Fuyant les persécutions en Birmanie, des centaines de milliers de Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh, notamment à Cox’s Bazar.
Difficile de rester accueillant quand votre garde-manger et vos poches sont vides, et que vos invités s’éternisent. Difficile également de rester souriant quand ceux que vous accueillez compromettent vos sources de revenus, et que le monde entier ne se préoccupe que de leur sort.
L’accueil chaleureux réservé aux Rohingyas dans la région de Cox’s Bazar proche de la Birmanie, n’est plus qu’un lointain souvenir. Les invités de l’année dernière ne sont plus les bienvenus.
“Nous les considérions comme nos frères musulmans et nous les avons accueillis à bras ouverts”, raconte Bakhtiar Ahmed, élu du gouvernement local de Kutupalong. C’est justement à Kutupalong, à 30 kilomètres de la frontière, que la plupart des réfugiés Rohingyas ont été installés.
Nos terres sont maintenant à eux et nous ne savons pas s’ils vont partir un jour.”
Les habitants ont été débordés par le nombre de réfugiés. Selon les derniers rapports sur la situation, le nombre des Rohingyas dans cette région du Bangladesh serait de 734 655 personnes, ce qui en fait le plus grand campement de réfugiés au monde et c’est trois fois plus que la population locale qui compte 255 100 habitants.
Les oubliés de la crise humanitaire
Une enquête de la Brac, une organisation non gouvernementale bangladaise, montre également que seulement 30 % de la population locale est favorable à leur présence, les autres s’y opposant pour deux raisons.
Premièrement, ils considèrent que les Rohingyas leur font du tort sur le plan économique. Et, deuxièmement, ils ne comprennent pas pourquoi les ONG et les autorités du monde entier fournissent une aide humanitaire à leurs invités birmans sans se préoccuper du sort de ceux qui les accueillent et qui sont déjà pauvres.
Ils sont surtout furieux contre leur gouvernement qui a pris cette décision l’année dernière quand les Rohingyas ont été chassés de Birmanie.
Des affiches de la Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, sont présentes dans chaque camp – 34 au total – avec en légende “La mère de l’humanité”.
“Notre gouvernement reçoit tous les éloges, mais les gens d’ici paient le prix fort”, dit Ahmed.
Des terres confisquées
Environ 2 000 paysans ont dû céder leurs champs ou leurs pâturages pour l’installation des camps, dit-il. La plupart attendent encore les indemnisations promises.
Parmi ceux qui ont subi des dommages collatéraux se trouve Nazir Husain, père de six enfants, qui raconte qu’il a dû céder deux hectares de terres.
“J’avais contracté un bail de 42 ans il y a à peine 10 ans”, dit-il.
J’avais des arbres fruitiers, et je cultivais des céréales, mais un jour l’armée est venue et m’a demandé de partir. Je n’ai pas eu le choix.”
Husain avait aussi six vaches, dont trois sont mortes faute de pâturage. Il a vendu les trois autres et du jour au lendemain son revenu mensuel est passé de 15 000 takas [environ 150 euros] à zéro. Il attend toujours un dédommagement.
Ahmed raconte que parmi les personnes expulsées se trouve une veuve qui habite juste à côté du camp des Rohingyas.
Le plus absurde, c’est que les gens qui vivent sur sa terre reçoivent de la nourriture et une aide humanitaire, tandis que cette veuve, qui a perdu son gagne-pain, n’a droit à rien. Pourquoi les ONG ne lui donneraient pas à manger à elle aussi ?”
Même ceux qui n’ont pas été dépossédés de leurs terres sont touchés par l’afflux de réfugiés.
Après une grosse averse, les routes qui mènent au camp de Kutupalong sont pleines de boue. Il faut dire que des pans entiers de la forêt ont été coupés pour installer les tentes, et l’abattage des arbres est devenu quotidien, pour fournir du bois de chauffage. “Sans les arbres, les inondations et les glissements de terrain vont se multiplier… Certains champs sont devenus marécageux… et les récoltes ont été détruites”, poursuit l’élu local.
Il y a d’autres sujets de friction. Des puits de 213 mètres de profondeur ont été creusés dans les camps pour obtenir de l’eau, ce qui a fait baisser le niveau des eaux, et les habitants de la zone ont vu leurs propres puits – dix fois moins profonds - asséchés.
Embouteillages et augmentation des prix
Les routes étroites de Ukhiya, qui mènent aux camps de réfugiés, sont désormais constamment embouteillées. Les rickshaws motorisés qui conduisent les enfants à l’école ont doublé leurs prix. Le trajet entre Ukhiya et la ville de Cox’s Bazar, qui prenait une heure, en prend désormais trois, à cause des voitures transportant des fonctionnaires et des bénévoles qui encombrent les routes, explique Kajol Borua, un chauffeur de taxi.
Le prix des locations a également grimpé en flèche, les ONG ayant besoin d’espaces de travail. Sans surprise, le rapport de la Brac montre que les revenus des 10 % les plus riches – les propriétaires – ont augmenté. Mais la plupart des gens trouvent que l’accueil des réfugiés leur fait du tort.
“C’est une région pauvre”, dit Ahmed.
Les gens aimeraient être plus généreux, mais ils ne peuvent pas donner ce qu’ils n’ont pas. Nous savons bien que ce n’est pas de la faute des Rohingyas, mais ce n’est pas de notre faute non plus. Et personne ne pense à nous.”
Rahul Pathak
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