Les larmes du séisme à répétition de Lombok [en août] sont à peine sèches que déjà le vendredi 28 septembre, en fin d’après-midi, c’est au tour des villes de Palu et de Donggala, au centre de l’île de Célèbes, d’être frappées par un tremblement de terre suivi d’un tsunami.
Il est évident que ce séisme ne sera pas le dernier à ébranler notre pays situé sur la “ceinture de feu” [surnom donné à l’ensemble des volcans qui ceinturent le Pacifique ; la partie indonésienne compte 129 volcans en activité].
Ce n’est qu’une question de temps pour que vienne le tour d’autres villes. L’anticipation des catastrophes ne doit plus être l’objet de discussions.
Si l’on se réfère à la chronologie de l’Agence de météorologie, de climatologie et de géophysique (BMKG), cinq minutes après le séisme du 28 septembre une alerte au tsunami a été lancée. Elle signalait une hauteur de vague estimée entre 0,5 et 3 mètres à Palu et annonçait une heure d’arrivée, 18 h 22 heure locale. Pour Mamuju, à 237 km de l’épicentre, la hauteur du tsunami estimée était à moins de 0,5 m.
Des alertes levées prématurément
À Mamuju, les observations du marégraphe – un appareil mesurant les changements du niveau de l’eau – ont confirmé le déferlement d’un tsunami à 18 h 27. À 18 h 06, soit 34 minutes après le séisme, le BMKG a levé l’alerte sans savoir qu’un raz-de-marée avait détruit la côte de la ville de Palu.
Abdul Muhari, expert en tsunami au ministère des Affaires maritimes et de la Pêche, a déclaré que la levée de l’alerte était problématique, parce que le marégraphe exploité par l’Agence d’information géospatiale (BIG) à Palu était éteint. De plus, la forme en entonnoir de la baie de Palu pouvait amplifier les hauteurs du raz-de-marée. M. Muhari précise :
Sur la base de nos recherches, lors du tsunami au Japon en 2011, l’alerte envoyée par les Japonais pour l’embouchure de la baie de Jayapura [Province indonésienne de Papouasie] n’était estimée que d’une hauteur de 60 cm, mais la vague qui a déferlé dans la baie a atteint en fait 3,8 mètres de haut.”
En outre, selon M. Muhari, un séisme avec un mécanisme de faille glissante d’une telle magnitude a de grandes chances de provoquer un glissement de terrain sous-marin pouvant déclencher un tsunami assez violent.
Des capteurs défaillants
Ce problème d’alerte au tsunami rappelle le séisme suivi d’un raz-de-marée sur les îles de Mentawai en 2010. À cette époque, elle avait également été levée sans que les experts sachent que le tsunami avait détruit le littoral de cet archipel situé au large de la côte ouest de Sumatra. Ce n’est que le lendemain qu’ils ont eu connaissance du désastre.
Notre système d’alerte aux tsunamis comporte encore de nombreuses lacunes. Selon le rapport du BMKG, les sirènes d’alerte au tsunami dans la ville de Palu n’ont pas fonctionné. L’Agence nationale pour l’étude et l’application des technologies a installé des capteurs flottants dans la baie de Palu, mais ils sont hors service depuis longtemps. En fait, le système d’alerte au tsunami du BMKG est davantage basé sur la modélisation.
Pour ne rien arranger, les pannes de courant et des télécommunications ont rendu les secours immédiats impossibles d’autant que la catastrophe s’est produite juste avant la nuit.
Pour ce qui est de l’anticipation, on peut constater que de nombreux bâtiments et infrastructures ont été construits sans respecter les normes antisismiques, si bien que beaucoup se sont effondrés. Pourtant, on sait depuis longtemps que Palu et Donggala sont particulièrement exposés aux séismes et aux tsunamis.
En moyenne un tsunami tous les 25 ans
L’expert en tsunamis Gegar Prasetya, dans son article sur “La région tsunamigène du détroit de Makassar, en Indonésie”, publié dans la revue Natural Hazard (2001), note que 14 tsunamis se sont produits dans cette région de 1820 à 1882.
Et de 1927 à 2001, six autres raz-de-marées ont déferlé sur cette même région. Soit un total de 20 tsunamis entre 1820 et 2018. Ce nombre est le plus élevé d’Indonésie. “Tous les tsunamis dans cette région ont été causés par l’activité sismique dans la faille de Palu-Koro, la zone de subduction au nord de Célèbes”, précise Gegar, également président de l’Association indonésienne des tsunamis avant d’ajouter :
C’est dans cette zone que l’on enregistre le plus fréquemment des tsunamis en Indonésie. En moyenne un tsunami tous les 25 ans. Le mouvement géologique de l’île de Célèbes est très actif.”
Des habitants mal informés
L’île de Célèbes, située au cœur même de l’archipel, est formée par la collision de trois plaques tectoniques, à savoir eurasienne, indo-australienne et pacifique.
Selon le chercheur de l’Institut indonésien des sciences (LIPI), Mudrik Mudik Rahmawan Daryono, la ligne de faille Palu-Koro qui traverse l’île de Célèbes, entre la baie de Palu et celle de Bone, se déplace très rapidement, à savoir de 41 à 45 mm par an, soit quatre fois plus vite que la faille de Sumatra (10 mm par an), et bien plus rapidement que la faille de Java (3 mm par an).
À l’appui de toutes ces données scientifiques et des reportages sur le terrain, Kompas a publié à plusieurs reprises des articles sur la vulnérabilité de la ville de Palu et de sa région, entre autres au cours de son “expédition sur la ceinture de feu” publiée en 2011-2012.
La même année, Kompas Research and Development a réalisé une enquête sociale sur la perception que les populations avaient quant à la menace de séismes et de tsunamis. Il est apparu que la plupart des habitants de la ville de Palu ignoraient tout de ces catastrophes et n’y étaient pas préparés.
À quand la prise de conscience ?
Le 31 mai 2017, Kompas a également publié un article intitulé “Méfiez-vous des violents séismes de Célèbes” en insistant sur les dangers de la faille Palu-Koro. En vain.
Depuis le tremblement de terre et le tsunami de 2004 à Aceh [qui a fait 200 000 victimes], plus de 200 000 personnes ont péri dans des séismes et des tsunamis. “Combien de morts faudra-t-il encore pour nous faire prendre conscience que notre pays est très exposé aux séismes et aux tsunamis ? Nous avons besoin de changements radicaux pour nous préparer, aussi bien sur le plan physique que social”, insiste Gegar sur un ton alarmant.
Ahmad Arif
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.