Prise de guerre pour les uns, bonne nouvelle pour les autres, la nomination de Nicolas Hulot comme ministre d’Etat à la transition écologique et solidaire le 17 mai 2017 avait généré beaucoup de confusion (lire mon billet à ce sujet [1]). Celui qui avait à plusieurs reprises établi un réquisitoire sans appel contre les politiques néolibérales se décidait à rejoindre un Président pro-Business, un Premier Ministre de droite pro-nucléaire et pro-charbon et un gouvernement où l’essentiel des postes ministériels importants étaient tenus par des ministres proches des lobbys économiques et financiers.
« Osons dire que la violence capitaliste a colonisé tous les cercles de pouvoir » déclarait Nicolas Hulot au moment de la publication de son livre en amont de la COP21, en octobre 2015. Il ne suffit pas de le dire. Encore faut-il en tenir compte dans son engagement quotidien. En démissionnant avec fracas, Nicolas Hulot clôt ce débat : il ne peut y avoir de politiques écologiques à la hauteur des enjeux qui s’accommodent de mesures d’accompagnement de l’ancien monde libéral et productiviste.
Il est encore temps de changer de voie. Il est encore temps faire en sorte que les lobbies ne soient pas toujours ceux qui gagnent à la fin. Il est encore temps de revoir de fond en comble les fondements idéologiques et les soubassements matériels de cette formidable machine économique et financière qui réchauffe la planète, détruit la biodiversité, fragilise les écosystèmes, aggrave les inégalités et nous rend malades
Ce doit être un engagement de tous les instants.
Contre les lobbies. Pas avec eux.
Contre Emmanuel Macron et sa majorité. Pas avec eux.
Avec celles et ceux qui œuvrent en faveur de la transition. Pas contre eux.
C’est possible.
Difficile et exigeant, mais possible.
La démission de Nicolas Hulot permet une chose : tracer une ligne claire entre les adversaires de la transition, qu’il faut combattre, et ceux qui en sont les dignes représentants, qu’il faut soutenir. Puissent ces derniers, si ce n’est s’unir, se retrouver et s’entendre sur l’essentiel : la transition écologique nécessite d’abandonner les dogmes libéraux et productivistes de l’Ancien monde.
Ci-dessous suit le bilan écologique d’un an de présidence Macron, publié au printemps 2017 dans le livre « L’imposture Macron » aux Editions Les Liens qui Libèrent, encore disponible dans les librairies et sur le site d’Attac France.
Maxime Combes
Macron et l’écologie :
vert à l’extérieur, insipide à l’intérieur.
La décision d’abandonner le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, annoncée le 17 janvier 2018 par Edouard Philippe, aurait pu incarner la conversion écologique du macronisme. Il n’en a rien été. Présentée comme « une décision exceptionnelle pour une situation locale exceptionnelle », l’annonce gouvernementale n’a pas été justifiée par l’impératif climatique, la protection de la biodiversité ou la préservation de terres agricoles, autant d’arguments pourtant au cœur de la mobilisation citoyenne contre le projet d’aéroport, mais totalement absents du discours du Premier ministre. Fruit du rapport de force institué par les opposants, la décision du gouvernement, aussi judicieuse soit-elle [2], ne saurait donc matérialiser la dimension « écologique » qu’Emmanuel Macron a donné à son début de quinquennat.
Macron, l’anti-Trump
Un premier mois de quinquennat au cours duquel Emmanuel Macron a réussi deux jolis coups politiques, aussi inattendus que finement joués : obtenir le ralliement de Nicolas Hulot, écologiste le plus apprécié de l’opinion publique et ayant jusqu’ici refusé toutes les propositions de rejoindre un gouvernement, et se présenter comme le meilleur rempart international face au négationnisme climatique incarné par Donald Trump. Inattendus car le candidat Macron fut loin d’être le plus prolixe et le plus convaincant en termes d’écologie lors de la campagne présidentielle. Son programme en la matière comportait, déjà, de nombreuses contradictions, affirmant vouloir « changer de logiciel » tout en donnant la primauté aux intérêts des entreprises multinationales, à la croissance et à la compétitivité de l’économie française [3].
Deux coups finement joués, également, car, d’un côté, la nomination de Nicolas Hulot a permis à Macron de désarmer une partie de la critique écologique tout en laissant les ONG espérer obtenir des avancées notables. De l’autre, en lançant, de façon à la fois tapageuse et super efficace, un « Make our planet great again » à la figure de Donald Trump, quelques secondes à peine après que celui-ci ait annoncé vouloir retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris, Macron s’est auto-propulsé comme la figure internationale garante de la lutte contre les dérèglements climatiques. Une image qu’il entretient, ne manquant aucune opportunité internationale, de New York à Davos en passant par Saint-Louis (Sénégal), pour marquer sa différence avec Donald Trump et cultiver cette idée selon laquelle il serait devenu le gardien de l’ambition climatique internationale.
A l’heure où l’image compte autant, si ce n’est plus, que les actes, Macron est devenu l’anti-Trump adoubé par la presse internationale et les faiseurs d’opinion mondiaux. Qu’importe que cette image ne colle pas tout à fait à la réalité des politiques menées en France ou à la réalité des propositions portées par la France et sa diplomatie à Bruxelles, au sein de l’ONU ou de l’OMC. Une forme de schisme de réalité s’est institué entre le champion du climat que Macron incarne à l’échelle internationale et la teneur des politiques menées sur le plan domestique. Si bien que les critiques, parfois virulentes, émises par les mouvements écologistes français sont souvent mal comprises de leurs homologues internationaux.
Loi hydrocarbures : le hashtag #BusinessAsUsual supplante #MakeThePlanetGreatAgain
Ainsi en est-il de la loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures, dite loi Hulot, votée le 19 décembre 2017. Nombreux sont militants du climat étrangers qui ont vu cette loi comme un exemple à suivre, ravis de voir enfin consigné dans une instrument législatif l’argument selon lequel maintenir le réchauffement climatique bien en-dessous de 2°C implique de ne pas exploiter 80% des réserves d’hydrocarbures. Nicolas Hulot et Emmanuel Macron ne cessent d’ailleurs de rappeler que la France devient l’un des tous premiers pays, avec le Costa Rica, à prendre un tel engagement « exemplaire » et « historique ».
L’objectif assigné à la loi est d’ailleurs approprié et ambitieux : c’est l’objectif qu’il faut poursuivre pour qui veut être sérieux en matière de lutte contre les dérèglements climatiques [4]. Reste que le contenu de la loi en est très éloigné et les failles trop nombreuses. Ainsi, la date de 2040, érigée comme une limite infranchissable pour la fin de toute exploration et exploitation d’hydrocarbures sur le territoire nationale, n’est pas « une cloison étanche » comme l’a finalement reconnu Nicolas Hulot lui-même. Plusieurs permis d’exploitation iront au-delà et deux exemptions ont été introduites avec l’assentiment du gouvernement : une dérogation pour le bassin de Lacq alors que l’exploitation de gaz soufré génère de fortes pollutions aux impacts sanitaires majeurs et la possibilité donnée aux industriels d’exploiter du pétrole et du gaz au-delà de 2040 dans le cas, facile à démontrer pour eux, où ils ne seraient pas rentrés dans leurs frais.
Par ailleurs, contrairement aux annonces initiales, l’interdiction de l’exploration et l’exploitation de l’ensemble des hydrocarbures non conventionnels n’est pas effective. L’exploration et l’exploitation des gaz de couche restent autorisées, alors que l’ensemble de la communauté scientifique reconnaît leur caractère « non conventionnel ». Les intérêts d’une entreprise, la Française de l’Energie, qui détient des permis d’exploration de gaz de couche en Lorraine et dans les Hauts-de-France, ont primé sur la protection de la santé des populations et de l’environnement. Selon une même logique, l’ensemble des amendements visant, modestement, à réglementer les importations d’hydrocarbures les plus polluants, comme les sables bitumineux, ou à ne plus autoriser l’État à apporter son concours direct aux activités des pétroliers et gaziers français à l’exportation ont été rejetés. Les importations d’hydrocarbure représentent pourtant 99% de la consommation française.
Les droits et intérêts des industriels sont intouchables
Si l’on ajoute à ces constats la prolongation d’un permis d’exploration au large de la Guyane pour Total, la prolongation de plusieurs autres permis d’exploration dans l’hexagone et trois nouveaux permis d’exploitation délivrés une fois la loi votée – en vertu du droit de suite que Nicolas Hulot a refusé de remettre en cause – on comprend que la riche et noble ambition qui consiste à vouloir « laisser les énergies fossiles dans le sol » méritait définitivement mieux que la Loi Hulot. Une loi qui illustre assez précisément la logique d’Emmanuel Macron en matière d’écologie et de climat : se positionner à la pointe du combat dans les discours et les annonces, mais restreindre l’ambition immédiate à des mesures qui ne perturbent pas le jeu économique et les droits acquis des acteurs économiques.
Les exemples ne se limitent pas à la loi hydrocarbures. Le programme du candidat Macron prétendait vouloir « placer la France en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens », ces substances chimiques dangereuses omniprésentes dans l’environnement et les objets de consommation courante. Alors que Ségolène Royal s’opposait depuis plus d’un an au texte de la Commission européenne jugé trop laxiste et inefficace par la communauté scientifique, la France a finalement voté en faveur de ce texte le 4 juillet dernier, quelques semaines à peine après l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Les lobbies industriels, désirant conserver le plus longtemps possible une définition qui leur est favorable, ont gagné la bataille.
Autre façon de procéder, mais suivant une même logique : fixer un objectif très ambitieux mais le repousser à plus tard. Le 6 juillet dernier, Nicolas Hulot présentait son plan climat, en six grands thèmes et 23 axes. Un plan jugé relativement ambitieux par les observateurs, malgré le manque de précision. Dans les mesures phares se trouve l’interdiction de commercialisation de véhicules neufs roulant au diesel ou à l’essence. Mesure ambitieuse à souhait, tant le moteur thermique individuel est central dans nos modes de transport et tant l’industrie automobile constitue un lobby puissant dans le pays. L’ambition est affichée. La réalité en est éloignée. La date effective est repoussée à 2040, là où la Norvège a annoncé 2025, l’Allemagne 2030 et les Pays-Bas 2035. Tandis que ni les moyens financiers ni les mesures à mettre en œuvre pour opérer cette transition ne sont précisés. Un horizon est fixé mais nul ne sait comment l’atteindre.
Procrastination plutôt que transition
La procrastination a même été érigée en principe directeur de la politique du gouvernement en matière de transition énergétique. Ainsi, le 7 novembre 2017, Nicolas Hulot s’est présenté devant les médias pour annoncer qu’il serait « difficile » de tenir l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique, qui selon la loi votée en 2015 doit passer de 75 % à 50 % en 2025. Un objectif que le candidat Macron s’était engagé à tenir. Que cet objectif soit ambitieux, personne ne le conteste : il suppose la fermeture d’une vingtaine de réacteurs. Quand on constate les difficultés pour fermer la seule centrale de Fessenheim, et quand on prend en compte les exigences de reconversion industrielle et de transition sociale que cela implique, chacun comprend aisément que le défi est de taille et ne doit pas être sous-estimé. Mais un défi qu’il est décisif de relever : réduire la part du nucléaire est la seule façon de faire grandir la part des énergies renouvelables dans le mix électrique et, par conséquent, dans le mix énergétique du pays.
Alors qu’une programmation pluriannuelle de l’énergie – détermine les financements disponibles pour réaliser les objectifs fixés par la loi – est en cours de préparation, Nicolas Hulot a préféré bazardé l’un des rares objectifs chiffrés de la loi de 2015 sans daigner en présenter un autre accompagné d’un calendrier de mise en œuvre un peu sérieux. In fine, c’est EDF – pourtant détenu à plus de 83% par l’Etat – qui semble dicter le calendrier, annonçant qu’il n’y aurait pas de nouvelle fermeture de réacteurs – autre que Fessenheim – avant 2029. Nicolas Hulot a donné la main aux lobbys nucléaires, présents jusqu’à Matignon avec Edouard Philippe, ancien cadre dirigeant d’Areva. En 2029, certains réacteurs français auront alors 50 ans, une durée de vie très largement supérieure à celle prévue lors de leur construction. Pour tenter de justifier ces renoncements, Emmanuel Macron s’est fait le porte-voix du lobby nucléaire à la tribune de l’ONU, en octobre à Bonn, sommant l’opinion publique française et mondiale de choisir entre l’ambition climatique et la fermeture des réacteurs nucléaires [5]. En plein sommet international sur le climat, le président de la République française s’est donc permis d’instrumentaliser la crise climatique pour justifier le statu-quo nucléaire et défendre les intérêts d’Areva et EDF.
Pour donner le change, Nicolas Hulot affirme avoir obtenu la fermeture des dernières centrales à charbon françaises d’ici à 2022 – promesse déjà faite par François Hollande pour trois tranches qui représentent moins de 1,5 % du mix électrique français – et le renoncement à toute installation de nouvelle capacité thermique. Dans une France où les investissements en matière de déploiement des énergies renouvelables ont diminué en 2015 et 2016 et où les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse, notamment sous l’effet du secteur des transports, le manque d’ambition manifeste de l’exécutif en matière de transition énergétique ne peut pourtant qu’inquiéter. Un manque d’ambition qui s’étend à Bruxelles avec le refus de mener bataille, pied à pied, pour que les objectifs climatiques que l’UE est en train de définir pour la période 2020-2030 soient réellement à la hauteur des enjeux. A l’automne, plutôt qu’accélérer le déploiement des énergies renouvelables en Europe, la France a défendu l’idée selon laquelle il serait possible d’attendre 2027 pour donner un coup d’accélérateur au déploiement des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen. Autre manière de procrastiner aujourd’hui sans qu’il y ait la possibilité de rattraper le retard accumulé demain [6].
Ne pas tout jeter malgré une stratégie inefficace
Bien-entendu, dans un bilan, même au bout d’une seule année de mandat, il est toujours possible de trouver des motifs de satisfaction. Les ONG se réjouissent ainsi de la hausse de la fiscalité écologique (alignement de la fiscalité diesel sur celle de l’essence en 2021 et augmentation de la composante carbone [7] à 86€ la tonne de CO2 en 2020), considérant qu’elle va dans le sens « d’une meilleure prise en compte de l’impératif climatique et de la lutte contre la pollution de l’air au sein de la fiscalité française » [8]. Dans le même temps, les exonérations fiscales, dont bénéficient notamment le transport aérien et routier – et qui représentent jusqu’à 8 milliards d’euros dans le budget de l’Etat – n’ont pas été supprimées et les recettes de la fiscalité écologique n’ont pas été fléchées, même symboliquement, vers le financement de la transition énergétique.
Promettant un effet dissuasif massif à l’avenir sur l’utilisation des énergies les plus carbonés, les promoteurs d’une fiscalité écologique semblent néanmoins oublier que les comportements de chauffage et de mobilité sont fortement contraints et qu’ils ne se modifieront pas sous la seule évolution du prix de l’énergie. Alors que la précarité énergétique atteint des sommets et que le prix du foncier en ville dissuade les moins aisés d’y résider, le renforcement de la fiscalité écologique devrait s’accompagner d’investissements massifs dans la rénovation énergétique des habitations et dans les transports en commun, notamment ferrés, de proximité. Si le chèque énergie doit être revalorisé en 2019 et la prime à la conversion des véhicules les plus polluants doublée pour les ménages non imposables, cela reste insuffisant pour faire sortir les ménages les plus modestes de la précarité énergétique – 6 millions de ménages selon l’Observatoire national de la précarité énergétique. Bien qu’insuffisantes, ces mesures ne suffisent pas à disqualifier le rôle que devrait jouer à l’avenir une fiscalité écologique adaptée, efficace et juste socialement.
Dans les bons points, peut également être citée la bataille menée au niveau européen à propos de la future interdiction du glyphosate. Envisagé par la Commission européenne pour 10 ans, le renouvellement de l’autorisation du glyphosate a finalement été ramené à 5 ans, notamment sous la pression du gouvernement français qui s’est par ailleurs engagé à le faire interdire en France dans un délai de trois ans. A cette occasion, Nicolas Hulot a d’ailleurs modifié sa façon de faire : habitué à endosser publiquement les mauvais arbitrages obtenus dans les couloirs de l’Elysée et de Matignon, il s’est, pour une fois, appuyer sur l’opinion publique et la pression citoyenne pour que le gouvernement soit plus offensif à Bruxelles et soit moins à l’écoute des lobbys agro-industriels. Malheureusement, cette pression pour une interdiction immédiate n’a pas abouti et Nicolas Hulot n’a pas cherché à reproduire pareil rapport de force, passant plus de temps à faire la leçons aux ONG que s’appuyer sur leur action pour repousser les lobbys.
Un refus d’entrer dans le dur
Une pratique constatée à plusieurs reprises lors de ces premiers douze mois du quinquennat. Dès que les enjeux deviennent sérieux, dès qu’il s’agit de prendre des décisions qui vont toucher à la puissance des lobbies, aux pouvoirs et droits acquis des multinationales ou aux règles qui organisent cette formidable machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale, Emmanuel Macron et son gouvernement tergiversent, reportent à plus tard ou limitent leurs ambitions. Ainsi en est-il de décisions qui peuvent être jugées comme relativement anecdotiques, mais qui sont révélatrices : le refus d’interdire la chasse à courre ou encore la confirmation de la construction de nouvelles autoroutes (grand contournement ouest routier de Strasbourg par exemple). Outre la loi portant sur la fin de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures, le cas le plus emblématique est sans doute l’épisode de l’entrée en vigueur provisoire du CETA – l’accord sur le commerce et l’investissement entre l’Union Européenne et le Canada – début septembre 2017.
Vivement interpellé pendant la campagne électorale à ce sujet, Emmanuel Macron s’était engagé à mettre sur pied « une commission de scientifiques » pour évaluer les conséquences de l’accord en matière d’environnement et de santé et à en tirer « toutes les conclusions », y compris « faire modifier ce texte ». Remis au Premier Ministre ce vendredi 8 septembre, les conclusions de cette commission d’experts indique que le CETA manque clairement d’ambition en matière environnementale, ne comportant « aucun engagement contraignant ». Sur le plan du climat, c’est encore plus clair : « le grand absent de l’accord est le climat » et l’impact du CETA sur le climat, en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES), est jugé « défavorable ».
Ce constat n’est pas surprenant. Il reprend une bonne partie du constat que certaines ONG, dont Attac France et l’Aitec, on établi dès que le texte final de l’accord a été disponible [9]. Croissance des émissions de GES, absence de référence aux objectifs internationaux fixés dans le cadre de l’Accord de Paris, volonté de libéraliser les secteurs de l’énergie et du commerce des biens et services environnementaux, protection des investisseurs au détriment de la capacité des États et collectivités à opérer la transition énergétique, absence de dispositif contraignant en matière d’environnement ou de développement durable, les griefs sont nombreux, établis et bien documentés. Ils s’appuient également sur l’analyse des accords de commerce et d’investissement des vingt dernières années, au cours desquelles les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale n’ont cessé de s’accroître.
Pourtant, quelques jours après la publication de ce rapport critique, loin d’en « tirer toutes les conclusions », Emmanuel Macron a entériné l’entrée en vigueur provisoire du CETA au 21 septembre, considérant qu’il était trop tard pour renégocier l’accord ou en retarder la mise en application. L’occasion était unique pour qui souhaite vraiment « intégrer des objectifs environnementaux dans la politique commerciale » [10] : un accord non encore ratifié et non encore entré en vigueur. Il n’y a pas mieux pour ouvrir une brèche et imposer à l’Union européenne, qui négocie au nom des Etats-membres ce type d’accords, de revoir de fond en comble le mandat commercial européen à l’aune de l’exigence climatique. Il n’en a rien été.
Depuis, à intervalle régulier, Emmanuel Macron et certains membres du gouvernement ne manquent pas une occasion pour dire qu’ils appellent à revoir le contenu des accords de commerce et d’investissement pour les rendre compatibles avec la lutte contre les dérèglements climatiques ou avec la protection de l’environnement. Suite à l’opportunité manquée du CETA, comment dès lors faire croire que l’exécutif français a cette volonté de modifier le mandat commercial européen, dont une partie dépend des Traités existants, ou de rénover en profondeur les accords qui fondent l’Organisation mondiale du commerce, une tâche qui exigerait un accord de l’ensemble des pays membres ? La décision du l’exécutif français sur le CETA est lourde de conséquence : elle entérine des règles commerciales internationales qui maintiennent l’urgence climatique ou les règles environnementales à un niveau subalterne.
Place au business pour nous sauver du chaos climatique
L’épisode du CETA, désormais confirmé par un soutien inconditionnel de l’exécutif aux négociations en cours pour de nouveaux accords entre l’Union européenne d’un côté, le Japon, le Mercosur, et bien d’autres pays ou régions, de l’autre, a montré qu’Emmanuel Macron et son gouvernement tranchent, in fine, pour la poursuite de politiques économiques finalement assez classiques et pas du tout rénovées à l’aune de l’impératif climatique. Pas si étonnant que cela quand on tient compte de la trajectoire propre d’Emmanuel Macron ou même de sa majorité, l’assemblée nationale de 2017 devant être l’une des plus « pro-Business » de l’histoire du pays. Pas étonnant non plus d’entendre le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, Sébastien Lecornu, affirmer que lorsque Macron « parle d’économie, il parle d’écologie » pour le dédouaner de ne pas avoir insisté d’avoir suffisamment insisté sur la seconde dans une interview à la télévision.
C’est une constante de la pratique de l’exécutif en matière de protection de l’environnement et de climat : donner les clefs aux entreprises privées pour résoudre les problèmes contemporains. Il en est d’écologie comme du reste : l’exécutif n’hésite pas, quitte à suspendre les réglementations environnementales ou d’urbanisme [11], à donner plus de place aux entreprises privées au nom de la lutte contre les dérèglements climatiques. Le One Planet Summit, le sommet qu’Emmanuel Macron a organisé le 12 décembre dernier, pour les deux ans de la finalisation de l’Accord de Paris sur le climat, en fut l’expression la plus aboutie. Supposé débloquer des financements pour le climat et « verdir la finance », ce sommet a surtout servi à mettre en avant les initiatives, plus ou moins efficaces et appropriées, que les institutions financières, investisseurs privés, entreprises et milliardaires philanthropes ont bien voulu annoncer.
Ainsi, alors que les pouvoirs publics disent peiner à réunir les dizaines de milliards d’euros nécessaires pour financer la solidarité climatique envers les populations les plus vulnérables face aux dérèglements climatiques, ce sont les Michael Bloomberg, Bill Gates ou encore Richard Branson, tous pris dans des révélations concernant des pratiques d’évasion fiscale – pratiques qui grèvent les financements publics – qui se retrouvent sous les feux des projecteurs pour financer la lutte contre les dérèglements climatiques. Une contradiction qui ne semble pas ennuyer l’exécutif français : à l’échelon national et européen, n’ont-ils pas, coup sur coup, sabordé toute véritable taxe sur les transactions financières à l’échelle européenne et réduit l’ambition de la taxe existant en France ? [12]
A la fin, le #BusinesAsUsual qui l’emporte
Cette logique s’inscrit parfaitement dans les réponses fournies par la communauté internationale au lendemain de la décision de Donald Trump visant à quitter l’Accord de Paris sur le climat. Quand les équilibres de la planète sont prêts à rompre, quand le seuil de l’irréversible est sur le point d’être franchi, comme le reconnaît d’ailleurs Emmanuel Macron, et quand la première puissance de la planète plonge dans le déni climatique, on attend des chefs d’État qu’ils prennent des décisions courageuses et visionnaires. On attend un véritable sursaut politique. Malheureusement, ce sursaut politique n’est pas venu. Pas plus à Paris qu’à Berlin, Tokyo ou Pékin. C’est même le contraire puisque les puissances de ce monde ont affirmé que la décision de Donald Trump n’était finalement pas si grave, car le le monde économique, les acteurs privés allaient prendre le relais.
Une posture qui conduit à affirmer qu’au moment où il est nécessaire de réguler des secteurs entiers pour opérer une reconversion industrielle d’une ampleur immense, la puissance publique pourrait se désengager et laisser les entreprises qui ont, pour partie, nourri la catastrophe climatique, essayer de « nous sauver » de ce péril. Lors du One Planet Summit d’Emmanuel Macron, ce discours était omniprésent, comme si le secteur financier allait devenir climato-compatible de sa propre initiative. Faire basculer l’ensemble du système financier implique pourtant des décisions autrement plus difficiles que de d’inviter quelques mécènes, espérer quelques initiatives mineures et encourager le secteur financier à développer un mini secteur des obligations vertes qui, d’ailleurs, ne le sont pas vraiment [13].
A l’appel des 15 000 scientifiques publié en octobre 2017, dont les analyses justifient de transformer extrêmement rapidement les soubassements matériels de notre formidable machine à détruire la planète qu’est l’économie mondiale, Emmanuel Macron, comme les autres élites politiques et économiques mondiales, a surtout répondu par de beaux discours tout en montrant que sa véritable obsession consistait à ne surtout pas toucher aux fondements de cette formidable machine. Si l’opération #MakeOurPlanetGreatAgain fut une grande réussite en termes de communication et de construction d’une stature internationale, in fine, c’est le #BusinesAsUsual qui l’emporte. Une réalité qui caractérise autant la politique d’Emmanuel Macron que les défis auxquels nous faisons face. Verte à l’extérieur, et finalement relativement insipide à l’intérieur, la politique environnementale d’Emmanuel Macron s’apparente à un concombre. En moins rafraîchissant.
Maxime Combes