Le groupe était baptisé « Action des forces opérationnelles ». Il avait son sigle – AFO – et un objectif affiché : « Lutter contre le péril islamique. » Les dix personnes interpellées dans la nuit du 23 au 24 juin, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 14 juin, ont été mises en examen, dans la soirée du mercredi 27 juin, notamment pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Six d’entre elles ont été placées en détention provisoire, quatre sous contrôle judiciaire. Deux ont toutefois demandé que le débat sur leur incarcération soit différé. Les conditions de leur détention pourraient être ajustées sous peu, après l’examen de leur situation par le juge des libertés et de la détention.
Il s’agit du deuxième coup de filet important dans les milieux d’extrême droite depuis un an. Le signe d’une vigilance accrue des services de renseignement vis-à-vis de ces groupuscules, ravivés notamment par les difficultés du Rassemblement national (RN, ex-Front national).
D’après les premiers éléments de l’enquête, ces dix personnes, âgées de 32 à 69 ans, arrêtées en Corse, en Charente-Maritime, dans la Vienne et en région parisienne, n’agissaient pas de façon totalement clandestine. AFO a même un site Internet, « Guerre de France », au sous-titre évocateur : « Préparation des citoyens-soldats français au combat sur le territoire national. » L’un de ses responsables s’est d’ailleurs fendu d’un communiqué anonyme auprès de l’Agence France-Presse, mercredi soir, démentant tout projet de « violences dans la situation actuelle » de la part de son mouvement.
Dans la myriade de groupes qui composent cette mouvance, AFO appartenait à une branche qui adhère aux thèses identitaires, et avait la spécificité de chercher à recruter dans les cercles d’anciens policiers et militaires. Son but : organiser une « résistance » en cas de « guerre » communautaire. Notamment en proposant des stages de survivalisme ou des formations au combat.
Recherche active d’armes à feu
Depuis quelques mois, les ambitions d’AFO avaient pris une tournure plus offensive, ce qui a déclenché l’enquête préliminaire, ouverte le 13 avril, confiée à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Des réunions se sont tenues, au cours desquelles les participants ont pu « s’attacher à définir des objectifs et des actions à mettre en œuvre pour les atteindre », a notamment indiqué le parquet de Paris dans un communiqué, mercredi soir. Des repérages ont eu lieu. Parmi les cibles : des imams radicaux, des ex-détenus pour terrorisme, des femmes voilées choisies au hasard dans la rue ou des supermarchés halal.
Les contours de ces projets étaient imprécis, mais la recherche active d’armes à feu a fait redouter un passage à l’acte à la DGSI. En témoigne l’important stock saisi lors des perquisitions : dix-sept armes de poing, vingt-deux armes d’épaule, plusieurs milliers de cartouches et des grenades à plâtre. La plupart détenues sans autorisation.
Plusieurs éléments entrant dans la fabrication d’explosifs de type TATP ont par ailleurs été découverts chez un des mis en examen. Des explosifs ont été testés, en forêt, par certains membres. Un feuillet en forme de guide de fabrication a également été retrouvé. Il était intitulé « Le napalm maison ».
Dérive
A l’origine, AFO est une scission d’une autre association ayant, elle, une vitrine légale : les Volontaires pour la France (VPF), dont l’ambition est toujours officiellement de « défendre l’identité française ». Comme l’a dévoilé Mediapart, les VPF ont été créés dans le contexte de la vague d’attentats touchant la France en 2015, notamment par le père d’une femme tuée au Bataclan. Parmi ses 800 membres revendiqués figurent quelques personnalités de l’extrême droite, tels le général en retraite Christian Piquemal, radié des cadres de l’armée après avoir participé à une manifestation antimigrants interdite à Calais, ou encore Yvan Blot, ex-cadre du FN et cofondateur du Club de l’horloge, un think tank réunissant des hauts fonctionnaires de droite et d’extrême droite.
Comme cela arrive régulièrement dans la nébuleuse d’ultradroite, une partie des membres des VPF s’est lassée de la vitrine de l’association, trop policée à son goût face à l’ampleur des « menaces » pesant, à leurs yeux, sur la France. Une scission a donc eu lieu, puis s’est produite la dérive aujourd’hui dans le viseur de la justice. Le fait qu’AFO cherche – comme les VPF – à recruter dans les milieux militaires ou policiers a attiré l’attention des services de renseignement d’autant plus rapidement.
Guy S., le chef de file présumé d’AFO, interpellé samedi, est lui-même un policier à la retraite. Agé de 69 ans, il était, selon nos informations, en arrêt maladie depuis 1999 et a quitté la police nationale en 2004. Domicilié en Charente, il avait été assesseur pour le FN dans sa commune, sans toutefois en être adhérent. Un ancien militaire de 32 ans, un ex-professeur, un artisan et un employé de restaurant figurent parmi les autres mis en examen. Seuls deux d’entre eux ont des antécédents judiciaires et ont été condamnés pour des délits de droit commun.
Contexte de crise du FN, devenu RN
Le démantèlement d’AFO révèle une dérive similaire à celle de Logan N., ce jeune homme de 22 ans interpellé en juin 2017 à Vitrolles (Bouches-du-Rhône). Lui aussi était passé par divers groupuscules légaux d’extrême droite dont il était toujours sorti insatisfait. Lui aussi avait été assesseur pour le FN dans sa commune, en 2017, sans en être adhérent. Son Organisation de l’armée secrète (OAS) visait également principalement des cibles musulmanes. Seule différence : ses dix membres, interpellés en octobre 2017, étaient plus jeunes que ceux d’AFO. Aucun n’avait plus de trente ans et trois étaient mineurs.
La dérive de Logan N. ou de certains membres d’AFO s’inscrit dans un contexte de crise du Rassemblement national : le parti captait beaucoup des aspirations nationalistes jusqu’à récemment. Un phénomène classique de vase communicant que la formation d’extrême droite récuse toutefois officiellement. Depuis l’annonce des interpellations, Marine Le Pen défend la ligne ferme du « pas d’amalgame » entre son RN et le groupuscule suspect. Et ce face à un rapprochement provoqué par le discours de son parti recentré quasi exclusivement sur l’immigration depuis un an, et le retour en grâce des identitaires au sein de l’appareil.
Ce n’est « pas un sujet » non plus pour le député européen RN Nicolas Bay, qui « condamne, évidemment », mais renvoie la violence politique à « l’extrême gauche et ses black blocs » et la violence terroriste aux « islamistes » : « Ce qui est sûr c’est que, dans notre pays, les seuls attentats qui ont été commis avec succès sont le fait des islamistes. » Le député RN des Pyrénées-Orientales et conjoint de Marine Le Pen, Louis Aliot, est même allé plus loin dans les colonnes de L’Opinion, mercredi : « Si des groupes se constituent pour se défendre, c’est avant tout parce que l’Etat fait preuve de laxisme contre l’islam radical. »
Ambivalence de l’opinion
Des propos dans la même veine que ceux des membres d’AFO, qui « se sentaient investis d’une mission de service public par substitution », analyse le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, Jean-Yves Camus. Or, moins que la violence intrinsèque de ces groupuscules, le chercheur craint la « portée symbolique » d’un éventuel passage à l’acte, même isolé, d’un individu se revendiquant d’extrême droite. D’autant que l’opinion apparaît dans une relative ambivalence sur le sujet. Selon une enquête IFOP de juillet 2016 pour Atlantico, réalisée après l’attentat de Magnanville, seules 51 % des personnes interrogées indiquaient qu’elles condamneraient des « actions de représailles incontrôlées ». Elles étaient 39 % à affirmer qu’elles les comprendraient sans les approuver, et 10 % qu’elles les approuveraient.
Cette inquiétude est partagée par les services de renseignement, même si, de par sa masse, la menace du terrorisme islamiste demeure largement plus préoccupante que la radicalisation de l’ultradroite. Dans un entretien au Monde, le 15 juin, la patronne de Scotland Yard, Cressida Dick, plaçait la montée du terrorisme d’extrême droite parmi ses trois principaux points de vigilance.
A l’évolution de l’opinion publique, Nicolas Lebourg, chercheur associé au Centre d’études politiques de l’Europe latine (CNRS-université de Montpellier) et spécialiste de l’extrême droite, ajoute un « climat politico-idéologique » qui peut être dangereux, selon lui. Davantage que la radicalité - pas forcément synonyme d’usage de la violence - c’est surtout le rapprochement des arguments du terrorisme d’extrême droite et de la « culture mainstream » qui l’inquiète : « Quand le terrorisme d’extrême droite des années 1970 faisait sauter une boutique Daniel Hechter par antisémitisme, cela ne correspondait pas à une attente des gens. Aujourd’hui, leurs arguments collent à ceux qui agitent l’espace public. »
Lucie Soullier et Elise Vincent
Lexique : Ultradroite
Derrière le nom d’« ultradroite » se cache une multitude de groupuscules aux actions violentes issus de l’extrême droite, le plus souvent à effectif très réduit. Si ces groupuscules peuvent entretenir des différences de fond (sur leur position par rapport à la religion chrétienne, par exemple), ils partagent un goût commun pour l’extraparlementarisme, c’est-à-dire que se présenter à des élections ne fait pas partie de leurs moyens d’action. Tous ces groupuscules, qu’ils soient d’inspiration pétainiste, fasciste ou néonazie, se retrouvent sur le rejet de l’islam et de l’immigration. La plupart du temps antisémites et favorables à une Europe exclusivement blanche, ils veulent « enclencher la remigration », une théorie d’extrême droite prônant l’expulsion de populations d’origine étrangère.