C’est ce qui a renforcé un détachement/rejet toujours plus fort envers l’Union européenne et envers l’idée même d’unité du continent européen, qui a alimenté le développement de positions nationalistes (pour certains le retour à l’âge mythique de la souveraineté nationale), dont beaucoup sont profondément réactionnaires, racistes, xénophobes et même fascistes.
Critique xénophobe de l’UE
C’est ce qui explique à la fois la sévère défaite du Parti démocrate, le parti qui était devenu l’interprète et le gestionnaire le plus important des intérêts de la grande bourgeoisie, et la victoire électorale du Movimento 5 Stelle (M5S) de Di Maio et de la Lega de Salvini. Ces partis se présentent comme les défenseurs de la souveraineté nationale tout en renforçant leurs liens avec les gouvernements les plus réactionnaires d’Europe, mais surtout en menant (en particulier le ministre de l’Intérieur Salvini, avec l’accord du M5S) une campagne réactionnaire contre les migrantEs, choisis comme boucs-émissaires des difficultés que vivent de larges secteurs de la population et auxquelles ce gouvernement ne peut ni ne veut donner de réponse.
La critique de l’Union européenne vient donc de droite, associée à la question migratoire qui est, pour le moment, le thème dominant, éclipsant même la question de l’euro encore récemment centrale dans le débat sur l’Europe. Il faut malheureusement constater que cette campagne raciste nauséabonde remporte l’adhésion : elle empoisonne toute la société, elle déshumanise une partie de la population et produit de l’indifférence par rapport à la tragédie qui a lieu en Méditerranée, ouvrant la voie à de futures régressions de la démocratie.
Un gouvernement au service de la bourgeoisie nationale
Bien qu’ayant des implantations différentes, le M5S et la Lega sont l’expression de secteurs de la petite et moyenne bourgeoisie, mais ont d’étroites relations avec les groupes dirigeants du patronat (surtout la Ligue, qui administre depuis des années la région la plus développée du pays, la Lombardie). Si ce gouvernement a pu exister, c’est parce que, dans certains ministères importants, il y a des hommes de confiance de l’establishment libéral ; la loi de finances en préparation reste dans la droite ligne des traités européens. Si l’ancien gouvernement s’était distingué par ses cadeaux aux grandes entreprises et aux banques, la souveraineté nationale que revendique le gouvernement actuel a pour but de distribuer différemment les richesses à l’intérieur de la classe bourgeoise pour sauvegarder des groupements d’entreprises que la concurrence internationale met encore plus en difficulté.
Contre ce gouvernement, il n’y a pas encore eu de ripostes à la hauteur des enjeux, même s’il y a des luttes sociales pour la défense des emplois et des mobilisations partielles de solidarité avec les migrants.
Construire une alternative politique et sociale
Pour construire une alternative politique et sociale, la tâche qui attend les forces de la gauche, c’est de savoir comment combattre à la fois les politiques d’austérité de l’UE, le faux européanisme libéral du Parti démocrate (aujourd’hui dans l’opposition), lié à d’importants secteurs de la bourgeoisie, et l’action de ce gouvernement de droite et raciste, sans oublier les régressions nationalistes et réactionnaires à l’œuvre dans la société.
De nombreuses forces politiques et sociales à la gauche du Parti démocrate ont soutenu, dans les années passées, le processus de l’unité européenne, à partir d’une position qui acceptait le cadre institutionnel de l’UE, tout en demandant une réforme des traités dans un sens démocratique et social.
Cela n’a donné aucun résultat parce que le rejet des politiques d’austérité n’a été défendu que sur le plan électoral, sans capacité ni volonté de construire les résistances sociales nécessaires.
On trouve encore dans certains secteurs cette approche réformiste vis-à-vis de l’Union européenne, même si une force comme Rifondazione a radicalisé sa position en disant qu’il faut désobéir aux traités européens en refusant leurs directives.
Refuser le piège du néosouverainisme
D’autres forces, au contraire, partant de la dénonciation du caractère capitaliste et antipopulaire des traités européens et de la nécessité de la sortie de l’euro et de l’UE, ont maintenant une position néosouverainiste : elles jugent indispensable de retrouver une pleine souveraineté nationale et monétaire ; elles ne réfléchissent pas à un processus de construction d’une alternative des classes laborieuses à l’échelle du continent, et elles envisagent au contraire la formation d’une zone méditerranéenne indéfinie dont les contours de classe sont pour le moins incertains.
En ce qui nous concerne, nous pensons que l’UE est un outil des classes bourgeoises européennes pour imposer leur domination et l’exploitation des classes laborieuses, pour détruire les conquêtes sociales arrachées après la Seconde Guerre mondiale, et qu’elle doit donc être combattue à fond. Mais nous croyons aussi qu’il est nécessaire de construire un projet alternatif à l’échelle européenne, un projet internationaliste et anticapitaliste qui puisse être crédible et réalisable en impliquant les centaines de millions de travailleurEs présents sur le continent européen. Un projet fondé sur le rejet des politiques d’austérité, la construction des mobilisations, la solidarité des luttes à l’échelle européenne, la solidarité avec les migrantEs et le combat contre les frontières qui divisent les travailleurEs et les peuples. Un projet prônant l’auto-organisation démocratique des exploitéEs comme outil indispensable pour construire une véritable -alternative politique et sociale.
Franco Turigliatto, dirigeant de Sinistra anticapitalista