La Thaïlande est le pays du coup d’Etat. Depuis 1932, il y en a eu dix-neuf, dont douze qui ont réussi, en comptant celui du jeudi 22 mai. Chaque putsch a eu ses particularités et s’est déroulé de manière plus ou moins sanglante. L’avant-dernier putsch, en 2006, qui a renversé le premier ministre Thaksin Shinawatra, frère aîné de l’ex-chef de gouvernement Yingluck, destituée le 7 mai, n’avait pas provoqué d’effusion de sang.
Mais le cru 2006, s’il avait vu le déploiement de chars, n’avait pas été suivi de couvre-feu. Ce n’est pas le cas cette fois-ci : Bangkok la nuit est devenue une ville morte. En revanche, aucun char n’a été déployé ; seuls des jeeps et des véhicules blindés étaient visibles entre 22 heures et 5 heures du matin, à la levée du couvre-feu.
Comme en 2006, le coup d’Etat a eu lieu en douceur et en deux temps. Mardi, après l’instauration d’une loi martiale qui était vraisemblablement le prélude au putsch de jeudi, des jeunes filles se faisaient prendre en photo aux côtés de militaires souriants.
Le premier putsch a été fomenté, en 1932, par le général Phibun Songkhram – officier artilleur entraîné en France –, qui renversa la monarchie absolue. Depuis, l’armée a souvent occupé le devant de la scène.
La seconde guerre mondiale terminée et l’occupant japonais parti, coups d’Etat et contre-coups d’Etat vont se succéder. Même si l’armée est souvent divisée et que le pouvoir aiguise les appétits de factions concurrentes, les généraux deviennent dictateurs. Cela jusqu’aux sanglants massacres de 1973 et 1976 perpétrés par les militaires contre les manifestants prodémocratie.
GARANT DE LA MONARCHIE
Après cette répression, l’armée finit par estimer que son rôle est d’être le garant de la monarchie. Elle laisse alors le roi Bhumibol Adulyadej, monarque constitutionnel, occuper un large espace politique et devenir le « grand équilibrateur » de la société thaïlandaise, une référence au brahmanisme.
Après la révolution « citoyenne » de 1992 qui fut, à son début, férocement réprimée par les soldats, le nouveau chef d’Etat-major Wimol Wongwanich annonça que l’armée retournerait dans ses casernes et ne se mêlerait plus de politique.
L’arrivée au pouvoir de Thaksin Shinawatra, en 2001, que certains officiers soupçonnaient d’être « l’homme qui voulut être roi », provoque cependant à nouveau l’ire de l’armée. En 2006, elle détrône l’ambitieux. Elle se rendra compte, plus tard, qu’elle avait mal « géré » l’après-Thaksin et que le renversement de ce dernier avait fait émerger le mouvement des « chemises rouges », affiliées à l’ex-premier ministre.
Mais avant de se retirer une fois de plus dans la coulisse, l’armée thaïlandaise commet un dernier massacre : en 2010, elle déloge les « rouges » occupant le centre de Bangkok en leur tirant dessus à balles réelles. Plus de 90 morts, plus de 2 000 blessés.
Le général Prayuth Chan-ocha, le chef de ce nouveau putsch en Thaïlande, fut l’un des auteurs du coup d’Etat de 2006. Plus tard, il affirma pourtant être devenu « soldat démocrate ». « A présent, assura-t-il après l’arrivée, en 2011, au pouvoir Yingluck Shinawatra, la sœur de Thaskhin, les officiers n’aspirent plus au pouvoir et à devenir chefs de gouvernement ou ministres ».
Jeudi, le même Prayuth, qui disait n’aspirer qu’à une retraite prochaine et bien méritée, est devenu la principale figure de la nouvelle junte militaire de Thaïlande.
Bruno Philip (Bangkok, correspondant)