018 à 07h52 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/10/03/indonesie-apres-le-seisme-et-le-tsunami-les-militaires-ont-ordre-de-tirer-sur-les-pilleurs_5364155_3216.html
Secouriste français en Indonésie : « On est un petit peu frustrés de ne pas pouvoir les aider plus »
Une semaine après le séisme, la situation humanitaire en Indonésie est sous le contrôle des autorités locales, selon le témoignage sur place du sapeur-pompier Thierry Velu.
Plus de mille personnes sont encore présumées disparues après le tremblement de terre suivi d’un tsunami qui a frappé l’île indonésienne de Célèbes, vendredi 28 septembre. Une semaine après la catastrophe, un bilan encore provisoire fait état de 1 500 morts, selon le porte-parole de l’armée dans la ville de Palu, particulièrement touchée.
Sur place, plusieurs ONG françaises sont venues épauler les secouristes locaux. Arrivés trois jours après les premières alertes, les sapeurs-pompiers du Groupe de secours catastrophe français — qui ont lancé un appel aux dons — livrent du matériel pour faciliter l’accès à l’eau potable de la population et aider à la recherche des disparus.
Leur président, Thierry Velu, à Palu, témoigne d’une « mission réussie », tout en se disant « frustré » de l’encadrement strict des secouristes étrangers par les autorités indonésiennes.
Simon Auffret – Quelle est la situation humanitaire à Palu, où vous vous trouvez ?
Thierry Velu : C’est très disparate, la situation n’est pas la même de quartier en quartier. Dans certaines zones, on pourrait presque se dire qu’il ne s’est rien passé. Dans d’autres, la plupart des bâtiments sont détruits, les gens n’ont pas d’eau courante ni d’électricité, et sont en attente de beaucoup d’aide. Mais les secours indonésiens ne semblent pas dépassés. Ici, ils vont très vite dans leurs interventions, ils agissent par eux-mêmes, ce qui explique pourquoi ils n’ont pas fait d’appel important à l’aide internationale. Depuis vendredi, la présence des secouristes est vraiment massive.
Quelles sont vos missions sur place ?
Nous avons répondu à l’appel des secours indonésiens dès les premières heures après l’alerte de séisme et de tsunami, principalement pour leur livrer du matériel d’écoute et de recherche dans les décombres, une unité de traitement de l’eau, des trousses de secours aussi. C’est ce qu’on fait depuis une semaine, à Palu et dans d’autres villes aux alentours.
En même temps que la livraison du matériel, on les accompagne dans l’utilisation des outils auxquels ils ne sont pas habitués : quand je montre aux secouristes d’ici nos capteurs, qui nous servent à savoir s’il reste quelqu’un en dessous des décombres, leurs yeux s’écarquillent, ils ne croient pas que cela puisse fonctionner !
Je suis aussi en train de former des SAR [« Search and Rescue », unité de recherche et de sauvetage] à l’utilisation d’une unité de potabilisation de l’eau, que nous allons laisser sur place, pour que cela puisse servir en cas de nouvelle catastrophe.
Comment se passe la coopération avec les autorités indonésiennes ?
Avec les SAR, que l’on connaît depuis une dizaine d’années, il n’y a aucun problème. Ils nous ont pris en charge depuis notre descente de l’avion, à Djakarta, nous accompagnent dans tous nos déplacements, et sur ce point, la mission est une réussite.
En revanche, l’armée bloque tout. Nous sommes venus livrer du matériel, et nous ne pouvons rien faire d’autre. Pas de missions de sauvetage, pas de tentatives de recherche des survivants parmi les décombres. On est des hommes de terrain, notre esprit de sapeur-pompier prend le dessus, et c’est vrai qu’on est un petit peu frustrés de ne pas pouvoir les aider plus. Mais ils veulent faire par eux-mêmes, et c’est leur décision.
Ce qui nous surprend aussi, c’est qu’une semaine seulement après la catastrophe, il ne semble plus y avoir de recherches de survivants. Leurs priorités sont l’accès à l’alimentation, à l’eau, le déblaiement et l’enlèvement des corps, mais nos interlocuteurs ne voient pas l’intérêt de sonder à la recherche de personnes encore vivantes dans un bâtiment détruit. Ce n’est pas ce qu’on a l’habitude de voir, en France ou dans d’autres pays où nous sommes intervenus, où la recherche de survivants peut continuer jusqu’à dix jours après la catastrophe.
Notre retour à Paris est prévu dimanche. Nous sommes très fatigués. On aurait voulu faire plus en Indonésie, mais on peut dire que nous avons pu aider, dans la mesure de nos moyens.
Propos recueillis par Simon Auffret
• LE MONDE | 05.10.2018 à 19h45 • Mis à jour le 05.10.2018 à 19h57 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/10/05/secouriste-francais-en-indonesie-on-est-un-petit-peu-frustre-de-ne-pas-pouvoir-les-aider-plus_5365438_3216.html
Après le séisme en Indonésie, les chrétiens comptent sur l’amour de Jésus
Frappée par le séisme et le tsunami, l’île de Sulawesi est le théâtre récurrent de tensions communautaires.
La vie est comme de la vapeur d’eau, elle peut disparaître en une seconde. » Quand il a pris le micro, dimanche 7 octobre, pour commencer un culte dominical pas tout à fait comme les autres, le pasteur Sandy Toding est entré immédiatement dans le vif du sujet : depuis le séisme, suivi d’un tsunami, qui a frappé Palu, capitale de la province centrale de la grande île de Sulawesi et les districts alentour, le 28 septembre, c’était la première fois qu’il retrouvait ses ouailles. « Nous nous étions perdus de vue depuis dix jours », a commencé le prêtre, la voix cassée. Avant d’ajouter : « Dieu n’a jamais promis que le ciel serait toujours bleu. »
Le culte, bien évidemment tout entier consacré à la catastrophe, a déroulé le rituel exalté propre aux pentecôtistes, dont les Eglises sont fortement représentées au sein de la communauté chrétienne de protestants et de catholiques de la ville (environ 10 %) : piano électrique, chansons, appels dramatiques à l’attention de Jésus… l’émotion fut intense, tout au long du déroulement d’une cérémonie durant laquelle plusieurs victimes du séisme racontèrent en pleurant leur tragédie personnelle.
Quant à Sandy Toding, jean, chemise bleu nuit, mèche gominée à la Tintin, il a exhorté les fidèles à ne pas perdre espoir : « Jésus est bon : Jésus vous aime ! Terima kasih [« merci » en indonésien] Jésus ! », a clamé le pasteur au micro, en se déhanchant comme une rockstar tandis que l’assistance reprenait en chœur, chantant alléluia. Personne n’osait trop regarder les murs lézardés par le séisme, se dressant de part et d’autre de la cour extérieure de l’église, où l’on avait jugé plus prudent de célébrer la messe, évitant ainsi les risques d’une chapelle à la toiture instable. A intervalles réguliers, on sent encore le sol trembler à Palu.
« Toute proche de Jésus »
La jeune médecin Wendy est ensuite venue au micro témoigner du tragique sort de sa mère disparue, avalée par un mélange de terre et de boue, quand le sol de l’un des deux quartiers les plus touchés s’est « liquéfié » au moment du violent séisme de 7,5 degrés sur l’échelle de Richter. « On a mis cinq jours à retrouver son corps sous la boue. Maintenant, je suis heureuse, elle est toute proche de Jésus. »
La minorité chrétienne de Sulawesi, ce territoire du centre de l’archipel indonésien que l’on appelait autrefois l’île Célèbes, est tout à la fois très pieuse et très soudée. Elle est parfois aussi inquiète, cette lointaine région ayant été, il n’y a pas si longtemps, le théâtre de violentes émeutes entre chrétiens et musulmans, déclenchées à tour de rôle par des extrémistes des deux camps entre décembre 1998 et juin 2000. Elles avaient fait un millier de morts. Un peu plus de 87 % des Indonésiens sont de confession islamique.
Le souvenir des violences, s’ajoutant à la radicalisation politique en cours des influents milieux islamo-conservateurs dans une Indonésie multiculturelle et théoriquement laïque, laisse la communauté chrétienne de l’ensemble de l’archipel sous tension. Ce qui concerne Sulawesi, où la proportion totale de chrétiens s’élève à 20 % : des districts entiers le sont en majorité. Sans compter qu’à six heures de route de Palu les environs de la municipalité de Poso servirent un moment de place forte aux djihadistes indonésiens, qui ont durement frappé le pays à de nombreuses reprises : en juillet 2016, les forces spéciales de la police abattirent dans les environs de cette ville l’un des chefs de guerre de la mouvance extrémiste, Syaikh Abu Wardah Santoso.
Les réactions sont contrastées quand on demande aux chrétiens l’état de leurs relations avec la majorité musulmane de l’archipel. « Les musulmans de Palu sont des fanatiques ! », tonne Jimmy (le prénom a été modifié), un homme d’affaires sino-indonésien. « Jamais je n’embaucherai un musulman dans mon entreprise », déclare ce directeur d’une compagnie d’import-export. La minorité chinoise, parfois chrétienne, a souvent fait les frais des tensions interconfessionnelles dans l’histoire de l’Indonésie contemporaine.
« Il faut espérer que le tsunami contribuera à souder les deux communautés », dit Alan John, 44 ans, propriétaire d’un hôtel détruit par le tremblement de terre. A l’inverse de Jimmy, il pense que les relations entre chrétiens et musulmans sont généralement bonnes. « Quand la tragédie frappe, il n’y a plus de religion qui compte », ajoute-t-il optimiste.
Double instabilité
A une demi-heure de route de Palu, dans la municipalité campagnarde de Sigi, gravement touchée elle aussi par la catastrophe, les réactions sont aussi mitigées. « Nous avons des relations cordiales avec nos voisins immédiats, confie prudemment une paroissienne protestante de l’ethnie des Toraja, dans la cour d’une église. Mais cela ne va pas plus loin que cela. » Le sujet est sensible, la discussion prend fin avant même d’avoir vraiment commencé…
Ici, dans cette zone où le séisme a déplacé un district entier de villages ayant disparu, chrétiens et musulmans ne se fréquentent guère, en dépit d’une mixité confessionnelle permanente : chaque village est habité par des membres des deux communautés, les clochers des églises catholiques et protestantes se dressant au voisinage des bulbes des mosquées.
Même si l’avertissement concernait les menaces de tsunami et la réalité d’un monde en proie à la réalité de catastrophes naturelles toujours plus nombreuses, la conclusion de la prédication du pasteur Toding pouvait faire écho, dimanche, à d’autres incertitudes. Celles concernant un archipel indonésien confronté à une double instabilité, géologique et sociale : « La vie est provisoire, et il n’y a plus d’endroits sûrs en ce bas monde. »
Bruno Philip (Palu (Indonésie), envoyé spécial)
• LE MONDE | 08.10.2018 à 10h46 • Mis à jour le 08.10.2018 à 10h54 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/10/08/apres-le-seisme-en-indonesie-les-chretiens-comptent-sur-l-amour-de-jesus_5366245_3216.html