Avec 600.000 membres, sur une population en âge de travailler de quatre millions, l’UGTT est la plus grande et la plus influente force organisée en Tunisie.
Malgré de nombreux obstacles, principalement la situation économique et sécuritaire, la Tunisie a reçu des accolades du monde entier pour sa transition relativement pacifique vers la démocratie suite à la révolte de 2011 qui a entrainé la chute du président Zine El Abidine Ben Ali. En reconnaissance de cet accomplissement, le Quartet du dialogue national tunisien – composé de l’Ordre national des avocats de Tunisie, la Ligue tunisienne des droits de l’homme, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat et enfin l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) – a reçu le prix Nobel de la paix en 2015. Le rôle de la société civile, et particulièrement celui de l’UGTT, a été déterminant dans le processus de transition pacifique vers la démocratie.
Dans une étude récente intitulée « Pouvoir syndical en Tunisie et transition pacifique vers la démocratie : l’UGTT, une histoire et une expérience inédite », Sami Adouani et Saïd Ben Sedrine apportent un éclairage sur la façon dont l’UGTT a réussi à puiser dans son histoire unique et ses ressources pour maintenir le dialogue social vivant durant une période de crise et pour assurer la transition réussie de décennies d’autocratie vers une démocratie émergente.
L’UGTT a été formée en 1946, quand la Tunisie était encore un protectorat français, et elle a joué un rôle fondamental dans la lutte pour l’indépendance après la deuxième guerre mondiale. Quand la Tunisie a finalement gagné son indépendance en 1956, l’UGTT avait deux objectifs principaux, remarquent Adouani et Ben Sedrine : « Améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs et peser sur les orientations et programmes de la politique publique de développement. » En effet, le rapport affirme que, avec d’autres organisations importantes issues de la société civile, l’UGTT a été étroitement liée avec le nouvel État émergent et a soutenu ses programmes socio-économiques.
La relation entre l’UGTT et l’État était toutefois ambivalente durant les décennies de règne autoritaire qui ont suivi (Habib Ben Ali Bourguiba de 1957 à 1987 et Ben Ali de 1987 à 2011). Bien que l’UGTT soit parvenue à travailler avec un certain degré d’autonomie, elle a aussi parfois dû faire face à une répression violente et a servi de refuge temporaire pour les opposants au régime.
Construire la démocratie, renforcer le pouvoir des travailleurs
Quand les manifestations contre Ben Ali ont commencé en décembre 2010, l’UGTT, après un moment d’hésitation de la part de son leadership, a mobilisé l’entièreté de ses ressources pour soutenir la révolution. Un processus poussé par les organisations syndicales locales et régionales qui ont « ouvert leurs locaux aux contestataires et porté leur voix dans les médias nationaux et internationaux. » Motivée par le soutien populaire pour la révolution, l’UGTT a soutenu les manifestations à travers le pays et a organisé des grèves générales.
La décision de l’UGTT de soutenir la grève générale des avocats en janvier 2011, en particulier, a marqué, pour le syndicat, une nouvelle ère dans la construction d’alliances et a constitué le pilier de l’alliance au sein de la société civile qui allait « transformer le mouvement populaire de contestation en une initiative politique qui vise à défendre la dynamique révolutionnaire, » estime le rapport.
Suite à la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, l’influence de l’UGTT n’a cessé de croître, grâce à sa capacité à mener le dialogue national pour résoudre les conflits politiques et assurer la rédaction de la nouvelle constitution du pays. Unifier les forces de la société civile pour soutenir le dialogue a été essentiel afin de progresser au niveau politique. Le rôle joué par l’UGTT durant la révolution et la transition initiale s’est traduit par un afflux de nouveaux membres : désormais avec 600.000 membres, sur une population en âge de travailler de quatre millions, l’UGTT a renforcé sa position en tant que plus grande et plus influente force organisée en Tunisie.
Un aperçu historique de l’UGTT permet de comprendre comment elle a pu atteindre cette position de force. À travers son histoire, l’UGTT a été capable de forger son identité en tant que syndicat unitaire, qui rassemble différents courants politiques, selon Adouani et Ben Sedrine. De cette façon, elle a réussi à élargir sa base de pouvoir social et à augmenter sa force rassembleuse, tout en développant une « forte aptitude à gérer les conflits ». C’est cette expérience, pour équilibrer les différents intérêts et pour négocier des consensus, qui peut être considérée comme la racine de la médiation essentielle de l’UGTT durant la transition, selon le rapport.
Que réserve le futur ?
La Tunisie traverse encore une période de transition et les épreuves qui s’annoncent sont énormes : l’économie est en crise, le taux de chômage est élevé – particulièrement parmi les jeunes – et le terrorisme menace la stabilité. Comme l’écrivent Adouani et Ben Sedrine, « la stabilité politique s’est faite aux dépens de la question sociale » durant la transition de la Tunisie vers la démocratie.
Avec l’affaiblissement de l’enthousiasme initial pour la révolution, l’UGTT se doit de s’adapter, affirment les auteurs. Renforcer sa présence dans le secteur privé, où elle reste peu représentée, s’attaquer à la précarité dans le secteur informel, et investir dans les jeunes et les femmes seront certains des défis auxquels le syndicat devra faire face dans les années à venir. Adouani et Ben Sedrine suggèrent aussi que l’UGTT doit changer son approche envers le secteur public, étant donné que les syndicats « ne présentent pas à ce jour une vision et des pratiques syndicales qui contribuent à l’équité, l’efficacité et la qualité des services publics, risquant de porter préjudice à son image dans la société tunisienne. »
Enfin, l’UGTT devra maintenir sa « capacité à composer avec des intérêts divergents » pour faire en sorte que la démocratie soit un succès durable. L’UGG de l’après-révolution devra « renouveler ses ressources de pouvoir pour garder son pouvoir ».
Trade Union Power and Democratic Transition in Tunisia - The UGTT : A Unique Story, An Unprecedented Experience
http://library.fes.de/pdf-files/iez/14064.pdf
Pouvoir syndical et transition démocratique en Tunisie : L’UGTT, une histoire et une expérience inédite
https://www.fes.de/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=31095&token=2f4d9758e492d677e0124648b011bc2a730059bc
Cuando los sindicatos hacen historia : el papel de la UGTT en la transición de Túnez a la democracia
https://www.fes.de/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=31094&token=0ac950eb9ceb066ad127f38e4428987e40b9a47e
When unions make history : the UGTT’s role in Tunisia’s transition to democracy
https://www.fes.de/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=31093&token=d3ed5d8d6e514c9f3dd563ffc47b00173f1e1ba4
Lina Ben Mhenni
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