Si elles le font moins facilement que dans d’autres pays comme les États-Unis, les femmes victimes de harcèlement sexuel ou de viol osent davantage prendre la parole en Chine. Le mouvement #MeToo a connu un nouvel élan ces dernières semaines avec les témoignages de plusieurs dizaines de Chinoises. Des dirigeants d’ONG, des journalistes, des entraîneurs sportifs ou encore des intellectuels ont été accusés de harcèlement sexuel ou de viol.
Cela a commencé par le témoignage d’une jeune femme publié sur WeChat, mercredi 25 juillet. Elle a expliqué avoir été violée à Pékin en juillet 2015 par Lei Chuang, un militant qui est connu pour son engagement contre les discriminations. Le militant a reconnu les faits avant de s’en excuser et de quitter la direction de l’association qu’il a créée. Il s’est rendu à la police et a accepté les sanctions judiciaires à venir. Même si, a-t-il ajouté, il n’a pas perçu le non-consentement de la victime aux moments des faits, relate South China Morning Post.
Après ce premier témoignage, plus d’une dizaine de femmes ont pris la parole sur les réseaux sociaux et dans les médias pour dénoncer des agressions sexuelles et des viols, dont les auteurs étaient issus de milieux variés. “Le mouvement #MeToo a permis de sensibiliser le public”, se félicite dans leWall Street Journal Zheng Xi, une étudiante qui lutte contre les agressions sexuelles dans les universités. “Les gens rejettent de moins en moins la faute sur les victimes.”
Un succès à relativiser
L’une des situations des plus médiatisées est celle d’un célèbre journaliste, Zhang Wen, accusé par six femmes de viol et de comportements déplacés. Pour Li Tingting, une militante pour l’égalité entre les sexes, “ce n’est que le début du mouvement #MeToo en Chine”, rapporte The New York Times.
Les structures patriarcales sont partout. La culture du viol reste profondément ancrée.”
Le quotidien new-yorkais analyse : “Toutes ces lettres, dont bon nombre sont anonymes, ne semblent pas faire partie d’une opération coordonnée, elles sont une condamnation collective de la culture patriarcale qui sous-tend toute la société chinoise.”
L’espoir de voir grandir le mouvement en Chine est donc important, relaie The Guardian, qui cite Yi Xiaohe, une productrice qui a accusé le journaliste Zhang Wen de viol : “Il suffit d’une étincelle pour provoquer un grand incendie.” Il est vrai que plusieurs autres femmes ont ensuite osé prendre la parole. En témoigne un magazine à Pékin qui a reçu, en moins de vingt-quatre heures, plus de 1 700 réponses à son appel à témoignages. Ou encore un avocat qui a proposé d’offrir gratuitement ses conseils aux victimes sur le réseau social Weibo et qui a reçu environ 30 demandes en un jour, rapporte le quotidien britannique.
Ne pas troubler l’ordre des choses
Pour autant, le mouvement reste limité, car la peur de prendre la parole en public sur ces sujets domine encore largement, note Quartz. Cela explique en partie pourquoi, lorsque les victimes osent témoigner, elles le font majoritairement de manière anonyme. “Plusieurs amies m’ont dit avoir été violées. Si elles ne disent rien, c’est parce qu’on leur ferait payer cher. Elles ne veulent pas en souffrir à nouveau”, explique au Wall Street Journal l’autrice Chun Shu.
Et Quartz d’ajouter :
En Chine, les gens ne parlent pas beaucoup de leurs droits. Quand ils le font, les autorités s’empressent de les faire taire, quel que soit le sujet, de peur de troubler l’ordre public.”
Exemple type, en 2015, cinq féministes ont été arrêtées et placées en détention pendant trente jours parce qu’elles avaient organisé des manifestations en faveur de l’égalité des sexes dans plusieurs villes.
“Certains responsables ne voient pas d’un bon œil cette importation étrangère (du mouvement #MeToo) et y voient une possible source de contestation dans un pays qui tient à sa stabilité”, analyse The New York Times.
Le terme “MeToo” bloqué sur les réseaux sociaux
Pour ne pas troubler cette stabilité, justement, le gouvernement a renforcé son dispositif de censure. Sur les réseaux sociaux chinois, à la suite de cette nouvelle libération de la parole, le terme “MeToo” a été bloqué, et certains témoignages ont été supprimés. Et les victimes doivent se heurter à d’autres obstacles :“La police incite souvent les victimes à ne pas porter plainte, surtout lorsqu’il n’y a pas eu viol. Il est rare que le harcèlement sexuel soit puni, et au civil les réparations se bornent à des indemnités et à des excuses, indiquent des spécialistes du droit”, souligne The Guardian.
Le harcèlement sexuel n’est pas nécessairement une question de sexe, mais de pouvoir. Quand le puissant abuse du faible, c’est la plus grande injustice.”
Une ancienne stagiaire de la chaîne CCTV (le réseau principal de télévision en Chine), qui a voulu porter plainte contre le journaliste Zhang Wen, en est l’exemple. Lorsqu’elle a rapporté les faits à la police, les forces de l’ordre ont tenté de la décourager pour ne pas “tourmenter ses parents” et compte tenu de “la forte influence positive” que représente le présentateur TV dans la société chinoise.
“Les spécialistes estiment qu’il ne va pas être facile pour le mouvement #MeToo de faire tomber des responsables officiels ou des personnalités du monde des affaires car le Parti communiste contrôle étroitement la société civile”, prévient The New York Times.
La Chine occupe la 100e place sur 144 au classement des pays qui respectent l’égalité des genres, selon le Forum économique mondial. 15 % des Chinoises citadines âgées de 20 à 64 ans ont déjà été victimes de harcèlement sexuel.
Audrey Fisné
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