Le bilan humain dépasse les 1 200 morts
Les dépouilles de nouvelles victimes sont extraites à mesure que les secours atteignent les zones les plus reculées de l’île des Célèbes.
Les dépouilles de dizaines de jeunes ont été extraites des décombres d’une église dévastée par un glissement de terrain sur l’île indonésienne des Célèbes (ou Sulawesi), a annoncé la Croix-Rouge mardi 2 octobre, aggravant le bilan déjà meurtrier de la catastrophe qui a frappé vendredi la localité de Palu. D’après le dernier bilan, revu à la hausse par l’agence de gestion des catastrophes, au moins 1 234 personnes ont péri dans le séisme et le tsunami qui ont frappé la zone.
Les autorités jugent que ce chiffre devrait encore augmenter, à mesure que les secours parviennent à établir le contact avec les villages isolés. Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Unocha) a estimé lundi à 191 000 le nombre de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire d’urgence, dont 46 000 enfants et 14 000 personnes âgées. Nombre d’entre elles vivent dans des régions qui ne sont pour l’heure pas au centre des efforts gouvernementaux pour aider les sinistrés.
Manque d’eau, de nourriture, de médicaments
Le président indonésien, Joko Widodo, a décidé d’accepter l’aide étrangère, que dix-huit pays et de nombreuses ONG ont jusqu’ici proposée. Les habitants manquent de tout : nourriture, eau potable, carburant ou médicaments. Les réseaux électriques et de télécommunications ont été très endommagés, et les sauveteurs manquent d’équipements pour rechercher les survivants dans les décombres.
Les agences humanitaires et les ONG ont beaucoup de difficultés à faire parvenir de l’aide sur place, de nombreuses routes étant coupées et les aéroports endommagés. « Nous n’avons pas beaucoup de nourriture. Nous avons pu prendre seulement ce que nous avions dans la maison. Et nous avons besoin d’eau potable », témoigne Samsinar Zaid Moga, une femme de 46 ans. « Le plus important, ce sont des tentes, parce qu’il a plu et qu’il y a beaucoup d’enfants ici », ajoute sa sœur, Siti Damra.
Au moment du séisme, 114 étrangers se trouvaient dans la région, dont la plupart sont sains et saufs et en cours d’évacuation, selon l’agence de gestion des catastrophes. Trois Français dont on était sans nouvelles ont été retrouvés, a confirmé le ministère des affaires étrangères français. Mais les autorités sont encore sans nouvelles d’un Belge et pensent qu’un Sud-Coréen pourrait être parmi les victimes de l’hôtel Roa Roa.
Etat d’urgence de quatorze jours
Les autorités indonésiennes craignent que le bilan ne s’alourdisse encore, et ont déclaré un état d’urgence de quatorze jours. La plupart des victimes ont été recensées à Palu, agglomération de 350 000 habitants sur la côte ouest de Célèbes. La chaîne locale Metro TV a diffusé des images aériennes du village de Petobo, au sud de Palu, qui semble avoir été particulièrement touché. Quelque 700 personnes pourraient y avoir trouvé la mort, selon les autorités.
A Poboya, sur des collines qui surplombent la ville de Palu, des volontaires ont commencé à mettre en terre des corps dans une vaste fosse commune prévue pour en accueillir 1 300. Trois camions chargés de dépouilles enveloppées dans des sacs sont arrivés sur le site. Un par un, ils ont été placés dans la fosse et une pelleteuse les a recouverts de terre. Les autorités avaient d’abord disposé les corps dans des morgues improvisées pour qu’ils puissent être identifiés mais, devant le risque sanitaire, elles se sont décidées à procéder à des enterrements de masse.
Dans les décombres des principaux bâtiments, les équipes de recherche mènent une course contre la montre pour sortir des survivants. Des sauveteurs tentaient lundi d’en retrouver dans les décombres de l’hôtel Roa Roa, où cinquante à soixante personnes pourraient avoir été ensevelies. Pour l’instant, deux personnes ont été sauvées à cet endroit, selon une source officielle.
De nombreux survivants ont passé les derniers jours à chercher désespérément leurs proches disparus. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a dit qu’il s’efforçait de réunir les familles séparées par la catastrophe et qu’il fournissait une aide médico-légale à ceux qui doivent identifier les victimes.
Plus de mille détenus évadés
A la faveur du séisme et du chaos qui s’est ensuivi, quelque 1 200 détenus se sont évadés de trois prisons ont annoncé les autorités. Un centre de détention à Palu, construit pour héberger 120 personnes, a vu la plupart de ses 581 détenus franchir les murs effondrés. La prison de Donggala a été incendiée, et ses 343 détenus sont en fuite. Le feu semble avoir été allumé par les prisonniers inquiets pour leurs familles.
« Ils ont paniqué en apprenant que Donggala avait été durement frappée par le tremblement de terre », selon Sri Puguh Utami, une responsable du ministère de la justice. « Les responsables de la prison ont négocié avec les prisonniers pour leur permettre d’aller prendre des nouvelles de leur famille. Mais certains détenus n’ont visiblement pas été assez patients et ont mis le feu. »
L’Indonésie, un archipel de 17 000 îles et îlots formé par la convergence de trois grandes plaques tectoniques (indo-pacifique, australienne et eurasienne), se trouve sur la ceinture de feu du Pacifique, une zone de forte activité sismique. Le séisme qui a touché Célèbes est plus puissant que la série de tremblements de terre qu’a connue l’Indonésie en août et qui avait fait plus de cinq cents morts et environ quinze cents blessés sur l’île de Lombok, voisine de Bali.
Nouvelle illustration de la vulnérabilité tectonique de l’Indonésie, le pays a de nouveau subi mardi matin une série de secousses, qui se sont produites toutefois à des centaines de kilomètres de Palu. Selon l’institut géologique américain USGS, un premier séisme de magnitude 5,9 a été enregistré à 1 h 59 du matin heure française, à une profondeur de 10 km et à environ 40 km au large de l’île de Sumba, où vivent 750 000 personnes. Une deuxième secousse de magnitude 6 a suivi quinze minutes plus tard dans le même secteur à une profondeur de 30 km.
LE MONDE
• LE MONDE | 01.10.2018 à 23h02 • Mis à jour le 02.10.2018 à 10h24 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/10/01/indonesie-191-000-personnes-ont-besoin-d-une-aide-humanitaire-d-urgence_5363037_3216.html
Indonésie : polémique « vaine » sur le système d’alerte tsunami
Certains chercheurs ont regretté l’absence de bouées de détection, mais celles-ci sont conçues pour des alertes transocéaniques, alors que les villes sinistrées se trouvaient tout près du séisme.
Un début de polémique est né sur la façon dont l’alerte tsunami a été gérée, vendredi 28 septembre, dans les minutes qui ont suivi le séisme ayant fait près de mille morts dans la région de Palu, sur l’île de Sulawesi, en Indonésie. Les autorités indonésiennes ont-elles levé l’alerte trop tôt ? Un système de capteurs plus performant, et surtout opérationnel, aurait-il sauvé des vies ?
Le séisme est survenu à 18 h 2 (heure locale). L’Agence météorologique, climatologique et géophysique indonésienne (BMKG) a décrit le déroulement des faits dans un communiqué, au lendemain de la catastrophe. L’analyse des données sismiques par le BMKG a quasiment instantanément engendré une alerte tsunami, estimant que la vague mesurerait entre 0,5 et 3 mètres et arriverait à Palu à 18 h 22. Le marégraphe de Mamuju, situé au sud, bien plus loin de l’épicentre, a enregistré une montée des eaux de 6 centimètres seulement à 18 h 27, laissant supposer qu’une vague de faible ampleur était déjà passée à Palu. L’alerte a donc été levée à 18 h 36.
L’agence Associated Press a évoqué les regrets de chercheurs impliqués dans un projet de système de détection précoce, encore expérimental. S’appuyant sur des capteurs posés au fond de la mer et des communications par fibre optique, il n’a pas bénéficié de financements suffisants pour être opérationnel. Par ailleurs, un réseau plus ancien de bouées DART (Deep-ocean Assessment and Reporting of Tsunamis, détection de tsunamis en eau profonde) est, lui, totalement en déshérence en Indonésie, en raison de vols de ses composants coûteux et de dégradations par les pêcheurs.
Faible distance
Cependant, pour Rémy Bossu, directeur du European Mediterranean Seismological Center, qui a participé à la conception du système d’alerte tsunami en Méditerranée, la présence de ces bouées, conçues pour détecter les grands tsunamis transocéaniques, « n’aurait probablement rien changé dans ce cas », en raison de la faible distance entre le séisme et les zones côtières sinistrées. Même à l’échelle d’un bassin comme la Méditerranée, l’installation de telles bouées, très onéreuses et demandant une lourde maintenance, n’est pas envisagée : la distance du tremblement de terre doit être suffisamment grande pour que les capteurs distinguent l’arrivée de l’onde sismique de celle de la vague.
En France métropolitaine, le système d’alerte tsunami, géré par le Commissariat à l’énergie atomique et énergies alternatives (CEA) depuis 2012, a été conçu pour informer la protection civile dans un délai de quinze minutes, en se fondant sur des données de capteurs sismiques et des marégraphes. Le scénario envisagé est celui d’un mur d’eau engendré par un séisme sur les côtes algériennes — ce qui constitue l’aléa le plus probable. Le tsunami mettrait alors soixante-quinze à quatre-vingt-dix minutes à arriver sur les côtes françaises.
Palu n’étant située qu’à quatre-vingts kilomètres de l’épicentre, le délai d’arrivée du tsunami était bien plus court. Le 1er octobre, le BMKG a même précisé, sur la foi d’une vidéo virale montrant l’arrivée du tsunami à Palu, que celui-ci avait frappé la ville entre 18 h 10 et 18 h 13. Cela pourrait conforter l’hypothèse qui circule désormais parmi la communauté des sismologues : le tsunami n’aurait probablement pas été engendré par une brusque rupture verticale de la croûte terrestre au fond de l’océan — comme lors du séisme du Tohoku, au Japon, en 2011.
« Glissement de terrain sous-marin »
A Célèbes, où les plaques ont coulissé horizontalement, « c’est plutôt un glissement de terrain sous-marin engendré par le séisme, qui est suspecté », dit Rémy Bossu. Une vidéo aérienne pourrait aussi renforcer cette thèse : reprise sur un fil Twitter spécialisé dans l’analyse des séismes, elle est censée avoir été prise d’un avion quittant Palu au moment du tremblement de terre, et montre plusieurs vagues qui semblent émaner de la côte à la suite de mouvements de terrain.
Des effondrements sous-marins, encore plus difficiles à déceler, et parfois décalés dans le temps, peuvent aussi engendrer localement un mur d’eau dévastateur. En outre, « la bathymétrie locale a toujours des effets majeurs », note Rémy Bossu. En l’espèce, Palu se situe au fond d’une baie en entonnoir, propre à favoriser l’élévation d’un tsunami.
Le « dernier kilomètre » local
Pour Jörn Lauterjung, du centre de géophysique de Postdam (Allemagne), qui a coconçu le système d’alerte indonésien, la chaîne a fonctionné correctement « jusqu’au dernier kilomètre », c’est-à-dire « la communication entre les autorités locales et la population », en l’occurrence celle présente sur la plage à l’occasion de célébrations dans la ville de Palu. Malheureusement, a-t-il dit à l’agence Reuters, « il semble par exemple que les sirènes d’alarme n’aient pas fonctionné et qu’aucune voiture de police équipée de haut-parleurs n’ait averti la population locale ». L’inclusion de ce « dernier kilomètre » local est au moins aussi importante qu’une technique de mesure sophistiquée, a-t-il aussi dit au journal Züddeutsche Zeitung.
Le ministère des télécommunications a quant à lui assuré que des alertes répétées avaient été envoyées par SMS, mais, d’après Sutopo Purwo Nugroho, porte parole des services de secours, cité par Reuters, les moyens de communication ont été détruits par le séisme et il n’y avait pas de sirènes d’alarme dans la zone touchée.
Sismologue à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), Robin Lacassin juge que la polémique sur la défaillance du système d’alerte est « vaine » : « En champ très proche, ce qui compte c’est la réaction immédiate et spontanée de la population lorsqu’elle ressent un gros séisme. Donc sa compréhension, qui passe évidemment par l’éducation et l’entraînement, note le chercheur. Les systèmes d’alerte sont par contre très utiles à des distances plus importantes, où le séisme ne va pas être ressenti, ou faiblement. »
En définitive, à proximité d’un séisme, c’est le tremblement de terre lui-même qui constitue l’alerte tsunami : « Le message de prévention, près des côtes, c’est que dès lors que vous ressentez une secousse durant plus de trente secondes, ou que vous avez du mal à tenir debout lors du séisme, il faut gagner les hauteurs », dit Rémy Bossu. Mais à Palu, une ville sans grande éminence, cela aurait signifié se précipiter dans les étages de bâtiments qui venaient quelques instants plus tôt d’être ébranlés par le séisme…
Hervé Morin
• LE MONDE | 01.10.2018 à 15h52 • Mis à jour le 02.10.2018 à 09h26 :
https://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/01/indonesie-polemique-vaine-sur-le-systeme-d-alerte-tsunami_5362931_1650684.html
Désolation et chaos après le séisme et le tsunami
Le bilan s’élève à au moins 844 morts et pourrait augmenter. Sur place, le constat est que le désastre a été mal anticipé.
Au moins 844 morts, selon une dernière évaluation qui s’alourdit d’heure en heure : le nombre des victimes répertoriées du séisme, suivi d’un tsunami, qui a frappé vendredi 28 septembre au soir la province de Sulawesi centre, ne cesse d’augmenter – c’est toujours le cas en pareilles circonstances, surtout quand une catastrophe survient dans des régions reculées et mal armées pour faire face aux désastres. « Le bilan des morts va continuer de s’élever », a confirmé dimanche Sutopo Purwo Nugroho, porte-parole de l’Agence indonésienne de gestion des risques naturels (BNPB). Le vice-président de l’Indonésie, Jusuf Kalla, a estimé que les morts risquent de se compter « par milliers ».
Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (UNOCHA) a estimé lundi que 191 000 personnes ont besoin d’aide humanitaire d’urgence. Quelque 46 000 enfants et 14 000 personnes âgées sont concernés.
Dans les rues de Palu, capitale de la province de Sulawesi centre, qui a été durement touchée par le tremblement de terre et les vagues de près de six mètres provoquées par le tsunami, les sauveteurs tentaient, lundi 1er octobre, de retrouver des survivants dans les ruines. Les corps sans vie de dizaines de victimes s’alignaient dans les rues, le long des décombres. Sur une colline dominant la ville, une tranchée de plus d’une centaine de mètres de long a été creusée pour y déposer des centaines de cadavres. Les enterrements de masse ont commencé rapidement, aussi bien parce que la tradition islamique, dans cette province à majorité musulmane, impose d’ensevelir les morts au plus tôt, que pour éviter la propagation d’épidémies.
Appel à l’aide
Des scènes de pillage ont été observées en fin de semaine par des journalistes locaux : des centaines de personnes ont volé tout ce qu’elles pouvaient (fioul domestique, huile, eau, nourriture) dans des supermarchés épargnés par le désastre. « Nous n’avons plus rien, il faut manger ! », criaient des gens. Interrogé par le correspondant local de l’Agence France-Presse, un photographe indonésien a expliqué : « Il n’y a plus qu’une station d’essence encore en activité, les gens n’ont plus d’essence et commencent à être désespérés. » Plus d’un millier de prisonniers ont profité du séisme pour s’enfuir de trois maisons d’arrêt ébranlées ou en partie détruites par les secousses, a rapporté le ministre de la justice.
Le président de la République indonésienne, Joko Widodo, s’est rendu à Palu dimanche en fin d’après-midi. Il a exhorté les sauveteurs à « travailler jour et nuit » pour trouver des survivants. Mais alors que le gouvernement indonésien vient officiellement, lundi, de faire appel à l’aide internationale – l’Union européenne a annoncé l’octroi d’une enveloppe d’un million et demi d’euros –, les moyens dont disposent sur place les responsables restent limités. Dimanche, les cris de détresse qui s’élevaient de l’hôtel Roa Roa, le plus chic de Palu, se sont tus : les sauveteurs, obligés de soulever les pans de béton écroulés avec des pioches, n’ont pas réussi à temps à dégager les survivants. Selon la BNPB, 71 étrangers logeaient dans cet hôtel de huit étages, dont un Sud-Coréen et trois Français. Ces derniers ont été retrouvés vivants par les secours, selon un communiqué transmis par le Quai d’Orsay, lundi 1er octobre. Leur évacuation de la zone sinistrée était en cours dans la matinée.
Pour l’instant, les secours affluent par avions militaires qui, seuls encore, peuvent se poser sur l’aéroport de Palu, fermé aux transports civils. L’un des aiguilleurs du ciel, resté jusqu’au bout seul à son poste, vendredi à l’heure du séisme, pour guider un avion qui venait de décoller, est désormais salué comme un « héros national » dans tout le pays : réalisant que la tour de contrôle allait s’écrouler, Anthonius Gunawan Agung, 21 ans, a sauté du quatrième étage. Il est mort le lendemain des suites de ses blessures.
Le bilan des victimes risque peut-être également de s’alourdir, car personne n’avait encore pu, lundi en fin de matinée, accéder à la ville côtière de Donggala, située à l’embouchure de la rivière Palu – ce qui fait redouter un bilan plus lourd encore. Des images diffusées par la chaîne de télévision Metro TV ont montré les maisons dévastées de cette ville, qui est la plus proche de l’épicentre du séisme. Les habitants ont-ils pu fuir à temps le tsunami ? Cette agglomération, capitale d’une municipalité de près de 300 000 habitants, que l’on atteint d’ordinaire en une demi-heure depuis Palu, est bloquée en raison des glissements de terrain et de l’affaissement des routes, provoqués par le tremblement de terre d’une magnitude de 7,5 sur l’échelle de Richter. Selon l’un des responsables de l’ONG Save the Children, Tom Howells, « l’accès à ces zones reste un énorme problème et on peut redouter des dégâts très importants et de nombreuses victimes autour de Donggala ».
Les « bouées » d’alerte hors d’usage
Des questions se posent déjà à propos de l’absence de mesures préventives efficaces mises en place dans une région régulièrement ébranlée par séismes et tsunamis. Le 16 décembre 2017, au lendemain d’un tremblement de terre d’une magnitude de 6,9 qui avait frappé le sud de l’île de Java, le porte-parole de la BNPB avait fait cette stupéfiante déclaration, qui n’a jamais été suivie d’effets : « Depuis cinq ans, les “bouées” d’alerte au tsunami [placées en haute mer en Indonésie] ne fonctionnent plus », avait prévenu M. Sutopo. La raison ? Tout simplement une maintenance non régulière, et le fait que les pêcheurs se servent de ces objets comme des ancres pour leurs bateaux…
A Palu, dans le province indonésienne de Sulawesi centre, le 1er octobre.
S’exprimant ce jour-là à Djakarta devant des journalistes, le porte-parole de la BNPB avait précisé : « Nous sommes désormais obligés de compter sur d’autres bouées mises en place par cinq pays voisins : l’Inde, dont le dispositif surveille la zone d’Aceh [où le tsunami de 2004 avait faitprès de 170 000 morts], la Thaïlande, chargée de surveiller la mer d’Andaman, l’Australie, qui s’occupe de la partie sud de l’Indonésie, et une bouée appartenant aux Etats-Unis, qui a été placée au nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. »
Cependant, pour Rémy Bossu, directeur du Centre sismologique euro-méditerranéen, qui a participé à la conception du système d’alerte tsunami en Méditerranée, la présence de ces bouées, conçues pour détecter les grands tsunamis transocéaniques, « aurait probablement été inopérante dans ce cas », en raison de la faible distance entre le séisme et les zones côtières sinistrées.
L’hypothèse est que le tsunami n’a probablement pas été engendré par une brusque rupture verticale de la croûte terrestre au fond de l’océan, comme lors du séisme du Tohoku au Japon en 2011. A Sulawesi, où les plaques ont coulissé horizontalement, « c’est plutôt un glissement de terrain sous-marin, engendré par le séisme, qui est suspecté ».
Baie en entonnoir
Un tel phénomène, difficile à déceler, parfois décalé dans le temps, peut engendrer localement un mur d’eau dévastateur. D’autant que Palu se situe au fond d’une baie en entonnoir propre à favoriser l’élévation du tsunami. « Le message de prévention, près des côtes, insiste Rémy Bossu, c’est que, dès lors que vous ressentez une secousse durant trente à soixante secondes, ou que vous avez du mal à vous tenir debout lors du séisme, il faut gagner les hauteurs. »
Selon M. Sutopo, même si la gestion des catastrophes naturelles en Indonésie s’est améliorée depuis la tragédie de 2004 à la suite du tsunami d’Aceh, l’« anticipation » des catastrophes ne fait pas partie de la culture indonésienne, ce qui explique le manque de réactivité appropriée quand une catastrophe survient.
Hervé Morin et Bruno Philip (Correspondant en Asie du Sud-Est)
• LE MONDE | 01.10.2018 à 10h26 • Mis à jour le 01.10.2018 à 16h34 :
https://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2018/10/01/en-indonesie-desolation-et-chaos-apres-le-tsunami_5362669_3244.html
Bilan provisoire est 384 morts – « Aucune évacuation »
Une vague de 3 mètres a frappé vendredi la ville de Palu, 300 000 habitants, dans l’île des Célèbes. Le bilan est toujours provisoire, les secours ayant des difficultés à se coordonner.
On voit la vague, haute d’environ 3 mètres, approcher du rivage en bouillonnant. Des gens hurlent, puis le tsunami déferle, balayant des maisons avec violence. Ensuite, l’image devient noire, on n’entend plus que des cris, le vidéaste amateur cherchant manifestement à se protéger des vagues qui menacent son refuge, avant de se remettre à filmer : l’eau a poursuivi sa course en ville et ravage maintenant une mosquée, dont le dôme vert s’affaisse sous le choc, tandis qu’un flot furieux emporte des débris.
Cette vidéo spectaculaire, prise vendredi 28 septembre avec un téléphone portable du haut d’un immeuble surplombant la baie de Palu, à Célèbes (Sulawesi), a fait le tour de tous les réseaux sociaux. Elle est l’un des rares documents montrant le tsunami engendré par un tremblement de terre de magnitude 7,5, dont l’épicentre se trouvait à environ 80 kilomètres au nord de Palu. Cette ville d’environ 300 000 habitants est la capitale de la province de Sulawesi central, grande île aux formes tourmentées du centre de l’archipel indonésien.
L’épicentre du séisme, de magnitude 7,5, est situé à 78 km de Palu.
Alors que des secouristes s’employaient samedi à rejoindre Palu, qui s’étend sur une baie formant l’embouchure de la rivière du même nom, il était encore difficile de se faire une idée du bilan humain de la catastrophe. Des centaines de personnes s’étaient rassemblées sur la plage pour la célébration de l’anniversaire de la ville, dont beaucoup sont portées disparues. Le séisme et le tsunami ont provoqué une panne d’électricité qui empêche les communications et complique la coordination des secours. Selon l’agence de gestion des désastres naturels indonésienne (BNPB), le bilan provisoire était de 384 morts et des centaines de blessés, samedi dans la matinée (heure française).
« Aucune évacuation »
Quelques heures plus tôt, Sutopo Purwo Nugroho, porte-parole de l’agence, avait prévenu que le premier bilan risquait de s’alourdir : « A Palu, il y a des bâtiments, des maisons qui ont été détruits. Des hôtels, des hôpitaux. Nous pensons que des dizaines ou des centaines [de victimes] n’ont pas encore été dégagées des décombres. Le principal centre commercial de Palu s’est effondré. L’hôtel Rua-Rua s’est affaissé, il avait 80 chambres, dont 76 étaient occupées. »
Plus tôt, des photos diffusées par la même agence avaient montré ce centre commercial, dont le premier étage s’est effondré sur le rez-de-chaussée, ainsi que des rues présentant des traces de fissures causées par les secousses. Peu d’informations étaient pour l’heure disponibles sur la ville côtière de Donggala, qui compte environ 300 000 habitants, et plus proche de l’épicentre.
Selon le BNPB, les secousses ont été ressenties jusqu’à la grande cité de Makassar, dans le sud des Célèbes. L’hypocentre (ou foyer du séisme) était situé à une dizaine de kilomètres de profondeur, selon l’agence géologique américaine (USGS). La secousse s’est produite en début de soirée alors que de nombreux fidèles se rendaient à la prière du vendredi, jour du seigneur en terre musulmane.
Les habitants de Palu transportent un corps après le tremblement de terre suivi d’un tsunami, sur l’île de Sulawesi (Indonésie), le 29 septembre.
Le président indonésien, Joko « Jokowi » Widodo, a sollicité l’armée pour participer aux efforts de sauvetage. Des avions militaires chargés d’aide humanitaire ont décollé de Djakarta, selon le ministre de la sûreté. La piste et la tour de contrôle de l’aéroport de Palu ont été endommagées, mais il devrait être rouvert rapidement, selon les autorités. Les routes sont coupées à l’est et au sud de la ville. « Aucune évacuation n’a pu avoir lieu dans la zone sinistrée », a déploré un habitant interrogé par la chaîne Metro TV. Les Nations unies ont déclaré être en contact avec les autorités indonésiennes et se tenir prêtes à « fournir de l’aide si on [le leur] demande ».
Trente-quatre minutes d’alerte
Le séisme est survenu à 10 h 2 min 43 s, temps universel, selon l’USGS, trois heures après une précédente secousse de 6,1 degrés sur l’échelle de Richter, qui avait fait un mort et une dizaine de blessés, et avait été suivie de nombreuses répliques. Une alerte au tsunami a été émise presque aussitôt, et levée trente-quatre minutes plus tard. Les autorités disent que les vagues ont déferlé avant la levée de l’alerte — une vingtaine de minutes après la secousse tellurique. Palu se trouve au fond d’une baie dont la forme en entonnoir a pu augmenter la hauteur de l’onde. Alors qu’une première évaluation faisait état d’un flot de 1,5 mètre de haut, la lame a plutôt atteint le double.
La force du séisme a été supérieure aux tremblements de terre de 7 degrés qui avaient frappé l’île de Lombok, près de Bali, en juillet et en août, faisant plus de cinq cents morts. L’Indonésie, un archipel de dix-sept mille îles et îlots qui s’est formé par la convergence de trois grandes plaques tectoniques (indo-pacifique, australienne, eurasienne), se trouve sur la ceinture de feu du Pacifique, une zone de forte activité sismique.
Elle a été durement frappée ces dernières années par des séismes très violents. Outre les tremblements de terre qui ont secoué à plusieurs reprises cet été Lombok et l’île voisine de Sumbawa, la capitale culturelle de Yogyakarta, à Java, fut ébranlée par un séisme de force 6,4 en 2006. Deux ans plus tôt, le 26 décembre 2004, un séisme de 9,1 avait dévasté une partie de la province d’Aceh, dans le nord de Sumatra, faisant cent soixante-huit mille morts. Plus de cinquante mille personnes furent ensuite emportées par le tsunami qui ravagea les côtes de la Thaïlande et du Sri Lanka et, à un moindre degré, celles de l’Inde et de la Birmanie.
Bruno Philip (Kuala Lumpur (Malaisie) - envoyé spécial)