Sommet de Singapour : le texte signé par Donald Trump et Kim Jong-un
Le président des Etats-Unis et son homologue nord-coréen se sont rencontrés mardi. Le document signé mentionne une « dénucléarisation de la péninsule coréenne ».
Donald Trump et Kim Jong-un ont affiché leur entente pour « tourner la page du passé » mardi 12 juin, lors d’un sommet inédit à Singapour. A l’issue de leur rencontre, le président états-unien et le dirigeant nord-coréen ont signé un document commun, dont voici l’intégralité :
« Donald J. Trump, président des Etats-Unis d’Amérique, et Kim Jong-un, président de la Commission des affaires d’Etat de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), ont tenu un premier sommet historique à Singapour le 12 mai 2018.
Le président Trump et le président Kim Jong-un ont mené un échange de points de vue complet, approfondi et sincère sur les questions liées à l’établissement de nouvelles relations entre les Etats-Unis et la RPDC et l’établissement d’un régime pacifique durable et solide dans la péninsule coréenne. Le président Trump s’est engagé à fournir des garanties de sécurité à la RPDC et le président Kim Jong-un a réaffirmé son engagement ferme et indéfectible à une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne.
Convaincus que l’établissement de nouvelles relations entre les Etats-Unis et la RPDC va contribuer à la paix et la prospérité dans la péninsule coréenne et dans le monde, et reconnaissant que la construction d’une confiance mutuelle peut promouvoir la dénucléarisation de la péninsule coréenne, le président Trump et le président Kim affirment ce qui suit :
1. Les Etats-Unis et la RPDC s’engagent à établir de nouvelles relations E.-U. - RPDC conformément à la volonté de paix et de prospérité des peuples des deux pays.
2. Les Etats-Unis et la RPDC associeront leurs efforts pour bâtir un régime de paix durable et stable dans la péninsule coréenne.
3. Réaffirmant la déclaration de Panmunjom du 27 avril 2018, la RPDC s’engage à travailler à une complète dénucléarisation de la péninsule coréenne.
4. Les Etats-Unis et la RPDC s’engagent à restituer les restes des prisonniers de guerre et des portés disparus au combat, avec un rapatriement immédiat de ceux déjà identifiés.
Reconnaissant que le sommet E.-U. - RPDC – le premier – est un événement historique d’une grande portée surmontant des décennies de tensions et d’hostilités entre les deux pays et ouvrant une nouvelle ère, le président Trump et le président Kim Jong-un s’engagent à mettre en œuvre totalement et rapidement les dispositions de cette déclaration commune. Les Etats-Unis et la RPDC s’engagent à des négociations à venir conduites par le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, et par un responsable de haut rang de la RPDC, à une date la plus proche possible, pour appliquer les résultats du sommet Etats-Unis - République populairedémocratique de Corée.
Donald J. Trump, président des Etats-Unis d’Amérique, et Kim Jong-un, président de la Commission des affaires d’Etat de la République populaire démocratique de Corée, s’engagent à coopérer au développement de nouvelles relations E.-U. - RPDC et à la promotion de la paix, la prospérité et la sécurité de la péninsule coréenne et du monde. »
Reuters
* Le Monde.fr avec Reuters | 12.06.2018 à 11h03 • Mis à jour le 12.06.2018 à 11h05 :
https://abonnes.lemonde.fr/international/article/2018/06/12/sommet-de-singapour-le-texte-signe-par-donald-trump-et-kim-jong-un_5313469_3210.html
Entre Donald Trump et Kim Jong-un, un accord encore flou
La rencontre inédite de Singapour mardi n’est que la première étape de négociations qui s’annoncent compliquées.
A l’heure dite, une page d’Histoire a été écrite à Singapour, mardi 12 juin. Kim Jong-un et Donald Trump se sont avancés l’un vers l’autre, longeant un mur de drapeaux de la Corée du Nord et des Etats-Unis, avant de se serrer longuement la main. Les deux hommes, qui échangeaient les insultes il y a encore moins d’un an – lorsque le président des Etats-Unis évoquait à la tribune de l’ONU l’hypothèse d’une « destruction totale » du régime nord-coréen en cas d’agression contre son pays ou l’un de ses alliés –, ont pu mesurer le chemin parcouru lors d’un premier tête-à-tête de trente-huit minutes, avec leurs interprètes, précédé par quelques mots livrés à la presse. « Beaucoup de gens vont considérer ça comme de la science-fiction », a assuré le dirigeant nord-coréen dans la matinée.
Premier arrivé à l’hôtel de luxe sélectionné pour abriter ce sommet sans précédent et placé sous haute surveillance, Kim Jong-un est convenu que « le chemin pour en arriver là n’a pas été facile ». « Les vieux préjugés et les anciennes habitudes ont été autant d’obstacles, mais nous les avons tous surmontés pour nous retrouver ici aujourd’hui », a-t-il poursuivi. Ses premières paroles à l’endroit de celui qu’il qualifiait encore, il y a quelques semaines, de « vieux gâteux », ont été des plus amènes : « Ravi de vous rencontrer, Monsieur le président », a-t-il alors assuré.
Donald Trump, qui affiche son optimisme depuis qu’il a pris la décision de répondre favorablement à une offre de rencontre du dictateur nord-coréen en mars, n’a pas été non plus avare d’amabilités. « C’est un honneur, nous allons avoir une relation formidable », a-t-il estimé, d’ores et déjà convaincu que ce sommet serait « un immense succès ». Le président des Etats-Unis, qui n’avait pas exclu, par le passé, de quitter la rencontre en cas de désaccord, avait assuré, samedi, qu’il serait à même de jauger les chances de réussite dès « la première minute ».
Une deuxième, puis une troisième poignée de main, lorsque les deux hommes se sont retrouvés en compagnie de leurs entourages respectifs pour une négociation plus approfondie, ont attesté que Kim Jong-un avait passé avec succès cette épreuve. Un déjeuner commun a également permis de mettre en scène cette relation naissante.
Longues négociations à venir
Les deux hommes, il est vrai, sont pour l’instant unis par un même souci : montrer que leur pari est payant. Pour le dirigeant nord-coréen, qui s’était autorisé une déambulation nocturne dans Singapour, la veille, en compagnie de ses hôtes singapouriens, le gain d’une rencontre avec le dirigeant de la première puissance mondiale, l’ennemi stigmatisé de longue date par la propagande de Pyongyang, est manifeste. Il poursuit la « normalisation » de son image, processus entamé le 27 avril lors de sa rencontre sur la zone démilitarisée qui divise la péninsule avec le président sud-coréen Moon Jae-in, lorsque M. Kim était apparu jovial et décontracté, n’hésitant pas à faire des blagues.
Pour lui, c’est aussi une réussite sur la scène intérieure : de retour en Corée du Nord, le dictateur pourra se targuer d’avoir poussé le président des Etats-Unis à s’asseoir avec lui à la table des négociations après que son pays a réalisé en 2017 trois tirs de missiles intercontinentaux et un sixième essai nucléaire. Démontrant ainsi que le territoire américain est à sa portée. Il ne s’est engagé pour l’heure sur aucun calendrier précis.
Donald Trump, de son côté, peut se prévaloir d’une détente obtenue en prenant le contre-pied de ses prédécesseurs, qui ont toujours considéré, quelles que soient les administrations, qu’une rencontre au sommet ne pourrait que couronner de longues négociations. « Nous allons régler le problème », a-t-il commenté mardi matin.
Peu après l’entrevue, Donald Trump, qui a évoqué une « rencontre fantastique » avec Kim Jong-un, a annoncé qu’il allait signer un document avec le dirigeant nord-coréen, dont il n’a pas précisé la teneur. Le président des Etats-Unis n’a pas économisé ses efforts pour donner à la rencontre les allures d’une réussite. A de nombreuses occasions, il a multiplié les éloges à propos de son interlocuteur.
Au cours d’une brève marche dans les jardins bordant l’hôtel luxueux où ils s’étaient retrouvés, Donald Trump lui a par exemple brièvement montré l’un de ses attributs de président, le lourd véhicule blindé, surnommé « The Beast » (« la bête »), qui l’accompagne dans chacun de ses déplacements. Dans le même esprit, le président des Etats-Unis s’est déclaré tout disposé à recevoir à la Maison Blanche le dictateur qu’il menaçait il n’y a pas si longtemps.
Le plus dur, si l’on se fie aux tentatives de négociations précédentes – toutes sanctionnées par des échecs –, reste pourtant à venir pour les deux hommes. Les Etats-Unis n’entendent pas atténuer le régime de sanctions imposé en 2017 avec le soutien de la communauté internationale, tant qu’une dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible » de la Corée du Nord n’aura pas été établie. Pyongyang, pour sa part, a écarté un processus dans lequel il n’obtiendrait rien de Washington en échange, sans pour autant avoir publiquement avancé une liste de demandes.
Le président américain Donald Trump et le leader nord-coréen Kim Jong-un se saluent devant les médias du monde entier, à Singapour, le 12 juin.
Le document signé en tout début d’après-midi par les deux hommes au terme d’une rencontre qui aura duré au total près de cinq heures, ne permet pas en l’état de lever beaucoup des ambiguïtés qui entourent ce rapprochement historique. Certes, Kim Jong-un s’y engage de manière « ferme et inébranlable » en faveur d’une « dénucléarisation complète », mais le texte précise aussitôt que cette dernière concerne « la péninsule coréenne ». Elle viserait donc également le parapluie américain dont bénéficie la Corée du Sud.
Cette reprise des éléments de langage de Pyongyang n’est pas complétée, en revanche, par ceux avancés sur ce point par Washington. Ce dont le dirigeant nord-coréen ne pourra que se féliciter. Donald Trump a tenté de compléter cette formulation en assurant que le processus de dénucléarisation, nécessairement long et complexe, débuterait « très rapidement ».
« Répugnance »
D’autant que le même document précise un engagement des Etats-Unis à fournir au régime nord-coréen des « garanties de sécurité ». L’évocation par plusieurs hauts responsables des Etats-Unis d’un modèle « libyen » avait exaspéré Pyongyang au point d’évoquer en mai une annulation du sommet prévu, avant que Donald Trump y succombe à son tour brièvement. De ce précédent libyen, les Nord-Coréens avaient en effet retenu la fin du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011, sept ans après le renoncement à un programme nucléaire embryonnaire, contrairement à celui de Kim Jong-un.
La présence aux côtés de Donald Trump de John Bolton, son conseiller à la sécurité nationale, avait ajouté à la méfiance de Pyongyang. Un haut diplomate, Kim Kye-gwan, avait rappelé que son pays avait « déjà mis en lumière la personnalité de Bolton par le passé, et nous ne cachons pas la répugnance qu’il nous inspire ». En 2003, alors membre de l’administration de George W. Bush, où il était chargé des questions de désarmement, ce dernier avait prononcé un discours incendiaire contre la Corée du Nord au cours d’un déplacement à Séoul.
L’importance prise au cours des dernières semaines par le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, fort de la connaissance du dossier nord-coréen obtenue lors de son passage à la direction de la CIA, a donné des marges de manœuvre plus importantes à Donald Trump que celles qu’aurait sans doute autorisées John Bolton. Malgré le premier succès que constitue en elle-même la rencontre de Singapour, le « processus » américano-nord-coréen n’en est encore qu’à ses débuts.
Kim Jong-un en repart mardi avec sans doute la conviction d’avoir réussi ses premiers pas. Donald Trump va devoir montrer désormais que les assauts de superlatifs auxquels il s’est livré, ont permis d’enclencher un mouvement irréversible qui appartiendra lui aussi, et plus durablement encore que la journée de mardi, à l’Histoire.
Harold Thibault et Gilles Paris (Singapour, envoyé spécial)
EVALUATIONS A LA VEILLE DU SOMMET DE SINGAPOUR
Donald Trump face au défi de la diplomatie
Le président américain devrait devenir le premier à s’entretenir avec un dirigeant de la Corée du Nord, mardi à Singapour. Après deux ans de coups d’éclat, il va devoir lancer un processus complexe.
Donald Trump va mettre à l’épreuve ses instincts, le 12 juin, à Singapour, en devenant le premier président des Etats-Unis à s’entretenir avec un dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un. « Vraiment confiant », il a jugé samedi matin, avant de quitter prématurément un sommet du G7 particulièrement houleux, au Canada, qu’il saurait peut-être « dès la première minute » si cette rencontre sera un succès. Après avoir multiplié, au cours de ses seize premiers mois passés à la Maison Blanche, les initiatives unilatérales, les coups d’éclat et les attaques verbales sur son compte Twitter, y compris lundi matin à Singapour, il va devoir construire.
Ce président non conventionnel avait pris de court le monde entier le 8 mars, y compris son entourage proche, en acceptant au pied levé une invitation de Kim Jong-un qui avait transité par le conseiller à la sécurité nationale du président sud-coréen Moon Jae-in, Chung Eui-yong. Ce pari va se matérialiser mardi. Il intervient après deux tentatives américaines infructueuses, au cours des vingt-cinq dernières années, pour parvenir à la dénucléarisation de la Corée du Nord. La situation a changé depuis ces échecs : Pyongyang assure désormais maîtriser l’arme suprême.
Donald Trump a rompu avec la prudence observée par tous ses prédécesseurs vis-à-vis de la Corée du Nord. Tous ont considéré jusqu’à présent que le bénéfice d’une rencontre au sommet ne pouvait que conclure des pourparlers fructueux. Fort de sa conviction d’être un négociateur hors pair, le président des Etats-Unis mise au contraire sur le facteur personnel pour amorcer le « processus » qui doit permettre une dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible », selon le mot d’ordre de la diplomatie américaine. Un choix cohérent, compte tenu de sa volonté de se démarquer de tout ce qui a été expérimenté avant lui.
Le dossier nord-coréen ne figurait pas parmi les priorités de Donald Trump pendant la campagne présidentielle. Il ne l’avait mentionné que très brièvement dans son unique discours de politique étrangère, en avril 2016, principalement pour critiquer le président alors en fonctions, Barack Obama. Ce dernier avait cependant indiqué qu’il compterait parmi les priorités de son successeur, lors d’une entrevue à la Maison Blanche, le 10 novembre, deux jours après l’élection de Trump. Selon Jon Wolfsthal, conseiller de Barack Obama pour la non-prolifération de 2014 à 2017, le président sortant aurait alors suggéré au président élu de modifier le rapport de forces par le biais de sanctions. La politique de « pression maximum », qui s’est traduite par un large front commun aux Nations unies, découlerait directement de ce conseil.
Opportunité historique
Les sanctions sans précédent appliquées depuis un an ont joué leur rôle. Tout comme la conjonction de l’aboutissement de la quête nucléaire de Pyongyang, et de l’arrivée au pouvoir à Séoul d’un président désireux de multiplier les ouvertures en direction du voisin du nord pour éviter le « feu et la fureur » promis en août 2017 par Donald Trump. Cette situation favorable offre à ce dernier une opportunité historique.
Au crédit de l’administration américaine, les interférences qui avaient pu expliquer la brève annulation de la rencontre, le 24 mai, ont cessé. Selon Jon Wolfsthal, qui a participé à un rapport du think tank International Crisis Group consacré à la négociation à venir, le sommet de Singapour est un « Pompeo show », du nom du secrétaire d’Etat, qui a rencontré à deux reprises Kim Jong-un au cours des derniers mois, tout d’abord en tant que directeur de l’Agence centrale de renseignement (CIA) américaine, puis comme chef de la diplomatie.
Réputé sceptique par rapport aux intentions de Pyongyang, le secrétaire à la sécurité nationale du président, John Bolton, s’est placé en retrait, conscient de l’importance accordée par Donald Trump au sommet, « même s’il espère peut-être que le processus s’effondre sous son propre poids », selon Jon Wolfsthal. Ce retrait favorise manifestement une plus grande souplesse de Washington. A la quasi-reddition hic et nunc initialement envisagée a succédé une approche graduelle, même si, officiellement, les Etats-Unis n’ont pas encore fait leur un autre principe, celui de la réciprocité demandée par Pyongyang.
Le « processus » va ensuite tester l’intérêt de Donald Trump sur la durée. Comme l’assure Joseph De Trani, ancien négociateur pendant le mandat de George W. Bush, il doit en effet passer par de multiples étapes, dont « une déclaration initiale de la Corée du Nord sur son programme nucléaire, puis un accord sur un protocole de vérification et de contrôle par des inspecteurs ».
Enjeux multiples
« Ce n’est qu’après que la dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible aura été effective, et que la Corée du Nord aura reçu des assurances sur sa sécurité, une assistance économique et l’établissement de liens conduisant à une normalisation formelle que l’on pourra considérer comme accompli le règlement pacifique de ce dossier », ajoute-t-il, en écartant toute possibilité de « succès rapide », mais en affichant sa confiance dans la détermination du président.
Que peut proposer en échange Washington sans amoindrir le régime de sanctions ? La presse américaine avançait, avant la rencontre, une reconnaissance diplomatique, sans que l’on sache si elle est recherchée à ce stade par Pyongyang.
Dans une tribune publiée par le site Politico, Wendy Sherman, l’une des principales négociatrices de l’accord nucléaire conclu par le démocrate Barack Obama avec l’Iran en 2015, estime qu’en reniant la parole des Etats-Unis et en se retirant de ce compromis, Donald Trump a rehaussé la barre pour la Corée du Nord – qu’il s’agisse du régime d’inspection jugé insuffisant en Iran (alors qu’il est le plus rigoureux de l’histoire de la lutte contre la prolifération), de l’interdiction du moindre programme nucléaire civil pour Téhéran, ou encore l’interdiction des missiles à courte et à moyenne portée. « Si Donald Trump n’exige pas cela également de la Corée du Nord, il aura failli à ses propres critères », estime Wendy Sherman.
Les enjeux, pour Donald Trump, sont multiples. Il s’agit de marquer l’histoire en réussissant là où tous ses prédécesseurs ont échoué. Une dénucléarisation réussie lui permettrait aussi de réduire la présence militaire des Etats-Unis dans la région. La Corée du Sud et le Japon abritent deux des trois plus importants contingents de soldats américains dans le monde. Le candidat, puis le président, n’ont cessé de stigmatiser ces déploiements qui détournent, selon lui, les Etats-Unis de leurs priorités intérieures.
Gilles Paris (Singapour, envoyé spécial)
* LE MONDE | 11.06.2018 à 06h35 • Mis à jour le 12.06.2018 à 08h09 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/06/11/sommet-avec-kim-jong-un-donald-trump-face-au-defi-de-la-diplomatie_5312761_3216.html
« Les Etats-Unis n’ont d’autre choix que d’accepter la logique nord-coréenne »
Pour le chercheur en géopolitique Mathieu Duchâtel, il ne faut pas pour autant s’attendre à « un désarmement complet, vérifiable et irréversible » au sommet américano-coréen du 12 juin.
Tribune. Kim Jong-un et Donald Trump s’apprêtent à se rencontrer à Singapour, le 12 juin, pour un sommet historique, mais peuvent-ils gagner l’un et l’autre ? Peut-on imaginer une déclaration conjointe établissant une feuille de route pour la dénucléarisation, distribuant concessions et gains de manière équitable, annonçant la fin de la guerre de Corée, à défaut de signer un traité de paix ? A la veille du sommet, si le rapport de force reste à l’évidence très défavorable à la Corée du Nord, la configuration singapourienne lui est au contraire plutôt favorable.
Car Kim Jong-un part avec une longueur d’avance. La seule tenue du sommet constitue déjà pour lui un succès historique retentissant. Ce tête-à-tête avec un président américain, objectif immuable de la diplomatie nord-coréenne, il l’a atteint sans aucune concession. La destruction des tunnels de tests atomiques dans le nord-est du pays n’était qu’un spectacle médiatique – rien ne permet d’affirmer que d’autres tunnels n’existent pas. Il peut mettre fin à tout moment au gel des essais nucléaires et balistiques.
Surtout, il a sauvé son pays d’une frappe punitive américaine que la fin de l’année 2017 semblait annoncer. Ce ne pourrait être qu’un répit temporaire mais c’est en réalité un peu plus. Car entre-temps, Kim Jong-un a transformé les relations de son pays avec la Corée du Sud et la Chine, créant un nouvel environnement en Asie du Nord-Est bien plus contraignant pour les Etats-Unis. S’ils souhaitaient revenir à la pression maximale ou punir Pyongyang après un nouvel échec cuisant de la voie diplomatique, ils trouveraient sur leur chemin non seulement la Chine, mais aussi leur propre allié sud-coréen.
Trump a besoin de résultats
A l’inverse, Donald Trump arrive sur l’île de Sentosa critiqué de toute part et en terrain miné. On lui reproche déjà d’ignorer les violations des droits de l’homme en Corée du Nord, de fermer les yeux sur ses programmes chimiques et biologiques. On craint un accord qui pourrait être interprété par Pyongyang comme une reconnaissance implicite du statut de puissance nucléaire du pays – comme si la poignée de main à venir n’aboutissait pas déjà à un tel résultat.
Donald Trump a besoin de résultats. Et sur ce plan, comment imaginer un accord moins ambitieux que l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, dont il a annoncé en mai que les Etats-Unis se retiraient unilatéralement parce que cet accord ne portait que sur l’enrichissement d’uranium et la production de plutonium militaire ? Donald Trump peut-il obtenir davantage de Pyongyang ?
Personne n’imagine comme conclusion à Singapour un désarmement complet, vérifiable et irréversible. L’asymétrie de puissance rend un tel dénouement impossible. Même si la Corée du Nord obtenait des garanties sur le non-déploiement d’armes américaines sur la péninsule, elle ferait toujours face à l’arsenal américain : bombardiers stratégiques furtifs, sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et missiles balistiques intercontinentaux.
La Corée du Nord a pris tous les risques pour compenser cette vulnérabilité en construisant une capacité de frappe nucléaire préemptive pour dissuader les Etats-Unis de décapiter son régime. Cette capacité est aujourd’hui sinon acquise, du moins assez probable pour que le doute se soit installé à Washington. Vu de Pyongyang, comment ne pas conclure que Kim Jong-un a obtenu ce sommet grâce au doute qu’il a semé ?
Le succès de Singapour se mesurera donc au long processus qui s’y enclenchera peut-être, mais pour cela, il faudra du concret – une déclaration de principe ne suffira pas. Si la Corée du Nord peut de nouveau démanteler, comme en 2008, ses installations de production de plutonium à Yongbyon, tout accord portant sur l’uranium enrichi se heurterait à un épineux problème de vérification.
En 2010, invité par les autorités nord-coréennes, Siegfried Hecker, ex-directeur du laboratoire de Los Alamos (Nouveau-Mexique), visite une installation souterraine avec 2 000 centrifugeuses dont personne ne soupçonnait la localisation, la taille ni le degré d’avancement. Huit ans après, l’état de ce programme clandestin est toujours aussi mal connu, et son démantèlement authentifié constituerait donc une victoire inespérée.
Des gains des deux côtés
Pour les Etats-Unis, un accord vérifiable sur l’enrichissement d’uranium et le plutonium apparaît le strict minimum et serait en réalité insuffisant pour crier victoire pendant la campagne des élections de mi-mandat. Comme élément supplémentaire d’un accord, beaucoup imaginent une concession nord-coréenne sur les missiles balistiques intercontinentaux qui menacent directement le sol américain. De nouveau, seul un démantèlement vérifiable serait crédible – une difficulté considérable car le savoir-faire accumulé permettrait de relancer rapidement la production, et un missile est plus facile à dissimuler qu’une cascade de centrifugeuses.
Un tel accord n’éliminerait pas la menace nucléaire contre la Corée du Sud et le Japon, ni contre les bases américaines qui y sont situées, car la Corée du Nord possède un arsenal de missiles de portée intermédiaire. Le besoin de gains immédiats pourrait cependant justifier une telle approche si elle s’accompagnait d’une feuille de route plus ambitieuse et pouvait être présentée comme le point de départ vers un accord plus robuste.
« UNE DÉCLARATION D’INTENTION SUR LA FIN DE L’ÉTAT D’HOSTILITÉ SERAIT UNE GARANTIE DE SÉCURITÉ INSUFFISANTE MAIS APPRÉCIÉE »
Que pourrait obtenir en échange la Corée du Nord, qui rappelons-le, a déjà beaucoup gagné ? Une levée des sanctions de l’ONU est impensable sans démantèlement de son armement nucléaire et balistique, mais d’autres sanctions existent, unilatérales et supplémentaires. Les Etats-Unis pourraient faire un geste, ce qui faciliterait la reprise des échanges intercoréens. La Corée du Nord rêve de reconnaissance. Si un processus s’engageait, elle pourrait échanger des bureaux de liaison avec les Etats-Unis, à Pyongyang et à Washington, pour accompagner la diplomatie dans ses étapes futures. Une déclaration d’intention sur la fin de l’état d’hostilité serait une garantie de sécurité insuffisante mais appréciée. Une annonce sur la fin de la guerre de Corée serait du même ordre.
La Corée du Nord cherche aussi à obtenir une réduction du niveau d’agressivité des exercices conjoints Etats-Unis/Corée du Sud, en particulier l’élimination de leur composante nucléaire et des simulations de « décapitation » du régime. Une telle réduction est possible, mais rien ne serait plus réversible, même écrit noir sur blanc au-dessus des signatures d’une déclaration conjointe.
Des gains, même fragiles et réversibles, sont possibles pour les deux parties. Or un « processus » ne se mettra en place après Singapour que si les deux parties y obtiennent des résultats immédiats. Pour sortir du jeu à sommes nulles, les Etats-Unis n’ont donc d’autre choix que d’accepter la logique de Pyongyang, où à chaque concession viendrait répondre une concession réciproque. Dans l’espoir d’atténuer la méfiance qui continuera de menacer de déraillement ce fragile édifice. Un tel dénouement à Singapour semble le scénario le plus positif.
Mathieu Duchâtel (Directeur adjoint du programme Asie à l’European Council on Foreign Relations/ECFR)
* LE MONDE | 11.06.2018 à 06h35 • Mis à jour le 11.06.2018 à 09h41 :
https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/11/les-etats-unis-n-ont-d-autre-choix-que-d-accepter-la-logique-nord-coreenne_5312758_3232.html
Washington-Pyongyang : une défiance réciproque
Kim Jong-un est arrivé dimanche à Singapour pour un sommet historique avec Donald Trump. Depuis la signature de l’armistice, en 1953, le contentieux entre Américains et Nord-Coréens est nourri.
Il y a un certain angélisme à attendre d’un adversaire qu’il négocie « avec sincérité » : quel Etat négocie sans arrière-pensée ? Cette sincérité est pourtant une demande récurrente de Pyongyang et de Washington dans tous les préambules à des pourparlers : elle est révélatrice de la méfiance viscérale des deux parties.
La République populaire démocratique de Corée (RPDC) est le plus vieil ennemi des Etats-Unis, « un pays que les Américains aiment haïr », selon l’historien Bruce Cumings. Un pays qu’ils n’ont pas réussi à vaincre et qui, depuis, les insulte et les menace. Pour les Nord-Coréens, les Etats-Unis sont l’ennemi juré qui les ont envahis en 1950, rasèrent leurs villes et, par la suite, les menacèrent d’une attaque nucléaire. La propagande antiaméricaine est onmiprésente en RPDC, et l’hostilité entretenue par les commémorations des souffrances passées.
Depuis la signature de l’armistice, en 1953, le contentieux entre Américains et Nord-Coréens est nourri. Chaque côté s’accuse réciproquement de violation de l’armistice et de promesses non tenues. Pour Washington et ses alliés, l’« Etat voyou » ne respecte pas ses engagements et joue de la bonne foi américaine. Le régime nord-coréen est assurément retors et a sa part de responsabilité dans l’échec des négociations de ces deux dernières décennies. Mais la « bonne foi » proclamée des Etats-Unis peut aussi être prise en défaut.
Deux exemples appellent des lectures plus pondérées que la simple rouerie nord-coréenne : la rupture de l’accord de 1994 entre Pyongyang et Washington, et la crise provoquée par Washington dans les jours qui suivirent un autre accord, négocié en septembre 2005 dans le cadre des pourparlers à Six (Chine, deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie).
Intervenu à la suite de la découverte des activités nucléaires à visée militaire de la RPDC, l’accord de 1994 a été le plus durable et le plus efficace. La RPDC s’engageait à geler son programme nucléaire sous la surveillance des inspecteurs de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), en échange de la fourniture annuelle par les Etats-Unis de 500 000 tonnes de gazole, de la normalisation des relations entre les deux pays et de la livraison par un consortium international d’une centrale atomique à eau légère (comportant moins de risque de détournement de l’énergie à des fins militaires). Mais peu après, les républicains obtenaient la majorité au Congrès. Hostiles à l’accord, ils s’emploieront à le vider de sa substance. La centrale ne fut jamais construite et les livraisons de gazole s’espacèrent : la RPDC « avait tout lieu d’être déçue que les Etats-Unis n’aient pas pleinement respecté leurs engagements », déclarait Robert Gallucci, l’un des négociateurs de l’accord, devant le Congrès, en juillet 1998.
Dans l’« axe du Mal »
Constatant que les Etats-Unis traînaient des pieds pour normaliser leurs relations alors que son programme nucléaire avait bien été gelé, Pyongyang chercha à se doter clandestinement d’un programme d’enrichissement de l’uranium. En 2002, après avoir placé la RPDC dans l’« axe du Mal », George Bush saisit ce prétexte pour mettre fin avec fracas à l’accord de 1994. La RPDC se retira du traité de non-prolifération, expulsa les inspecteurs de l’AIEA et relança sa production de plutonium.
Dans une enquête minutieuse, Meltdown : the Inside Story of the North Korean Nuclear Crisis (St. Martin’s Griffin, 2008, non traduit), Mike Chinoy, chercheur au US-China Institute, a démonté le mécanisme de cette crise provoquée pour de fausses raisons, comme l’avait été l’invasion de l’Irak en 2003 (des armes de destruction massive qui n’existaient pas). Dans le cas coréen, Washington prétendit que le programme d’enrichissement était opérationnel. Ce qui était faux : la CIA le reconnaîtra à demi-mot en 2007. La RPDC était certes de mauvaise foi, mais Washington aussi, en manipulant les données fournies par la CIA pour faire du programme d’enrichissement de l’uranium un danger immédiat. Embryonnaire en 2002, il ne sera opérationnel qu’en 2010.
La crise ouverte au lendemain de la signature, en septembre 2005, d’un accord sur la dénucléarisation de la RPDC intervenu dans le cadre des pourparlers à Six, est un autre exemple de torpillage. A peine l’accord signé, le Trésor américain accusait une banque de Macao (Banco Delta Asia, BDA) de blanchiment d’argent pour le compte de la RPDC et gelait une douzaine de comptes nord-coréens. La mise à l’index de la BDA fit boule de neige : la plupart des banques suspendirent leurs transactions avec la RPDC, paralysant ses réseaux financiers. Pyongyang se retira des négociations et exigea le déblocage des fonds.
Réaction par un premier essai nucléaire
Simple coïncidence entre la signature d’un accord et l’action de police financière du Trésor ? Dans ses Mémoires, le négociateur américain de l’accord, Christopher Hill, en doute. En octobre 2006, la RPDC réagit en procédant à son premier essai nucléaire. « Les Américains doivent assumer la responsabilité d’errements qui ont conduit à une situation plus grave qu’elle ne l’était en 2002 », estimait alors Yang Sung-chul, ancien ambassadeur sud-coréen aux Etats-Unis. Peu après, la défaite des républicains au Congrès contraignit George Bush à restituer les fonds pour renouer les pourparlers. Les accusations de blanchiment et de faux-monnayage n’ont jamais été établies. Les pourparlers reprirent en juin 2007, mais capotèrent en raison d’un différend sur les sites à inspecter.
« Les Nord-Coréens ne respectent pas leurs engagements en partie parce qu’ils pensent que les Etats-Unis ne respectent pas les leurs », déclarait le 9 mars, sur la chaîne CNN, Daryl Kimball, directeur de l’Arms Control Association à Washington. Une ombre qui risque de peser sur le sommet de Singapour.
Philippe Pons (Tokyo, correspondant)
* LE MONDE | 08.06.2018 à 11h59 • Mis à jour le 10.06.2018 à 10h50 :
https://abonnes.lemonde.fr/international/article/2018/06/08/washington-pyongyang-une-defiance-reciproque_5311699_3210.html
La dénucléarisation de la Corée du Nord pourrait prendre de dix à quinze ans
Le démantèlement « éclair » du programme nucléaire militaire nord-coréen exigé par les Etats-Unis serait irréaliste selon des experts américains.
Le processus de dénucléarisation de la Corée du Nord prendra du temps, préviennent des chercheurs de l’université Stanford. Dans un rapport, Siegfried Hecker, Robert Carlin et Elliot Serbin indiquent que dix années au moins pourraient être nécessaires, voire quinze en cas de complications. M. Hecker a dirigé durant onze ans, de 1986 à 1997, le laboratoire national de Los Alamos (Nouveau-Mexique), où fut coordonné pendant la seconde guerre mondiale le « projet Manhattan » de développement de la bombe américaine. De son côté, M. Carlin suit la Corée du Nord depuis 1974 et s’y est rendu 25 fois.
Pour eux, la demande de dénucléarisation éclair exigée par les « faucons » à Washington, dont le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, se révèle irréaliste. Ils conseillent d’aborder le démantèlement du programme nucléaire militaire nord-coréen en trois phases : arrêter le travail sur les sites sensibles (un an), puis les déclarer à la communauté internationale, les désactiver et les faire fermer (deux à cinq ans), et enfin détruire les sites, reclasser les scientifiques vers des programmes civils et encadrer l’usage du nucléaire en revenant au traité de non-prolifération (TNP) dont la Corée du Nord s’est retirée (dix ans). « Nous parlons de dizaines de sites, de centaines de bâtiments et de milliers de personnes » liés au programme nucléaire, rappellent-ils.
Il faudra aussi éviter un déraillement du processus provoqué par l’administration américaine, et en particulier M. Trump, connu pour son impatience. La démolition, le 24 mai, des tunnels de Punggye-ri, où ont été réalisés les essais nucléaires, fut un premier signe envoyé, constatent ces chercheurs.
« Une partie du programme conservée »
Ils espèrent d’autres gestes autour du sommet de Singapour, et en particulier l’annonce de l’arrêt des opérations sur l’un des principaux sites nucléaires nord-coréens.
« Nous croyons que l’accès précoce à l’installation connue de centrifugation de Yongbyon, et l’arrêt des opérations dans les installations de traitement chimique de l’uranium qui soutiennent toutes les activités d’enrichissement sont les étapes initiales les plus importantes. »
La Corée du Nord a déjà réalisé six essais nucléaires et se targue de disposer d’une dissuasion nucléaire effective, de sorte que cesser les essais ne signifie pas renoncer à sa force. Historiquement, un seul Etat a renoncé à la bombe après être parvenu à s’en doter, l’Afrique du Sud. « A court terme, la Corée du Nord va certainement limiter le risque qui pèse sur elle en conservant une partie de son programme », notent-ils, sans illusions, dans le rapport rendu public le 28 mai.
« L’approche progressive permettra de bâtir de manière efficace la confiance et l’interdépendance qui sont nécessaires pour une démilitarisation complète, viable et de long terme du programme nucléaire nord-coréen. »
De l’expérience de leurs échanges avec les officiels nord-coréens, ils soulignent que Pyongyang insistera très probablement pour conserver un programme nucléaire civil et un programme spatial, dont les technologies sont similaires à celles du programme de missiles balistiques.
Harold Thibault et Caroline Vinet
* LE MONDE | 11.06.2018 à 10h29 • Mis à jour le 12.06.2018 à 10h26 :
https://abonnes.lemonde.fr/international/article/2018/06/11/la-denuclearisation-de-la-coree-du-nord-prendrait-de-dix-a-quinze-ans_5312847_3210.html
Avant sa rencontre avec Kim, Trump exulte
Le président américain est confiant, malgré les réticences du premier ministre japonais.
A cinq jours du sommet historique avec le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un, Donald Trump a affiché une confiance en lui à toute épreuve, jeudi 7 juin, en recevant à la Maison Blanche le premier ministre du Japon, Shinzo Abe. Alors que, selon le site Politico, le président des Etats-Unis n’a présidé aucune réunion du Conseil de sécurité nationale consacrée au dossier nord-coréen, contrairement à la pratique et à la raison d’être de ce rouage essentiel de toute administration, il a avoué n’avoir pas consacré beaucoup de temps à la question complexe de la dénucléarisation de ce pays.
« Je ne pense pas avoir besoin de me préparer tant que ça. C’est d’abord une question d’état d’esprit, de volonté de faire avancer les choses », a-t-il assuré à propos de la rencontre prévue le 12 juin à Singapour. « Nous commencerons peut-être par établir une bonne relation, et c’est quelque chose de très important pour atteindre le but ultime d’un accord », a ajouté l’ancien homme d’affaires. Le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, l’un des artisans du sommet, a tenté de relativiser ces propos un peu plus tard en assurant que le président avait eu l’occasion de se préparer au cours de ses briefings quasi quotidiens consacrés à la sécurité du pays.
« Quelque chose de formidable »
Donald Trump a étayé son optimisme par les changements constatés selon lui dans un autre dossier, celui du nucléaire iranien. Alors qu’il a retiré le 8 mai les Etats-Unis de l’accord conclu en 2015, le président a estimé que « l’Iran agit différemment » depuis cette date. « Ils ne regardent plus tellement vers la Méditerranée. Ils ne regardent plus tellement ce qui se passe en Syrie, ce qui se passe au Yémen et dans beaucoup d’autres endroits. Ils sont un pays très différent depuis ces trois derniers mois », a-t-il ajouté, assurant voir à Téhéran « un groupe très très différent de dirigeants ».
Tout en se disant prêt à quitter immédiatement le sommet en cas de blocage, le président des Etats-Unis a préféré envisager une invitation de Kim Jong-un à Washington. « Je pense vraiment que Kim Jong-un veut faire quelque chose de formidable pour son peuple et aussi pour sa famille et pour lui-même », a-t-il affirmé.
A ses côtés, le premier ministre japonais s’est efforcé de faire bonne figure en rappelant à Donald Trump l’importance pour le Japon de deux questions qu’il souhaite voir abordées à l’occasion du sommet de Singapour. La première concerne le sort de Japonais enlevés, selon Tokyo, par Pyongyang entre 1977 et 1983. Donald Trump a brièvement mentionné le sujet en présence de son visiteur, mais il ne l’avait pas fait spontanément par le passé, pas même en accueillant sur la base militaire d’Andrews (Maryland), le 9 mai, trois ressortissants américains détenus en Corée du Nord.
Missiles
Le premier ministre japonais a été ensuite le seul, jeudi, à évoquer la menace que fait peser sur son pays le programme nord-coréen de missiles balistiques de courte et moyenne portée. L’administration Trump a semblé plus sensible, ces derniers mois, à celui qui concerne les missiles intercontinentaux, qui menacent potentiellement le territoire américain.
Le Japon, qui campe sur une ligne d’extrême prudence dans la perspective du « processus » de dénucléarisation annoncé le 2 juin par Donald Trump, redoute de se retrouver marginalisé, d’autant que ses relations avec Washington restent pénalisées par l’excédent commercial japonais. Le président des Etats-Unis a répété qu’il souhaitait conclure un accord bilatéral avec le Japon basé sur la « réciprocité ». Signe des temps et contrairement aux précédentes, cette nouvelle rencontre entre Donald Trump et Shinzo Abe a été dépourvue de l’élément dont le premier ministre japonais tentait de faire le ciment d’une relation particulière : le golf, loisir préféré de son hôte.
Gilles Paris (Washington, correspondant)
* LE MONDE | 08.06.2018 à 10h55 • Mis à jour le 08.06.2018 à 13h48 :
https://abonnes.lemonde.fr/donald-trump/article/2018/06/08/avant-sa-rencontre-avec-kim-trump-exulte_5311605_4853715.html
Avant le sommet avec Donald Trump, Kim Jong-un purge son armée
Le dirigeant nord-coréen choisit des personnalités fidèles en vue d’éventuels compromis.
Le dirigeant Kim Jong-un a procédé à un important remaniement à la tête de l’armée nord-coréenne à l’approche de sa rencontre historique avec le président des Etats-Unis, Donald Trump. L’événement, prévu pour le mardi 12 juin, dans un hôtel sur l’île de Sentosa, à Singapour, marquera un tournant pour un régime qui s’est bâti sur l’hostilité américaine. Si M. Kim entend prolonger, après ce sommet, la dynamique d’apaisement avec les Etats-Unis, il devra en outre donner aux Américains des gages concrets de sa volonté de renoncer, à terme, à sa force de dissuasion nucléaire, un bouleversement pour l’Armée populaire de Corée.
C’est à l’aune de cette possible évolution qu’il faut considérer le remplacement des trois plus hauts responsables des forces armées du Nord par des figures jugées plus fidèles à M. Kim qu’au dogme idéologique. La presse officielle nord-coréenne avait déjà confirmé, le 26 mai, la désignation d’un nouveau directeur du Bureau de politique générale de l’Armée populaire de Corée. Selon l’agence de presse sud-coréenne, Yonhap, le chef d’état-major aurait également été écarté au profit de son second, Ri Yong-gil, tout comme l’a été le ministre de la défense, remplacé par celui qui, jusqu’à présent, était son vice-ministre, No Kwang-chol. Ce dernier est présenté comme un « modéré » par Yonhap.
« Anéantir toute velléité de résistance »
« Le Nord semble mettre en avant de nouvelles figures dans le cadre du changement dans les relations intercoréennes et de la situation sur la péninsule coréenne, car les précédents officiels manquaient de souplesse dans leur réflexion », souligne une source du renseignement sud-coréen citée par l’agence. Kim Jong-un a dirigé, autour du 17 mai, la première réunion plénière de la commission militaire centrale du Parti du travail de Corée depuis presque trois ans, et y a poursuivi sa politique de renforcement du contrôle du parti sur l’armée. Cette réunion pourrait avoir avalisé, pour la forme, la destruction du site d’essais nucléaires de Punggye-ri, dont les tunnels ont été dynamités une semaine plus tard, sans la présence d’experts internationaux, mais sous l’œil d’une poignée de journalistes étrangers.
« Il place des gens en qui il a pleinement confiance », explique Michael Madden, spécialiste de la Corée du Nord à l’université américaine Johns-Hopkins, et qui gère le site Internet NK Leadership Watch. En cas de réouverture, dans les années à venir, des vannes du commerce et des projets de coopération avec le Sud, ces hommes pourraient être chargés de porter des projets de développement économique et d’impliquer l’armée dans la construction d’infrastructures plutôt que d’échafauder des plans guerriers.
« Kim Jong-un a abandonné en avril la ligne du développement parallèle de l’économie et du programme nucléaire pour adopter une nouvelle ligne consacrant toutes les forces à l’économie, souligne Cheong Seong-chang, spécialiste du fonctionnement du régime à l’institut Sejong, à Séoul. Il était donc absolument nécessaire à Kim Jong-un de changer de numéro un de l’armée pour anéantir toute velléité de résistance parmi les militaires. »
Point d’interrogation
Ce remaniement pourrait aussi traduire la volonté de Kim Jong-un de s’entourer de dirigeants militaires qui ne renâcleront pas à appliquer sa politique de dialogue avec l’ennemi. Les Etats-Unis exigent un démantèlement complet, vérifiable et irréversible de ses sites de production et de son stock d’armes nucléaires, mais Kim Jong-un a, lui, fait graver dans la Constitution le statut de puissance nucléaire de son pays.
Kim Jong-un devra préciser la semaine prochaine, lors de sa rencontre avec M. Trump, ce qu’il entend par « dénucléarisation ». Un point d’interrogation pour le monde extérieur, mais aussi probablement en interne. A l’approche du sommet, ses détails protocolaires se précisent, mais pas le calendrier de démantèlement que l’administration américaine a un temps espéré obtenir. Après avoir poussé pour un démantèlement éclair, le gouvernement américain semble se résoudre à ce que le sommet de Singapour se conclue par une déclaration de non-hostilité et de bonne volonté, qui ne sera que le début d’un long processus.
De fait, Kim Jong-un a déjà obtenu un changement de ton américain. « Je ne veux pas employer le terme de pression maximale, parce qu’on s’entend [bien] », a justifié M. Trump le 1er juin. Le niveau de précision des engagements nord-coréens et du calendrier sera la jauge du succès de M. Trump.
Harold Thibault
* LE MONDE | 06.06.2018 à 10h58 :
https://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/06/06/avant-le-sommet-avec-donald-trump-kim-jong-un-purge-son-armee_5310429_3216.html