Le pouvoir social de la CUT n’avait plus atteint des niveaux aussi bas depuis des années. L’organisation conserve néanmoins le prestige acquis au fil d’une décennie de conquêtes syndicales, reflétées par des droits accrus pour les travailleurs, une réduction des inégalités et un pouvoir de négociation collective accru.
La Central Única dos Trabalhadores (CUT) du Brésil est le principal syndicat d’Amérique latine et le cinquième plus grand syndicat du monde. L’organisation représente approximativement 7,8 millions de Brésiliens, sur une population active de 24 millions.
De par sa taille et son pouvoir, la CUT a joué un rôle décisif dans la victoire du Parti des travailleurs (PT) à l’issue de quatre élections présidentielles, tout d’abord avec Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2006 et 2007-2010) et ensuite avec Dilma Rousseff (2011-2014 et 2015- 2016).
Ce syndicat gigantesque se trouve à présent à la croisée des chemins. Pourtant responsable d’une bonne partie de l’agenda le plus progressiste des mandats du PT, sa reconnaissance sociale a décliné à mesure que les manifestations citoyennes contre les gouvernements Rousseff ont pris de l’ampleur. Il tente à présent de renouer avec ses bases en prenant la tête de l’opposition contre les politiques néolibérales du gouvernement du président Michel Temer. Ce dernier a assumé la présidence suite à la destitution de Dilma Rousseff à l’issue d’un procès parlementaire.
Le pouvoir social de la CUT n’avait plus atteint des niveaux aussi bas depuis des années. L’organisation conserve néanmoins le prestige acquis au fil d’une décennie de conquêtes syndicales, reflétées par des droits accrus pour les travailleurs, une réduction des inégalités et un pouvoir de négociation collective accru, d’après une étude portant sur l’expérience de la centrale syndicale brésilienne CUT durant les gouvernements du PT (2013-2016) réalisée par les chercheurs José Dari Krein et Hugo Dias.
L’histoire du syndicat le plus grand d’Amérique latine
« Je ne suis pas d’accord avec la façon dont la droite décrit les années 1980 comme ‘la décennie perdue’. Perdue pour le capital, peut-être, car pour le monde du travail, ce fut une décennie spectaculaire. Le Parti des travailleurs (PT) est né en 1980, la CUT en 1983 et le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) en 1984 », explique le sociologue marxiste brésilien Ricardo Antunes, professeur titulaire de l’Universidade Estadual de Campinas (ville située dans l’État de Sao Paulo).
Relater l’histoire de la CUT, c’est se plonger dans les racines du syndicalisme brésilien tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cette centrale syndicale fut fondée en dépit de la prohibition imposée par la dictature, qui n’autorisait que les syndicats contrôlés par l’État, c’est-à-dire ceux qui ne représentaient pas les intérêts des ouvriers.
D’après l’étude de Krein et Dias, la CUT a surgie de la proéminence acquise par les mouvements ouvriers à la fin des années 1970, enhardie par une nouvelle conception du syndicalisme basée sur les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), comme la liberté et l’autonomie et un engagement plus classiste et combatif. Autrement dit, la CUT est née de la lutte contre la dictature et pour l’ouverture démocratique du pays.
Les gouvernements de Lula
La victoire de Lula en 2003 a fait naître au sein du mouvement syndical l’espoir de voir renverser en partie la conjoncture défavorable qu’a constitué pour les travailleurs brésiliens la décennie 1990. Pour la CUT, toutefois, à ses débuts et dans un contexte de crise économique, ce gouvernement fut à maints égards conservateur, indiquent dans leur rapport Krein et Dias. Dans le même temps commençaient à être mises en œuvre des politiques comme le Programme Fome Zero (Faim Zéro) et à s’ouvrir des espaces de participation et de dialogue institutionnel avec les mouvements sociaux organisés.
C’est durant cette même période qu’ont commencé à apparaître au Palacio do Planalto, à Brasilia, siège du gouvernement national, des gens qui jamais auparavant n’avaient été écoutés par l’État. Des indigènes originaires des zones les plus reculées d’Amazonie, des 3 paysans sans terre et des travailleurs de tous les secteurs ont commencé à avoir leur place dans certaines des décisions politiques du pays.
C’est ainsi que la CUT a commencé à vivre un paradoxe apparent. Elle a assumé pour la première fois de son histoire la défense du gouvernement alors-même qu’elle ne concordait pas pleinement avec les réformes engagées par celui-ci en matière de politique économique. Cette position ambiguë s’est soldée par le départ de divers groupes positionnés plus à gauche qui attendaient d’elle une position plus critique à l’égard du gouvernement.
L’année 2004 marqua le début d’une phase de reprise économique au Brésil, impulsée par le boum des matières premières (commodities), qui fut ensuite renforcée par l’essor du marché intérieur. La centrale syndicale a défini sa stratégie et resserré les rangs avec Lula face aux tentatives initiales de la droite de l’évincer de la présidence.
L’institutionnalisation de la CUT dans un contexte de croissance de l’emploi lui a permis de conduire les changements au niveau du marché du travail et de renforcer son pouvoir structurel. Les exemples incluent la conquête d’augmentations salariales au fil de dix années successives ou encore la célébration de rassemblements annuels massifs à partir de 2004 aux côtés d’autres syndicats, les fameuses « Marches de la classe ouvrière ».
Il convient aussi de souligner l’accomplissement qu’a représenté l’adoption d’une loi en 2008 qui met à jour les normes des années 1930 et reconnaît définitivement les centrales syndicales. Cela a néanmoins supposé des conséquences indésirables pour la CUT. D’après l’analyse des chercheurs Krein et Dias, c’est à partir de l’entrée en vigueur de cette loi que s’observe « un éclatement syndical et une fragmentation de plus en plus marquée du mouvement syndical à tous les niveaux ».
L’usure dérivée du soutien consenti à Dilma
Le mouvement syndical brésilien, y compris la CUT, a commencé à subir une forte usure durant toute la période du gouvernement de Dilma Rousseff, étape durant laquelle l’économie a commencé à perdre de son dynamisme et où le taux de croissance annuel est passé de 7,6% en 2010, à 0% en 2014.
L’incapacité du gouvernement à soutenir un projet de développement, la crise internationale persistante et la fin du cycle d’expansion de la consommation intérieure sont autant d’éléments à l’origine des critiques dont a fait l’objet la CUT.
Bien qu’elle se soit maintenue dans le camp politique du PT, la centrale syndicale a commencé à prendre ses distances par rapport au gouvernement, dû au manque de dialogue mais aussi en raison de la politique d’incitations fiscales au bénéfice des grandes entreprises et de la gestion de la politique économique en général, entre autres.
En dépit de la prise de distance des syndicats, la candidature de Dilma aux élections de 2014 a bénéficié d’un important soutien de la CUT et des organisations sociales qui espéraient de cette façon assurer la victoire face à l’avancée croissante de la droite.
Nonobstant, un signe de l’usure qu’a entraîné son alignement avec le gouvernement est qu’elle a perdu son espace en tant qu’institution à même d’articuler les principales revendications concurrentes au sein de la société, comme l’atteste son rôle marginal dans les rébellions sociales de juin 2013 et les manifestations populaires massives à l’occasion de la Copa Confederaciones.
L’étude sur la CUT conclut qu’au vu de l’expérience et en dépit de ses avancées institutionnelles, celle-ci est fondamentale pour le maintien d’alliances sociales autour d’un agenda globalement axé sur l’intérêt des pauvres de la société.
Redescendre dans la rue pour freiner Temer
Le gouvernement conservateur du président Michel Temer prétend, entre autres initiatives, entreprendre une réforme du régime des pensions, dans le cadre d’un programme d’ajustement structurel radical qui prévoit une réduction considérable des dépenses publiques au cours des deux prochaines décennies.
« Nous avons présenté une approche pour sauver le système des pensions de la faillite, pour sauvegarder les prestations des retraités actuels et des jeunes qui prendront leur retraite demain », a déclaré Temer dans un discours prononcé lors d’une cérémonie officielle devant un groupe de chefs d’entreprises, en mars. Le président a insisté sur le fait que la réforme est nécessaire et urgente pour éviter la faillite. Suite à la proposition de Temer, la CUT est redescendue dans la rue pour renouer avec ses bases. Les manifestations 5 syndicales massives sont de retour dans les grandes villes du pays. Les syndicats s’opposent à la réforme du gouvernement.
Le 15 mars, Sao Paulo s’est réveillée sans autobus et avec un service de métro réduit de moitié. A Rio de Janeiro, les collèges et universités sont restés paralysés, de même que certaines banques. Un rassemblement massif a eu lieu à Brasilia, où les manifestants ont occupé une partie du siège du département du Trésor. Les manifestations étaient organisées avec le concours de la CUT, du Frente Brasil Popular, du Frente Pueblo Sin Miedo et de la Central de los Trabajadores de Brasil (CTB).
La plus grande centrale syndicale du Brésil a désormais devant elle le défi de se consolider en tant que bouclier des droits conquis par les travailleurs au fil de la dernière décennie.
El mayor sindicato de América Latina vuelve a la calle by Santi Carneri
https://www.fes.de/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=31122&token=af24459d42f38d877137fab452a63789f6d443c1
Full-length Study(PDF) : The CUT’s Experience During the Workers’ Party’s (PT) Governments in Brazil (2003–2016) by José Dari Krein and Hugo Dias
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article44900
Santi Carneri
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