C’était le début de l’été et Edouard Philippe et Nicolas Hulot prenaient la pose pour témoigner de leur commune préoccupation d’un prochain « effondrement » de notre civilisation ; ils confessaient même avoir tous deux fait de l’ouvrage éponyme de Jared Diamond leur livre de chevet.
Les deux mois écoulés depuis n’ont fait que confirmer leurs inquiétudes : incendies gigantesques et meurtriers en Californie et en Grèce, inondations puis canicule au Japon, records de chaleur en Arctique et accélération de la fonte de la calotte glacière, mousson meurtrière en Inde, fragilisation des Alpes en raison de la fonte du permafrost, effondrement des populations d’insectes et d’oiseaux, etc. Le faisceau des catastrophes, et l’émoi public qu’elles suscitent, auraient pu conduire le gouvernement à faire de l’urgence écologique sa priorité de la rentrée. Malheureusement le Premier ministre s’est borné fin août à l’annonce de nouvelles mesures d’austérité budgétaire, et que Nicolas Hulot a pris l’ensemble de la classe politique par surprise en démissionnant la semaine passée.
Il a ainsi rappelé que les mots ont un sens et que, face à la catastrophe, tergiverser n’est pas une option : avancer lentement revient au contraire à la précipiter. Les leçons à tirer de son échec sont nombreuses - y compris pour celles et ceux qui, comme nous, se situent résolument du côté de la société civile et des mouvements sociaux.
Il est temps tout d’abord de faire le deuil définitif de la figure providentielle (la plupart du temps un homme - avec tout ce que cela implique dans l’exercice du pouvoir) qui viendra nous « sauver » de la catastrophe qui vient. L’engagement, la sincérité et la conviction ne suffiront jamais à remporter des arbitrages ministériels dans les couloirs de Bercy, Matignon ou l’Élysée. Seul un rapport de force construit collectivement, habile, subversif, capable de peser à l’intérieur des institutions, depuis l’extérieur le permettra. L’expérience de Nicolas Hulot devrait aussi questionner la conviction d’une partie des acteurs·trices de la société civile certains qu’un passage par la case politique suffit à faire gagner leurs idéaux.
Le deuxième enseignement est tout aussi limpide : l’écologie ne sera jamais compatible avec le néolibéralisme et le productivisme, dont Emmanuel Macron est l’incarnation parfaite. Ce constat a des implications stratégiques fortes - en particulier en termes d’alliances : aucune union sacrée n’est possible, contrairement à ce pensait Nicolas Hulot. Le climat, l’environnement et la biodiversité ont des ennemis, et les êtres humains soucieux de les défendre ne peuvent transiger avec eux. Les identifier, les exposer et les dénoncer doit rester l’une de nos priorités.
Le troisième enseignement est structurant. Il ne s’agit plus d’empiler les ajustements cosmétiques et les promesses faciles : nous avons besoin d’une révolution de l’action publique. Il s’agit bien de repenser les structures même de l’État pour faire évoluer son rôle. De trois manières au moins.
L’Etat doit d’abord s’affirmer et redevenir une puissance capable de coercition et de contrainte pour mettre un terme aux activités destructrices du climat et de la planète et de s’assurer que des réparations seront payées pour les dommages passés. Il est de notre responsabilité de pousser les pouvoirs publics à retrouver le pouvoir de dire « non » : lobbies industriels et financiers doivent être bannis d’urgence de tous les espaces du débat et de l’action publics. Les mécanismes volontaires, codes de bonnes conduites, accords (nationaux ou internationaux) juridiquement non-contraignants ont fait la preuve de leur inefficacité. Inversement, les accords internationaux qui donnent aux acteurs économiques privés des recours pour empêcher l’action publique en faveur du climat et de l’environnement ont fait preuve de leur dangerosité : il est temps d’y mettre fin et d’en sortir. Le pouvoir de dire non, c’est justement celui d’encadrer, de limiter et/ou d’interdire les activités qui menacent notre santé, notre avenir et la survie des habitant·e·s de notre planète, humain·e·s comme non-humain·e·s.
D’un même mouvement, l’Etat et les pouvoirs publics doivent également apprendre à dire « oui » et à s’appuyer sur les acteurs de la transition écologique et sociale pour encourager, dynamiser et faciliter les expériences (parfois éminemment locales) d’organisation (de la production, de l’habitat, de la circulation des biens et des marchandises) réellement durable. Jusque dans leurs fragiles balbutiements, les initiatives de toutes celles et ceux qui, depuis la société civile, expérimentent le monde de demain et inventent de nouvelles formes de coopération, de solidarités locales, relocalisent la production énergétique ou agricole, doivent désormais être soutenues sans réserve, au lieu d’être combattues et marginalisées.
Redonner ce double pouvoir à l’Etat pourrait commencer par un choix courageux, mais emblématique : mettre un terme à tout financement public accordé aux énergies fossiles et nucléaires, et dédier la totalité des investissements publics dans l’énergie aux initiatives de transition et de relocalisation de la production.
Emmanuel Macron a de son côté choisi de prendre le temps avant de choisir son successeur à l’hôtel de Roquelaure - ménageant ainsi le suspens tant sur le nom de l’élu que sur la manière dont il allait infléchir (ou non) la politique de son gouvernement suite au départ d’un de ses ministres les plus emblématiques.
Mais en portant François de Rugy à l’hôtel de Roquelaure, l’exécutif montre qu’aucune de ces leçons n’a été entendue et prise en compte. Il accrédite au contraire l’idée-fausse selon laquelle la protection de l’environnement relève avant toute chose de l’art du compromis, et qu’elle dépend surtout de la maîtrise émotionnelle du ministre.
Or, au-delà de la nomination d’un nouveau ministre, totalement secondaire à ce stade, le sursaut appelé par Nicolas Hulot lui-même aurait dû prendre la forme de mesures qui écartent durablement, et structurellement, les recettes libérales, technicistes et productivistes, et qui proscrivent toute emprise des intérêts économiques et financiers sur nos vies et notre avenir. Et le nouveau ministre, 100% Macron-compatible, ne s’inscrit pas dans cette voie.
Prise au sérieux, l’urgence écologique exige pourtant que toutes les décisions, celles de Bercy notamment, soient conditionnées à cet impératif et au strict respect des obligations et des engagements pris en matière de lutte contre les dérèglements climatiques et de protection de la biodiversité. Pour que ces enjeux ne soient pas systématiquement sacrifiés à des compromis politiques ou au pseudo-réalisme budgétaire, un pouvoir de contrainte et de veto sur l’ensemble des autres ministères doit être institué au cœur de l’exécutif et de l’appareil d’Etat : notre avenir ne peut plus être déterminé par les sentences de Bercy, les injonctions de l’Inspection des finances, ni par des arbitrages opaques, empoisonnés par les lobbies industriels et financiers, à Matignon ou l’Elysée. Sauf immense surprise, De Rugy ne sera pas doté de ce droit de veto et l’impératif écologique sera soumis aux priorités et contraintes fixées par Bercy.
En l’absence de sursaut politique et institutionnel, il faut maintenant se pencher du côté de la société civile. Les appels spontanés nés sur les réseaux sociaux pour organiser des manifestations pour le climat ce samedi 8 septembre, auxquels se sont joints de nombreuses associations et ONG, sont une bonne nouvelle. Immisçons-nous collectivement, pour explorer, avec enthousiasme et espoir, les voies alternatives qui parfois s’expérimentent déjà, restent ailleurs à inventer. Il est encore temps de déjouer l’effondrement qui vient.
Signataires :
Amelie Canonne, Global campaigner on Iconic projects 350.org ;
Maxime Combes, économiste et militant pour la justice climatique (son blog sur Mediapart ≥ [1]) ;
Nicolas Haeringer, chargé de campagne pour 350.org (son blog sur Mediapart [2]).